15 janvier 2009

Avant que j'oublie (Jacques Nolot, 2007)


Encore un film que j’ai découvert au hasard d’un topic récent, en parcourant le forum Criterion. Intrigué, j’ai acheté le DVD sur PriceMinister et après quelques semaines de purgatoire dans la pile des galettes abandonnées, j’ai décidé de le regarder il y a quelques jours, Avant que j'oublie. Putain de film !

Pierre va avoir 60 ans et ne le vit pas très bien. C’est un ancien gigolo qui vient de perdre son protecteur de longue date et qui, par négligence, a laissé passer l’héritage confortable qui lui était destiné. L’été de la canicule dans son petit appartement parisien, il fume beaucoup, essaye d’écrire, regarde la télé, fait monter des gigolos réguliers et hésite à commencer une trithérapie après 24 ans de séropositivité sans trop de problèmes. Il sort aussi un peu, pour aller voir des copains de son âge, qui eux aussi ont des soucis d’argent (parce qu’ils en ont trop ou pas assez), de gigolos et de corps qui s’affaissent... Il rencontre l’ex d’un ex qui a fait de la prison puis fortune, un jeune gigolo à qui il donne quelques conseils désabusés et quelques autres personnages qu’il connaît de près ou de loin. Tout ce petit monde discute beaucoup, des regrets du passé, de l’ennui du présent et de l’angoisse du futur dans des pièces aux fenêtres grandes ouvertes ou aux terrasses des cafés aoûtiens…

Avant que j’oublie montre avec un réalisme étonnant une niche de population quasiment jamais représentée dans le cinéma contemporain : celle des "homosexuels célibataires qui approchent de l’âge de la retraite" et qui voient avec inquiétude et cynisme le moment des grandes solitudes et des constats auxquels ils peinent à faire face. Le fait que le personnage principal soit, en plus d'être une vieille pédale (le terme "gay" n'est pas employé une seule fois dans le film), un ancien gigolo qui a eu son heure de gloire, lui donne un supplément d'originalité. Jacques Nolot, visage régulier du cinéma français depuis les années 80 (notamment dans plusieurs films de son pote Téchiné), a écrit et réalisé un film sans doute en partie autobiographique mais qui touche, malgré la spécificité du milieu décrit, à l’universel grâce aux questions qu’il soulève sur le vieillissement et ses effets secondaires, du tarissage des revenus à l’isolement, de la perte d’énergie à la disparition progressive de l’entourage, des soucis de santé aux regrets de ce qu’on n’a pas fait. Dans le cas du personnage du film, pas d’enfants ni de petits-enfants pour occuper ses pensées, pas de chat ni de chien pour lui tenir compagnie, juste la solitude d’un type sur le retour et l’écriture qui ne coule pas de source. Le film est presque exclusivement masculin : deux personnages de femmes, pas franchement sympathiques, apparaissent le temps de deux courtes scènes.

Le film est constitué d’une série de séquences qui racontent à peu près une journée d’été de la vie de Pierre, du petit matin à la nuit tombée. Pierre (joué par Jacques Nolot lui-même, dans une performance stupéfiante de franchise), par ses contacts avec les autres protagonistes de l’histoire, nous évoque de façon très subtile qui il est mais aussi qui il a été et, peut-être, qui il sera. Quelques-unes de ces séquences sont vraiment étonnantes : notamment l'abstraction symbolique du pré-générique (un cercle noir qui dévore peu à peu un fond blanc), la toute première où le corps nu de cet homme de 60 ans est montré sans fausse pudeur et la toute dernière, fin ouverte que je ne dévoilerai pas mais qui est un magnifique moment de cinéma, l’un des plus forts que j’ai vus ces dernières années. Le génie de Nolot en tant que scénariste et réalisateur est d’avoir fait un film grave, parfois désespéré, mais aussi plein de moments d’humour et de ridicule sans aucune trace de caricature (la discussion des michetons sur le prix des gigolos, l’entrée illégale dans l’appartement du mort, le notaire marié qui fait venir des mecs entre deux signatures d'actes…). D'avoir choisi pour la photo, très belle, une lumière crue et solaire qui retire au film toute morbidité. Et d’avoir donné à Pierre une dignité de tous les instants, dans la conversation comme dans la sodomie. Les dialogues sont excellents, ciselés et souvent littéraires (j'ai plusieurs fois pensé à Rohmer) et dits avec panache par les comédiens dont quelques-uns sont des non-professionnels qui jouent leur propre rôle.

Avant que j’oublie n’est évidemment pas destiné à tous les publics (les scènes de sexe, toutes simulées, sont assez crues et les homophobes devraient serrer les dents) mais pour celles et ceux (homos, hétéros et autres) qui aiment les films à la fois dérangeants et sensibles, durs et drôles, écrits et libres, c’est un titre à conseiller sans réserve. C’est à mon avis un des meilleurs films français récents, un des plus audacieux aussi. Dans le bonus du DVD, Nolot dit que « ce film est né d’un besoin de dire ». Il dit, c’est vrai, des choses très justes, mais il a aussi fait un sacré beau film. Et cette fin !

J’ai maintenant très envie de découvrir les deux films de la trilogie de Nolot qui précèdent Avant que j’oublie : La chatte à deux têtes, sur la journée d’un ciné porno et L’arrière-pays, un retour sur le pays de l’enfance et l’adolescence du réalisateur.

Le DVD Z2 édité chez Blaqout est excellent (image et son) / Format 1.66 anamorphique / Sous-titres anglais optionnels / Bonus : Entretien (environ 20 minutes) avec Jacques Nolot + Préface de Serge Toubiana / Durée du film : 1h48

2 commentaires:

  1. J'ai trouvé le film un peu narcissique, surtout l'interminable plan final. Il aurait fallu des sous-titres à bien des moments, Jacques Nolot ayant une articulation des plus molles. A voir comme un reportage, je connais beaucoup de gays qui s'en sortent quand même beaucoup mieux à cet âge-là. Même séropositifs. Le milieu super étroit dans lequel évolue le personnage principal est étouffant, et ses ennuis d'argent et de gigolos m'ont sincèrement peu touché. Mais en effet, le film a le mérite de peindre une petite frange de la société très peu vue au cinéma.
    B.

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  2. Je ne connais pas Nolot mais j'imagine beaucoup d'autobiographique dans son film que je qualifierai pourtant pas de narcissique, parce qu'il me semble partir d'un portrait individuel pour aboutir à un regard désabusé (et subjectif) sur la vie en général. L'interminable plan final m'a beaucoup surpris, je ne m'y attendais pas du tout et c'est l'une des raisons de mon admiration pour le film : il fallait l'oser.

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