31 janvier 2009

La France (Serge Bozon, 2007)


A l’automne 1917, au plus fort de la Guerre de 14, Camille (Sylvie Testud) reçoit une lettre de rupture de son mari qui est au front et décide sur un coup de tête de partir le retrouver pour essayer de comprendre pourquoi il lui a écrite. Pour passer inaperçue, elle se coupe les cheveux, s’habille en garçon et part à pied dans la campagne vers le front. Elle rencontre une petite compagnie de soldats qu’elle entreprend de suivre pour ne pas cheminer seule. Les soldats la prennent pour un adolescent de 17 ans et acceptent peu à peu sa présence. Ils font la route ensemble, pour le meilleur et pour le pire…

La France est un film dont l'originalité n'a pas cessé de me surprendre quand je l’ai découvert en DVD il y a quelques jours. Je pensais voir un film de guerre, sans doute intimiste, mais un film de guerre quand même. La première scène chantée, qui arrive au bout de 20 minutes environ et à laquelle je ne m’attendais pas du tout, fait soudain passer le film du statut de drame en temps de guerre à celui de drame onirique : c’est un virage complètement inattendu. Le spectateur peut alors sortir du film pour ne plus y rentrer ou alors, comme moi, plonger avec émerveillement dans son étonnante narration. J'ai tout aimé : le scénario, les acteurs (Sylvie Testud m’énerve assez souvent mais ici, elle est parfaite et Pascal Greggory est excellent comme toujours), la photographie, le travail sur la couleur et les splendides scènes de nuit, la composition très picturale des images, les références aux films classiques comme la très belle descente nocturne de la rivière en radeau qui évoque fortement La Nuit du Chasseur, l'audace de ces scènes impromptues chantées par des comédiens non-chanteurs (et ça marche, une fois le premier moment de surprise passé), l'intense poésie de l'ensemble, la très belle fin...

Le film a apparemment divisé les spectateurs et la critique à cause de son point de vue tellement original et qui a pu sembler poseur. C’est pourtant ce qui le rend si fascinant : si la narration avait été classique, La France aurait été un film de plus sur la Guerre de 14, avec un twist un peu gratuit de travestissement qui finalement, aurait sans doute été vite éventé. Le culot du mélange des genres (guerre, mélodrame, musical) que la scénariste Axelle Ropert et le réalisateur Serge Bozon ont osé proposer donne à leur film une identité unique, d’une exceptionnelle fraîcheur. Quant aux questions qu’on peut légitimement se poser sur l'histoire racontée, ses bizarreries et ses incohérences, je pense qu'on peut en avoir chacun sa propre interprétation. C’est ce qui fait que le film est si riche et si beau. Je me suis moi aussi posé quelques questions à la fin mais j'ai fini par trouver mon explication, qui me satisfait et qui en entretient le rêve :

Attention SPOILERS !

Le personnage incarné par Sylvie Testud, ravagé par la lettre de son mari parti au front, se déguise en garçon pour partir le retrouver. Pour se rassurer et avancer dans son dangereux voyage, elle imagine qu'elle rencontre un petit bataillon de soldats avec lequel elle peut faire la route. Elle est pourtant seule jusqu'aux retrouvailles avec son mari, sauf lors des scènes des rencontres avec quelques tiers (le père et son fils, l'informateur, les allemands...). Le film presque entier est donc le périple d'une jeune femme amoureuse prête à tous les dangers pour retrouver son mari, mais un périple vu de son propre point de vue, où l’imaginaire l’emporte sur la réalité. Ses compagnons de voyage n’existent que dans son imagination mais ils lui permettent d’avoir la force physique et surtout mentale de réussir son coup d'audace en limitant sa terreur de marcher seule vers le front. Plusieurs scènes m'incitent à penser le film comme çà, notamment ces fameuses scènes chantées et celle, si étrangement belle, où les soldats sont dans les branches d'un arbre, comme le Chat de Chester d'Alice. La France serait donc d'abord et avant tout une histoire onirique, aux frontières du fantastique.

Un très beau film qui semble être passé rapidement à la trappe malgré son prix Jean Vigo 2007, La France (un titre énigmatique, à l’image du film dans son ensemble) mérite d'être redécouvert. C'est un des mes grands coups de cœur récent, vraiment.

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