2 mars 2009

Forces Occultes (Paul Riche, 1943)


En France, les films de propagande dure datant des années de la Collaboration (1940-1944) sont rares, le cinéma français ayant surtout produit à l’époque des films de distraction. L’éditeur Véga vient de sortir un livre + DVD sur un titre-clé du cinéma français de propagande des années Vichystes : Forces Occultes de Paul Riche, qui date de 1943. Un film très peu visible hors du circuit universitaire depuis sa sortie il y a plus de 65 ans et une pièce importante pour appréhender l’esprit qui prévalait à l’époque dans le milieu intellectuel collaborationniste. Moyen-métrage de 53 minutes, Forces Occultes (quel titre fantasmatique !) est le seul et unique film antimaçonnique jamais réalisé et mérite à ce titre au moins, par curiosité, d’être vu.

L’action se déroule entre 1930 et 1939. Avenel, jeune député idéaliste, monte à la tribune de la Chambre des Députés et se lance dans une diatribe contre les capitalistes et les communistes. Son talent d’orateur est remarqué par des collègues députés francs-maçons qui lui proposent d’entrer en obédience. Malgré les réserves de sa femme, Avenel accepte, subit l’oral et l’initiation et devient frère dans une loge importante. Très vite, il se rend compte que celle-ci est en fait un groupement d’individus assoiffés de pouvoir, maîtres en combines et en manipulations et que la franc-maçonnerie, liée aux juifs, a préparé le terrain pour le déclenchement d’une guerre qui leur permettra, in fine, de prendre le contrôle du Monde. Lors d’une tenue, il fait scandale en exprimant à haute-voix son dégoût et en donnant sa démission, ce qui lui vaut une tentative d’assassinat par deux malfrats diligentés par le Vénérable de la loge. Blessé, il est soigné chez lui par sa femme et entend par la fenêtre dans la rue l’annonce de la mobilisation…

Du point de vue cinématographique, Forces Occultes ne vaut pas grand-chose : la réalisation est basique et ne s’encombre d’aucun effet. L’histoire est linéaire, de la séance à la Chambre à la convalescence au lit, sans flash-back ni flash-forward. Régulièrement quelques ombres menaçantes des personnages sur les murs des décors, à la manière expressionniste, symbolisent la duplicité des francs-maçons et la musique lugubre renforce l’atmosphère de complot qui baigne le film. Les épouses appellent tout le temps leur mari « chéri », une clause de style désuète bien dans le ton des des années d’avant-guerre (et qui me plait toujours beaucoup). C’est ailleurs bien sûr que le film est intéressant.

D’abord, la toute première scène de Forces Occultes a véritablement été tournée dans la Chambre des Députés (au Palais-Bourbon), alors que le bâtiment n’était plus utilisé puisque les chambres avaient été transférées à Vichy. Penser qu’un film comme Forces Occultes ait pu être tourné en partie dans l’Hémicycle est saisissant et en dit long sur l'administration de l’époque. Ensuite, une longue scène au milieu du film (qui dure presque 1/4 du métrage total) décrit avec minutie le cérémonial d’initiation du nouveau frère Avenel. Si la loge a été reconstituée en studio à Courbevoie, les objets et les éléments du décor ont été pris sur réquisition au siège du Grand-Orient de France de la rue Cadet, fermé depuis 1940 suite à la promulgation de la loi portant interdiction des sociétés secrètes. Cette initiation et le serment qui la clôt obéissent très précisément à la façon dont se déroulait une telle prise d’obédience dans les années 1930. Le travail sur la lumière et le placement de la caméra avec les ombres projetées, les gros-plans sur les personnages et les angles accentués donnent toutefois un caractère presque fantastique à la scène, qui est bien évidement recherché pour provoquer l’inquiétude du spectateur et renforcer ses fantasmes sur la franc-maçonnerie. La signification du symbolisme des étapes de l’initiation est expliquée par le détail par le Vénérable de la loge et ne peut que surprendre et questionner les béotiens. Cette scène très étonnante, sans doute inédite dans l’histoire du cinéma, justifie à elle-seule de voir le film.

Les épées rituelles de la cérémonie deviennent des poignards réels dans la scène de la tentative d’assassinat d’Avenel par les deux crapules : insidieusement, le film suggère que les frères maçons sont tout aussi dangereux que les malfrats. Ce type de rhétorique est typique du cinéma de propagande, où les choses ne sont pas forcément dites ou montrées mais où l’effet de suggestion permet au spectateur de se construire une opinion sans nuance. La France collaborationniste ayant en horreur (entre autres) les francs-maçons et les juifs, ceux-ci sont évidemment présentés comme larrons en foire à plusieurs reprises, notamment dans cette scène de la loge où un frère propose au nouvel arrivé des affaires commerciales alléchantes en lui donnant sa carte de visite où figure un nom juif archétypique. Le physique du personnage mielleux est évidemment une caricature digne des films de propagande antisémites réalisés en Allemagne au même moment. Par des scènes comme celle-là, Forces Occultes entre absolument dans la catégorie des films de propagande la plus radicale.

Dans la dernière partie du film, Avenel (pour qui le spectateur s’est forcément pris d’empathie), ose rompre le rituel d’une tenue en exprimant à tue-tête sa déception et son dégoût face à ce qu’il a découvert des pratiques et combines de ses frères maçons. Sa diatribe contre la loge est censée exorciser le sentiment des spectateurs face à tout ce qui leur a été montré auparavant. Dans une image grand-guignolesque qui ouvre et clôt le film, une araignée géante à l’abdomen peint d’une équerre et d’un compas (symboles maçonniques) descend sur un globe terrestre qui s’enflamme. Le film y trouve par métaphore sa signification : la guerre (il faut se souvenir que le film a été réalisé en 1943) a été pensée par les francs-maçons et les juifs, qui y voyaient un moyen d’asseoir leur domination sur le Monde. En carton final, le mot « Fin » apparaît dans une étoile de David…

Forces Occultes est le fruit d’une collaboration entre son commanditaire Bernard Faÿ (alors administrateur de la Bibliothèque Nationale, professeur d’histoire au Collège de France et responsable du Service des Sociétés Secrètes), le producteur Robert Muzard (fondateur de Nova Films, qui produisit des films de propagande Vichyste jusqu’en 1944), le scénariste Jean Marquès-Rivière (journaliste ex-franc-maçon), Paul Riche – pseudonyme de Jean Mamy – (homme de théâtre et de cinéma, lui aussi ex-franc-maçon) et le comédien d'extrême-droite Maurice Rémy, qui joue le rôle d’Avenel. Tous farouchement antimaçonniques, antisémites et collaborationnistes. Une belle brochette. Après la guerre, ils furent diversement inquiétés pour leurs activités pendant l’Occupation : tous en réchappèrent sauf Paul Riche (le réalisateur de Forces Occultes) qui fut le seul cinéaste français condamné à mort et exécuté, en 1949, mais pour des faits non liés au cinéma.

La sortie du DVD et du livre Forces Occultes de Jean-Louis Coy aux éditions Véga, dont le sous-titre est « Le complot judéo-maçonnique au cinéma » (et dont certaines informations ci-dessus sont extraites) est importante car elle permet de redécouvrir un film dont le titre évoque sans doute vaguement pour certains une page isolée mais peu glorieuse de l’histoire du cinéma français. Elle permet aussi de rappeler qu’entre 1940 et 1944, s’il y a bien sûr eu une écrasante majorité de films non-collaborationnistes et non-pétainistes, un film comme Forces Occultes a pu être produit, réalisé et distribué par des Français pour des Français : et c’est un film qui ne pâlit pas face aux classiques de la propagande alors produits dans l’Allemagne nazie. C'est un film qui est donc à la fois une curiosité cinématographique et historique et le support d’une réflexion sur les fourvoiements possibles du cinéma.

La copie de Forces Occultes proposée en DVD avec le livre du même titre n’est pas bonne (elle est tirée d’une VHS) mais elle reste regardable et comme on dit, légitime, « eu égard à l’importance historique du film ». Forces Occultes peut aussi être visionné sur YouTube ou DailyMotion dans une copie encore moins bonne.

2 commentaires:

  1. Sans rapport direct avec votre post (lequel, ceci dit, me fait découvrir un film que j'ignorais...): merci de votre commentaire sur BI-QUEEN, qui présente l'énorme avantage de m'orienter vers votre blog -- passionnant, au premier coup d'œil !... D'autres visites s'imposent, et suivront !... De toute évidence, nous avons nombre d'accointances cinéphiliques...
    Amitiés.

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  2. Merci pour votre mot. Votre site avec Lipsynka en accroche ne pouvait que m'accrocher...

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