6 mars 2009

A Tour of the White House with Mrs. John F. Kennedy (Franklin J. Schaffner, 1962)


Le 15 janvier 1962 à 9h00 du matin, Jackie Kennedy arriva à la Maison Blanche dans un rare état de nerfs. Après que son habilleur, son maquilleur et son coiffeur se furent occupés d’elle et qu’elle eut descendu non pas l’escalier mais quelques verres de scotch pour se donner du courage, Jackie-la-Réserve entra dans une pièce du prestigieux bâtiment où une équipe de plus de 50 techniciens l’attendait. A 11h00, le tournage d’une des plus célèbres émissions de l’histoire de la télévision américaine pouvait commencer.

A Tour of the White House with Mrs. John F. Kennedy devait être une des pièces du jeu de séduction que les conseillers et les PR de John F. Kennedy avaient imaginé à l’intention des Américains et du reste du Monde : proposer à chacun la possibilité de faire, par le biais d’une émission télé, une visite guidée de la Maison Blanche dans son nouvel aménagement. Et pas avec n’importe quel guide mais avec la First Lady herself, l’énigmatique Jackie qui avait décidé et supervisé quelques temps auparavant le complet relooking de la vieille demeure.

En effet, fin 1960, Mamie Eisenhower, sur le départ, avait fait un tour du locataire à Jackie Kennedy qui devait s’installer dans les lieux avec son Président Elect de mari quelques semaines plus tard. La petite histoire dit que Jackie était sortie de la visite en pleurant, en se tordant les mains et en disant que « la Maison ressemble à un hôtel meublé par un grossiste pendant les soldes de janvier ». C’est suite à cette visite qu’elle avait décidé de donner à la Maison Blanche une nouvelle jeunesse. Assistée d’une équipe de décorateurs d’intérieur et de conservateurs de musées, Jackie s’était mise au travail illico. L’idée était de se défaire des pièces de mobilier et des objets d’art trop ploucs pour être compatibles avec le prestige de la demeure et de les remplacer par d’autres, d’un goût plus Vieille Europe. Il suffisait d’aller chercher dans les caves et les greniers, chez les antiquaires et dans les salles des ventes : on devrait bien trouver de quoi redécorer les 54 pièces et les 16 salles de bain de la maison des Présidents. Et c’est ce qui fut fait.

Deux ans après la funeste visite de 1960 donc, la nouvelle Maison Blanche était prête à être vue par les Américains ébahis. L’émission produite par CBS nécessita un an de pré-production et coûta 2 millions de dollars de l’époque. Aucune improvisation n’étant possible, quatre scripts successifs furent écrits, revus et corrigés pendant six mois avant que Jackie soit heureuse du résultat (elle participa activement à la rédaction). Charles Collingwood, journaliste de CBS, fut choisi pour accompagner à l’écran la First Lady dans sa visite guidée et c’est à Franklin J. Schaffner, le réalisateur attitré des speechs télévisés de JFK et le futur director de La Planète des Singes, Patton et Papillon (entre autres) qu’incomba la tâche de filmer la chic promenade dans les méandres du bâtiment.

Le 15 janvier 1962, soit presque un an jour pour jour après la prise de fonction de Kennedy, le tournage avait lieu. De 11h00 à 19h00, Jackie Kennedy et Charles Collingwood, micros cachés dans leurs vêtements, effectuèrent une visite en morceaux de la Maison Blanche rénovée (ou plutôt en cours de rénovation car les travaux n’étaient pas tout à fait finis : à un moment de l’émission, ils entrent dans une pièce en chantier de papier-peint dans laquelle, rassurez-vous, n’apparaît aucun ouvrier). Du Grand Hall d’Honneur du rez-de-chaussée aux Salons Officiels et Cabinets de Travail de l'étage noble et aux Appartements Privés de l’étage supérieur, une sélection de pièces de la maison fut parcourue et commentée par les deux guides novices mais parfaitement bien préparés. Charles C. posait les questions et Jackie K. apportait les réponses. On y parlait de couleur des murs, du mobilier, de l'argenterie et des bibelots (c’est d’ailleurs fou ce que Jackie aimait le mobilier et les objets d’art français du XVIIIe au début du XXe siècle : je dirais que 3/4 des objets montrés pendant l’émission avaient été dénichés en France), des tableaux et des sculptures plutôt américains (notamment les portraits de Présidents qui eux, n’avaient pas été mis au rebut). Seule la chambre de Lincoln, véritable trésor national, n’avait pas été touchée. Régulièrement, Jackie citait nominativement les généreux donateurs qui avaient participé à la rénovation en lui donnant des objets : on peut imaginer que quand Mr & Mrs Walter Anneberg de Philadelphie ou Mr & Mrs Henry Ford de Grosse Pointe, Michigan entendirent leurs noms prononcés à la télé par la First Lady elle-même, ils durent avoir l’une des plus grandes bouffées de chaleur de leurs vies.

Pendant que Jackie faisait sa visite guidée et commentait les meubles Boulle, les chandeliers Empire et la nuance des couleurs des rideaux de soie, John F. était dans une autre salle du bâtiment, pour sa première conférence de presse de l’année 1962 : il y était question du Mur de Berlin, de Cuba, des essais nucléaires, des dramatiques événements dans le sud-est asiatique (qui allaient bientôt déboucher sur la Guerre du Vietnam)… Juste à la fin de sa conférence, le Président vint retrouver son épouse autour d’une table pour une courte conversation avec le journaliste. A l’écran, c’est un moment très sympathique où JFK semble totalement détendu, compte-tenu des sujets brûlants qu’il venait d’aborder à quelques mètres de là, en parlant du formidable travail de sa femme et de l’importance pour chaque américain de connaître l’histoire de leur pays à travers celle de la Maison Blanche et de la succession de ses occupants. Pour la petite histoire, JFK ne fut pas satisfait de sa prestation et demanda à Schaffner de refilmer sa courte intervention le lendemain, ce qui fut fait (et ce qui impliqua un gros travail de montage puisque Jackie n’était plus là pour les prises de vues refaites).

A Tour of the White House with Mrs. John F. Kennedy fut diffusé le mercredi 14 février 1962 à 22h00 sur CBS et NBC et rediffusé le dimanche suivant à 18h00 sur ABC. L’émission avait été en effet produite par CBS avec la participation de NBC et ABC, une première dans l’histoire de la télé US (Kennedy ne voulant pas trop favoriser CBS au détriment des deux autres chaînes nationales). On estime que 46 millions d’Américains (soit 75 % des personnes qui étaient devant la télé à ce moment-là) regardèrent le programme de 60 minutes en noir et blanc, qui fut vite rebaptisé par les médias et le public The Jackie Kennedy Show.

Parce qu’évidemment, vous vous doutez bien que l’immense majorité des spectateurs ne regardèrent pas l’émission pour s’extasier sur le mobilier et les parquets de la Maison Blanche. C’est Jackie qu’on voulait voir, cette nouvelle First Lady si discrète, si jeune, si posée, si bien élevée, si impeccable, si mystérieuse… Comment elle était habillée et coiffée (un bouffant comme on n'en fait plus !), comment elle bougeait, comment elle parlait… La scruter pour essayer d’en percer les mystères insondables. De Des Moines à Hollywood en passant par Seattle et Tallahassee, on peut imaginer qu’anonymes et célébrités, les Sandra Jones et les Marilyn Monroe, les John Smith et les Truman Capote étaient devant leur poste de télévision le 14 février 1962 à 22h00 pour ne pas rater une seule minute du Jackie Show. Et que les téléphones durent sonner dans tout le pays à peine l’émission terminée pour aider à partager les impressions.

Et que virent-ils ces 46 millions de téléspectateurs ? A dire vrai, ils virent une Jackie Kennedy plutôt somnambulique et visiblement pas très à l’aise devant les caméras, glisser à petit pas de pièce en pièce, s’arrêtant devant tel tableau ou telle commode pour en faire une sommaire description sur le ton monocorde et à bout de souffle dont elle seule avait le secret. Une prestation qui était loin de mériter un Emmy Award (pour lequel Jackie n’a d’ailleurs pas été nominated) mais qui est un régal de chaque instant pour les amateurs de weirdness. En revoyant l’émission aujourd’hui, on est vraiment surpris par ce que dégage la First Lady, qui parait presque stoned pendant toute la durée de son intervention (l'effet des scotchs ?), comme absente ou au bord de la syncope. Le journaliste Collingwood s’essaye d’ailleurs comme un diable à animer la conversation et il faut bien avouer qu’on a un peu de peine pour lui. En revanche, l’incroyable vitalité et le charisme de John F. Kennedy explosent dans ses quelques minutes de présence à l’écran : lorsqu’il apparaît et qu’il se met à parler avec son sourire ravageur, on comprend en une seconde d’où vient le mythe JFK. Il faut avoir vu ces quelques moments et tout est dit.

Bien sûr, les médias américains encensèrent l’émission, sa nouveauté et la prestation inédite de Jackie tout en s’émerveillant de la redécoration de la Maison Blanche. Le style Jacqueline Kennedy, déjà bien diffusé par la presse, trouva une seconde célébrité grâce au Jackie Show : les trois rangées de perles, la sobre petite robe-tailleur au col horizontal, les talons plats, la coiffure bouffante et les chuchotements furent repris par des millions de femmes à travers le pays et au-delà : pendant une heure, on avait vu Jackie marcher, bouger, parler et se fendre de quelques rares sourires à son interlocuteur et aux spectateurs. Jackie ayant enregistré à part deux introductions en français et en espagnol, l’émission fut vendue et diffusée dans 32 pays.

Néanmoins, au milieu de toutes ces louanges, un papier de Norman Mailer dans « Esquire » fit tâche et forte impression : sans mâcher ses mots, Mailer compara la voix « artificielle » de Jackie Kennedy à celle « d’une présentatrice météo », nota qu’elle « se déplaçait à l’écran comme une starlette sans talent » et qu'elle « bougeait comme un cheval de bois ». Un avis tranché qui provoqua une animosité à vie entre l’écrivain et Jackie, qui garda toujours ces lignes assassines en travers de la gorge. Entre nous, Norman n’avait pas tout à fait tort. Le Jackie Show fit aussi le bonheur des satiristes presse, télé et radio, cela va sans dire.

A Tour of the White House with Mrs. John F. Kennedy fut en son temps et reste encore aujourd’hui l’une des émissions les plus mémorables de l’histoire de la télé américaine. Cette étrange visite guidée par Jackie K. permit aux Américains d’abord et à une grande partie du Monde ensuite d’avoir l’impression d’entrer pour une heure dans l’intimité d’une dynastie moderne sans égale et d’entrebâiller la porte sur les mystères de Camelot. La Maison Blanche remeublée avec style, le jeune et beau couple Kennedy veillant sur la sécurité et le bon goût du pays, tout semblait parti pour le meilleur. Un déplacement à Dallas quelque temps plus tard allait évidemment changer la donne.

Jackie Kennedy n’a jamais refait une émission télé de ce style par la suite : j’aime cependant à m’imaginer ce que ça aurait pu donner si elle avait fait la même chose (une visite guidée guindée) chez ses deux souillons de cousines, les formidables Edith et "Little Eddie" Bouvier Beale, à Grey Gardens, leur manoir à l’abandon des Hamptons (voyez si vous le pouvez le fabuleux documentaire qui leur a été consacré par les Maysles Brothers en 1975 : Grey Gardens). On dit que Jackie allait quelquefois rendre visite à ses cousines imprésentables, la nuit tombée et incognito : quel dommage que les équipes de Franklin J. Schaffner ne l’aient pas accompagnée au moins une fois dans le bouge infâme…

A Tour of the White House with Mrs. John F. Kennedy a été édité en DVD aux USA par le Field Museum. On peut le trouver en cherchant un peu sur le web. L’image (télévidéo d’origine) est moyenne mais la valeur de curiosité du document en rattrape largement la qualité.

Voici un court extrait du Jackie Show qui vous permettra de vous faire une idée plus précise de l'étrange performance de notre Fist Lady préférée :


Ce sujet s'appuie sur la conférence du même titre par Mary Ann Watson, Assistant Professor, Department of Communication, University of Michigan, 1986.

2 commentaires:

  1. idiote tu n'as rien compris c'etait sa voix naturel ,fuette et je te l'accorde un peu onocorde .et d'ou ca vien que jckie est une alcilique ?
    lisa

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  2. Je n'ai pas dit que Jackie était alcoolique (scandal!) mais qu'elle s'était envoyé quelques scotchs pour évacuer le stress du tournage de l'émission.
    On m'a donné bien des noms mais "idiote", c'est une première! Félicitations!

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