11 juin 2009

Les Derniers Jours du Disco (Whit Stillman, 1998)

Les Derniers Jours du Disco (The Last Days of Disco) : voilà un film que j’avais vu lors de sa sortie en salles en 1998 et dont mon seul souvenir était la déception qu’il avait provoquée. Il m’avait ennuyé, je n’en avais perçu ni l’intérêt ni le charme. Bien sûr, son illustration musicale, uniquement composée de tubes Disco, était assez énergique pour empêcher l’assoupissement mais dès le rideau tiré, The Last Days of Disco avait coulé dans la mare des films oubliés. L’autre jour, je suis tombé par hasard sur le DVD dans une solderie et l’envie m’a soudain pris de le revoir, pour Chloë Sevigny. Et cette fois, ça a été une révélation : dès le générique et la première scène sur "Doctor's Orders" de Carol Douglas (c'est la chanson qui a été reprise par Sheila sous le titre "C'est le Coeur" : "C'est le coeur, les ordres du docteur sont qu'il me faut tes bras, mon seul remède c'est toi...". Mais je m'éloigne déjà du sujet, là !) le film m’a totalement transporté, intrigué, amusé, ému. Plus de dix ans après, il est ressorti du marigot et s’est fait une belle place au soleil. Il fait partie de ces films qui, comme certaines personnes, s'apprécient mieux avec du recul.

« Début des années 80, Septembre ». Charlotte (Kate Beckinsale) et Alice (Chloë Sevigny) essayent d’entrer dans la dernière boîte à la mode de Manhattan, un théâtre reconverti en club Disco. Elles y parviennent, y retrouvent quelques collègues et y rencontrent deux garçons bien propres sur eux. Au cours des semaines qui suivront, elles vont apprendre à leurs dépens que les voies professionnelles et sentimentales qu’elles voyaient toutes tracées devant elles peuvent se dérober sous leurs escarpins : les Yuppies découvrent les réalités de la vie en dansant sur les derniers accords de Chic, Amii Stewart et Blondie…

Consacrer un film de 110’ à une bande de jeunes Yuppies new-yorkais dans la vingtaine dont aucun n’est franchement sympathique, entièrement absorbés qu’ils sont par leurs egos et leurs signes extérieurs de réussite, et pérorant à n’en plus finir sur tout ce qui tourne autour de leurs nombrils en sifflant des scotchs aux tables réservées d’un nightclub, c’est plutôt casse-gueule : le risque est d’insupporter le rat de cinémathèque qui, n’ayant aucune affinité avec les personnages à l’écran, pourrait en concevoir une poussée d’urticaire. C’est un peu ce qui m’était arrivé en 1998.

Ou alors, comme avec un bon vieux tube Disco, on fait fi de la misère de surface et on se laisse entraîner par la pulsation du rythme. Et là, ça commence vraiment à bouger. Whit Stillman, qui a produit, écrit et réalisé son film (est-ce pour leur rendre hommage en miroir que cet homme-orchestre a intégré autant de morceaux de Chic, ces autres control-freaks, dans sa B.O. ?), donne au verbiage de ses personnages une vitalité hors du commun : les dialogues de The Last Days of Disco sont brillants, ridicules, explosifs. Ils sont les paroles d’une chanson qui aurait pour mélodie les airs de certains des plus grands tubes de l’époque et comme ceux-là, ce sont des paroles de surface, pas de profondeur. Le liant est affaire de rythme. C’est ce que je n’avais pas compris il y a plus de dix ans, quand j’avais découvert le film. C’est ce qui m’a subjugué à sa redécouverte (sans compter qu'aujourd'hui je pourrais passer des heures à regarder des gens danser, alors qu'avant...).

Les quelques personnages sur lesquels le film s’arrête sont des pantins qui croient tenir en main leurs propres fils. Bien sûr et avant tout, il y a Charlotte (formidable Kate Beckinsale, où est passée sa carrière depuis ?), une petite brune qui bosse dans une maison d’édition mais « qui fera un jour de la télé ». Doté d’un ego démesuré (« On contrôle tout ! ») et d’une condescendance folle avec sa meilleure et seule amie qui est aussi son souffre-douleur (« C’est vrai, physiquement, je suis mieux que toi, mais t’es tellement sympa que tu devrais avoir plus de types que moi autour de toi »), c’est l’archétype de la « little brat », la petite peste qui mérite une gifle à chaque fois qu’elle ouvre la bouche – pour parler, j’entends.

Chloë Sevigny est Alice. La reine incontestée du cinéma indépendant US en était, en 1998, aux quasi-débuts de sa notoriété (elle s’était quand même fait remarquer dans Kids trois ans auparavant). C’est pour elle, et rien que pour elle, que j’ai voulu revoir The Last Days of Disco. Hier comme aujourd’hui, elle est toujours aussi parfaite. Son physique à la fois un peu ingrat et très sexy, en tous cas hors-normes, est idéalement adapté au rôle qu’elle interprète : celui d’une jeune lectrice dans une boîte d’édition qui, si elle travaille comme un chef, perd ses repères quand il s’agit de sa vie sociale et privée. Entraînée par sa copine Charlotte, elle goûte un peu à reculons au monde de la nuit et aux garçons et offre le seul contrepoint aux personnages de la petite bande : timide et gauche, elle essaye de les imiter mais sa personnalité insecure reprend toujours le dessus. Le « body language » de Chloë Sevigny, qui n’appartient qu’à elle, est l’un des trésors du film : il faut la voir se tordre dans tous les sens de mal à l’aise, esquisser un sourire sur une moue boudeuse, rentrer la tête dans les épaules, hésiter devant une tentation puis s’y laisser aller… Elle est formidable de justesse dans la maladresse et le couple improbable qu’elle forme avec Kate Beckinsale est un régal : quand elles sont toutes les deux à l’écran en même temps, le film fait des étincelles. Pour résumer, Chloë Sevigny, à elle-seule, justifie de voir le film.

Les garçons, eux, sont des passe-partout qui offrent les stéréotypes habituels du Yuppie des Eighties : bellâtres et vaniteux, énervants et ridicules. L’un est commercial dans la boîte d’édition, un autre juriste, un troisième trader… vous avez compris. Quelques-uns travaillent pour la discothèque, au management ou à la sécurité. Ils ne pensent qu’à leur plan de carrière et à sauter le plus de filles possible. Charlotte et Alice, étant, bien entendu, dans leur ligne de mire. Le temps d’une scène, Jennifer Beals (Flashdance, c’était elle) fait une apparition qui ancre le film dans son époque.

The Last Days of Disco pourrait sembler être, sur le papier, un Young Adult Movie (ou plutôt un Yuppie Movie). Et ce n’est pas faux. Mais par la grâce du script, des dialogues et de la réalisation de Whit Stillman, le film s’élève au-dessus de cela. La futilité creuse de tous ses personnages (Alice étant un peu à part) finit par être touchante : ces jeunes adultes sont en train de grandir dans un monde qui peut les broyer sans qu’ils s’en rendent compte. Il sont en costume-cravate ou en talons-aiguilles mais au fond, ils ont endossé des habits trop grands pour eux et restent des enfants sans boussole. Une des meilleures scènes du film est une longue élucubration de l’un des types sur la signification profonde du dessin animé de Disney, La Belle et le Clochard. C’est drôle, c’est triste aussi. Et puis, bien sûr, le titre du film et l’époque qu’il décrit ne sont pas innocents : The Last Days of Disco, situés sans doute entre 1980 et 1982, sonnent aussi le glas de l’insousciance. A la fin du film, les personnages ont presque tous été licenciés de leur boîte qui vient de fusionner avec une autre et se retrouvent à pointer au chômage. Ayant couché avec l’un de ses copains de club, la touchante Alice s’est choppé un herpès et une hépatite (« The 2 Hs »). Et le Sida, on s’en doute, tisse sa toile dans leur dos. Les jeunes Yuppies du film dansent sur un volcan au rythme des derniers tubes du Disco. Le film est bien évidemment, au-delà du portrait cynique et tendre d’une génération qui entre dans une zone de turbulences, une élégie. Dans l’une des dernières scènes du film, le blond juriste fraîchement débarqué se lance dans une tirade sur la mort et la future résurrection du Disco (un des grands moments d'ironie de ce film qui en compte tant) et le wagon de subway qui l’emmène avec Alice loin de Manhattan entre dans un tunnel obscur : la métaphore n’étant évidemment pas du tout celle de La Mort aux Trousses... La toute dernière scène, sur "Love Train" des O'Jays, est magnifique.


Je n’ai pas parlé de la photo du film, splendide. L’essentiel se passe la nuit, dans la boîte, les rues de Manhattan ou les appartements en colocation des Yuppies. Toutes les scènes dans la discothèque bénéficient de l’artifice des spots lumineux, des boules à facettes dans la pénombre et des tenues excentriques et colorées des clients. Quant à l’illustration musicale, elle est, par définition, une anthologie Disco. On aime on on n’aime pas mais il faut reconnaître qu’une scène de confidences sentimentales sur « Let’s All Chant » de Michael Zager Band, ça vaut son pesant de paillettes… L’ensemble représente, à ma connaissance, l’utilisation la plus judicieuse et cynique du Disco qu’on puisse imaginer. The Last Days of Disco n’est pas du tout, faut-il le préciser, une comédie musicale.

The Last Days of Disco forme, après Metropolitan (1990) et Barcelona (1994), le troisième volet de la « Yuppie Trilogy » de Whit Stillman. Je n’ai pas vu les deux premiers films (j’avais trop été refroidi par celui-là en 1998) mais ma récente réévaluation du troisième opus me donne maintenant fort envie de découvrir les deux autres. Comme quoi parfois, il faut essayer de revoir les films qu’on n’a pas aimés : la surprise peut être au rendez-vous. Et un navet peut se révéler, après plus de dix ans de Purgatoire, une sorte de chef-d’œuvre.

Pour le plaisir (Herbert Léonard n’ayant évidement rien à faire là-dedans), voici la tracklist de la bande-originale du film, avec en gras, les 17 titres figurant sur l’indispensable CD de la B.O. :

"Doctor's Orders" / Carol Douglas
"Let's All Chant" / Michael Zager Band
"He's the Greatest Dancer" / Sister Sledge
"Shame" / Evelyn King
"Le Freak" / Chic
"Everybody Dance" / Chic
"More, More, More (Pt. 1)" / Andrea True Connection
"The Love I Lost" / Harold Melvin & The Blue Notes
"The Tide Is High" / Blondie
"I'm Coming Out" / Diana Ross
"Knock on Wood" / Amii Stewart
"Got to Be Real" / Cheryl Lynn
"Hearts of Stone" / Norma Jean
"Minstrel and Queen" / The Techniques
"Opportunity" / The Jewels
"Here I Am" / The Chi-Lites
"The Oogum Boogum Song" / Brenton Wood
"Turn the Beat Around" / Vicki Sue Robinson
"Rockin' Chair" / Gwen McCrae
"Heart of Glass" / Blondie
"I Don't Know If It's Right" / Evelyn King
"Got to Have Loving" / Don Ray
"I Love the Nightlife (Disco 'Round)" / Alicia Bridges
"Everybody Loves Somebody" / Dean Martin
"Good Times" / Chic
"Carry Go Bring Come" / Justin Hines and The Dominoes
"Dolce Vita" / Ryan Paris
"Love Train" / The O'Jays
"Amazing Grace" / Kate Beckinsale

The Last Days of Disco est sorti en DVD Z2 en 2006 sous le titre Les Derniers Jours du Disco. Image non anamorphique et son très corrects. Sous-titres français optionnels. Mais attention : Criterion sort son édition en août 2009 ! Avis aux amateurs !

Ci-dessous, quelques images du film (mais sur une illustration musicale qui n'est pas l'originale même si elle fonctionne plutôt bien) :

4 commentaires:

  1. salut Tom,
    j'ai découvert ce film hier soir suite à ton enthousiasme et parce je suis dans une période Blondie.
    Bon, j'ai pas trouvé ça génial.
    Pourtant au début, malgré une mise en scène purement illustrative, j'accrochais bien. Je trouvais qu'il y avait pas mal de notations très justes sur les jeunes gens qui viennent d'arriver dans une grande ville (et ça ne pouvait que me parler), des choses qui excédaient le contexte spatio-temporal précis du film. La brève évocation de la gentrification des quartiers populaires notamment. C'est quelque chose qui reste toujours très vrai et qui contribue à la vérité du film. L'absence de sentimentalité aussi.
    Par contre, plus le film avançait, plus j'ai senti l'auteur incapable de synthétiser toute sa matière dans un récit digne de ce nom. L'histoire avec la drogue dans la boite de nuit m'est apparue cousue de fil blanc. Les nombreuses tirades généralistes sur le disco me sont également apparues fausses, lourdement chargées d'intentions. Les gens qui vivent une époque n'ont en général pas le recul pour la théoriser d'une façon aussi définitive que le mec à la fin qui fait son discours franchement ridicule sur la fin et la résurrection du disco. L'absence de souffle de la mise en scène ainsi que la fadeur des acteurs masculins n'a pas aidé non plus à mon intérêt.

    dommage, le sujet m'intéressait.

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  2. Salut Christophe,
    Je suis content que tu aies eu l'envie de voir ce film. Comme toi, je trouve que l'histoire du dealer de drogue tombe comme un cheveu sur la soupe et n'apporte rien (pire, c'est une erreur). En revanche, les tirades comme tu dis, si elles m'avaient vraiment cassé les pieds lorsque j'avais découvert le film en 1998, m'ont paru à la re-vision faire partie intégrante de l'artificialité de l'ensemble, qui n'est pas je crois une capture réaliste d'un moment des années 80 mais une promenade cynique et bavarde (je dirais même "littéraire" mais tu penseras que je pousse un peu, là) sur l'essence et la mémoire d'une époque. Il y a du Rohmer là-dedans.

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  3. Bonjour,
    J'ai vu ce film hier et la BO est une superbe sélection des années Disco...
    J'étais en train de commencer à Shazamer pour faire une liste complète quand je suis tombé sur cet article :)
    Avis totalement partagé sur tous les points de ton article. Sans doute que j'aurais trouvé ça fade en le voyant à sa sortie, mais maintenant ça fait presque "documentaire" avec l'analogie avec le Studio 54...

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    1. Bonjour,
      Oui la BO de ce film est très bonne et la musique colle vraiment bien aux images et aux sentiments des personnages. Ravi qui tu aies aimé.

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