29 août 2009

Joan Crawford's Town Hall Interview (1973)

Joan Crawford (1905-1977)

Le 8 avril 1973, Joan Crawford se prêta à une longue interview face à un public de fans sur la scène du Town Hall de New York. Avant elle, il y avait eu Bette Davis, Sylvia Sydney et Myrna Loy. Après elle, il y aurait Rosalind Russell et Lana Turner. L’hôte de l’interview, John Springer, était un ami personnel de longue date de Crawford.

Très angoissée à l’idée de parler en public (elle ne supportait pas l’improvisation), elle avait accepté l’enjeu par amitié pour Springer, quand une autre actrice lui avait fait faux bond. A la dernière minute, Crawford fut prise d’une crise de panique et il fallut qu’elle descende quelques verres de scotch et s’envoie un paquet de clopes pour se donner le courage de monter sur scène. Springer a même dit qu'il avait fallu littéralement la pousser sur scène pour qu'elle y aille.

Âgée de 68 ans, Crawford, qui avait tourné son ultime film trois ans plus tôt, l’exécrable Trog, y revenait sur sa carrière devant un parterre d’auditeurs entièrement acquis à sa cause. Un peu coincée et mal à l’aise au début, elle se relâcha au fil de l’entretien qu’elle mena à terme avec humour et panache. Crawford n’avait jamais fait un tel exercice au cours de sa longue carrière et n’en referait jamais plus par la suite : l’interview de Town Hall fut d’ailleurs sa toute dernière apparition publique. Joan Crawford est morte à Manhattan le 10 mai 1977, un peu plus de quatre ans après cette soirée mémorable.

La séance de Town Hall, qui dura 1h15, commença par une projection d’extraits de onze films parmi les plus célèbres de l’actrice (environ 35 minutes) puis Crawford fit son apparition sur scène pour répondre aux questions de Springer et de quelques fans (pendant environ 40 minutes). La soirée fut enregistrée et en 1978, le disque "Joan Crawford, Live at Town Hall" (un collector !) sortit en hommage à la star disparue.

L’interview de Crawford par Springer est disponible aujourd’hui sur CD et sur YouTube (il faut un peu chercher). C’est un document rare qui n’avait, à ma connaissance, jamais été traduit en français. Jusqu’à maintenant. Puisque votre serviteur a passé une bonne partie de son samedi à traduire la transcription de cette interview mythique pour les fans de Joanny.

Vous remarquerez que quelques-uns des dialogues de Crawford pendant l'entretien ne font pas sens ou sont contradictoires - elle semble ne plus très bien savoir combien d'enfants elle a adoptés - et que Springer semble assez souvent déstabilisé par les réactions de son invitée (invisibles dans le texte, évidemment) : il faut savoir que Crawford était complètement pompette après tous les verres qu'elle s'était enfilés et que l'interview a été assez difficile à conduire (d'où l'expression "boire ou conduire...").

J’ai volontairement retiré presque toutes les notations des rires et des applaudissements qui parsèment l’entretien. Pour avoir une idée de l’ambiance de la soirée, vous pouvez toujours écouter l’enregistrement original dans la fenêtre YouTube qui apparaît à la fin du (long) texte.

Et voilà le résultat. Enjoy, darlings !

Joan Crawford et John Springer pendant l'entretien du Town Hall (8 avril 1973)

La transcription originale anglaise de l'interview provient de l'indispensable site de Stephanie Jones consacré à Joan Crawford : The Best of Everything, A Joan Crawford Encyclopedia.

John Springer : Mesdames et Messieurs, Miss Joan Crawford ! (tonnerre de cris et d'applaudissements)

Joan Crawford : Je ne m’étais jamais rendue compte qu'il y avait tant… d'amour ! Merci !

JS : Il y a eu une Lucille LeSueur et puis il y a eu une Billie Cassin et soudain il y a une Joan Crawford. Pouvez-vous nous raconter l’évolution ?

Joan : Tout ce que je sais c’est que je suis ici !

JS : Vous avez toujours été au top des modes. On peut même dire que vous avez lancé la plupart d’entre elles. Quand le Charleston était en vogue, vous en étiez la reine. Et vous avez plus fait pour les sourcils, les lèvres et les épaules que n’importe qui dans le monde. Je suis certain que c’est votre personnalité. Mais, est-ce qu’il y d’autres personnes qui vous ont aidé à créer l’image de Crawford ?

Joan : Adrian. Edith Head. Et en fait, tous ceux avec qui j’ai un jour travaillé.

JS : Y-a-t-il un couturier qui a remplacé Adrian dans votre vie ?

Joan : Non. Chacun est unique. Il n’y a qu’une Garbo. Il n’y a qu’un Adrian. Edith Head. Helen Rose. Jean Louis.

JS : Joan, vous êtes l’archétype de la Star. Je veux dire que vous respectez votre public. Vous ne pourriez jamais être Madame-tout-le-Monde. Il n’y a jamais des moments où vous avez envie de dire « Ras-le-bol ! » et de tout envoyer balader ?

Joan : Non ! Non ! (rires) J’aime les gens.

JS : Bon…

Joan : Merci à vous tous !

JS : C’est réciproque de toute évidence. Je crois que tous ceux qui vous connaissent, et beaucoup de ceux qui ne vous connaissent pas, vous considèrent comme la plus attentionnée des femmes. Vous répondez tout de suite à vos courriers. Vous envoyez des mots personnels pour les occasions spéciales. Vous gardez le contact avec vos amis et avec vos fans. Comment trouvez-vous le temps pour tout ça avec votre planning surchargé ?

Joan : On ne trouve pas le temps, on créé le temps.

JS : Quand je vous ai connue, vous ne vous seriez pas approchée d’un avion et maintenant, vous voyagez en avion aux quatre coins du monde. Et vous étiez dans tous vos états à l’idée d’aller à une réception en votre honneur et pourtant regardez-vous aujourd’hui !

Joan : Eh ben merde, comment croyez-vous que je me sens ce soir ? (rires)

JS : Mais vous avez acquis beaucoup de courage au cours des années, non ?

Joan : Oui, on gagne en force et en sagesse... Et j’ai eu la chance d’avoir un mari (NDT : elle parle de son quatrième époux, Alfred Steele, CEO de Pepsi Cola, et dont elle était veuve depuis 1959) qui me disait qu’on entrait dans une zone de turbulences avant le capitaine du navire. Je lui demandais : « Ah, bon ? ». C’est comme ça que j’ai appris. Après sa mort… j’ai appris à me dire qu’on entrait dans une zone de turbulences et quand le capitaine l’annonçait, je n’étais pas étonnée. Si vous voyez ce que je veux dire.

JS : On vous a souvent accusée d’être très critique envers la façon dont les autres actrices se conduisent. En même temps, je sais que vous n’êtes pas avare d’encouragements avec les débutantes. Vous pouvez nous en parler un peu ?

Joan : Bon… Parlons des Oscars. Je pense que tout le monde aujourd’hui essaye d’être drôle. Et ceux qui viennent après le couple précédent essayent d’être plus drôles qu’eux. La dignité et la beauté des Oscars, je dois dire, a disparu avec les Gregory Peck. Et avec les Charlton Heston. Gregory Peck, quand même! Frank Sinatra, quand même ! Ils … oui, j’aime aussi Frank Sinatra… ils interviennent avec dignité et donnent l’exemple de ce que chacun devrait faire. D’autre pas. Et cette année, j’ai été atterrée par la conduite de tout le monde, Mr. Brando inclus.

JS : En plus d’être une grande star de cinéma, vous êtes aussi une grande fan de cinéma. En tant que fan, quelles sont les stars pour lesquelles vous ressentez ce que nous ressentons pour Joan Crawford ?

Joan : Je ne sais pas ce que vous ressentez pour Joan Crawford !

JS : Ben comment… Allez, vous ne pouvez pas ne pas savoir ce qu’on ressent pour Joan Crawford !

Joan : Je suis la plus grande fan du monde, vraiment. Je pense que Miss Glenda Jackson… est l’une des meilleures. J’adore Miss Katharine Hepburn et Audrey Hepburn… Et je prie le ciel pour que Garbo revienne !

JS : Çà, oui ! J’étais avec vous un soir quand David Frost vous a demandé quel était l’acteur le plus excitant avec lequel vous ayez travaillé. Vous avez nommé un acteur et vous avez dit pourquoi mais ils ont beepé votre réponse. Pourquoi ?

Joan : Oui, ils m’ont beepée. J’avais dit pourquoi c’était le plus grand acteur du monde et le plus excitant et le plus…

JS : Qui ?

Joan : Gable. The King. J’ai dit qu’il avait… enfin tout le monde a compris ce que je voulais dire. Il en avait, quoi ! J’ai dit : “David, est ce qu’on va me beeper ?” Il m’a dit : “J’ai bien peur que oui”. Quant à lui, il a été beepé cinq fois en parlant de la salope d'une-telle et de la salope d'une-telle. Je lui ai demandé : « On vous beepe ? ». Je suis rentrée chez moi et j’ai regardé l’émission : j’avais été beepée une fois et lui sept !

JS : Y a-t-il d’autres acteurs avec qui vous avez travaillé et que vous appréciez particulièrement ?

Joan : Oui. Mr. Spencer Tracy. Sir Robert Taylor. Jimmy Stewart. Je pourrais continuer encore et encore mais on n’a pas beaucoup de temps ce soir. Mais j’ai été la femme la plus chanceuse du monde d’avoir eu la carrière que j’ai eue.

JS . On a eu de la chance aussi ! Pouvez-vous nous dire quelques mots sur les réalisateurs qui ont le plus compté pour vous ?

Joan : Cukor. Clarence Brown.

JS : On l’a un peu oublié ces dernières années, non ?

Joan : Ah, çà !

JS : C’est un grand réalisateur.

Joan : Ah, Van Dyke ! Je peux vous raconter une histoire à propos de Van Dyke ?

JS : S’il vous plaît !

Joan : Hum… Il a fait un film avec Rosalind Russell, Robert Montgomery… J’étais dedans.

JS : Forsaking all others.

Joan : C’est ça ! On y allait, il ne faisait pas répéter. On disait nos dialogues. Il disait « Ok, emmenez les caméras sur le plateau 2 »… et on était sur le plateau 4. Je me suis demandée « Mais qu’est ce qu’il va faire avec Garbo ? ». Il devait faire son prochain film. Elle, elle aime les répétitions et ne veut personne sur le plateau. Il lui a dit « On y va, ma belle ! ». Elle lui a répondu « Qu’est ce que vous avez dit ? ». Il a remis ça « On y va, ma belle ! ». Elle y est allée, a fait sa scène et il a dit « Allez, c'est bon ! » et les caméras on été emportées vers un autre plateau. Elle a dit « Mais je n’ai pas fini ma scène ! ». Et il lui a dit « Mais si, on vient de la filmer ! ».

JS : Vous aimeriez réaliser un film, Joan ?

Joan : Non ! Produire, oui. Réaliser, non. La plupart des acteurs refusent de se laisser diriger par une actrice ou une femme réalisatrice. Ils le prennent mal.

JS : Je sais qu’on vous a proposé “Butterflies are free” mais vous ne voulez pas mettre les pieds sur une scène de théâtre. Pourquoi ?

Joan : Je me demande bien ce que je fous ici ce soir ! Non, plus sérieusement… Ça m’angoisse vraiment. Je suis née devant les caméras et je ne sais rien faire d’autre.

JS : Bon…

Joan : Enfin, je pense que je pourrais le faire…

JS : Bien sûr que vous pourriez.

Joan : Mais avec des gens comme vous !

JS : Une chose est certaine : vous auriez toujours du public. Il n’y a eu que peu d’actrices qui ont connu la gloire que vous avez eue. Sentez-vous une sorte de concurrence entre actrices ?

Joan : Oh, j’adore la concurrence ! Je crois vraiment que la concurrence est l’un des grands challenges de la vie. Autrement, on ne grandirait pas. Je pense qu’avec Bette Davis, dans Baby Jane, j’ai connu l’un des plus grands challenges de ma vie. Je le dis sans arrière-pensée. J’ai du garder le contrôle et j’ai appris la discipline (rires soutenus). Attendez, attendez, laissez-moi vous expliquer ! Disons que Bette est… d’un tempérament différent du mien. Elle doit gueuler chaque matin. Alors, je m’asseyais et je tricotais. J’ai tricoté une écharpe d’Hollywood à Malibu. (rires soutenus)

JS : Joan !

Joan : Je suis passée de 59kg à 54kg... mais ce n’est pas très grave.

JS : Dites-nous ce que vous avez ressenti quand vous avec gagné l’Oscar quelques années seulement après avoir été appelée « poison du box-office » ?

Joan : Eh bien, j’étais en bonne compagnie avec les « poisons du box-office », non ?

JS : Ça, c’est sûr !

Joan : Katharine Hepburn et Fred Astaire et quelques autres… Hum, je me suis dit « Bon, c’est fini ! ». Vous savez, on arrive tous à un moment ou un autre où, comme aujourd’hui, il n’y a plus assez de travail. On n’écrit plus pour les femmes. En fait, j’aimerais bien être Duke (NDT : John) Wayne. Mais je ne sais pas très bien monter à cheval. Ils n’écrivent plus pour les… pour nous. Barbara Stanwyck pense la même chose. On en parle. Pas souvent parce que je ne vis pas dans le passé. Je vis aujourd’hui en me préparant à demain. Alors… si un scénario vient avec mon nom dessus, je le prends. Mais tant qu’il ne vient pas, je reste une femme sereine.

JS : Et gagner un Oscar ? Ça a du être un des grands moments ?

Joan : Oui ! Mais je n’étais pas là !

JS : Je sais, vous étiez malade, non ?

Joan : Quarante de fièvre !

JS : Il semble que tout le monde a des enfants rebelles de nos jours. Vous en avez élevé quatre et vous avez été perçue comme une mère aimante mais disciplinaire. Vous pensez que vous auriez été pareille si vous deviez élever des enfants aujourd’hui ?

Joan : Mmm ! Oui. Je crois… enfin, c’est seulement mon avis… je crois que la principale raison pour laquelle les gosses prennent du shit et d’autres saletés, c’est qu’ils n’ont pas assez d’amour et de discipline à la maison.

JS : Parlez-nous de votre vie de businesswoman, de dirigeante de Pepsi Cola. Est-ce une extension de la vie de Joan Crawford, la star de cinéma, ou est-ce autre chose ?

Joan : Eh bien, disons que j’ai vendu Joan Crawford pendant tellement longtemps que maintenant je n’ai plus qu’à laisser Joan Crawford vendre Pepsi Cola !

JS : Je voudrais ajouter que l’une des meilleures façons de connaître Joan… comment Joan Crawford vit et ce qu’elle pense de la vie et de la beauté et toutes sortes de choses, c’est de lire son très bon livre « My Way of Life » qui a été publié l’an dernier chez Simon and Schuster. Là-dessus, je pense qu’on devrait maintenant laisser le public poser des questions.

JS : Notre première question est pourquoi votre musical de Vincent Newman, Great Day, de 1930, n’est jamais sorti ?

Joan : Hum… eh bien, en fait on n’a jamais fini le film. Je suis allée voir L.B. Mayer et je lui ai dit « Je n’arrive pas à parler avec l’accent du Sud. Et je ne serai jamais une ingénue. Je ne l’ai jamais été et je ne peux pas dire ce genre de dialogue. Ils sont nuls ! S’il vous plait, regardez les rushes… Mr. Thalberg ne les a pas vus. Regardez-les. J’ai tourné dix jours et personne ne m’a dit ce que je faisais ! Même pas le réalisateur. Mais j’ai vu les rushes”. Le soir-même je recevais un coup de fil de sa secrétaire particulière, Miss Kaye, qui m’a dit « Mr. Mayer vous dit de rester chez vous. Vous avez raison ! » Il a annulé le film. J’ai donc tourné seulement dix jours. On l’a mis au placard et à cette époque, 280.000 $, c’était quelque chose !

JS : Qui jouait avec vous dans ce film ?

Joan : Je m’en fous complètement.

JS : Oh! Earl Blackwell demande si vous connaissiez Garbo à la MGM et si vous étiez amies. D’après vous, est-elle vraiment l’une des plus grandes ?

Joan : Miss Garbo et moi… bon, vous allez savoir ce que je pense d’elle… Miss Garbo ! On s’était toutes habillées et on devait monter un grand escalier et on était alignées là-haut au sommet des marches avec Renée Adorée, Joan Crawford, Miss Garbo et d’autres encore. Et un jour… on s’est retrouvées dans Grand Hotel. Je me disais “Ça alors, je lui dis bonjour tous les matins et elle ne me répond jamais”. Je passais toujours par un certain escalier parce que sa loge était juste à côté. J’aurais pu faire plus court mais j’avais toujours envie de lui dire « Hello, Miss Garbo ! » et de faire une révérence. Je n’ai jamais su si elle m’a une seule fois regardée depuis sa fenêtre. Toujours est-il qu’un jour j’étais en retard sur le plateau. J’ai couru dans l’escalier et je ne lui ai pas dit « Hello, Miss Garbo ! ». Alors, elle est sortie et elle m’a crié « Hâllo ! ». (rires soutenus) Et puis quand on était sur Grand Hotel… j’étais avec un type dans les relations publiques, Jerry Asher, dont vous devez vous souvenir…

JS : Bien sûr !

Joan : Et Miss Garbo travaillait de neuf heures à dix-sept heures. Couvre-feu. Mais moi je devais continuer après dix-sept heures. J’étais à côté de sa loge et j’ai crié : "Jerry ! Va-t'en ! Va-t'en ! Voilà Miss Garbo ! Ne respire pas ! Va-t'en ! Elle ne veux voir personne !”. Elle est montée et s’est arrêtée. Je commençais à descendre : elle était en-dessous de moi. J’étais sur la dernière marche et elle était deux marches en-dessous. Je ne savais plus quoi faire. Je lui ai dit « Pardonnez-moi, Miss Garbo ». Elle a alors pris mon visage dans ses mains et m’a dit (Crawford imite un fort accent suédois) « Oh, je suis désolée que nous n’ayons pas de scènes ensemble. Je suis vraiment désolée ». J’ai regardé son visage éclairé par le soleil du soir… ce merveilleux visage. Il était dix-sept heures trente et c’était la plus belle chose que j’avais jamais vue dans ma vie... et je suis tombée dans les pommes, boiinng !

JS : Y a-t-il un film que vous regrettez d’avoir fait ? C’est Helen Phillips qui pose la question. Et si oui, pourquoi ?

Joan : Oui. This Woman is Dangerous.

JS : Bill Dwyer demande si vous avez jamais envisagé sérieusement de jouer Scarlett dans Gone with the Wind ?

Joan : On ne me l’a pas demandé !

JS : C’est une bonne raison. Ah, The Hollywood Canteen, un dimanche en 1944. Vous et Phillip Terry m’avez donné des sandwiches et du lait et les minutes les plus fantastiques dont un gamin puisse rêver. Je me souviens que vous portiez une blouse jaune d’Adrian. Merci beaucoup ! Vous avez toujours ces magnifiques bracelets en topaze ?

Joan : Oui et j’ai aussi toujours la blouse…

JS : Kenneth Lowell demande… euh… il dit que vous avez fait quatre films avec John Gilbert… Vous n'en avez fait que deux dont je me souvienne…

Joan : C’est exact.

JS : Peut-être pourriez-vous nous dire quelques mots sur sa personnalité et son image ? Et c’est vraiment désagréable de lire des choses sur la fadeur de sa voix. N’importe qui l’ayant vu dans Queen Christina sait qu’il n’y avait aucun problème avec sa voix. Vous pouvez nous dire ce qu’il en était ?

Joan : Eh bien… en 1929, tout le monde s’est mis à paniquer à la Metro. Mais vraiment tout le monde. Les dirigeants, les acteurs, les producteurs… Les starlettes, elles, n’étaient pas assez informées et j’étais une starlette. Alors… je n’avais pas peur. Ils nous ont dit qu’on devait faire des films parlants ! On devait parler ! Dans un micro ! Il y avait John Gilbert et tous les autres : Wally Beery, les Barrymore… et il y avait un type qui était chargé de nous apprendre à parler. Donc j’étais… J’étais si jeune, je ne savais absolument pas de quoi ils parlaient alors j’y suis allée et j’ai fait mon premier film parlant. Tous les autres avaient peur. Et John Gilbert a fait un essai. Pas moi. J’ai fait The Untamed avec Bob Montgomery et j’ai entendu ma voix et j’ai dit « Ce n’est pas moi ! C’est un homme !”. Enfin, je, je, je… j’avais une voix si grave que j’ai dit “Ce n’est pas moi qui chante. Quelqu’un m’a doublé ! ». Et on avait un homme vraiment formidable qui était professeur de chant. Il était le professeur de Caruso… et j’ai dit que je ne voulais pas prendre de cours de chant. Je veux juste apprendre à parler. Mais je crois que je sais déjà. Enfin, bon… John Gilbert a fait un essai. Et sa voix était trop haute. Carrière foutue. C’est pour ça que je dis aux jeunes acteurs et aux jeunes actrices… apprenez à respirer, apprenez à prononcer mais avant tout, apprenez à ressentir. (tonnerre d'applaudissements)

JS : Carl Johnes demande si après le fameux concours dans le magazine qui vous a donné le nom Joan Arden, puis Crawford, c’est vrai que vous détestiez tellement le nom que vous vous êtes appelée vous-même Jo-Ann pendant plusieurs années ?

Joan : Non. Mais je crois que vous m’avez dit que la mère de Joanne Woodward l’a appelée Joanne à cause de moi.

JS : C’est exact.

Joan : Enfin, j’ai été appelée Joan Arden sur concours et j’ai dit « Beurk ! ». Mais il y avait déjà une Joan Arden qui a attaqué Metro-Goldwyn-Mayer parce que j’avais fait deux films sous le nom de Joan Arden. Alors, ils ont choisi le second choix de nom qui était Joan Crawford et la petite vieille handicapée a reçu… c’était cent ou cinq cents dollars pour avoir trouvé mon nom ?

JS : Je crois que c’était cinq cent.

Joan : Cinq cent…

JS : Ça fait beaucoup…

Joan : Et j’ai dit que ça sonnait comme si j’allais être servie en dinde à dîner… « Cranberry ». C’est pourquoi Bill Haynes m’a surnommé « Cranberry » après. Mais je suis finalement très contente du nom Joan Crawford.

JS : Robert Rosterman dit que c’était un peu culotté d’avoir une actrice principale myope en 1946. Mais dans Humoresque, Helen Wright a beaucoup fait pour rendre séduisant le port des lunettes chez les femmes. Cette nouveauté était-elle une idée dans le scénario, du réalisateur Jean Negulesco ou une suggestion que vous avez faite ?

Joan : Je crois que c’était entre le scénariste et le réalisateur. Moi, je portais les lunettes… je n’arrivais pas à voir à travers ce qui n’était si pas mal parce que comme ça je louchais pour regarder John Garfield et, flûte, ce n’est pas le genre de type qu’on regarde en louchant. Il était sensationnel !

JS : Le meilleur… Hess Tatum demande si vous avez des souvenirs particuliers de F. Scott Fitzgerald.

Joan : Je me souviens seulement qu’il est venu chez moi en Californie avec Helen Hayes et Charlie MacArthur et tout ce qu’il a fait, c’est de s’asseoir dans ma cuisine et de rester près des bouteilles. C’est tout ce dont je me souvienne.

JS : Quelqu’un qui n’a pas signé demande si on vous proposait un rôle dans un film tiré d’une pièce classique… par exemple Lady Macbeth, est-ce-que vous l’accepteriez ?

Joan : Si j’avais Larry Olivier…

JS : Ils demandent aussi si vous accepteriez un rôle dans un film musical où vous devriez chanter ?

Joan : Eh bien, j’ai étudié l’opéra pendant neuf ans mais… goodbye Charlie !

JS : Fred Zenator de Forbes Magazine dit : « Chère Miss Crawford, maintenant que vous avez fait ce premier pas sur une scène à New-York, pensez-vous qu’il soit possible… J’aurais tout donné pour vous voir dans le rôle d’Eileen Heckart dans « Butterflies ». J’ai même failli vous appeler. S’il vous plaît, essayez quelque chose. Croyez-moi, ça se jouerait pour un an minimum même si c’était une erreur. » Alors ? On en a déjà parlé. Je pense qu’on connaît votre réponse.

Joan : Non, attendez une minute. Je ne crois pas que quelqu’un aurait pu surpasser Eileen Heckart dans « Butterflies are free ». Elle est formidable ! Je lui ai parlé l’autre jour, avant-hier. Je lui ai dit “Eileen, je vais à Town Hall dimanche”. Ella a dit « Je sais ! ». Et elle a dit « Tu sais, j’ai fait une conférence dans une université récemment… des étudiants en théâtre… à un niveau supérieur ». Et elle a dit « Je n’arrivais pas à les accrocher. Et je me suis dit, c’est bon Eileen, tu as foiré. Tu viens de foirer. Et tout d’un coup, un gamin s’est levé et m'a demandé « Que pensez-vous du shit ? ». Elle a répondu « Chéri, ça c’est ton problème. Le mien, c’est le whisky !».

JS : Que pensez-vous des prises de positions politiques récentes de plusieurs acteurs et actrices ? Pensez-vous qu’ils ont raison d’utiliser leurs noms pour influencer les gens ?

Joan : Je pense que les gens qui vont aux Oscars… oh, nom de Dieu ! Acceptez et soyez reconnaissant pour l’honneur. Et n’essayez pas de profiter de la télévision nationale pour faire vos doléances. Et s’il-vous-plaît, par pitié… ne parlez jamais de politique ou de religion.

JS : Ce… ce monsieur ou cette dame demande ce que vous pensez du fait que Johnny Guitar a atteint le statut de film-culte en France et que quand on lui a demandé quelles étaient les grandes performances au cinéma, Jean-Pierre Léaud, l’acteur de "Baisers volés" a dit que les plus grandes performances d’acteurs étaient Buster Keaton dans tous ses films et Joan Crawford dans Johnny Guitar. Vous pensiez le même bien du film quand vous le tourniez ? Vous avez changé d’opinion ?

Joan : Bon, j’ai eu quelques problèmes sur Johnny Guitar… avec les acteurs. Et il n’y avait pas Buster Keaton.

JS : C’est dommage. Vous l’auriez préféré à quelques-uns des autres, non ?

Joan : Je l’aurais préféré à deux autres, oui.

JS : S’il-vous-plaît, expliquez-nous les rumeurs sur vos querelles avec Norma Shearer pendant le tournage de The Women.

Joan : Elle était mariée au patron et j’étais une simple actrice… (rires soutenus) Elle n’aimait pas ma robe… et elle l’a fait changer dix-neuf fois ! Ca a couté une fortune à la production ! Mais finalement, c’est moi qui ai porté la robe en lamé et le turban ! (rires soutenus)

JS : Si vous aviez tourné la scène avec Bette Davis dans Hush, Hush, Sweet Charlotte, l’auriez vous giflée aussi sauvagement que l’a fait Olivia de Havilland ?

Joan : Je n’ai pas vu le film !

JS : Quelqu’un demande si vous avez été tentée de jouer certains des rôles féminins classiques. Elle parle de Hedda Gabler, Médée, Mrs. Alving… comme pour Lady Macbeth.

Joan : J’ai fait « Une Maison de Poupée » pour Lux Radio Theater.

JS : Ah bon ? Ça, je ne savais pas !

Joan : Oui, j’ai fait quelques-unes de ces choses sympathiques. Les classiques...

JS : Quelqu’un qui n’a pas donné son nom demande : « Vous avez dit que… »

Joan : C’est sans doute une question salace !

JS : « … que vous étiez choquée par la permissivité de la génération actuelle et par le flot de films obscènes et pornographiques. N’étiez-vous pas vous-même au début de votre carrière une fille à calendrier ? »

Joan : Ca, ça fait trois questions !

JS : Oh !

Joan : Commençons par la première.

JS : Vous avez dit que vous étiez choquée par la permissivité de la génération actuelle…

Joan : Je le suis.

JS : Et par le flot de films obscènes et pornographiques.

Joan : Je pense que le sexe est merveilleux. Mais il faut être seul, vous savez, avec la personne que vous aimez. Pas sur l’écran. Pas dans un théâtre. Je suis gênée. Continuez…

JS : Deuxième question… N’étiez-vous pas vous-même au début de votre carrière une fille à calendrier ?

Joan : Je n’ai jamais eu cette chance. Je ne connaissais pas Hugh Hefner à l’époque.

JS : Celle-ci, Madeline Armadola, demande s’il est vrai que Milton Caniff vous a prise comme modèle pour le personnage de la Dragon Lady de sa bande-dessinée « Terry and the Pirates » ?

Joan : C’est juste ! Oui !

JS : Ca vous a plu ?

Joan : Ouiii ! J’ai été très flattée. Enfin, il a dit récemment dans Time Magazine… il a dit… que j’étais le modèle de Dragon Lady. Pas dans la personnalité, mais dans le visage et la silhouette. Faites-en ce que vous voulez !

JS : Robert Sheldon demande quelle différence il y avait entre travailler avec Jack Warner et travailler pour Louis B. Mayer.

Joan : L’un était un homme formidable et l’un était une ordure !

JS : Qui était quoi ?

Joan : Mr. Mayer était formidable.

JS : Ca, c’est une surprise ! Milton Stiffel demande si vous pensez qu’un retour…

Joan : C’est Stifftel…

JS : Stifftel, pardon.

Joan : C’est un ami.

JS : Ah ?

Joan : Tu es là, Milton ?

JS : Il doit être là.

Joan : Oui.

JS : Il vous demande si vous pensez que le retour au star-system et au glamour est nécessaire pour la survie d’Hollywood ? Pour s’extirper de la médiocrité.

Joan : Je dois dire que j’ai lu récemment que Bette Davis avait dit « Le cinéma est mort à jamais » et je pense qu’elle n’a pas tort. La télévision a raflé la mise à un tel point ! Ils consomment et ils avalent – c’est moi qui dit çà – tellement de choses pour produire cinq jours sur sept. Il ne reste plus rien pour le cinéma. Et les films de la semaine, dont Miss Davis a parlé… elle a encore raison. On a « Le film du Lundi Soir ». Deux heures, une heure, une heure trente… Lundi, mercredi, vendredi… Vraiment, il ne reste plus rien pour le cinéma. Et je suis triste de le dire… parce que tout ce que j’ai dans ce monde… m’a été donné par l’industrie du cinéma. Tout ce que j’ai. Tout ce que j’ai appris dans la vie. Les enfants que j’ai adoptés, tout ! J’en suis tellement reconnaissante. Prions Dieu que ça ne soit pas fini.

JS : Travaillerez-vous un jour avec votre fille Christina à la télé ou au cinéma ?

Joan : Heu… c’est une très bonne actrice. On ne m’a jamais demandé de jouer avec elle.

JS : Anna Tommey demande si vous êtes retournée faire une visite à Stephen’s College ?

Joan : Oui, il y a trois ans. J’ai reçu mon diplôme et j’ai dit « Vous savez, j’ai quitté cet endroit à l’âge de treize ans. J’ai adopté cinq enfants et quatre n’ont pas fait d’études… et croyez-moi – et il y avait six cent enfants qui m’écoutaient – je n’ai pas fait d’études non plus. Je ne sais pas comment j’ai réussi à avoir ce diplôme ». Mon diplôme. C’était très sympathique ! C’est un collège vraiment formidable !

JS : Gus Fort demande si vous voulez bien parler de John Garfield ? Il dit que la scène dans Humoresque dans laquelle vous vous rencontrez est un classique. Je crois que vous avez déjà dit ce que vous pensiez de John Garfield.

Joan : Oui. Mais j’aime jouer les garces et j’étais une garce dans celui-là ! Vous savez, je crois qu’il y a une garce en chaque femme. Et une garce en chaque homme, aussi ! (rires soutenus)

JS : Comment étaient Nicholas Ray et Robert Aldrich en tant que réalisateurs ?

Joan : Wow ! Nicholas Ray était le seul que je connaisse qui pouvait se dépétrer de Johnny Guitar. Bob Aldrich, lui… a beaucoup, beaucoup d’angoisses. Il aime les choses diaboliques. Les choses horribles. Les choses viles ! Voilà, je l’ai dit ! (rires soutenus)

JS : George Shide dit qu’il ne se souvient pas que vous ayez jamais fait un autre film en costumes que The Gorgeous Hussy. Vous n’aimiez pas ça ?

Joan : Si, j’en ai fait un autre avec… Tim McCoy. Désolée !

JS : Ah, oui !

Joan : Oui, vous me l’avez déjà demandé il y environ trois semaines et je vous ai répondu que c’était le seul que j’ai fait. Tim Mc Coy. Winners of the Wilderness. Comment peut-on oublier une carrière ?

JS : Joe Roberts demande… dit que vous avez enregistré un disque à la fin des années vingt. Pouvez-vous nous dire le titre de la chanson et, si possible, nous obtenir une copie ? Je pense plutôt que c’est dans les années trente que vous avez fait ce disque, non ?

Joan : Heu, vous parlez de…

JS : Si je me souviens bien, c’était…

Joan : « Ice Follies » ? C’est ça ?

JS : Vous n’avez pas… vous n’avez pas enregistré "I'm in Love With the Honorable Mr. So-and-So" et "Tears from my Inkwell". Je me souviens de ce disque-là.

Joan : "Honorable Mr. So-and-So"... oui, en effet !

JS : Je ne pense pas que… si vous pouvez le trouver. C’est un article de collection. C’est sûr.

Joan : J’aimerais bien l’avoir.

JS : John Fitzgerald pose une question sur un film que vous avez fait avec Jeff Chandler appelé Female on the Beach. Vous n’avez pas …

Joan : Ouiii ! Je l’adore celui-là ! Merci !

JS : Il dit “Je crois me souvenir d’une de vos répliques dans ce film : « Les instincts d’un étalon et la fierté d’un chat de gouttière… »".

Joan : C’est vrai !

JS : Avez-vous un secret de sérénité ? Vous avez une expression si belle.

Joan : Le secret de la sérénité, c’est juste de croire… C’est de là que viennent les belles expressions.

JS : Andrew Hughes vous demande si vous savez comment on surnomme vos célèbres chaussures à lanière de cheville ?

Joan : Je pense que je connais la première lettre : F ! Et je sais aussi, si vous vous souvenez bien, qu’elles m’ont tenu debout un putain bon bout de temps ! (rires et applaudissements)

JS : C’est fini ! On ne peut pas faire mieux que ça ! Joan, il n’y a plus rien à dire à part : « Merci, Joan Crawford ! » Merci ! De notre part à tous !

THE END

Première partie de l'entretien du Town Hall. Les parties suivantes peuvent être trouvées sur la page YouTube de cet extrait.



L'interview de Joan Crawford au Town Hall a par ailleurs eu une postérité inattendue : le célèbre artiste transformiste et spécialiste du play-back John Epperson, dit Lypsinka, a "interpreté" avec un comparse l'interview de 1973 dans un spectacle qui a été donné en 2006 et 2007 à San Francisco et Washington D.C. : The Passion of the Crawford.

Travesti en Joan Crawford (et son partenaire de scène en John Springer), Lypsinka a fait revivre en play-back, sur la bande son de l'enregistrement original, l'intégralité de l'entretien. Un exercice des plus difficiles qui a apparemment été mené avec un talent stupéfiant et qui a reçu des critiques dithyrambiques dans la presse américaine spécialisée et générale, du Blade au New York Times. Recréer une interview entière de Crawford travesti et en play-back... ça laisse songeur, non ?

Lypsinka, impériale, dans "The Passion of the Crawford"

20 août 2009

Heroes of mine : Montgomery


Montgomery Clift (1920-1966)

16 août 2009

Photostories : Marilyn et Maria

Le 19 mai 1962 au soir, après avoir chanté son fameux "Happy Birthday, Mr. President " à John F. Kennedy au Madison Square Garden, Marilyn Monroe se rendit à la réception organisée par le notable Arthur Krim dans son appartement new-yorkais. Elle y croisa Maria Callas, invitée elle-aussi.

De cette rencontre au sommet restent quelques photos, dont celle-ci, qui m'a toujours intrigué : quelle conversation purent bien avoir les deux superstars ce soir là pour autant rire ? Si les photos sont muettes, elles sont aussi parlantes. Je crois que la clé du mystère tient dans le troisième personnage qui figure sur le cliché, ce petit homme à moitié caché par Callas et regardant droit devant lui avec un sourire forcé, expression figée d'un certain désarroi.

Cet invité anonyme, voyant les deux femmes discuter et pensant qu'il n'aurait jamais une seconde occasion, a probablement voulu tenter sa chance. Prenant son courage à deux mains, il s'est timidement approché d'elles et leur a proposé un dîner à trois au restaurant pour le lendemain soir. La photo a capturé l'instant suivant. Une réponse en éclat de rire, sans une parole et sans un regard. Une veste monumentale. Le pauvre type en aura sans doute développé un complexe à vie envers les femmes...

15 août 2009

Screen Test : Brando pour La Fureur de Vivre

En 1947, Marlon Brando fait un bout d'essai à la Warner pour le premier projet de Rebel without a Cause (La Fureur de Vivre). Le projet sera finalement mis en veilleuse pendant huit ans, jusqu'en 1955, lorsque Nicholas Ray le réalisera dans un nouveau script et avec James Dean.

Le screen-test de Brando de 1947 a refait surface il y a quelques temps et a été présenté en bonus dans le coffret DVD consacré aux trois films de Dean. C'est un document fascinant qui montre Brando, âgé de 23 ans, qui n'avait encore jamais fait de cinéma mais qui avait, comme l'indique l'ardoise, trois ans d'expérience théâtrale. Il faudra attendre trois ans encore avant qu'il fasse son premier film, The Men de Zinnemann (1950) et quatre avant la consécration d'Un Tramway nommé Désir de Kazan (1951).

Les pontes de la Warner avaient du, comme nous aujourd'hui, remarquer dans ce screen-test les hésitations dans le jeu du jeune Brando mais aussi, et surtout, sa présence physique et sa formidable beauté, qui crèvent littéralement l'écran. Ce garçon, c'est évident, ferait un jour carrière.

Le screen-test est divisé en deux parties bien distinctes : de 0'00 à 3'50, Brando joue une scène avec une partenaire et de 3'50 à 5'04 (ma partie préférée), il répond à quelques questions et fait des essais tête et silhouette en costume-cravate.

Un détail amusant : sur l'ardoise du screen-test, il est indiqué que Brando fait 5'10'' (soit 1m55) pour 170lbs (77 kg). Pas vraiment les mensurations d'un top-model, mais rassurez-vous : l'assistant(e) qui avait noté la taille devait être un peu troublé(e) ce jour-là.

Cobra Woman (Robert Siodmak, 1944)

Ah, Cobra Woman ! Les éditions Carlotta ont eu la bonne idée d’éditer en 2007 en coffret DVD Z2 (et à l'unité) trois films de Robert Siodmak : Les Tueurs, Phantom Lady ainsi que, choix éditorial qui a du en confondre plus d’un, Cobra Woman, un chef d’œuvre du cinéma escapiste réalisé en 1944 et starring the Queen of Technicolor herself : Maria Montez.

Parfois visible sur TCM et dans des festivals alternatifs mais introuvable jusqu’alors sauf chez les revendeurs sous le manteau, Cobra Woman a donc pu être redécouvert dans une copie admirable et réévalué en nos contrées, s’il en était besoin, à sa juste place. Celle d’un trésor en strass du cinéma hollywoodien des années 40, un festival de camp dont Pauline Kael, la célèbre critique du New Yorker, avait pu écrire un jour : « Sans égal… pas un seul moment sensé ».


Le film est en effet l’un des véritables films-cultes de l’histoire du cinéma et une expérience de cinéphilie dont je mets au défi quiconque de perdre le souvenir une fois effectuée. Un film qu’il faudrait voir, comme l’a un jour fait Jack Smith, le cinéaste underground US des années 60, dans les conditions idéales d’une salle fanatisée aux flamboyances de Miss Montez et d’un scénario dément. Considérez plutôt :

La veille du mariage de la belle et douce Tollea (Maria Montez) et du séduisant Ramu (John Hall), la promise est enlevée par un aveugle-muet (Lon Chaney Jr) et emportée comme un paquet sur la mystérieuse Cobra Island. Elle y rencontre sa bonne grand-mère (Mary Nash), la reine de l’île, qui l’a faite enlever pour la placer sur le trône de la grande-prêtresse du Cobra, un titre usurpé par la sœur jumelle de Tollea, la méchante Naja (Maria Montez). Celle-ci martyrise les habitants de l’île avec son amant, le grand-prêtre Martok. Ramu se lance à la recherche de sa fiancée, accompagné d’un boy (Sabu) et d’un chimpanzé Koko malicieux. Tout le monde se retrouve lors d’une scène de sacrifice au Roi Cobra avant que Tollea n’affronte directement Naja pour la possession du Bijou Cobra, le symbole absolu du pouvoir de la grande-prêtresse…

Tout cela n’a aucune espèce d’importance de toutes façons, le film n’ayant été produit – comme tant d’autres dans ces années-là - que pour distraire les américains des soucis de la guerre qui ravageait alors le globe. De l’exotisme, des comédiens physiquement avantagés et du Technicolor : la recette avait déjà été testée avec succès deux ans auparavant par Universal : Maria Montez et John Hall s’étaient une première fois accouplés – au moins au figuré – pour Arabian Nights (1942). Devant le triomphe du film, ils allaient remettre ça cinq fois avec White Savage (1943), Ali Baba and the Forty Thieves (1944), Cobra Woman (1944), Gypsy Wildcat (1944) et Sudan (1945). Une exemplaire série de six films aux titres accrocheurs qui pourrait servir de définition au terme de « Escapist Film » (« film d’évasion », mais rien à voir avec Steve McQueen), un genre de production dont les deux seules raisons d’être sont de faire décompresser les spectateurs en temps de crise et de remplir les caisses de la production.

Des six films Universal du couple Hall-Montez, Cobra Woman est le plus iconique et celui qui a le mieux tenu le coup après six décennies. Aucunement destiné à se faire une place au soleil des histoires du cinéma ou à s’imprimer durablement dans la mémoire du spectateur (ce type de film est le fast-food cinématographique de l’époque), Cobra Woman a pourtant, contre toute attente, réussi les deux prouesses. L’outrance de son scénario, de ses décors et costumes, de ses dialogues et la présence inaltérable de Maria Montez et, dans une moindre mesure, de Sabu, lui ont assuré dès sa sortie l’adoration de certains spectateurs pour lesquels il représentait l’Alpha et l’Omega du Camp Movie, bien avant que le terme lui-même n’existe.


Car Cobra Woman est un véritable catalogue de Camp (un terme indéfinissable qui implique toutefois le triomphe du style sur la substance et le sens aigu du second degré et de l’exagération théâtrale). Entièrement tourné dans les studios Universal à Hollywood, le film use et abuse de faux lagons, de fausses jungles et de décors peints (« matte-paintings ») qui posent la première truelle du kitsch qui le cimente. Cette artificialité est amplifiée par le Technicolor (« Technicolor consultant : Natalie Kalmus », ceux qui savent ce que cela implique comprendront) qui fait flamboyer les jaunes, les bleus et les rouges et toutes les autres couleurs de l’arc-en-ciel, notamment les verts pour la jungle et les ocres pour les scènes nocturnes.

Cobra Woman, ainsi que les cinq autres films précités, ont d’ailleurs donné à Maria Montez le titre officiel qu’aucune autre actrice d'Hollywood n’a réussi à lui ravir depuis : celui de Queen of Technicolor. On pourrait y ajouter un autre titre, plus disputé celui-là, mais sur lequel elle aura toujours un droit de préemption : celui de Queen of Camp. Oui, Maria Montez (1912-1951) s’est fait une place de choix dans le Panthéon des déesses secondaires de l’âge d’or hollywoodien. Née en République Dominicaine (d’où un autre de ses surnoms : « Le Cyclone des Caraïbes ») mais d’origine espagnole, la jeune femme fit une première carrière à Hollywood où son plaisant physique et son accent hispanique prononcé lui assurèrent les rôles exotiques qui firent sa gloire, dont, bien sûr celui de Cobra Woman. Si son couple à l’écran avec John Hall (1915-1979) fut le plus célèbre de la Seconde Guerre Mondiale, elle fut Mme Jean-Pierre Aumont à la ville et la mère de Tina Aumont. Elle fit la seconde partie de sa carrière en Europe où elle avait suivi son mari. Actrice au talent très limité mais à la présence indéniable, elle traversait ses films avec une assurance admirable, sûre à la fois de son apparence (n’a-t-elle pas dit un jour : « Quand je vois ma beauté, je crie de joie ! ») et de son talent (Robert Siodmak confia avec un certain humour que « c’était une parfaite actrice de composition : quand elle jouait le rôle d’une reine dans un film, il fallait qu’on la traite comme une reine sur le plateau ; quand c’était le rôle d’une esclave, elle voulait qu’on la traite en esclave »). Sa carrière fut coupée court par un sale coup du destin : le 7 septembre 1951 à Paris, elle prit un bain trop chaud, fit un malaise cardiaque et se noya dans sa baignoire à l’âge de 39 ans. Elle est enterrée au cimetière du Montparnasse où je suis l'un des rares à aller de temps en temps déposer quelques fleurs sur sa tombe discrète.

Maria Africa Antonia Gracia Vidal de Santo Silas (1912-1951),
plus connue sous le nom de Maria Montez


Cobra Woman est unique dans la série des six films Hall-Montez en ce sens que l’actrice y interprète deux rôles : celui de la gentille Tollea et de sa sœur jumelle, la cruelle Naja. Deux Maria Montez pour le prix d’une ! Vous comprendrez que le film est celui qui déchaîne le plus l’enthousiasme des fans de la belle. Et on en a pour son argent ! Les dialogues de Cobra Woman sont comme une compilation de phrases-cultes. Déclamés par Miss Montez avec son accent hispanique à couper au couteau, ces moments sont attendus avec ferveur par les adorateurs du film puis répétés à l’envi. Je vous en transcris quelques perles en les écrivant comme elle les prononce (et en roulant des « r ») :

- Tollea à sa reine de grand-mère qui lui révèle qu’elle est la sœur jumelle de Naja : « Dis idea is de produk of your decaying brain ! » (« Cette idée est le produit de votre cerveau en décomposition ! »). Elle aurait pu dire la même chose au scénariste du film...

- Naja au grand-prêtre Martok en parlant des autochtones à sacrifier au Dieu Cobra : « More must die ! » (« D’autres doivent mourir ! »). Entre parenthèses, c’est une phrase que je me répète souvent pour me calmer quand mes employés me tapent sur les nerfs…

- Naja après presque chacune de ses sentences à ses sujets : « I am your queen ! I af spoken ! » (« Je suis votre reine ! J’ai parlé ! »)

- Naja, les yeux levés au ciel, lançant son immortel : « King Cobrah ! »

Et le meilleur et plus illustre échange de tous, lors de la confrontation finale entre Tollea et sa sœur Naja au sujet de la possession du Bijou Cobra.
- Tollea : « Gif me dat cobrah djool ! » (« Donne-moi le Bijou Cobra ! »)
- Naja : « De cobrah djool belongs to de i priestess ! » (« Le Bijou Cobra appartient à la grande-prêtresse !”).
Il paraît que dans les années 40, cette échange dit « du cobra djool » était un signe de reconnaissance imparable entre certains messieurs comme çà…

« Gif me dat cobrah djool ! »

Sabu et John Hall sont aussi gratifiés de dialogues croquignolets (ainsi que de rapports ambigus qui renforcent encore la confusion de l’histoire) auxquels n’échappent que deux personnages : Lon Chaney Jr, puisqu'il joue un muet, et le chimpanzé.

La pièce maîtresse de Cobra Woman est une longue scène d’une dizaine de minutes qui, à elle-seule, assure au film son immortalité : la fameuse séquence de la Danse du Cobra. Dans une caverne remplie de fidèles apeurés, la méchante Naja décide de sacrifier 200 ( !) malheureuses indigènes au Dieu Cobra en les faisant précipiter dans le volcan de l’île, toujours en éruption. Vêtue de son costume d’apparat et accompagnée de ses vestales, Naja se lance dans une danse de séduction du Cobra - de plastique - avant de désigner du doigt de façon tout à fait aléatoire et toujours en dansant les victimes sacrificielles qui sont emportées sur le champ à leur funeste sort. La séquence est un monument d’hystérie et de sadisme complètement inattendu dans ce film par ailleurs fort familial, amplifié par le jeu outrancier de Maria Montez et de ses costumes dignes d’une parade de drag-queens. La chorégraphie plus qu’approximative de Maria Montez, qui n’était pas meilleure danseuse qu’actrice, ne peut que provoquer l’hilarité : on sent bien que le réalisateur Robert Siodmak s’est lâché dans la mise en scène de la séquence de la foule menacée mais a laissé Maria Montez faire ce qu’elle voulait dans sa danse parce qu’il n’y avait de toutes façons rien d’autre à faire. Cette séquence est à mon avis, à la première vision comme à la révision, l’un des plus étranges et délirants moments que le cinéma hollywoodien ait jamais produit, toutes époques confondues. Cris, contorsions, grimaces, tambours, gongs, fumées et jeux de torches : rien que pour cette scène invraisemblable, Cobra Woman mérite d’être découvert. Jack Smith raconte qu’il avait vu le film à la fin des années 40 (dans une annonce lointaine de la grande-messe du Rocky Horror Picture Show) dans une salle au public surchauffé et qu’au moment de la scène de la Danse du Cobra, les spectateurs faisaient dans le cinéma les mêmes mouvements de bras que les fidèles de la grande-prêtresse (les bras levés en cou de cobra) et se mettaient à hurler et à courir partout, comme les victimes dans le film, quand Maria Montez grimaçant désignait de son doigt pointé, face à l’écran, le public assis dans la salle.


Je pourrais continuer longtemps sur Cobra Woman : les invraisemblances répétées des pièces du scénario qui ne semblent pas s’emboîter, le personnage épuisé de la vieille reine, le cabotinage habituel de Sabu et le jeu monolithique de John Hall, les scènes reprises d’autres films, de King-Kong à Tarzan et sa Compagne en passant par les sérials des années 30, les images récurrentes du volcan en feu (les exégètes du film ont souvent fait remarquer que Cobra Woman était sans doute le seul film de l'histoire dans lequel l’apothéose n'était pas l’éruption d’un volcan... mais son extinction !), le racisme diffus qui sous-tend le script, les codes du cinéma escapiste hollywoodien, l’embarquement dans cette aventure du réalisateur Robert Siodmak (qui a d'abord renié ce film qu’on lui avait imposé avant de préférer en rire) et du scénariste Richard Brooks (qui allait par la suite faire une belle carrière de réalisateur)… mais je préfère m’arrêter ici : vous aurez compris que Cobra Woman est un plaisir coupable dont je ne pourrai jamais me lasser.



Alors pour la démence du scénario, pour le Technicolor Kalmus des années 40 et pour le souvenir estompé de Maria Montez qui criait de joie en voyant sa beauté, tentez Cobra Woman, ce film « sans égal… sans un moment sensé ». Et puis la France est à ce jour le seul pays au monde qui ait sorti Cobra Woman en DVD : l’ignorer serait un péché. King Cobra !

L'excellent DVD de Cobra Woman édité chez Carlotta :

4 août 2009

Heroes of mine : Marilyn


Marilyn. Je pourrais poster dix, cent, mille photos d'elle.
Je ne me lasserai jamais de la regarder.

Marilyn Monroe (1926-1962)


2 août 2009

Films vus par moi(s), août 2009


***
excellent / ** bon / * moyen / 0 mauvais


Trouble in mind / Wanda's café
(Alan Rudolph, 1985) 0
Kristofferson, Bujold, Carradine et même Divine ont échoué à me faire accrocher à cette sorte de variation/parodie Eighties du Film noir Forties. Ni rythme, ni charme et un accompagnement jazzy. Soporifique et vain. DVD

I vampiri / Les vampires
(Riccardo Freda & Mario Bava, 1956) **
Les décors barocco-gothiques, le magnifique noir et blanc et la belle Canale qui vieillit à vue d'œil font de ce premier film fantastique de l'Italie d'après-guerre un petite perle qui en annonce bien d'autres du genre. DVD

I love you, man
(John Hamburg, 2009) ***
Une new-comedy US pleine de charme sur l'amitié nouvelle de deux trentenaires californiens. C'est vraiment très drôle et d'une étonnante justesse. Les acteurs (Rudd, Segel), habitués du genre, sont parfaits. DVD

Revolutionary Road / Les noces rebelles
(Sam Mendes, 2008) ***
Par la magie du cinéma (et de l'interprétation de Winslet), une banale histoire de frustrations comme il s'en cache derrière toutes les portes prend l'ampleur d'une tragédie classique. Perçant et bouleversant. DVD

Cybèle ou les dimanches de Ville d'Avray
(Serge Bourguignon, 1962) **
Improbable Oscar 62 du meilleur film étranger, cette histoire d'amitié amoureuse entre un trentenaire perturbé et une gamine de 12 ans ferait sans doute tiquer s'il était encore diffusé. Vraiment anticonventionnel. DVD

Grey gardens
(Michael Sucsy, 2009) **
Barrymore et Lange sont exceptionnelles dans ce film qui restitue l'histoire des deux excentriques parentes de Jackie O et du documentaire-culte homonyme que les Maysles Brothers leur ont consacré en 1975. DVD

For all mankind
(Al Reinert, 1989) **
En tissant ensemble les archives image et son des missions Apollo, le réalisateur offre une ode merveilleuse et universelle aux premiers pas de l'Homme sur la Lune. Un conte poétique plus qu'un documentaire. DVD

Borderline
(Kenneth Macpherson, 1930) **
Un couple noir (Robeson & Mme) affole un couple blanc dans un hôtel suisse tenu par des lesbiennes. Un film muet d'avant-garde où race, sexualité et psychanalyse font un manifeste progressiste détonant. DVD

The strange one
(Jack Garfein, 1957) **
Jeux cruels dans un collège militaire par des débutants de l'Actors Studio menés par Gazzara, excellent. Le scénario (SM, homosexualité) condamna le film à des coupes mortelles. Restauré, c'est une vraie révélation. DVD

The Harvey girls
(George Sidney, 1946) **
Le Technicolor, l'affrontement Garland/Lansbury et plusieurs séquences musicales splendidement mises en scène (comme d'habitude) par Sidney m'ont conquis alors que ça s'annonçait un peu mou du genou. DVD

Souvenirs perdus
(Christian-Jaque, 1950) 0
La Nouvelle Vague a réglé son sort à ce type de film et ici, à juste titre. Quatre sketches dont un seul surnage (avec Périer et Delair), produits d’un cinéma antédiluvien, sont comme un catalogue d’effets surannés. DVD

Torchwood, Series 1
(BBC, 2006...) *
Cette série de SF sur une cellule secrète qui traque des aliens a l'exotisme d'être britannique, de se passer à Cardiff et d'avoir des personnages non héroïsés mais l'écriture est pauvre. Il paraît que la suite est meilleure. DVD

Le premier jour du reste de ta vie
(Rémi Bezançon, 2008) 0
J’ai vu les vingt premières minutes puis le reste en 32x. Pas un seul cliché, pas un seul, n’est évité dans cette chronique d’une artificialité écœurante. Aussi racoleur que sa triste tagline « Cette famille, c’est la vôtre ». DVD

The hill / La colline des hommes perdus (Sidney Lumet, 1965) *
Cinq militaires en camp disciplinaire subissent tortures physiques et mentales d'un petit chef sadique. Un brûlot antimilitariste bien joué et bien filmé mais trop stéréotypé (sauf la fin) pour m'emballer vraiment. DVD

Red-headed woman (Jack Conway, 1932) ***
Le Code Hays a été activé en 1934 à cause de films comme celui-là. Harlow, incontrôlable, utilise le sexe pour gravir l’échelle sociale et se fout du reste. Le script de Loos est un régal d’incorrection subversive. DVD

The wrestler
(Darren Aronofsky, 2008) **
Mickey Rourke fusionne avec son personnage de catcheur au bout du rouleau dans ce film d'un classicisme auquel je ne m'attendais pas. La comparaison avec La Passion du Christ de Gibson serait fructueuse. DVD

Le fantôme d’Henri Langlois (Jacques Richard, 2004) ***
Un documentaire-fleuve de 3h30 qui ressuscite Langlois, sa personnalité tonitruante et son grand œuvre : la Cinémathèque Française et le Musée du Cinéma. Une tragi-comédie de proportions épiques, foisonnante. DVD

1 août 2009

Marilyn par Bert Stern (Exposition, 2006)


A l'occasion de l'anniversaire de la mort de Marilyn (5 août 1962), je publie ce billet avec la courte interview de Bert Stern, reprise d'un article que j'avais écrit en 2006 au moment de l'exposition "Marilyn Monroe, la dernière séance" au Musée Maillol à Paris. C'était pour le journal du fan-club français de Marilyn Monroe.

L’exposition Marilyn Monroe, la Dernière Séance qui a lieu dans la grande salle du Musée Maillol à Paris du 29 juin au 30 octobre 2006 fut une première à double sens : c’était la première exposition jamais consacrée à Marilyn Monroe en France et, comme l'a dit Bert Stern lui-même, c’était aussi le premier séjour parisien de Marilyn Monroe. Mais ça a surtout été, pour les visiteurs qui ont eu l’occasion de voir l’exposition, une très belle rencontre avec 59 photographies de Marilyn qui ont depuis longtemps fait le tour du monde mais qui n’avaient jamais été présentées ensemble, dans leur intégralité.

Les 59 photographies de l’exposition sont la sélection originale que Bert Stern a réalisée en 1982, au moment où il publiait chez l’éditeur allemand Schirmer/Mosel son livre monumental « Bert Stern - Marilyn Monroe - The Complete Last Sitting ». Bert Stern avait alors choisi 59 photographies sur les 2.571 clichés qu’il avait pris de Marilyn lors des deux séances photo qu’il avait faites avec elle pour le magazine Vogue en juin 1962. Cette sélection ne représentait pas pour Bert Stern une sorte de « best of » mais voulait plutôt évoquer l’émotion magique de ces deux prises de vues. Toutes les photographies montrées au Musée Maillol sont des tirages originaux (certains de 1962, d’autres de 1982, quelques autres plus récents). Elles sont même plus car chacune est le tout premier numéro de chacun des tirages originaux. C’est ainsi que chaque photographie est numérotée au 1/25, 1/36 ou 1/50 (selon que le tirage original soit de 25, 36 ou 50 exemplaires), titré « Marilyn » et signé de la main de Bert Stern, le tout au crayon noir. L’ensemble appartient aujourd’hui à la prestigieuse collection de Michaela et Leon Constantiner, un couple de collectionneurs partageant leur résidence - et leur collection - entre New York et Tel Aviv. Leon Constantiner (né en 1959) a acquis les 59 photographies à une vente aux enchères chez Sotheby’s New York au milieu des années 1990. Cet ensemble unique de photographies de Marilyn Monroe par Bert Stern a alors rejoint le reste de sa collection, qui comprend entre autres beaucoup d’autres photographies vintage de Marilyn. Une grande partie de la collection Marilyn Monroe des Constantiner a été présentée au Tel Aviv Museum of Art en 2004 et au Brooklyn Museum of Art en 2005. Mais seul le Musée Maillol a le privilège d’exposer l’intégralité de la série originale des 59 photographies choisies par Bert Stern en 1982. Actualisation : La collection Constantiner a été vendue par ses propriétaires depuis 2006.



Un petit rappel sur cette fameuse « Dernière Séance » qui sont en réalité deux séances distinctes.

Nous sommes au début juin 1962 : Marilyn vient d’avoir 36 ans et d’être licenciée par la Fox. Le tournage de Something’s Got to Give de Cukor s’est arrêté de façon calamiteuse. Marilyn n’a plus de travail et tue le temps entre la décoration de sa nouvelle maison de Brentwood et ses séances quotidiennes de psychanalyse chez le Dr Greenson. Bert Stern est un photographe de 32 ans (il est né en 1929) qui s’est spécialisé dans les portraits de célébrités. Il vient d’aller faire des photos d’Elizabeth Taylor à Rome sur le tournage de Cléopâtre. Travaillant en free-lance pour Vogue, il propose au magazine de faire une série de photos de Marilyn. Ayant obtenu le feu vert du magazine, il appelle l’agent de Marilyn à Los Angeles qui lui donne quelques heures plus tard la réponse de la star : c’est d’accord. Bert Stern, stupéfait par la rapidité de la réponse, prend l’avion pour Los Angeles, réserve une suite à l’hôtel Bel-Air de Hollywood et donne rendez-vous par téléphone à Marilyn.

Le jour convenu, Marilyn arrive à 19h00 avec cinq heures de retard, seule et apparemment enthousiasmée à l’idée de faire la prise de vues. Bert Stern a apporté quelques foulards colorés transparents et quelques colliers en guise d’accessoires. Il avait dit à Marilyn qu’il souhaitait faire des portraits mais Marilyn comprend qu’il a autre chose en tête en voyant les foulards. Elle le met à l’aise en lui posant directement la question « Vous voulez faire des nus ? ». Lui : « Vous accepteriez ? ». Elle : « Pourquoi pas ? ». Lui : « Mais vous ne serez pas maquillée ». Elle (en riant) : « Ah, vous voulez du créatif ! »… La séance durera 12 heures, de 19h00 à 7h00 du matin. Le champagne et le bordeaux contribuent à la détente de l’atmosphère et Marilyn se prête dans la bonne humeur au jeu des portraits et des nus (mais avec les foulards). Les photos sont réalisées en couleur et en noir et blanc avec deux appareils photo : un Rolleiflex 6x6 et un Nikon 24x36. Bert Stern sait sur le champ que cette séance de photos avec Marilyn va changer à jamais sa vie et sa carrière.


De retour à New York, Bert Stern montre les clichés qui enthousiasment la rédaction de Vogue. Mais en 1962, des nus ne sont pas publiables dans un magazine de mode. Vogue demande alors au photographe d’organiser une seconde séance avec Marilyn, habillée cette fois. Rendez-vous est à nouveau pris avec l’actrice (toujours au Bel-Air, mais dans un bungalow) : une équipe de Vogue – coiffeur, maquilleur, habilleur – accompagne Bert Stern. Cette seconde séance est presque exclusivement consacrée au noir et blanc et les clichés sont très différents de la première séance : il s’agit vraiment d’une série de photos de mode avec des robes et accessoires amenés de New York par l’équipe de Vogue. Mais c’est Marilyn Monroe qui est le mannequin et cela fait toute la différence. Après six heures de travail, les films sont en boîte et l’équipe de Vogue quitte les lieux. Bert Stern se permet alors de demander à Marilyn si elle accepte de refaire une nouvelle série de nus, tout de suite. Elle répond « oui », retire son maquillage et se glisse dans les draps. C’est au cours de cette seconde partie de la « seconde séance » que sont réalisées les célèbres photographies de Marilyn nue sur le lit blanc. Pour lesquelles Stern ressort aussi ses films couleur. Au petit jour, Marilyn s’endort, Stern prend un dernier cliché de son modèle endormi et quitte la pièce. Il ne reverra plus Marilyn puisqu’elle meurt dans la nuit du 4 au 5 août 1962, cinq semaines après leur rencontre.


Lors des deux séances, Marilyn avait demandé à Stern de lui montrer les clichés avant toute publication : elle était un peu inquiète de la cicatrice qui barrait son abdomen (trace d’une opération récente de la vésicule biliaire) et souhaitait conserver son droit à l’image. Stern lui avait répondu qu’il pourrait retoucher la cicatrice au laboratoire mais il lui avait aussi fait parvenir une sélection d’ektachromes de chaque série pour contrôle. Marilyn avait barré certains d’entre eux d’une croix au marqueur rouge et griffé d’autres avec une aiguille. Ces clichés « censurés » par Marilyn elle-même seront vus pour la première fois par le grand public en 1982 dans le livre de Bert Stern publié chez Schirmel/Mosel. L’exposition en présente deux, dont l’émouvante « Crucifixion », un chef-d’œuvre à part entière... qui pose toutefois des questions sur l'éthique du photographe, Bert Stern ayant décidé en 1982 de finalement montrer les photos censurées par Marilyn elle-même. Devait-il, pouvait-il le faire ?

L’article sur Marilyn illustré des photographies de Bert Stern devait sortir dans l’édition de Vogue daté de la deuxième semaine d’août 1962. Après la mort de l’actrice, la rédaction du magazine hésita puis décida de publier l’article de huit pages tel quel, avec un court préambule. Seules des photographies en noir et blanc furent choisies parmi les photos de mode et un portrait, celui où Marilyn éclate de rire en gros plan avec un collier de strass, le bras droit levé dans un geste rétrospectif d’adieu.


L’exposition du Musée Maillol nous offre le bonheur de revoir une Marilyn Monroe qui ne nous est pas inconnue (toutes les photographies présentées sont célèbres depuis 1982) mais qui devait l’être pour ceux qui ont pu voir ces clichés en 1962. L’ombre de la disparition de la jeune femme plane évidemment sur chaque photo mais le miracle de Marilyn opère immédiatement sur les visiteurs : radieuse ou marquée, espiègle ou absente, concentrée ou ivre, l’image de Marilyn Monroe continue de prendre possession de l’espace qu’elle investit avec une force et une intemporalité stupéfiante. Une jeune femme qui visitait l’exposition m’a dit qu’elle avait du se retenir pour ne pas pleurer tant l’émotion était intense et inattendue. C’est le plus bel hommage qu’on puisse rendre à Marilyn Monroe et à Bert Stern, qui ont créé à eux deux en juin 1962 une formidable œuvre d’art qui méritait bien enfin les honneurs d’un musée français.

Bert Stern était à Paris pour les vernissages de l’exposition. J’ai pu le rencontrer le mercredi 28 juin 2006 au Musée Maillol, lors du vernissage presse où je me suis faufilé, et lui poser quelques questions auxquels il a bien voulu répondre (l'entretien a eu lieu en anglais, c'est moi qui traduis) :

Bert Stern répondant aux questions de l'auteur de ce blog (2006)

Q : Aviez-vous rencontré Marilyn Monroe avant votre première séance photo avec elle ?
Stern : Une seule fois au début des années 50 à un cocktail mais elle était entourée d’une cour d’hommes et je n’avais pas pu l’aborder et de toutes façons je ne crois pas que j’aurais osé.

Q : Quelle a été votre première impression quand vous avez vu Marilyn entrer dans la chambre du Bel-Air ?
Stern : Je l’ai trouvée très belle. On m’avait dit qu’elle était marquée mais j’ai vu entrer une très belle femme. D’ailleurs je lui ai tout de suite dit, sans réfléchir. Elle a ri. Je crois que ça lui a fait plaisir.

Q : Vous n’étiez pas un débutant mais vous étiez un jeune photographe. Vous n’étiez pas trop nerveux de vous retrouver en tête à tête avec Marilyn Monroe ?
Stern : Si bien sûr ! C’est aussi pour ça que j’avais commandé du champagne. Je ne tiens pas l’alcool mais je savais qu’un ou deux verres me détendraient. C’est elle qui a presque tout bu et je peux vous dire qu’elle tenait bien le coup !

Q : Vous aviez photographié Liz Taylor à Rome quelques semaines avant Marilyn. Vous avez senti une grande différence dans votre rapport de photographe par rapport aux deux actrices ?
Stern : C’était complètement différent. Avec Liz Taylor, ça a été très professionnel. Elle avait des assistants, elle m’a demandé ce que je voulais faire et a suivi mes directives. Ca a duré environ cinq heures en comptant la préparation et elle est partie après m’avoir remercié. Avec Marilyn, j’ai tout de suite senti qu’il allait se passer quelque chose que je ne contrôlerai pas. C’était très physique, très libre. J’ai été un peu débordé par la vitalité qu’elle dégageait. C’est pour ça que j’ai pris tellement de photos, je n’arrêtais pas. Elle bougeait et elle inventait tout le temps. Je n’ai jamais retrouvé cela dans toute ma carrière.

Q : C’est votre appareil photo ou c’est vous que Marilyn voulait séduire ?
Stern : Les deux sans doute ! Je ne sais pas si mes appareils photos ont été sensibles (je crois qui si parce qu’il y a quand même des photos pas mal, non ?) mais je peux vous dire que moi, je l’ai été. Et puis en plus, j’ai toujours eu un faible pour les blondes.

Q : Avez-vous ressenti les problèmes personnels que Marilyn traversait dans les mêmes semaines ?
Stern : Non. Je savais bien sûr comme tout le monde qu’elle traversait des moments difficiles mais pendant les séances photos, je n’ai rien senti de tel. Elle avait vraiment l’air contente d’être là. De temps en temps, elle semblait un peu ailleurs, un peu dans le vague, puis ça repartait. On le voit bien sur les photos je crois.

Q : En y repensant, au moment où vous la photographiez, auriez-vous pu imaginer la place que Marilyn Monroe allait prendre dans notre mémoire collective ?
Stern : Non, pas du tout. Comment aurais-je pu ? Par contre, j’ai tout de suite compris que c’était quelqu’un de spécial parce qu’elle était très différente dans son comportement des autres actrices que j’avais photographiées jusque là.

Autoportrait au miroir de Bert Stern avec Marilyn

Actualisation : J'avais été très enthousiasmé par ma rencontre avec Bert Stern au Musée Maillol en 2006. Depuis, mon enthousiasme s'est dissipé, Stern s'étant révélé un personnage beaucoup plus ambigu dans son lien avec Marilyn Monroe, qui me semble maintenant beaucoup plus de l'ordre du marketing que de l'affectif. Sa reprise pitoyable de sa prise du vues de Marilyn en 1962 avec Lindsay Lohan en 2008 n'a fait qu'enfoncer le clou. Bref...