10 septembre 2009

Scenes : Synecdoche, New York (2008)

L'avant-dernière scène du film existentiel de Charlie Kaufman, Synecdoche, New York (2008) est l'un des moments de cinéma qui m'a le plus remué depuis... je ne sais pas quand. Je ne m'y attendais pas du tout. Ça m'est tombé dessus comme ça.

Le personnage principal de l'histoire, Caden (Philip Seymour Hoffman), qui a vécu une vie égoïste et hypocondriaque, est au soir de son existence et a perdu l'une après l'autre, parties ou mortes, toutes les femmes qui ont compté dans sa vie. La réalité de sa condition le rattrape quand (dans une scène réelle, rêvée ou métaphorique, peu importe), il erre un matin, à 7h44 - une référence au 11 septembre, cet instant de la fin des certitudes - dans les rues d'un New York dévasté où une voix féminine provenant d'une radio lointaine et crachotante lui dit des mots d'une dureté terrible et lui rappelle les noms de ses femmes disparues sur un ton doux et compassionné. Il ne lui reste plus qu'à accepter sa défaite et attendre la fin qui, de toutes façons, arrivera vite.

Cette séquence écrite et réalisée par Kaufman touche sa cible car elle fusionne l'image (le spectaculaire décor d'une ville en ruine jonchée de cadavres et l'errance de Hoffman), la musique onirique et le monologue de cette distante voix de femme dans une épiphanie de tristesse résignée rarement atteinte au cinéma. On pourra dire que c'est du sous-Camus, du sous-Kafka, du sous-Cioran, on pourra dire ce qu'on voudra. C'est en tout cas un moment de cinéma dévastateur. Toute la puissance du cinéma. Rien que pour ces quelques minutes rares (enfin, pour tout le reste aussi car le film entier est remarquable), il faut voir Synecdoche, New York.

Caden (Hoffman) nettoie son appartement avant... avant quoi ?

Le monologue de la voix, traduit :

"Ce qui a été un jour devant toi – un avenir excitant et mystérieux – est maintenant derrière toi. Vécu, compris, décevant. Tu réalises que tu n’es pas spécial. Tu t’es fait ta place dans l’existence et maintenant tu en glisses silencieusement dehors. C’est le sort de chacun. D’absolument chacun. Les particularités comptent à peine. Tout le monde est tout le monde. Alors tu es Adele, Hazel, Claire, Olive. Tu es Ellen. Toutes ses petites tristesses sont les tiennes, toute sa solitude, ses cheveux gris-paille, ses mains rouges. Ce sont les tiens. Il est temps que tu le comprennes. Marche. Alors que les gens qui t’adorent cessent de t’adorer, alors qu’ils meurent, alors qu’ils passent à autre chose, alors qu’ils s’éloignent, alors que s’éloignent ta beauté, ta jeunesse, alors que le monde t’oublie, alors que tu découvres ta fugacité, alors que tu perds tes caractéristiques les unes après les autres, alors que tu apprends que personne ne te regarde et que personne ne t’a jamais regardé, tu ne penses qu’à avancer, ne venant de nulle part et n’allant nulle part. Juste avancer, en voyant le temps filer. Maintenant tu es ici, à 7h43. Maintenant tu es ici, à 7h44. Maintenant... tu n’es plus."

Le monologue original :

"What was once before you - an exciting, mysterious future - is now behind you. Lived; understood; disappointing. You realize you are not special. You have struggled into existence, and are now slipping silently out of it. This is everyone's experience. Every single one. The specifics hardly matter. Everyone's everyone. So you are Adele, Hazel, Claire, Olive. You are Ellen. All her meager sadnesses are yours; all her loneliness; the gray, straw-like hair; her red raw hands. It's yours. It is time for you to understand this. Walk. As the people who adore you stop adoring you; as they die; as they move on; as you shed them; as you shed your beauty; your youth; as the world forgets you; as you recognize your transience; as you begin to lose your characteristics one by one; as you learn there is no-one watching you, and there never was, you think only about driving - not coming from any place; not arriving any place. Just driving, counting off time. Now you are here, at 7:43. Now you are here, at 7:44. Now you are... Gone."

La scène dans le film :
Le monologue ci-dessus est dans la première partie de l'extrait, quand Hoffman est seul. La seconde partie de l'extrait, avec Hoffman et l'actrice, est la toute fin du film.

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