4 novembre 2009

Les dimanches de Ville d'Avray (Serge Bourguignon, 1962)


En 1963, un obscur film français remporta à la surprise générale l’Oscar du Meilleur Film Etranger. Et depuis près d’un demi-siècle, prononcez devant n’importe quel américain sincèrement cinéphile à l'occasion d'une conversation sur le cinéma les trois mots « Sundays - and - Cybele » et vous verrez sans doute son visage s’illuminer et un léger sourire s’y esquisser. L’américain aura compris qu’il a en face de lui un fin connaisseur des films qui ont fait, de tous temps, la réputation du cinéma français à l’international, ce mélange bien identifiable d’intimisme et de provocation, de tendresse et d’audace et que le vrai dialogue peut commencer. Sundays and Cybele est un mythe aux USA, un souvenir presque effacé en France.

Car Sundays and Cybele, qui a comme titre original le lugubre mais évocateur Les Dimanches de Ville d’Avray, est un film qui a depuis bien longtemps disparu du radar des cinéphiles français eux-mêmes. Il est passé, il y a quelque temps déjà, mais bien discrètement, sur Canal+ et à La Cinémathèque Française. Il ne passera sans doute jamais plus sur les chaînes hertziennes et restera condamné (mais est-ce une condamnation ou une bénédiction ?) à flotter dans les limbes du cinéma. Je l’ai découvert il y a peu, à l’occasion de sa sortie dans une édition DVD allemande et l’ayant regardé sans aucun à priori ni attente, je dois dire que la surprise a été très bonne.

En 1962, Pierre, trentenaire, est un vétéran amnésique d’une guerre non nommée en Extrême-Orient (Vietnam ?), ancien pilote qui avait tué par accident, en s’écrasant avec son avion, une petite fille asiatique dans un village isolé. Il vit maintenant à Ville d’Avray avec son amie, une infirmière qui s’était occupée de lui à son retour d’Asie. De passage à la gare SNCF, il croise le regard d’une petite fille de 12 ans qui est conduite par son père dans un pensionnat catholique. Il décide de les suivre et remarque que le père maltraite l’enfant à laquelle il n’est apparemment pas très attaché et dont il souhaite se débarrasser au plus vite. Les pleurs de la fillette bouleversent Pierre qui revient plusieurs fois devant le portail du pensionnat en espérant la revoir. Il la revoit, réussit à attirer son attention et à gagner sa confiance à travers les grilles et, par un pieux mensonge, à se faire passer pour son père aux yeux des bonnes sœurs. Il obtient d’elles de venir chercher la fillette, Françoise (qui préfère se faire appeler Cybèle), chaque dimanche et de passer avec elle la journée hors de l’établissement, au parc, à la fête foraine, dans les rues de Ville d’Avray. Pierre et Cybèle se lient l’un à l’autre d’un attachement dont l’ambiguïté n’est pas sans poser problème à l’amie de Pierre, à ses quelques amis et bientôt, à l’entourage et au voisinage tout entier. Alors que Noël approche, la police s'en mêle et le scandale éclate…


De cette trame sulfureuse, adaptée d’un roman éponyme de Bernard Echassériaux, le réalisateur Serge Bourguignon (né en 1928), dont ce film est le principal titre de gloire, a tiré un long-métrage atmosphérique qui ne ressemble à rien de connu (à ma connaissance) à l’époque où il a été réalisé. Bénéficiant d’un scénario qui fait la part belle à l’évocation plutôt qu’à la démonstration, d’une splendide photographie en noir et blanc d’Henri Decae, d’un beau score relativement discret de Maurice Jarre, de l'utilisation de vieilles chansons françaises ("Aux marches du palais"), du format Cinémascope et de la présence d’acteurs tout en retenue, Les Dimanches de Ville d’Avray évite avec panache les pièges du sensationnalisme et du moralisme.

Cela n’empêche cependant pas le film de continuer à étonner et à déranger, près de cinquante ans après sa réalisation. Parce que c’est bien de pédophilie dont le film parle, sans, évidemment, jamais en prononcer le mot ni en montrer la chose. Il touche le sujet de très loin tout en l'évoquant de très près. Les deux personnages principaux, Pierre et Cybèle, sont chacun à leur façon, deux exclus qui se trouvent sans s’être cherchés. Pierre, psychologiquement et émotionnellement instable (depuis son accident oriental ?), a régressé au stade de l’adolescence, des pulsions difficilement contrôlables et de l’inconfort social. Cybèle ("si belle" ?), petite fille précoce qui est toujours plongée dans les livres et a ses opinions définitives sur tous les sujets, a été sevrée d’amour parental trop tôt (sa mère est morte, son père l'a abandonnée) et a compensé son statut d’orpheline solitaire en ayant développé des capacités intellectuelles et une indépendance peu communes à son âge. Lorsque leurs trajectoires se croisent, Pierre et Cybèle se reconnaissent l’un en l’autre, dans leur détresse affective et leur isolement social. Leur grande différence d’âge - il a 35 ans, elle en a 12 - ne leur pose aucun problème car elle n’a pour eux aucune implication. Pour les tiers (et pour le spectateur), c’est évidement une toute autre histoire…

Pierre (Hardy Krüger) et Madeleine (Nicole Courcel)

Autour de Pierre et de Cybèle gravitent quelques personnages bien écrits, dont deux notamment sont remarquables. D’abord, l’amie de Pierre, Madeleine (formidable Nicole Courcel, comme toujours), qui essaye de comprendre avec toute la tendresse et l’amour qu’elle a pour Pierre son attachement à la petite fille et qui le regarde petit à petit s’éloigner d’elle. Ensuite Carlos (excellent Daniel Ivernel, comme toujours), l’ami et le confident de Pierre, un sculpteur qui lui aussi, essaye d’accepter l’étrange relation qui s’est tisée entre son ami et la gamine. Madeleine et Carlos, le moment venu, défendront Pierre contre la rumeur et les attaques, au risque de leur propre réputation. Tout le talent du scénario (par Pierre Bourguignon et Antoine Tudal) est de placer le spectateur dans la position de Madeleine et de Carlos et non pas dans celle de Cybèle et de Pierre, ce qui aurait considérablement nui au film en manipulant l’émotion de façon trop extrême. La distance nécessaire pour ne pas faire sombrer le film dans le racolage mélodramatique vient de ce point de vue extérieur à celui des deux personnages principaux du film. La naissance et l’évolution de la relation entre l’adulte et de la fillette nous sont présentées sans jugement social ou moral : comme Madeleine et Carlos, nous devons regarder et tenter de comprendre avant d’accepter de reconnaître notre incapacité à le faire.


Cybèle (Patricia Gozzi)

Dans le rôle difficile de Pierre, Hardy Krüger semble parfois assez mal à l’aise, ou plutôt maladroit, mais cela renforce pour le meilleur les failles et les tensions du personnage qu’il interprète. Cybèle, quant à elle, est jouée par la jeune Patricia Gozzi. Au début du film, le ton sentencieux avec lequel elle s’exprime et l’artificialité de certains de ses propos m’ont gêné et ont failli me faire sortir de l’histoire plus d’une fois. C'est son personnage. Au fur et à mesure de la progression du film, elle s’adoucit et devient plus naturelle : dans les dernières scènes du film, l'actrice joue la petite fille de 12 ans qu’elle a toujours été malgré les apparences de sa maturité intellectuelle. La relation d’amitié amoureuse qui lie les deux personnages est crédible et touchante, les deux acteurs réussissant à faire passer l’émotion et la détresse que leur situation individuelle et commune implique.

Les Dimanches de Ville d’Avray fait la part belle aux scènes intimistes et silencieuses, comme les promenades au bord des étangs de Ville d’Avray, dans le froid des dimanches d’hiver. Ou comme les scènes entre Pierre et Madeleine chez eux, dans la proximité de leurs corps et l'éloignement de leurs âmes. L’une des plus belles scènes du film est la rencontre de Pierre et de Cybèle avec un groupe d’enfants dans le parc du bord de l’eau. Sans effet démonstratif mais tout en nuance, Bourguignon nous y montre que Cybèle appartient au monde de l’enfance et que Pierre en est sorti depuis longtemps, et que malgré leur proximité affective, leurs univers sont irrémédiablement disjoints.


La relation pédophile évoquée dans Les Dimanches de Ville d’Avray n’est pas de nature sexuelle (aucune relation sexuelle n’est jamais suggérée entre Pierre et Cybèle) mais affective. Cela en diminue-t-il la condamnation morale qu’en fait la société par l’entremise du spectateur ? De façon très habile, le film nous laisse en face de nos propres interrogations, comme s’interrogent Madeleine et Carlos. Les deux personnages principaux ne brisent aucun tabou mais entrouvrent la porte sur des questions essentielles d’ordre moral et social. Il ne fait pas de doute que Pierre soit un prédateur (son stratagème d'approche de Cybèle le prouve irréfutablement) et pourtant la condamnation, par la sensibilité de l'écriture du scénario, n'est pas formelle. Drôle de position pour le spectateur... L’étonnement que le film dût provoquer dans les années 60 a fait place, cinquante ans plus tard, à une chape de plomb qui me semble destinée à ne pas s’alléger de sitôt pour des raisons qu'on imagine bien. Et on imagine mal, on n’imagine même pas du tout Les Dimanches de Ville d’Avray passer aujourd’hui à la télévision à une heure de grande écoute : le scandale qui en résulterait forcément en dirait long sur l’évolution de la pensée collective sur un sujet aussi délicat que celui évoqué par le film en l’espace d’un demi-siècle (son triomphe aux Oscars 1963 laisse d’ailleurs songeur…).

Je ne dévoilerai pas ici la fin de l’histoire, qui m’a semblé le seul point un peu faiblard du film (avec aussi quelques petits à-coups dans le rythme). Sachez toutefois qu’il ne s’agit pas d'un conte de fées et « qu’ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » n’en est pas l’épilogue. Je dirai simplement que le film terminé, j’ai fortement pensé à un autre film du patrimoine français classique, avec lequel il a plus d’un point commun : Jeux interdits (1952) de René Clément. Les deux films pourraient faire l’objet d’un très intéressant « double-bill ».

Beau et sensible, audacieux et dérangeant, Les Dimanches de Ville d’Avray est un film aussi triste que son triste titre. Il montre qu’en ce début des années 60, entre le cinéma de qualité classique et les productions de la Nouvelle Vague, quelques réalisateurs circulaient sur une troisième voie. Serge Bourguignon en fit partie : son film est à la fois classique et nouveau, un peu dans la forme, beaucoup dans le fond. Si Les Dimanches de Ville d’Avray a accédé depuis longtemps au statut de film-culte aux États-Unis et au Japon, il est injustement oublié en son pays d’origine. C’est à mon avis un des films importants de l’époque, qui n’en est pas avare. Si vous en avez l’occasion, n’hésitez donc pas à le découvrir. Vous serez peut-être émus, peut-être dérangés, mais sans aucun doute surpris. Un film vraiment à part.


Le DVD Z2 des Dimanches de Ville d'Avray est sorti en Allemagne sous le titre Sonntage mit Sybill. Il est d’excellente qualité : très belle image N&B anamorphique, très bon son mono d’origine (français) avec option de doublages anglais, allemand, italien, espagnol. Sous-titres amovibles en de nombreuses langues.

28 commentaires:

  1. Bonsoir,

    Je découvre avec plaisir votre blog via celui du Vidame. Ma mémoire avait gardé le titre de ce film, que je trouvais d'autant plus beau que Ville d'Avray n'est pour moi qu'un nom, sans me douter du sujet. Merci pour votre analyse, et pour retracer le destin étrange de ce météore.

    Ce que vous dites sur le fait que la rediffusion du film à la TV soit hautement hypothétique m'a fait souvenir d'un débat à la radio le mois dernier, où une juriste parlait de façon nuancée de ce changement étonnant du regard de la société sur un sujet où l'ambiguïté est si j'ose dire de rigueur. Je me souviens aussi des propos politiquement incorrects de Mireille Delunsch lorsqu'elle avait chanté la Gouvernante dans Le Tour d'écrou de Britten à Aix.

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  2. Bonsoir,

    Merci de votre visite. En effet, le titre du film (et du roman avant lui) est entré dans notre mémoire collective, loin, très loin.

    Les dimanches... pourrait être un excellent support pour un débat sur l'évolution de ce que la société tolère dans une œuvre de fiction. Je ne sais pas ce que M. Delunsch avait dit sur son rôle dans Le Tour d'Ecrou, mais je peux imaginer.

    Bien à vous

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  3. Disons que Delunsch parlait sans excès de précaution du désir des enfants.

    Je repense que les prêtres de Cybèle étaient émasculés, mais ce serait tirer les choses de trop loin.

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  4. Ce serait sans doute faire de la surinterprétation, même si le film (et le roman de départ je pense) s'y prêtent.

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  5. Bonjour

    J'ai découvert le film très récemment mais je l'ai déjà vu plusieurs fois car je le trouve hypnotique comme un Conte cruel.

    Votre analyse est fouillée et très intéressante mais je ne partage pas deux de vos points de vue. A mon sens, l'histoire n'est pas tant celle d'un amour impossible que d'un drame de la jalousie. Madeleine est une femme narcissique et possessive qui, en trahissant Pierre (qu'elle dénonce à deux reprises), a une double motivation : elle veut venger la terrible blessure d'amour-propre que l'amour de Pierre pour une autre lui inflige ; elle veut faire place nette pour un nouvel amour (Bernard).

    D'autre part, pour moi, ce n'est pas le comédien qui est maladroit mais son personnage. Le jeu de Krüger est subtil et passe essentiellement par ses yeux, très expressifs (auxquels le dialogue fait d'ailleurs de nombreuses allusions) : regard fuyant avec Madeleine, qui l'enferme et l'étouffe ; regard "perdu" avec Carlos, qui respecte ses absences ; regard droit et direct avec Françoise/Cybèle, avec qui il est d'emblée sur le même pied.

    Une dernière remarque en forme de clin d'oeil : la mère de Françoise n'est pas morte mais "enfuie avec un prestidigitateur" : l'indice qu'aujourd'hui, on condamne les mères défaillantes autant que les pédophiles ?

    Cordialement,
    mgm

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  6. Merci pour votre visite et commentaire, mgm.

    A mon tour de dire que votre point de vue sur l'histoire est intéressante : celle de Madeleine souhaitant perdre Pierre de peur, justement, de le perdre. Je n'avais pas vu cela comme cela mais c'est une piste qui correspondrait bien à la subtilité de la narration (et du roman encore plus, sans doute). Mais cela resterait tout de même, à mon avis, une orientation secondaire de l'histoire.

    Votre remarque sur le jeu de Krüger est très juste : sa maladresse (je pense notamment à son "body language" très étonnant où on a l'impression de voir un adolescent bouger dans un corps d'homme) renvoie à celle de Pierre.

    Quant au départ de la mère avec un prestidigitateur, sans doute l'avais-je escamoté... En revanche, je ne comprend pas le sens de votre dernière remarque.

    Cordialement
    TP

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  7. Bonsoir, TP

    Merci d'avoir pris le temps de me répondre !

    Pour moi, le film est construit sur trois niveaux de récit, qui correspondent à trois figures de l'amour.
    Le récit apparent est celui d'un amour impossible -parce que, comme vous l'analysez très finement, Pierre est un enfant enfermé dans un corps d'adulte alors que Françoise va grandir. En revanche, il faut convenir que le regard social est bien indulgent (les promeneurs du dimanche sont tout disposés à ne voir là qu'un amour paternel); si cet amour est condamné, c'est plus par la dynamique interne du film : si Pierre réalisait entièrement le rêve de Noël de Françoise, ils partageraient le même lit -et le film sombrerait dans le scabreux qu'il a évité jusque là.

    Le récit souterrain est celui que j'appelle le drame de la jalousie. Le narcissisme de Madeleine (la femme au miroir) est largement signifié par le décor de son appartement (photos d'elle, de sa famille, de ses collègues), qui ne comporte nulle trace de Pierre et ne lui fait aucune place (le lit étroit) ; sa possessivité éclate au restaurant et surtout à la fête foraine. Enfin, Madeleine comprend si peu Pierre que lorsqu'elle voit son visage baigné de larmes, elle croit que c'est la buée de la vitre sur laquelle il s'appuyait !

    En dernière analyse, je pense que la thématique du récit est l'impossibilité de l'amour. Aux nombreux couples négatifs (les promeneurs, sclérosés ; le peintre du dimanche, à l'épouse castratrice ; les amis de Madeleine, vulgaires et luxurieux ; Carlos et Carmela, double adulte du couple Madeleine-Pierre), le film oppose les mystérieux amants-centaures, couple mythologique qui disparait dans le brouillard et que Pierre et Françoise reforment à leur manière enfantine (elle à cheval sur le dos du garçon). D'où l'amour fatal et le plan des deux "amants" couchés dans la neige.
    C'est d'ailleurs certainement pour cette raison que le film est devenu culte. Comme Wanda, Honeymoonkillers ou La nuit du chasseur (pour citer les premiers qui me viennent à l'esprit), il parle de nos ressorts les plus intimes, Eros et Thanatos (n'est-ce pas la typologie bachelardienne qui fait de l'eau -ici, les étangs- un symbole érotique et morbide ?)

    Pour ce qui est de ma dernière remarque, je crains que ce ne soit que de la psychanalyse de bazar : je voulais dire que de nos jours, on a tellement de mal à supporter l'idée d'une mère défaillante que son absence ne peut s'expliquer (se condamner ?)que par sa mort...

    Cordialement,
    mgm

    PS : J'ai lu le roman : il n'est pas subtil du tout ! Ce serait plutôt Fatum chez les malfrats ; d'ailleurs, le Carné épuisé des années 60 avait projeté de l'adapter -pour vous donner une idée de l'atmosphère (atmosphère)...

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  8. Merci pour ces points de vues passionnants, mgm, qui donnent envie de revoir le film à leur lumière. Tous les détails que vous mentionnez apparaitront à la re-vision.
    Cordialement,
    TP

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  9. Merci à vous aussi ! J'aurais le plus grand plaisir à reprendre cet échange de vues très stimulant quand vous aurez revu le film.

    Cordialement,
    mgm

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  10. Bonjour, TP

    Relisant votre analyse, décidément très riche, je ne résiste pas au plaisir de reprendre cet échange de points de vue. Ayant mesuré votre ouverture d'esprit, je n'hésite guère à vous dire que vous jugez un peu sévèrement la fin du film à mon goût !

    A mon avis, la soirée de Noël constitue l'acmé du film -et même son climax, car il ne fait pas de doute que cette séquence est celle de la consommation de l'amour. En révélant son vrai nom à Pierre, Françoise se donne et s'offre toute entière : " C'est mon nom, c'est moi", dit-elle à un Pierre au visage rayonnant (grâce à -ou en dépit de - l'éclairage diffus des bougies et du feu de cheminée).

    Le traitement de la séquence prend soin d'en faire une communion spirituelle, comme en témoignent la suppression des cols blancs dans les vêtements des personnages et la succession de plans rapprochés, qui désolidarisent les visages des corps. Néanmoins, le vocabulaire et la syntaxe du dialogue sont "coïtaux" ( Tu aimes ? Tu es si belle). De plus, alors que nombre de scènes sont postsynchronisées ou en décalage son/image, ici et pour autant que mes (in)compétences me permettent d'en juger, le son est direct, ce qui donne à la scène un caractère charnel inusité (pas, baiser, souffle, déglutition).

    D'un point de vue romanesque, la séquence peut certes sembler plate et mièvre mais recontextualisée dans la Weltanschauüng et l'esthétique toutes romantiques du film, elle prend une particulière intensité. Elle est en effet imprégnée de religiosité : les hymnes en fond sonore, les cloches sur l'ouverture du cadeau résonnent comme un véritable épithalame ; les cierges (volés à l'église), le partage du pain et du sang, la transfiguration des deux "amants" en font une véritable liturgie amoureuse.

    Je m'arrête là, craignant d'abuser de cet espace et de votre patience ! Comme vous l'avez compris, ce film m'a fait la plus grande impression. Pourtant, vous étonnerai-je en avouant que je ne jurerais pas de l'aimer...

    Bien à vous,
    mgm

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  11. Bonjour, TP et autres internautes ciné-philes/maniaques

    Je ne vous apprends certainement rien en vous annonçant que le fim ressort dans deux salles, cette semaine ; surtout, que Serge Bourguignon sera présent ce soir 7 avril au Champo et vendredi 9 au MacMahon. En ce qui me concerne, j'ai hâte d'entendre ses commentaires et les avis des spectateurs !

    Bien cordialement,

    mgm

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  12. C'est bien que certains chef-d'oeuvre se perdent dans les limbes!Parfois meme ils sont mutilés (voir "Vivre libre" avec Virginia McKenna)!

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  13. Hop, hop, hop, c'est Patricia Gozzi!
    un gentiment rendu pour un gentiment prêté.
    Pour le reste, je garde de ce film un goût mêlé de mélancolie et de tristesse. C'est un de mes beaux souvenir de cinéma. content de l'avoir ravivé grâce à toi.

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  14. Merci charlus80 pour cette correction (Patricia Gozzi et pas Grazi comme je l'avais écrit)!

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  15. j'avais vu le film au cinema à sa sortie, je devais avoir 17 ou 18 ans et comme mes camarades, je n'y ai vu qu'un poème admirable autour d'une relation d'amitié naturelle et 50 ans après j'en recherche une copie et ce n'est que maintenant, 50 ans après, que l'on parle de pédophilie. A la sortie du film, ce n'était pas le sujet et les critiques qui découvrent le film aujourd'hui devraient se placer dans le contexte del'époque. Parler de pédophilie à propos de film est tout simplement stupide.

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  16. Merci pour votre commentaire du 29/11/11. C'est l'un des grands intérêts d'une création artistique que de se prêter à l'interprétation a posteriori, objective ou subjective. Si en 1962, le sens pédophile du film n'est pas apparu au public et à la critique (j'aimerais bien toutefois lire des avis critiques argumentés d'époque ), c'est en effet parce que le sujet n'était pas public. 50 ans plus tard, les choses ont changé et il me semble flagrant, de par le comportement et la description psychologique du personnage interprété par Krüger qu'on ne peut nier l'évidence. C'est aussi la réussite du film que de jouer au funambule avec une thématique aussi explosive.

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  17. Merci pour vos échanges sur ce film que la tv s'est enfin décidée à rediffuser;je trouve cependant abusif d'appeler "pédophile"un personnage dont le comportement n'est jamais prédateur,seulement inconsistant,comme tous les "adultes"du récit.
    les analyses de mgm me semblent aussi subtiles que convaincantes;et il est effectivement difficile d'aimer vraiment un film qui est un Noel noir ,où Cybèle est la seule amoureuse...
    Il y a quelque chose de cela dans "la joie de vivre "de Zola,ce roman si singulier mais avec une éclaircie qui repose sur la maturité du personnage principal:Pauline.(jpascal)

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  18. merci
    il sort en BR chez Wild Side

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  19. Bonjour, J'ai vu "Les dimanches de Ville d'Avray", en 1963, à Alexandrie (Egypte). J'ai aimé ce film original par son histoire. Le noir et blanc convient aux climat froid de l'hiver, aux arbres desquels on ne voit que les branches. Je n'ai pas oublié l'expression d'émerveillement sur le visage de Pierre lorsque la petite fille lui a dit qu'elle s'appelait "Cybèle". Je viens de revoir la bande-annonce. J'aime lorsque Cybèle dit à Pierre qu'ils sont entrés dans les "cercles". Poétique...

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    1. Le choix de placer l'histoire en hiver n'est pas gratuite. L'esprit du film aurait-il été changé si tout s'était passé dans la lumière du plein été ?

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    2. En été ce n'est plus du tout le même film ! La qualité de la photo est primordiale et l'hiver y est pour beaucoup !

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  20. Bonjour, Quelques années plus tard, j'ai vu un autre film de Patricia Gozzi : "Rapture" ou "La fleur de l'âge". La petite fille était devenue une jeune fille sauvage et possessive. Jean KHOURY vassilijean@yahoo.fr

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    1. Un film très atypique ce "Rapture" (que j'ai vu il y a quelques mois), la Bretagne, un réalisateur anglais, des acteurs américains et Patricia Gozzi qui parle anglais...

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  21. Bonjour, Lequel est meilleur pour la petite fille, son père ou Pierre ?

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    1. Ca dépend, à court terme ou à long terme pour l'évolution de la petite fille, la réponse n'est sans doute pas la même...

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  22. Je viens de voir le film (2021). Je prends plaisir à lire tous vos commentaire. J'ai juste envie de dire que le mot "folie" n'y est pas mentionné. Car Pierre souffre bel et bien d'une altération de l' esprit.
    Et Bernard, dans ses propos et sa crainte nous le livre et le spectateur, alors, pas de subjectivité à objectivité en un moment pour retourner dans le doute jusqu'à la fin, sans conviction devant l'inévitable risque.
    Merci .

    Merci.

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    1. Merci ! C'est vrai, l'instabilité de Pierre touche à la folie ou au moins au pathologique. C'est aussi la force du film de rester dans la suggestion...

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