27 janvier 2010

Le péché d'Adam et Eve (Miguel Zacarias, 1969)


Les quêtes spirituelles sont le terrain des révélations. Il y a trois semaines, en faisant une recherche sur la métaphysique de la Création, je suis tombé sur une page web qui parlait d’un film mexicain des années 60, El pecado de Adan y Eva (Le péché d'Adam et Eve), entièrement dédié au sujet qui me taraudait à l’époque (il y a trois semaines, pas dans les années 60) : le Péché Originel.

Une rapide consultation d’IMDb me fit découvrir deux courts avis sur le film, l’un amusé, l’autre renfrogné. C’est le second (écrit par une spectatrice créationniste britannique) qui titilla mon intérêt. Je vous le livre ici, traduit par mes soins :

"Trop de nudité, pas assez de spiritualité.

J’ai vu ce film récemment et je ne l’ai pas beaucoup apprécié. Regarder deux personnes attirantes se promener nues pendant deux heures dans un jardin n’est pas vraiment passionnant. Rien ne se passe si ce n’est une abondance de nudité. En 1981, le film de science-fiction « La guerre du feu » avait fait bien mieux en racontant l’histoire d’Adam et Eve dans une ambiance d’hommes des cavernes, de mammouths géants et de tribus de Néandertaliens. Ne croyant ni aux hommes des cavernes ni à Darwin, j’avais quand même trouvé que « La guerre du feu » était en tous points de vue un meilleur film. « Le péché d’Adam et Eve » est juste de la nudité gratuite avec des seins à la place d’une histoire et ça tourne vite en rond."

Inutile de dire que j’ai commandé vite fait le DVD pour trois fois rien et que je l’ai visionné dès réception. Je ne le regrette pas : je n’avais encore jamais rien vu de semblable. Et j’en ai vu.


Pour ceux qui ignorent le sujet, le voici en quelques mots :

Dans un jardin luxuriant rempli d’animaux, un malabar se réveille nu au pied d’un arbre : c’est Adam, le premier homme. Il fait de l’exercice, se baigne, joue avec des bêtes gentilles et mange des bananes en les écrasant. Puis il s’ennuie. Un jour, il découvre à sa surprise une femme nue à ses côtés : Eve, la première. Pendant un certain temps, ils batifolent tous les deux dans leur Eden : Adam apprend à Eve à nager le crawl, Eve se sèche les cheveux et à se refait une beauté en riant dès qu’elle sort de l’eau. Elle apprend aussi à Adam à peler les bananes. Mais un serpent tente Eve en lui vantant les délices d’un fruit étrange qui pousse sur l’Arbre du Mal. Eve pousse Adam à cueillir un des fruits : ils se le partagent et sont immédiatement chassés de leur jardin par deux épées de feu sous un orage dantesque. Comme il fait soudain plus froid, ils se fabriquent un pagne chacun et partent, confus, dans un paysage volcanique vers un destin incertain. Fin de l'histoire (ou début, comme on voudra).

El pecado de Adan y Eva, c’est exactement cela. Ni plus, ni moins. Le film a été écrit, produit et réalisé par un vieux de la vieille du cinéma mexicain, Miguel Zacarias (1905-2006), auteur d’une cinquantaine de films entre les années 1930 et les années 1980. C’était sa première incursion dans le cinéma religieux dont il se fera une spécialité après le triomphe du film (comme j'aimerais maintenant voir ses "Jésus, Marie et Joseph" ou "La vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ"). Car triomphe il y eût, mais sans doute pas pour des raisons très catholiques. En 1969, année hypocrite, le public hispanique déferla dans les salles pour se rincer l’œil, comme Adam se rince de la poussière qui le recouvre à sa naissance spontanée, sur l’anatomie avantageuse et particulièrement mise en valeur des deux acteurs à l’écran : Candy Cave et Jorge Rivero.


Enfin, acteurs est un bien grand mot car leur prestation s’apparente plus à de la déambulation active qu’aux exercices de Stanislavski. Ignorons donc leur jeu, épouvantable, pour s’arrêter un peu sur leur physique, qui lui, damne le pion à tous les Stanislavski du monde.

Candy Cave est Eve (elle fut aussi connue, apparemment, sous le nom de Candy Wilson et le générique la mentionne comme Kandy tout court) mais je préfère l’appeler par sa francisation : Bonbon Grotte. Bonbon Grotte, donc, a sans doute été un peu avant le film un modèle pour photos légères – enfin, cet avis n’engage que moi mais je la vois mal en astrophysicienne ou syndicaliste – et a du se faire remarquer par Zacarias dans un magazine acheté dans le métro de Mexico City. Elle a pour elle une beauté un peu innocente et l’innocence d’avoir cru à une carrière au cinéma. Le péché d’Adam et Eve y fut sa seule apparition. Dans le film, ses longs cheveux châtains recouvrent ses seins là où il faut mais les laissent aussi surgir quand il le faut. Elles les a d’ailleurs mignons et fermes, comme elle a la taille fine et la jambe longue. La scène la plus difficile qu’elle ait à jouer est celle où elle s’arrange les cheveux en riant au sortir de la rivière : comme elle le fait très bien, Zacarias lui a demandé de le faire trois fois et trois fois, il nous la ressert. Bonbon Grotte a aussi un peu peur du serpent (car c'en est un vrai, pas un en plastique) et le format idéal pour se blottir dans les bras musclés de son partenaire qui lui, est le véritable héros et l’attraction du film : l’über-hunk Jorge Rivero. C'est donc ici que je laisse tomber Bonbon Grotte en chemin, tant pis pour elle.


Jorge Rivero... Je ne le connaissais pas, celui-là. Mais après avoir vu Le péché d’Adam et Eve, il me semble maintenant le connaître sous toutes les coutures. Jorge Rivero (parfois rebaptisé George Rivers) est un acteur mexicain - très connu en son pays semble-t-il - né en 1938 et qui a commencé sa carrière au cinéma dans des films de catch au milieu des années 60. Pour la petite histoire, ses premiers rôles le voyaient porter une cagoule qui cachait ses traits à ses premiers fans... qui fantasmaient à juste titre sur le possible visage qui pouvait surmonter un corps pareil. Le suspense a duré un temps avant que Rivero ne retire la cagoule et tout le reste, notamment dans le film qui nous intéresse ici. Je n’ai vu aucun autre de ses films (près de 125 au compteur en 2001 d’après IMDb, quand même), dont la plupart m’ont l’air d’être kitscheries Sixties et Seventies au vu des photos ou extraits, mais les spécialistes s’accordent à dire que Le péché d’Adam et Eve, pour qui veut savoir ce qu’est le phénomène Rivero, est certainement là où il faut commencer et sans doute aussi finir.

Jorge Rivero : a man is a man is a man is a man

Jorge Rivero, dans Le péché d’Adam et Eve, a 30 ans et s’il fallait trouver une image pour illustrer le concept d’hispanic beefcake, la sienne ferait parfaitement l’affaire. Baraqué, ténébreux et masculin au possible, il est de presque tous les plans du film et c’est lui – et non Adam – le véritable héros du navet (qui, justement, parce que Rivero y apparaît pendant une heure en tenue d’Adam, n’en est pas un). L’acteur est lamentable mais le scénario qu’on lui a donné n’exige pas de compétences spécifiques, si ce n’est celle d’avoir une présence et une sacrée dose de narcissisme. Et de cela, Jorge Rivero ne manque pas, lui qui a dit "qu’il n’y pas un seul film dans lequel le réalisateur ne m'a pas demandé de tomber la chemise" et "que je me suis tapé presque toutes mes partenaires d’écran" (ça, c’est la vraie classe mexicaine). Bonbon Grotte, on l’imagine et l’esprit s’embrase, a donc du empocher une partie de son cachet en nature.

Les premières scènes de Jorge Rivero dans Le péché d’Adam et Eve le voient errer seul au milieu d’un paysage volcanique hostile et crier « Eva » au moins une quinzaine de fois, découvrant le phénomène de l’écho au passage. Durant cette séquence, il est vêtu d’un pagne de peau, dont le réalisateur le débarrasse rapidement dans le long flashback qui constitue le corps du film. Pendant une demi-heure, le spectateur a maintenant droit à un véritable festival de nudité masculine, Jorge Rivero profitant dans le plus simple appareil des plaisirs de la course dans la prairie, de la plongée dans la cascade, de la sieste au soleil, de la compagnie des agneaux et du goût de la banane. On est en 1969 et le film, il faut le rappeler, est du genre religieux, la nudité frontale n’est donc pas encore de mise : si Rivero ne nous cache rien de son viril derrière, son intrigant devant nous est soigneusement dissimulé par des subterfuges plus ou moins grossiers comme des plantes diverses bien placées au premier plan de l’image et, de façon beaucoup plus amusante, de l’étonnante manière qu’il a de se déplacer en crabe lors des passages à risque devant la caméra. A quelques reprises cependant, lors d’un plongeon dans le lac ou lors d’une course un peu folle dans les sous-bois, son entrejambe apparaît le temps d’un clin d’œil qui durent, à l’époque de la sortie du film en salle, provoquer bien des suées chez les fans de toutes orientations qui n’avaient pas accès, à leur désespoir, à la télécommande. Si Rivero est bien l’objet de désir principal du film, Bonbon Grotte, qui est beaucoup moins présente à l’écran que lui, bénéficie du même traitement affriolant quand de temps en temps, une longue mèche de cheveux glisse sur sa poitrine pour découvrir un téton. Zacarias a pensé à tout.

Adam et Bonbon Grotte chassés du Paradis

Pendant toutes leurs scènes communes, Jorge Rivero et Bonbon Grotte n’ont pas un seul moment démonstrativement érotique entre eux (et pourtant, on l’attend venir ce moment) et ils quittent le Jardin d’Eden comme ils y sont venus : dans l'exhibitionnisme le plus total et la plus grande innocence sexuelle. Mais cette fois, en pagnes de feuilles de banane. En réalité je vous le dis, Le péché d’Adam et Eve ressemble fort, avec la charge poétique en moins et le kitsch coloré en plus, à la célèbre scène de séduction aquatique de Tarzan et sa compagne (1934) de Cedric Gibbons, mais dont la durée serait prolongée, comme un improbable orgasme, sur plus d’une heure.


Je me suis longuement étendu sur Jorge Rivero et ne m’étendrai donc pas sur les autres plaisirs coupables ou pas du film : le décor naturel assez beau (les cascades d’El Salto, dans la région mexicaine de San Luis Potosi), les irrésistibles fleurs en plastique multicolores qui parsèment l’image pour donner l’illusion d’un Eden de carte postale pop, les multiples et incompréhensibles coups de colère de Jorge Rivero contre la racine d’un arbre dans laquelle il se cogne régulièrement le pied, les simagrées de Bonbon Grotte qui n’en finit pas de se recoiffer au sortir du bain, l’indéfinissable fruit que les deux nudistes se partagent au pied de l’arbre du Mal (ce n’est pas une pomme en tous cas, c’est certain) et l’exploitation égrillarde qu’a fait l’auteur du film d’un moment-clé de la Genèse (et qui a provoqué la colère de la commentatrice d’IMDb citée au début de ce billet).

Le péché d’Adam et Eve a connu un grand succès à sa sortie, il y a plus de 40 ans, et semble faire aujourd’hui l’objet d’un culte de la part de ses admirateurs. Je suis loin d'être certain qu’il soit en odeur de sainteté auprès des Créationnistes mais il a gagné ses galons auprès de ceux qui savent apprécier à leur juste valeur pectoraux, biceps, fessiers et yeux de braise. C'est un film qui n'est ni bon ni mauvais, ni bien ni mal. Il est autre. God save the Sixties and Jorge Rivero.

Après avoir vu le film, je me suis demandé quelle pouvait bien être la tête de ce Miguel Zacarias qui me semblait devoir obligatoirement avoir une lueur pétillante dans le regard, une assurance de bon vivant et un goût pour les substances pour avoir écrit, produit et réalisé un tel festival de bibliques nudités affriolantes. Une petite recherche sur le web m’a permis de trouver une photo de ce roi de la cuisse légère. La voici.

Le sémillant Miguel Zacarias (1905-2006)

Le péché d’Adam et Eve est disponible en Z0 chez Laguna Films (visuel du DVD en haut du billet). L’image est pan&scan (ce n’est pas bien gênant). Le master n’a fait l’objet d’aucune restauration et est de qualité correcte. Le son est correct aussi, espagnol d’origine. Il n’y a pas de sous-titres mais à part quelques déclamations divines au début et quelques chuchotements sournois du Serpent, il n’y a aucun dialogue donc on s’en moque. Bref, si vous êtes un peu attirés par la Bible ou beaucoup par Jorge Rivero, vous pouvez y aller. Car on ne tombe pas sur un film de ce calibre tous les quinze du mois, croyez-moi dur comme fer.

Pour vous donner une idée du film, en voici quelques morceaux de choix :

12 commentaires:

  1. Haha! Tu as toujours eu le chic pour trouver des films abracadabrants et complètement inconnus! Celui là, je dois l'admettre, est à classer parmi les meilleurs! On aurait envie d'y jeter un coup d'oeil surtout pour voir un peu mieux cet Hercule bien coiffé qui s'ennuie tant dans son paradis: je n'avais jamais imaginé Adam avec autant de muscles!! A mettre en comparaison avec cette scène incroyable de "Move Over Darling" où Doris Day participe, elle aussi, à un Eden rocambolesque pendant quelques trop courtes minutes!! Merci de nous avoir décrit, dans ton si long article(!), ce film qui ne doit plus intéresser grand monde :)

    Constance

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  2. Je suis bien content que tu aies apprécié cet exubérant morceau de cinéma ! Je ne sais pas si le film intéresse grand monde aujourd'hui (je pense quand même qui si, mais faut connaître) mais déjà, toi et moi, ça fait deux et c'est un bon début pour une réhabilitation globale. :)

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  3. bonjour, juste je m'interesse aussi a cette histoire, mais quel est le type de cet fruit? une pomme chez les uns,,, et meme une banane? avez vous une vue cela? merci.

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  4. Parlez-vous d'Adam et Eve dans la Genèse ou dans le film ? Tout cela est bien compliqué : dans le livre, c'est une Pomme (j'en suis sûr), dans le film, c'est un fruit non identifié (ni pomme, ni banane, ça ressemblerait un peu à une grenade). Par contre, ce sont bien des bananes qu'Adam mange par régimes entiers dans les film, mais elles ne semblent avoir aucune responsabilité dans le colère divine. Le mystère reste donc entier. Cordialement

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  5. Cher Tom, déjà fasciné par cet article, je viens de découvrir une étude de fond ( si si ) sur la carrière de Jorge. Et je me suis dit, si ce blog incroyable ne vous était pas déjà connu, qu'il serait suave de partager.
    http://neptsdepths.blogspot.com/2010/06/rollin-on-rivero.html

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  6. Cher Soyons, merci beaucoup, vraiment, pour ce lien vers un site que je ne connaissais ni d'Adam ni d'Eve et qui vient d'entrer d'un clic dans ma blogothèque. Amitiés. TP

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  7. Film et acteur fascinants que je ne connaissais ni d'Adam ni d'Eve ni d'Adam... Depuis que vous avez posté cet article, le DVD est devenu un trésor vendu à 150 euros et plus, mais je l'ai trouvé en entier sur youtube heureusement, vive Jorge Rivero, magnifique Adam et ma nouvelle idole, merci Monsieur Peeping Tom, le bien nommé !!

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  8. hello again Tom Peeping je ne savais pas comment décrire le film sur mon blog, j'ai pris ta description :)

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    1. Tu as bien fait. Je suis content que tu aies découvert et aimé ce film et son acteur qui laissent sans voix.

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    2. c'est le cas de le dire ;)

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  9. This movie was playing at the drive-in where I worked as an usher in the summer of 1968, so I got to see the good parts six or seven times! I was only 18 myself and enjoyed it greatly. I would love to see it again.

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    1. Thank you for you personal memory of seeing the film at the drive-in back then. Must have been great!

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