12 octobre 2010

Show boating


La très attendue reprise actuelle de Show Boat au Théâtre du Châtelet à Paris m'a permis de découvrir "live" ce musical qui a marqué d'une pierre noire l'histoire de Broadway et du genre tout entier. Lors de sa première au Ziegfeld Theatre le 27 décembre 1927, Show Boat révolutionnait la comédie musicale en proposant une histoire de quatre couples se déroulant sur quarante ans, des morceaux musicaux véritablement intégrés à la narration, une dénonciation audacieuse de la ségrégation et la présence simultanée sur scène d'interprètes blancs et noirs. Jerome Kern (à la musique) et Oscar Hammerstein II (au livret et aux lyrics) n'avaient eu qu'une année pour adapter à la scène le roman à succès d'Edna Ferber, paru en 1926. Ils accouchèrent d'un chef-d'oeuvre dont les airs ont traversé les décennies pour devenir des standards du musical américain : "Cotton Blossom", "Make believe", "You are love", "Bill" sont reconnaissables dès leurs premières notes. "Can't help lovin' dat man" et "Ol' man river" (la version de Judy Garland est époustouflante) sont, quant à eux, des mètres-étalons du genre.

La production du Châtelet, venue d'Afrique du Sud (elle a été montée pour la première fois par le Cape Town Opera en 2005), reprend la version de la reprise de Broadway de 1946. Car Show Boat a connu une histoire aussi tumultueuse que celle de ses personnages : la production originale de 1927 durant près de 4h15, les reprises suivantes ont été fortement raccourcies, un certain nombre de morceaux modifiés (notamment dans leurs paroles au contenu trop racial) ou simplement supprimés. La version de 1946 - et donc celle du Châtelet - trouve un équilibre satisfaisant entre celle de 1927 et celles, beaucoup plus courtes, qui ont juste suivi. Je reprocherais quand même à la production du Châtelet une mise en scène un peu vieillotte et quelques voix "moyennes". C'est seulement en 1988 qu'EMI a ressorti en CD le musical tel qu'il avait été conçu à l'origine par Kern et Hammerstein (c'est aujourd'hui la version de référence, dirigée par John McGlinn).


Show Boat est un splendide musical qui jette le pont entre plusieurs types de spectacles, du vaudeville de la fin du XIXe siècle à la comédie musicale classique. Il contient des réminiscences de l'opérette viennoise, du blues, du gospel, du jazz, de la chanson populaire et du grand opéra. C'est une tragédie parsemée de mélodrame et de comédie. Il forme les racines de tout ce qui suivra à Broadway et dans le West End. En 1927, Kern et Hammerstein (et Ziegfeld) savaient qu'ils avaient de l'or entre les doigts et qu'on se souviendrait longtemps de leur création. Ils avaient raison : leur Show Boat est insubmersible.

Show Boat a été adapté trois fois au cinéma : en 1929 (Harry Polard / Universal), 1936 (James Whale / Universal) et 1951 (George Sidney / MGM). Je n'ai pas vu la version de 1929, je n'aime pas la version de 1951, beaucoup trop molle dans ses orchestrations et faible dans son casting, mais je considère la version de 1936 comme une réussite totale et l'un des meilleurs musicals des Thirties, qui n'en est pas avare. C'est d'ailleurs incompréhensible qu'elle soit encore inédite en DVD (mais on peut la voir sur YouTube).

Alors, juste pour le plaisir, voici ci-dessous l'exaltant morceau "Can't help lovin' dat man" du Cape Town Opera (Châtelet).



Et sur YouTube, allez voir le même morceau dans le film de James Whale (ici : http://www.youtube.com/watch?v=r5WEQ8j1Me0). Deux exemples qui montrent à quel point un musical scénique, entre les mains d'un réalisateur inspiré, peut devenir un sublime morceau de cinéma (le cake-walk d'Irene Dunne, qui semble improvisé, est à mon avis l'un des moments les plus enthousiasmants de toute l'histoire du musical). Il faut dire que le Show Boat de Whale avait un casting à se damner : dans une même scène, on a Irene Dunne, Helen Morgan, Hattie McDaniel et Paul Robeson. Est-il nécessaire d'en dire plus ?

2 octobre 2010

Films vus par moi(s), octobre 2010


*** excellent / ** bon / * moyen / 0 mauvais

Garden of Evil / Le jardin du Diable (Henry Hathaway, 1954) **
Le Cinemascope, le Technicolor et les étonnants paysages mexicains ravissent l'oeil et servent beaucoup ce film westernisant sur cinq aventuriers qui affrontent une Nature hostile peuplée d'ombres et eux-mêmes. Si Cooper et Widmark sont excellents, Hayward (qui surjoue comme toujours), l'est moins. Un film atypique aux splendides images. DVD

Kids (Larry Clark, 1995) **
C'est à la fois fasciné et dépité qu'on regarde ce film sur un groupe d'ados désoeuvrés de Manhattan dont l'été se résume à sexe, drogue, alcool et skate. Sevigny incarne le personnage dont la triste histoire sert de trame narrative à l'ensemble mais le ton reste néanmoins documentaire et donc particulièrement dérangeant. DVD

Okuribito / Departures (Yojiro Takita, 2008) **
Drôle de genre que ce film dont on ne sait pas bien s'il s'agit d'une comédie, d'un mélodrame ou d'une arnaque. Un jeune homme prépare les morts avant leur crémation et ouvre les yeux sur l'humanité des vivants. La beauté des images et l'originalité du sujet l'emportent sur les facilités de la musique et des touches poétisantes. DVD

La poison (Sacha Guitry, 1951) ***
Guitry règle ses comptes avec la Justice et l'opinion publique dans un des chefs-d'oeuvre dont il avait le secret. Un scénario anticonventionnel au possible, des dialogues étincelants et le jeu génial de Simon ne cessent d'enthousiasmer, même après plusieurs visions. Et ce générique en forme d'hommage à l'équipe du film ! DVD

Love actually (Richard Curtis, 2003) 0
Une douzaine de personnages en quête d'amour, une B.O. truffée de morceaux de tubes, des bons sentiments à la pelle (on doit osciller sans cesse entre rires et larmes) et un manque de sincérité total : Curtis fait son cinéma habituel et la fabrication montre toutes ses coutures. Le beau personnage incarné par Thompson surnage. DVD

The statue / Le plaisir des dames (Rodney Amateau, 1970) **
Un prix Nobel dont la statue officielle (un nu héroïque) a été sculptée par son épouse n'y reconnaît pas son sexe et, jaloux, cherche avec l'aide de la CIA celui qui a servi de modèle. Une comédie graveleuse où Niven cachetonne en regardant ce qu'il y a dans les slips des copains. L'idiotie de l'ensemble, j'avoue, est assez réjouissante. DVD

Hausu / House (Nobuhiko Obayashi, 1977) *
Un délire visuel pop-kitsch-anime autour de sept collégiennes japonaises en visite chez l'inquiétante tante d'une d'entre elles dont la maison de campagne est cannibale. C'est plein d'idées et d'amusants effets et décors mais cela ressemble à une vidéo sous acide étirée sur 85 minutes. J'ai été un peu intrigué au début puis très vite saoûlé. DVD

The boy in the striped pyjamas / Le garçon au pyjama rayé (Mark Herman, 2008) 0
Tout est trop faux et trop propre dans la réalisation de ce film manipulateur sur l'amitié improbable entre le jeune fils du directeur d'un camp de concentration nazi et un jeune prisonnier juif, séparés par les barbelés. Mais ce sont surtout les dernières scènes, abusant de suspense, qui sont d'une incroyable maladresse. DVD

Signore & signori / Ces messieurs dames (Pietro Germi, 1966) ***
Germi porte l'estocade à la bourgeoise nord-italienne (celle de Trévise en l'occurence) avec cette comédie au vitriol et en trois actes, Palme d'Or conspuée de Cannes 1966. Adultère, prostitution, lettres anonymes, corruption, amoralité... s'enfilent comme des perles par la grâce d'un scénario au cynisme stupéfiant. Du cinéma carnassier. DVD

Matinee / Panic sur Florida Beach (Joe Dante, 1993) **
Un film sur un homme-fourmi ("Mant!") arrive dans un petit ciné de Floride sur fond de crise des missiles de Cuba : cet hommage drôle, sincère et très bien vu (on croirait souvent voir un film de 1963) aux navets de SF des années 60 et à leurs producteurs fous de gimmicks dégage un charme irrésistible. Goodman y est formidable. DVD

Alfie (Lewis Gilbert, 1965) **
A Londres au milieu des Sixties, un trentenaire égocentrique séduit et abandonne plusieurs femmes avant d'en payer les conséquences. Le film commence comme une comédie épicée puis s'oriente vers le drame avec assurance. Et ça marche. Caine est splendide (surtout quand il prend à partie le spectateur) et Winters "steals the show". DVD

The social network (David Fincher, 2010) ***
L'efficacité du scénario, l'excellent casting et la réalisation magistrale font de ce film sur les débuts de Facebook un futur classique. Fincher transforme un sujet à priori peu cinématographique en un thriller psychologique haletant et nous met sous les yeux la mutation en cours de la société dans laquelle nous vivons. Brillant. Ciné

But I'm a cheerleader (Jamie Babbit, 1999) *
Comme pour "Saved!", c'est le genre de petit film qui milite avec humour et clichés contre l'intolérance et pour le droit à la différence. Ici, une jeune lesbienne est placée par ses parents dans une centre de réhabilitation : "Le droit chemin". Ca parle sans doute à certains ados (et c'est tant mieux) mais c'est loin d'être du John Waters. DVD

Le sang à la tête (Gilles Grangier, 1956) **
Gabin, fidèle à lui-même dans un rôle atypique, est un riche self-made man cocu et raillé par ses voisins de La Rochelle dans cette adaptation de Simenon superbement dialoguée par Audiard qui tape à la fois sur la bourgeoisie, la populace et la valetaille de province. C'est du cinéma de papa, bien sûr, mais qu'est ce que c'est bien ! DVD

Tout ce qui brille (Géraldine Nakache & Hervé Mimran, 2010) ***
Ce petit film, sans doute basé sur un vécu personnel de sa scénariste/réalisatrice/actrice, dresse un portrait sensible de l'amitié entre deux filles de banlieue qui rêvent d'une autre vie. Porté par la vitalité de ses deux interprètes principales, c'est fin, drôle et touchant. Une très bonne surprise dont le succès public est justifié. DVD

Saved! (Brian Dannelly, 2004) *
L'originalité de ce high-school movie est d'être situé dans un collège chrétien intégriste. Les élèves minoritaires (une jeune fille enceinte, un gay, une juive, un paralysé - on entrevoit même un nain -) s'y serrent les coudes pour affronter la majorité des Born Again. Cela reste au final une comédie prévisible sur l'altérité et la tolérance. DVD

The bad lieutenant: Port of call - New Orleans (Werner Herzog, 2009) **
Un faux remake tragi-comique du film de Ferrera réalisé par Herzog entre deux documentaires. Cage y est au sommet en flic drogué et sans ethique (mais avec un coeur d'artichaut) et le décor de La Nouvelle Orléans post-Katrina, alligators et iguanes compris, convient à merveille aux personnages abîmés dans leurs corps et âmes. DVD

Lourdes (Jessica Hausner, 2009) ***
Subtilement ironique mais jamais moqueur, ce beau film sur un groupe de pèlerins de Lourdes confronté à une guérison - celle de Testud, excellente - est très théâtralisé (la réalisatrice a été assistante de Haneke), visuellement splendide et assez énigmatique dans son message. Chaque spectateur en aura sa propre interprétation. DVD