1 mai 2011

L'Encinéclopédie de Paul Vecchiali


Je suis en train de lire en ce moment - ou de m'y promener plutôt car ce n'est pas le genre d'ouvrage qu'on lit du début à la fin mais dont on parcours les entrées au gré du hasard, d'un nom, d'un titre ou d'une association libre - la formidable "Encinéclopédie" en deux tomes de Paul Vecchiali, publiée en décembre 2010 par Les Editions de l'Oeil.

Paul Vecchiali (né en 1930), le réalisateur - entre autres de plus de 40 titres - des splendides "L'étrangleur" (1972), "Femmes, Femmes" (1974), "Corps à coeur" (1979), "En haut des marches" (1983), "Rosa la rose, fille publique" (1986) et plus récemment de films en numérique sur des thèmes liés à l'homosexualité et/ou au sida, s'est lancé il y a une dizaine d'années, l'argent lui manquant pour continuer à réaliser des films comme il l'aurait voulu, dans une redécouverte en tant que spectateur du patrimoine cinématographique de fiction français des années 30, sa décennie de naissance.


L'idée de Vecchiali n'était pas de revoir les chefs-d'oeuvre indiscutés de la période 1930-1939 mais d'aborder de façon encyclopédique l'entière production française des années 30, âge d'or de films sublimes et de navets insondables. La tâche était colossale et je ne sais pas comment il a réussi à mettre la main et l'oeil sur tous les films dont il parle dans son livre mais il l'a menée à bout (dans la mesure du possible et de la survie physique des films de l'époque) : "L'Encinéclopédie", qui rouvre un chapitre essentiel de l'histoire du cinéma français, est un ouvrage désormais incontournable (horrible poncif d'adjectif !) sur le sujet et un enthousiasmant voyage proposé au lecteur cinéphile.

"L'Encinéclopédie" est sous-titrée "Cinéastes "français" des années 1930 et leur oeuvre" : "français" (entre guillemets) ne signifie pas que les cinéastes sont de nationalité française uniquement - quelques uns sont étrangers comme Dreyer, Genina, Lang, Siodmak, Wilder et d'autres - mais qu'ils ont travaillé à un moment donné, les années 30, dans le cinéma français. L'ouvrage est donc un panorama quasi-exhaustif de la production française des années 30. Comme il estimait - à juste titre - que stopper l'étude des films des cinéastes mentionnés à cette décennie aurait limité la portée de l'ouvrage, Vecchiali a décidé de prolonger l'étude de leurs carrières à leurs productions ultérieures, des années 40, 50, 60, 70, voire 80 pour certains (ainsi la section consacrée à Jean Delannoy commence avec "Paris-Deauville" de 1933 pour s'arrêter avec "La passion de Bernadette" de 1989).


Le jeu de mot "Encinéclopédie" indique en outre que l'ouvrage n'est pas d'obédience universitaire mais littéraire et que Vecchiali s'autorise à dire ce qu'il veut sur ce qu'il veut : il s'agit du regard totalement subjectif d'un cinéaste-cinéphile sur une armée de réalisateurs et une myriade de films. Et les caresses de l'auteur sont souvent aussi surprenantes que ses griffures. C'est aussi ce qui fait l'intérêt de "L'Encinéclopédie" : le lecteur n'y trouvera pas de langue de bois ni de contorsions diplomatiques et même si l'on n'est pas d'accord avec lui, sa passion à défendre ou descendre tel réalisateur ou tel film est communicative mais sans être contagieuse. C'est pourquoi j'aime lire Vecchiali quand il déboulonne Clouzot (que personnellement j'adore), un peu comme j'aime lire Lourcelles quand il dézingue Rohmer (Lourcelles à qui Vecchiali me fait d'ailleurs plus d'une fois penser à la lecture).


Vecchiali aime plus tous autres Grémillon, Ophuls et Duvivier - là je le rejoins - et n'aime pas du tout Renoir, Guitry ni Clouzot, qu'il taxe de truqueurs et de démagogues. C'est bien son droit de le penser et de l'écrire même si La Cinémathèque Française et Actes Sud ne sont pas de cet avis (mais, à 80 ans, Vecchiali s'en fout) : dans une très intéressante interview qu'on peut trouver sur YouTube, il dit clairement qu'Actes Sud devait au départ éditer l'ouvrage mais que, ayant écrit à la fin de celui-ci qu'il "déteste cordialement... presque tout Kubrick et notamment 2001, l'odyssée de l'espace", il a reçu un coup de fil de Tavernier qui lui a dit "qu'on ne peut pas critiquer Kubrick" et que, Vecchiali campant sur sa position et son droit à la libre parole, Actes Sud s'est retiré du projet, qui est ensuite retombé dans les mains d'un petit éditeur, Les Editions de l'Oeil.

"L'Encinéclopédie" est d'une lecture qui ne cesse d'enthousiasmer : qu'on soit d'accord ou pas avec Vecchiali, ses avis argumentés sur les centaines de films qu'il mentionne donnent une envie irrésistible de découvrir ou de revoir tout un patrimoine qui n'est pas encore vraiment sorti du Purgatoire, pour une grande partie tout au moins : le cinéma français des années 30 (et parfois des décennies suivantes), dans ce qu'il a de meilleur et de pire. Je commence personnellement par le meilleur : grâce à Vecchiali pour ses indications éclairées et grâce à René Château, Studio Canal ou SNC pour leurs précieuses éditions DVD, j'ai récemment eu envie de revoir et j'ai revu avec un immense plaisir "Pépé le Moko" (Duvivier, 1936) et surtout "Gueule d'amour" (Grémillon, 1937) - "un des plus beaux films du monde et un des plus importants, le doute n'est pas permis" dixit Vecchiali - et j'ai découvert le merveilleux "Le rosier de Mme Husson" (Bernard-Deschamps, 1932), que je n'aurais jamais eu l'idée ni l'envie de voir sans la notice que Vecchiali lui a consacrée dans son ouvrage. Et ce n'est qu'un début. Combien d'autres chefs-d'oeuvre (pour reprendre un terme que Vecchiali affectionne) vais-je maintenant (re)découvrir ? Je m'en lèche par avance les babines.


"L'Encinéclopédie" est constituée de deux tomes : le tome I va de Marcel Achard à Alexander Korda (880 pages), le tome II va de Harry Lachman à Friedrich Zelnick (738 pages) + 1 Addendum (125 pages, cf. les commentaires ci-dessous). Il n'y a aucune illustration, il s'agit de texte seul. A 40 Euros le tome, le prix total (80 Euros) rebute mais les heures de lecture que l'ouvrage offre (et le travail impressionnant qu'il a de toute évidence exigé) peuvent le justifier et en font une acquisition à mon avis indispensable pour les cinéphiles qui ont un faible ou une curiosité pour "les cinéastes "français" des années 1930 et leur oeuvre".

Chapeau et bravo, M. Vecchiali ! Et merci.

6 commentaires:

  1. J'avais lu que certains volumes imprimés l'étaient avec des pages manquantes, as-tu ce problème ? Il s'agit du volume 1, les réalisateurs entre Berheim et Bussi (manquent Berthomieu, Bunuel).
    http://www.dvdclassik.com/forum/viewtopic.php?f=8&t=31724&p=2017044&hilit=vecchiali#p2017044

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  2. Oui, en effet, j'avais pris connaissance de ce malheureux défaut d'impression avant d'acheter le Tome 1 et j'ai attendu l'Addendum. Car en librairie, ce tome est maintenant vendu avec un Addendum (non facturé) de 125 pages qui reprend les pages manquantes. A la prochaine rééimpression, les pages manquantes devraient être réintégrées au bouquin. Et la première édition deviendra un collector... :)

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  3. tout cela donne furieusement envie de se précipiter à la Fnac à mon prochain passage à Paris!!

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  4. on en a déjà pas mal discuté.
    je trouve pour ma part que, passé l'inévitable appariement de deux auteurs de "dictionnaires subjectif de cinéma", Lourcelles et Vecchiali sont des critiques assez opposés.
    D'abord en terme de style: il y a chez Lourcelles un souci de clarté et même de pédagogie y compris quand les opinions sont très tranchées. Vecchiali n'est pas aussi rigoureux mais plus passionné.
    Ensuite en terme de goût, c'est le jour et la nuit tant Vecchiali me semble rejeter toute forme de classicisme (ce qu'il dit de Becker dans l'interview que tu mentionnes me semble tout à fait emblématique du bonhomme) pour priser les éléments anticonformistes d'un film. Lourcelles, lui, est plus attaché à l'équilibre de l'ensemble.

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  5. Oui, c'est très juste Christophe, Lourcelles est un cinéphile-critique, Vecchiali un cinéphile-réalisateur. L'un prend du recul, l'autre n'en prend pas.

    Charlus, pas la peine d'attendre Paris et la Fnac, commande-le sur Internet.

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  6. je sais TP, mais d'une, je vais asez souvent à Paris, et de deux, j'adore trainer à la Fnac

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