19 juillet 2011

Permanent Berliners


Comment passer à Berlin (enfin, comment pouvais-je passer à Berlin ?) sans aller quelques instants sur la tombe de l'une de ses plus célèbres enfants ? Aujourd'hui, j'ai pris l'U-Bahn U9 jusqu'à la station "Bundesplatz" (à quelques stations au sud de "Zoologischer Garten") pour me rendre au petit cimetière du quartier de Schöneberg qui abrite depuis 1992 la dernière demeure de Marlene Dietrich.

Le plan affiché à l'entrée indique l'emplacement des tombes des personnalités et j'ai pu trouver la sienne sans difficulté dans l'enclos verdoyant. J'ai également découvert sur ce plan que la mère de Marlene, Josephine von Losch (1875-1945) est aussi enterrée dans ce cimetière, ce qui explique sans doute pourquoi Marlene a choisi ce lieu pour elle-même (mais la mère et la fille ne partagent pas la même tombe, assez éloignées l'une de l'autre sur le site), hormis le fait qu'elle était aussi née dans le quartier de Schöneberg. Histoire de finalement boucler la boucle d'une vie de constante expatriée.


Sur la stèle de granit qui identifie l'emplacement sont gravés les mots tirés du sonnet "Abschied vom Leben" ("Adieu à la vie") du jeune poète et soldat Theodor Körner (1791-1813), "Hier steh ich an der Marken meiner Tage" dont le sens - assez cryptique - est "Me voilà à la frontière de mes jours" (mais dont Maria Riva, la fille de Marlene a révélé qu'ils signifiaient pour sa mère quelque chose comme "Je repose ici comme preuve de mon existence" - sic - mais Maria Riva n'a-t-elle pas l'habitude de dire n'importe quoi ?). A propos, voici ci-dessous un portrait de ce fringant Theodor dont j'ignorais tout jusqu'à la rédaction de ce billet.


Et sous ces quelques mots, simplement "Marlene 1901-1992". Marie Magdalene Dietrich dort de son dernier sommeil sous le prénom de scène qu'elle s'était - génialement - elle-même créé. Seule reste la caresse, le coup de cravache est superflu.

Si vous passez par là, regardez à côté : la troisième tombe sur la gauche de Marlene est celle du photographe Helmut Newton (1920-2004) qui a voulu que son épouse dépose ses cendres près de la sépulture de l'une des femmes les plus photographiées du XXe siècle et dont il était obsédé. Cet homme à femmes a donc pu approcher dans une dernière pirouette la star qu'il n'aura jamais réussi à photographier malgré son insistance (le seul et célèbre portrait qu'il fit de Marlene a été - par dépit ? - celle d'une poupée Marlene, lors d'une séance photo à Hollywood en 1983).


Voilà, j'ai donc rendu mon hommage à la plus célèbre citoyenne d'honneur de Berlin. Quatre autres visiteurs sont passés aussi pendant que j'y étais. Pour le reste, ce n'était que vent dans les arbres et gazouillements d'oiseaux dans ce petit coin de verdure de Schöneberg. Tant que je suis en ville, j'avais aussi envie d'aller payer mon tribut à Murnau et à Hildegard Knef mais j'ai vu que leurs adresses permanentes sont un peu éloignées de mes quartiers. Alors bon...

Marlene Dietrich par Helmut Newton, 1983

Nastassja Kinski, James Toback et la poupée Marlene par Helmut Newton, 1983

16 juillet 2011

The Great Dictator, Berlin


Ce soir, j'ai connu une de mes plus grandes émotions de cinéphile (la plus grande peut-être après celle de la découverte du "Livre de la Jungle" de Disney en salle, mon premier film) avec la projection en plein-air, devant la Porte de Brandebourg à Berlin, du "Dictateur" de Chaplin. Des milliers de personnes étaient là comme moi pour assister avec cette projection au lancement de la rétrospective complète des films de Charles Chaplin, organisée par le cinéma berlinois Babylon à l'occasion du 80e anniversaire de la venue triomphale de Chaplin à Berlin en 1931.


Geraldine Chaplin, radieuse, est venue dire quelques mots d'ouverture (qu'elle était fière que sont père ait osé élever la voix avec son film au moment de la période la plus terrible de l'Histoire) et Volker Schlöndorff a rapidement présenté le film avant que la projection ne commence. Pendant deux heures, on a beaucoup ri bien sûr et on a aussi été très émus par l'incroyable film de Chaplin, un chef-d'oeuvre que je n'avais pas vu depuis au moins vingt ans et qu'il m'a semblé soudain redécouvrir, génial et intemporel.

Plusieurs fois, le public a spontanément applaudi au cours du film (la scène du rasage du client, la scène des pièces dans les gâteaux...) et bien sûr, à la fin du discours final de Chaplin, toujours aussi stupéfiant de courage et de clairvoyance et qui, pour des raisons différentes d'alors, entre étrangement en résonance avec le monde d'aujourd'hui, soixante-dix ans plus tard. Dès que le mot "The End" est apparu sur le beau visage de Paulette Godard, toute la Pariser Platz a résonné de longs applaudissements alors que le public se levait pour une standing ovation bien méritée au film, à Chaplin et aux organisateurs de la projection.


Je n'aurais imaginé voir un jour "Le Dictateur" à Berlin, devant la Porte de Brandebourg et au milieu d'une foule conquise à nouveau par le formidable audace d'un film de 1940. En étant sur place ce soir pour cette troublante et inoubliable projection, je me disais que c'était bien là qu'il fallait le voir, sur cette place urbaine si chargée d'histoire, et que le cinéma, parce qu'il peut nous transporter dans le temps comme aucun autre, est un art vraiment magique.

La foule quittant la Pariser Platz à la fin de la projection

15 juillet 2011

Filmmuseum, Berlin

Je n'avais jamais visité le Filmmuseum de Berlin, situé dans le complexe du Sony Center sur la Potsdamer Platz, rebuté par la froideur hyper-touristique du bâtiment et de ses environs. Finalement, aujourd'hui, le temps gris sur la ville m'y a poussé et je ne l'ai vraiment pas regretté. Sur trois étages, c'est toute l'histoire du cinéma allemand qui est synthétiquement mais judicieusement présentée avec d'intéressantes sections sur la période muette, Marlene et ses souvenirs personnels (malles, costumes, courriers...), le cinéma sous Goebbels et le renouveau de l'après-guerre jusqu'à aujourd'hui.


Le musée s'adresse au grand public et la muséographie utilise au mieux l'espace assez réduit en proposant quelques salles spectaculaires, comme ce passage dans la route aux miroirs qui nous plonge tout de site dans le bain.


Parmi les très nombreux objets exposés, j'ai été touché de voir (entre autres) la carte postale originale sur laquelle Jannings souffle dans "L'ange bleu" et le masque mortuaire de Murnau, qui a longtemps appartenu à Garbo. C'est une visite passionnante, jalonnée par des extraits des plus grands films du cinéma allemand. Et on n'est pas dérangé pas les autres visiteurs, rares et eux aussi admiratifs devant les trésors assemblés par la Cinémathèque Allemande. Dans les prochains jours, j'irai à Babelsberg, faire le tour des studios.

3 juillet 2011

Films vus par moi(s) : juillet 2011


*** excellent / ** bon / * moyen / 0 mauvais

Kubanskie Kazaki / The Cossacks of Kuban / Les Cosaques du Kouban (Ivan Pyryev, 1949) ***
Encadré par deux séquences d'un lyrisme irrésistible, ce musical stalinien qui connut un immense succès à sa sortie raconte en Magicolor les destins amoureux de deux couples dans un kolkhoze lors d'une fête des moissons. La propagande soviétique se déploie sur un ton bon-enfant au rythme des moissonneuses-batteuses. Un chef-d'oeuvre du genre. Streaming Mosfilm

Chingachgook, die Grosse Schlange / Chingachgook, le Grand-Serpent (Richard Groschopp, 1967) *
Cet ostern (western des ex-pays de l'Est, ici la RDA) de routine, avec ses paysages de sapins et ses allemands grimés en indiens, n'est pas avare de scènes ridicules (les dances) mais se délecte de la plastique parfaite de son héros, la star de l'Est Gojko Mitic. C'est une curiosité d'un autre temps qui est, à ce titre, plutôt intéressante. DVD Z2 Allem

Occupe-toi d'Amélie ! (Claude Autant-Lra, 1949) ***
Un vent de folie délirante souffle sur cette libre adaptation de Feydeau par Aurenche et Bost où la caméra se balade entre la salle, la scène et l'écran pour suivre les personnages (Darrieux et ses partenaires, tous magnifiques) en constante surexcitation. Une réjouisssante prouesse visuelle et rythmique d'une étonnante audace formelle. DVD Z2 Fr

Unknown / Sans identité (Jaume Collet-Serra, 2011) *
Neeson porte sur ses épaules (comme dans "Taken", 2008), ce thriller alambiqué et de série dont la plus grande originalité est de se passer à Berlin en hiver. Il y a du suspense, des poursuites, des tueurs et des twists à en faire craquer les jointures. C'est du pur film de distraction, bien fichu et très regardable, mais qui s'oublie aussitôt vu. DVD Z2 UK

Anonyma - Eine Frau in Berlin / Une femme à Berlin (Max Färberböck, 2008) **
Cette adaptation du livre à succès homonyme raconte sans jugement ni sensationnalisme le sort des berlinoises lors de l'entrée des troupes soviétiques dans la ville au printemps 1945. L'atmosphère de peur et de confusion est bien rendue à travers les jours d'un immeuble où les viols et les petits arrangements avec les soldats sont le lot quotidien. DVD Z2 UK

Catene / Le mensonge d'une mère / Chains (Raffaello Matarazzo, 1949) **
La sensualité dévote de l'actrice Yvonne Sanson irradie ce premier mélo de Matarazzo sur les tourments d'une épouse et mère napolitaine confrontée à la réapparition d'un ex-amant. Le langage du mélodrame conjugué à une esthétique quasi néo-réaliste offre un cocktail improbable et pourtant efficace, qui emballa l'Italie d'alors. Une belle redécouverte. DVD Z1

Suspiria (Dario Argento, 1977) 0
Un scénario digne d'une série Z, une esthétique de train fantôme (ou de bordel) Seventies, des éclairages systématiquement rouge, bleu ou vert, des effets très cheap, une musique bruyante racoleuse et des actrices médiocres (sauf Valli et Bennett, deux vieilles de la vieille) : le culte dont ce film assez ringard et son réalisateur semblent faire l'objet m'atterre. DVD Z2 Fr

Männer, Helden, schwulen Nazis / Des hommes, des héros, des Nazis gays (Rosa von Praunheim, 2005) **
Rosa von Praunheim, le cinéaste activiste queer depuis le début des années 70, s'attaque au sujet des homos dans le milieu Nazi d'hier et néo-Nazi allemand d'aujourd'hui : un sujet intéressant mais qui ici manque de point de vue et reste documentaire, sans plus. On ne retrouve pas la vision subversive du réalisateur, qui semble s'être assagi avec le temps. DVD Z2 Allem

Last of the Dogmen / Le dernier Cheyenne (Tab Murphy, 1995) 0
Une belle idée (un chasseur de primes et une ethnologue découvrent une tribu indienne qui a survécu isolée dans la forêt du Montana) et de magnifiques paysages sont massacrés par un scénario inepte truffé de bons sentiments et une musique au lyrisme ridicule. Ou alors il faut le voir comme un film pour enfants (son auteur écrit souvent pour Disney). DVD Z2 UK

The mortal storm / La tempête qui tue (Frank Borzage, 1940) ***
L'un des meilleurs films anti-Nazis produits par Hollywood (MGM), cette chronique de la désintégration d'une famille des Alpes bavaroises en 1933 bénéficie d'un scénario sans détours ni sentimentalisme, d'un excellent casting (notamment Sullavan et Morgan) et de la subtile mélancolie de Borzage. Tout l'art de studio au service de l'urgence politique. Warner Archive DVD

Der Kongress tanzt / Le Congrès s'amuse (Erik Charell, 1931) **
Ce premier grand succès du cinéma allemand parlant allie avec bonheur légèreté d'opérette à virtuosité technique (la caméra hyper-mobile offre de splendides travellings) et Harvey est charmante en jeune ouvrière qui tombe amoureuse du Tsar lors du Congrès de Vienne en 1814-1815. Et si les chansons sont entêtantes à souhait, la fin est étonnamment amère. DVD Z2 Allem

Le nouveau testament (Sacha Guitry, 1936) ***
L'esprit du boulevard plane sur cette adaptation par Guitry de sa pièce de 1934 car c'est du boulevard de haut-vol, où un testament trouvé dans une veste égarée délie les langues autour des cocufiages en série de deux couples amis. Les dialogues brillants et culottés sont intarissables à en donner le tournis : il faut aimer mais si on aime, comme moi, on jubile. DVD Z2 Fr

The Great Dictator / Le Dictacteur (Charles Chaplin, 1940) ***
Soixante-dix ans n'ont pas entamé le génie et le courage de ce film. Irrésistible de drôlerie et stupéfiant de clairvoyance, il enchaîne les morceaux de bravoure pour culminer dans le discours final de Chaplin, un appel à la raison et à la résistance toujours d'actualité. Le voir à Berlin, devant la Porte de Brandebourg, a été une expérience inoubliable. Ciné Plein-air

Tarzan the Magnificent / Tarzan le Magnifique (Robert Day, 1960) **
Scott incarna Tarzan une dernière fois (juste après l'excellent "Tarzan's greatest adventure") dans cette poursuite dans la brousse où cette fois, c'est lui, cinq compagnons et un prisonnier qui sont pourchassés. Le scénario est basique mais efficace, l'Afrique fait un beau décor et Scott, dans le genre naturel, a toujours autant de charisme. Warner Archive DVD

Ich war neunzehn / J'avais 19 ans / I was nineteen (Konrad Wolf, 1968) ***
Un allemand élevé à Moscou approche de Berlin avec l'Armée Rouge en 1945, pendant et juste après la chute du Reich. Basé sur les souvenirs du réalisateur, ce passionnant film DEFA (studios de la RDA), au style photojournalistique, montre un aspect peu vu de la guerre : sa fin, vue du côté russe. Intimiste et sans artifice, il dégage une vraie tristesse. DVD Z1

La corona di ferro / La couronne de fer (Alessandro Blasetti, 1941) ***
Entrepris pour célébrer l'alliance italo-allemande, cet hybride d'aventures médiévales, de comédie et d'heroic fantasy puise dans les contes et légendes germaniques et propose un merveilleux spectacle populaire de décors en studio et de costumes. Le rythme est soutenu, le héros bondissant (un jeune Girotti) et la naïveté de l'ensemble irrésistible. Internet

Tournée (Mathieu Amalric, 2010) *
En errant entre deux histoires (celle des filles américaines de la tournée Neo-Burlesque en France et celle de leur manager), le film laisse le spectateur sur la route, réchauffé par de beaux moments et refroidi par l'ensemble. C'était sans doute le souhait d'Amalric et dans ce cas ça marche mais j'ai regretté de n'être pas plus impliqué que ça. DVD Z2 Fr

Monsieur Vincent (Maurice Cloche, 1947) ***
Ce grand succès de l'après-guerre raconte sans sentimentalisme aucun le parcours de Saint Vincent de Paul au service des pauvres sous Louis XIII. Fresnay y est remarquable, comme la photo N&B et l'austérité parfaitement adaptée des dialogues d'Anouilh et de la réalisation. Un classique indémodable du film d'histoire biographique. VHS

La classe américaine (Michel Hazanavicius & Dominique Mézerette, 1993) ***
Une prouesse d'écriture, de montage et de doublage qui utilise des dizaines d'extraits de films Warner en les détournant pour composer un absurde et hilarant pastiche. Hoffman et Redford y enquêtent sur la mort de Wayne et croisent Stewart, Gable, Welles, Presley, Lancaster, Dickinson, Bacall et plein d'autres. Culte, absolument. Internet

Martin Roumagnac (Georges Lacombe, 1946) ***
Une marchande d'oiseaux d'une petite ville de province enflamme les sens d'un rustaud romantique. Dietrich étant la marchande, filmée et pomponnée comme une vamp hollywoodienne, et Gabin le rustaud, on a un irrésistible mélodrame high-camp, une rareté dans la production française. Tout cela n'est pas sérieux mais qu'est ce que c'est bien ! DVD Z2 Fr

The great white silence (Herbert Ponting, 1924) ***
Avec ses prises orginales de 1910-1912 et des inserts créés dix ans plus tard, Ponting réalisa ce film documentaire sur la course tragique du Capitaine Scott au Pôle Sud. Les images de l'équipe dans les glaces antarctiques et l'héroïsation de l'explorateur en assurèrent le triomphe. Un document historique splendidement restauré par le BFI. DVD Z2 UK

Confessions of a Nazi spy / Les aveux d'un espion Nazi (Anatole Litvak, 1939) ***
D'après des faits réels, le démantelement par le FBI d'un réseau d'espionnage Nazi sur le sol des USA fut le sujet de ce tout premier film hollywoodien à charge contre le régime d'Hitler. Le savoir-faire Warner lui donne la dynamique d'un thriller et la sécheresse d'un avertissement au public. Du cinéma de propagande passionnant. Warner Archive DVD