17 janvier 2013

The Paradise Lost Trilogy (Joe Berlinger & Bruce Sinofsky, 1996-2012)



En 1993, trois garçons de huit ans furent retrouvés morts au bord d’un ruisseau d’un petit bois de West Memphis, Arkansas. Quelques jours plus tard, trois adolescents du coin furent arrêtés, soupçonnés d’être les meurtriers. En 1994, ils furent jugés et condamnés : deux à la prison à vie, le troisième, considéré comme le chef de bande, à la peine de mort.


En 2011, après avoir passé plus de dix-huit ans en prison, les trois condamnés furent libérés après une réouverture de l’enquête et la divulgation de nouveaux éléments (dont des tests ADN et d'autres expertises de médecins légistes) dûes en grande partie à la longue mobilisation de groupes d’activistes et de personnalités et à la réalisation pour HBO de deux documentaires sur l’affaire par Joe Berlinger et Bruce Sinofsky : « Paradise Lost : The Child Murders at Robin Hood Hills » (1996) et « Paradise Lost 2 : Revelations » (2000). Libérés mais pas innocentés (alors que les indices semblent montrer leur innocence) puisqu’ils ont seulement pu sortir de prison après avoir reconnu devant le juge leur culpabilité dans les meurtres tout en niant leur implication dans ceux-ci (exploitant une spécificité du système judiciaire US connue sous le nom de « Alford Plea »).

Au moment de la réouverture de l’enquête, Berlinger et Sinofsky étaient en train de tourner la troisième partie de leur documentaire fleuve : « Paradise Lost 3 : Purgatory » qui est sortie sur HBO en janvier 2012, quelques mois après la libération des trois prisonniers. En orientant les regards vers le coupable probable, un proche d'une des victimes et lui-même témoin au cours des trois films...


Jessie Misskelley (né en 1975) - Damien Echols (né en 1974) - Jason Baldwin (né en 1977)

Les documentaires « Paradise Lost » forment une trilogie unique dans l’histoire du documentaire judiciaire : le spectateur y suit non seulement une enquête criminelle d’une extrême complexité sur une durée de quinze ans mais assiste aux coups de théâtre qui la jalonnent (eux-mêmes provoqués pour la plupart par l’effet de ces films sur le public, les activistes et les médias). Témoins, policiers, magistrats, journalistes, personnalités et anonymes ainsi que les familles et proches directement concernés des trois victimes et des trois détenus témoignent et évoluent dans le temps dans leur rapport personnel et collectif à l’affaire. Et plus puissants que tous ces témoignages, il y a les nombreux moments passés en prison avec les condamnés, entrés en cellule aux environ de 18 ans et qui n’en sont sortis, transformés en profondeur, qu’à l’approche de la quarantaine.


Le film montre entre autres les rouages du système judiciaire américain avec ses particularités effarantes, la toute-puissance des juges et des experts, l’effet de meute de l’opinion publique (qui fut persuadée pendant longtemps de la culpabilité des trois adolescents sur la seule base qu’ils s’habillaient en noir et écoutaient Metallica, donc étaient Satanistes et que l'arrogant détachement de Damien Echols lors de son arrestation lui était insupportable), le lobbying des associations et des groupes activistes sur Internet, les dysfonctionnements de la police, l’atmosphère étouffante de la société de la banlieue déshéritée de West Memphis et les capacités de survie et de résilience de certains individus dans les pires conditions physiques et psychologiques.

L’affaire des WM3 (« West Memphis Three »), acronyme sous lequel ceux qui l’ont suivi depuis toutes ces années la connaissent, est une histoire criminelle passionnante mais aussi une aventure humaine extraordinaire qui nous interroge sur les notions universelles du Bien et du Mal, de la Vérité et de l’Erreur, de l’Individu et de la Collectivité. C’est aussi une histoire d’amitié chaotique entre trois jeunes hommes pris au piège d’une machine infernale et une histoire d’amour entre l’un d’entre eux (Damien Echols) et de la femme qu’il épousa depuis le Couloir de la Mort, quelques années après qu’elle ait vu le premier documentaire de 1996 et soit entrée en correspondance avec le condamné.


Au-delà de l’histoire et de l’aventure, la trilogie « Paradise Lost » interroge aussi (et ce n’est pas l’aspect le moins dérangeant de l’expérience) le spectateur sur les risques d’orientation faussée de sa propre opinion, comme par exemple avec ce personnage secondaire des films dont le comportement étrange, dans les épisodes 1 et 2, nous le font soupçonner d’être le véritable coupable avant qu’il effectue un revirement dans l’épisode 3 qui nous le fait alors considérer d’une toute autre façon.


L’affaire des West Memphis Three a mobilisé pendant de longues années de très nombreux anonymes et un certain nombre de personnalités dont Johnny Depp, Marilyn Manson, Natalie Maines (des Dixie Chicks), Eddie Veder (de Pearl Jam) et les membres de Metallica (qui ont donné gracieusement des titres pour la B.O. des documentaires), Peter Jackson et Fran Welsh (qui ont produit un autre documentaire sur l’affaire : « West of Memphis » de Amy Berg, 2012)… Atom Egoyan vient de tourner un film sur l’affaire avec Colin Firth et Reese Whiterspoon : « Devil’s Knot », qui sortira en 2013.


La trilogie « Paradise Lost » est un monument du genre documentaire, par la magnitude de la durée qu’il couvre (plus de quinze ans) et par les questionnements qu’il soulève sur des thèmes universels qui entrent forcément en résonance avec chacun de ses spectateurs. C'est aussi une oeuvre engagée comme rarement un documentaire peut l'être dans une histoire criminelle puisque les films ne l'ont pas seulement documentée mais aussi orientée jusqu'à provoquer le dénouement de l'affaire (tout au moins pour ce qui est des trois ex-condamnés puisque le véritable coupable des crimes de 1993 court toujours).


Après avoir vu les trois films (en DVD Z1 US), j’ai voulu en savoir plus sur cette histoire hors-norme et j’ai appris que le charismatique Damien Nichols, le « chef de groupe » et seul condamné à mort des trois garçons, avait publié un livre sur sa vie jusqu’à son arrestation et son expérience de dix-huit ans dans les prisons d’Arkansas et dans le Couloir de la Mort à partir des journaux qu’il écrivait en cellule. Sous le titre extraordinaire et pourtant évident de « Life after Death », le livre est sorti chez Blue Rider Press en 2012. C’est un document terrible et bouleversant. Un splendide travail d’écriture. Un des plus grands livres que j’ai lus, de récente mémoire.

2 commentaires:

  1. Je n'avais JAMAIS entendu parler de cette affaire !! Ces documents existent-ils en français ou du moins sous-titrés ?

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  2. Pour les DVDs US : le double DVD "Paradise Lost / Paradise Lost 2" (paru chez WarpFilms) a des sous-titres français. En revanche, ni le DVD "Paradise Lost 3" ni le coffert "Paradise Lost Trilogy" (parus chez Docurama) n'en ont.

    Le livre de Damien Echols n'a pas été traduit en français.

    La sortie prochaine du doc produit par Peter Jackson et du film d'Egoyan devraient provoquer une littérature en français sur le sujet, peut-être l asortie des documentaires en France et une traduction du livre d'Echols?

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