30 mars 2013

The Tantrum

Tout se recycle et se repète : le très médiatique "Harlem Shake" par exemple. Il a fait son apparition il y a quelques semaines sur YouTube depuis une chambre d'étudiant US pour s'étendre des campus du monde entier jusqu'aux protestations des rues arabes. Il semble descendre en droite ligne du "Tantrum", cette danse épileptique dont l'exploitation commerciale par un agent flamboyant est le sujet du film décérébré mais très fun "The cool ones" (Gene Nelson, 1967). Vous, je ne sais pas, mais moi j'adore.

17 mars 2013

Moscow Memories

Une semaine à Moscou et je ne pouvais pas ne pas aller voir de près le monumental groupe statuaire "L'ouvrier et la kholkhozienne" ni la tombe d'Eisenstein. J'y suis allé le même jour, hier.


L'immense statue d'acier de la sculptrice Vera Mukhina (1989-1953), créée pour l'Exposition Universelle de Paris 1937, a fait l'objet d'une restauration complète récente est a été réinstallée en 2009 sur une base qui reprend les dimensions du pavillon soviétique de 1937. Elle est située à trois cents mètres à droite de l'entrée du Centre Panrusse des Expositions (métro : VDNKh) et domine le quartier de son stupéfiant dynamisme. Les studios Mosfilm l'ont adoptée comme logo depuis 1947 et la voir de près évoque une grande partie de l'histoire du cinéma russe et soviétique depuis plus de soixante-cinq ans.




La tombe de Serguei Eisenstein (1898-1948) est au cimetière de Novodevitchi, légèrement au sud-ouest du centre de Moscou (métro : Sportivnaya). Ce cimetière, le plus célèbre de toute la Russie, est depuis le milieu du XIXe siècle un véritable Panthéon national où chaque tombe est celle d'une personnalité politique, militaire, scientifique ou artistique. De Tchekhov à Elstine, ils sont presque tous là. Vera Mukhina aussi d'ailleurs. La neige recouvrait le parc et le nom d'Eisenstein : un plan m'a aidé à trouver la tombe de granit noir sur laquelle figure son profil reconnaissable.


En me promenant dans les allées, je suis tombé par hasard sur le nom de Klara Luchko (1925-2005), cette actrice au visage radieux qui m'avait tant impressionné dans "Les Cosaques du Kouban" (1949). Je ne l'ai vue que dans ce film - l'un de mes préférés - et découvrir sa tombe au gré de cette promenade m'a ému.



7 mars 2013

Heroes of mine : Christine





Christine Pascal (1953-1996)

3 mars 2013

Films vus par moi(s) : mars 2013


*** excellent / ** bon / * moyen / 0 mauvais

Zéro de conduite (Jean Vigo, 1933) ***
"Monsieur le Professeur, je vous dis Merde!". Ces quelques mots, jetés en salle de cours par un élève au visage du proviseur nain, résument à eux seuls tout le propos de ce film drôle, impertinent et poétique dont chaque révision révèle l'inaltérable fraîcheur. En 40', Vigo réussit à retranscrire l'insoumission naturelle de l'enfance tout en moquant les  codes étriqués de la société des adultes. Du cinéma qui court libre, à bride abattue. DVD Z2 Fr

Les Misérables (Jean-Paul Le Chanois, 1958) 0
On s'ennuie devant cette adaptation anémiée du roman de Hugo ! Pourtant toutes les scènes qu'on attend y sont mais empesées par une réalisation à la truelle et une voix off qui explique ce qu'on voit sur un ton déclamatoire. Les images en Technicolor sont belles, comme des illustrations, et Gabin aurait pu faire un Valjean idéal mais le film manque de souffle épique et se ratatine sur lui-même. Un cadeau par contre : Sylvia Monfort en Eponine. BR US

Lone star (John Sayles, 1996) ***
Une petite ville du Texas bordant la frontière mexicaine : un sheriff mélancolique (Chris Cooper) enquête sur des ossements trouvés dans le désert. Un film choral, mélancolique lui aussi, qui parle avec finesse des secrets générationnels et de l'identité US, blanche, noire, hispanique et indienne. Le scénario et la réalisation sont portés par un casting d'une admirable justesse. Une oeuvre brillante qui tutoie les classiques. DVD Z2 FR
  
Die fliegenden Artzen von Ostafrika / Les médecins volants d'Afrique de l'Est (Werner Herzog, 1969) ** & La Soufrière (Werner Herzog, 1976) **
Deux courts documentaires qui, comme toujours chez Herzog, échappent à l'objectivité pour poser un regard intime, subjectif et intrigué, sur les personnages qu'il filme. Comme avec ces guerriers Massaï qui hésitent à monter cinq marches pour accéder à une infirmerie roulante ou ce paysan guadeloupéen qui attend allongé sous son arbre que le volcan explose. La charge poétique y fusionne avec le point de vue ethnographique. DVD Z2 UK

The cool ones (Gene Nelson, 1967) **
Je ne peux décemment pas mettre *** à un film aussi stupide mais son insouciance, le look 60's, les séquences chantées et dansées, le cabotinage de Roddy McDowall en agent artistique colérique et l'unique apparition de Mrs Miller à l'écran en font un plaisir coupable irrésistible. Ca parle d'une wannabe et d'un has been qui essayent de relancer leur carrière pop à Hollywood. Fun et les chansons signées Lee Hazelwood. DVD Z1 US

The Spanish gardener / Le jardinier espagnol (Philip Leacock, 1956) *
Un drame de la jalousie dans une propriété catalane entre un diplomate anglais, son fils de dix ans, le beau jardinier dont celui-ci s'est pris d'amitié (Dirk Bogarde jeune, bruni pour faire espagnol) et un domestique fourbe. La plate réalisation édulcore la charge subversive du roman de A.J. Cronin même si ces luttes entièrement masculines autour d'un gamin blond intriguent tout au long de ce film britannique vraiment curieux. DVD Z2 UK

The quiet man / L'homme tranquille (John Ford, 1952) *
Je n'ai jamais compris l'engouement quasi-général pour cette comédie romantique dont la seule originalité est de se passer dans les merveilleux décors de l'Irlande en Technicolor. Pour le reste, les gesticulations des caricatures qui gravitent autour de John Wayne tapent vite sur le système et on a bien du mal à s'intéresser aux soucis insignifiants des personnages. Un crowd-pleaser de Ford mais l'humour n'est pas son truc. BR US

Elena (Andreï Zviaguintsev, 2011) ***
Par des gestes anodins de la vie quotidienne filmés en plans qui prennent tout leur temps, la drame se noue autour d'une ex-infirmière remariée à un vieil homme riche et confrontée aux besoins de sa première famille à la dérive. La stratification sociale de la Russie actuelle et une lutte des classes qui ne dit pas son nom sont magistralement évoquées dans ce film d'une dureté implacable, tendue par la musique de Philip Glass. BR Fr

Samson and Delilah / Samson et Dalila (Cecil B. DeMille, 1949) ***
Le film dont le succès relança la mode du pepum biblique après-guerre. Hedy Lamarr ne s'économise pas en poses lascives, Georges Sanders et Angela Lansbury apportent leur caution et Victor Mature joue au monolithe comme il savait si bien le faire. Tout ça n'est pas à prendre au sérieux mais entre le Techicolor éclatant, les compositions héritées des chromos et le formidable final, on en a pour son compte en spectacle et en kitsch. DVD Z1 US

Quatre-Vingt-Treize (Albert Capellani, 1914-1921) *** 
Tourné en 1914 (monté en 1919, sorti en 1921), les rares scènes d'intérieur sont encore assez théâtrales mais celles en décors naturels (le village vendéen, la baie du Mont St Michel, la forêt) ont un dynamisme et une pictorialité extraordinaires. En 2h45, cette adaptation de Hugo donne aux personnages principaux (le marquis, son neveu, le prêtre défroqué) le temps de développer leur psychologie, grâce à des acteurs au jeu nuancé. Cinémathèque Française (avec un excellent accompagnement musical par Stephen Horne)

Reds (Warren Beatty, 1981) **
Le journaliste communiste John Reed est le seul américain inhumé au Kremlin. L'histoire de ses dernières années, entre 1914 et 1920, de la bohème de gauche de Greenwich Village à la Révolution Russe, est le propos de ce film unique dans la production US. Le fil rouge est son rapport tumultueux avec sa femme Louise Bryant (Dianne Keaton). Beatty (Reed) est habité par son personnage et son film, très narratif, une vraie curiosité. DVD Z1 US

Gold of the Seven Saints / Les trésor des Sept Collines (Gordon Douglas, 1961) *
Un western mineur qui se laisse voir pour la beauté - en N&B - des paysages désertiques de l'Utah et pour le couple improbable formé par le massif et toujours charismatique Clint Walker et le jeune Roger Moore (qui s'essaye à un accent irlandais raté). L'histoire de ces deux types en transit dont les sacs d'or attisent les convoitises est minimale, le rythme du film anémié et la fin balancée mais bon, pour Clint Walker seulement... DVD Z1 US

Skyfall (Sam Mendes, 2012) ***
Le spectaculaire et l'intime s'unissent pour le meilleur dans ce 23e James Bond. De la poursuite à Instanbul à la confrontation finale en Ecosse, la réalisation ne faiblit jamais sur les 2h20 du film. Leurs zones d'ombre donnent à tous les personnages un relief inédit. Seules les motivations du méchant (Javier Bardem, excellent) et deux relâches (la rame de métro vide, les lampes dans la lande) marquent une petite faiblesse. Mais "Skyfall" est un millésime exceptionnel, du niveau de "Goldfinger". BR Fr

2 mars 2013

Albert Capellani, cinéaste du romanesque

Jusqu'il y a encore peu, Albert Capellani (1874-1931) était tombé aux oubliettes de l'histoire du cinéma.  Ce n'est qu'en 2010 et 2011 que le festival "Il Cinema Ritrovato" de Bologne propose à son public une rétrospective en deux parties de l'oeuvre du cinéaste. En 2011, Pathé sort un coffert DVD de 4 de ses films majeurs et de 7 de ses courts. En mars 2013, La Cinémathèque Française montre un cycle de ses films. Le retour à la lumière de ce pionnier du cinéma que fut Albert Cappelani semble définitivement installé. C'est un retour amplement mérité.

Qui était vraiment Albert Capellani ? Les notices biographies éditées jusqu'ici, les rares textes qui parlaient de lui, repris d'éléments fragmentaires et confus, fourmillaient d'erreurs dont les moindres n'étaient pas de faire de lui un ex-membre de la troupe de théâtre d'André Antoine ou de fusionner les moments de sa vie et de sa carrière avec ceux de son propre frère, l'acteur Paul Capellani (1877-1960).


Le livre de Christine Leteux, "Albert Capellani, cinéaste du romanesque", est une addition bienvenue à la courte bibliographie d'Albert Capellani. C'en est même désormais, à la lecture de son ouvrage, basé sur les informations et documents qu'elle a pu retrouver au fil de ses recherches sur l'homme et le cinéaste, la pierre angulaire. L'ouvrage est préfacé par Kevin Brownlow.


Elle y fait revivre Albert Cappelani depuis sa naissance boulevard Beaumarchais à Paris en 1874 jusqu'à sa mort boulevard Péreire en 1931. En racontant (brièvement, les documents sont très fragmentaires sur cette première partie de sa vie) les jeunes années du futur cinéaste, ses débuts professionnels comme employé de banque puis administrateur du Théâtre de l'Alhambra puis, et c'est bien sûr le coeur et la raison d'être du livre, sa carrière cinématographique en France et aux Etats-Unis (où il passa sept années entre 1915 et 1922).

Albert Capellani (1874-1931)

Dans un style concis et dynamique, Christine Leteux tord le cou à des idées reçues et remet les choses à leur place en dressant un portrait personnel et professionnel, non seulement d'Albert Capellani lui-même, mais aussi de l'évolution fulgurante du cinéma dans les quelque quinze ans qui virent s'épanouir sa carrière, entre 1905 et 1922.

Présenté de façon chronologique, s'attardant ici sur les péripéties familiales de l'homme et de ses proches (dont son frère Paul, qui tourna souvent pour lui), là sur les films qui jalonnèrent sa carrière ("Notre-Dame-de-Paris" en 1911, "Les Misérables" en 1912, "Germinal" et "La Glu" en 1913, "La Vie de Bohème" en 1916, "The House of Mirth" en 1918, "Quatre-vingt-treize" en 1914-1921, "The Red Lantern" en 1919), là encore sur l'organisation et l'économie des sociétés de production avec lesquelles le réalisateur travailla des deux côtés de l'Atlantique (Pathé, SACGL, World Film Corporation, Metro, Albert Capellani Productions Inc...), l'ouvrage décrit avec une clarté remarquable le parcours de cet homme et de la nouvelle industrie artistique dont il fut sans aucun doute - on le réalise après avoir terminé le livre - l'un des personnages majeurs.

"Quatre-vingt-treize" (1914-1921)

La somme d'information contenue dans "Albert Capellani, cinéaste du romanesque" est impressionnante mais sa lecture n'est pas indigeste, tout au contraire. En mêlant habilement des documents d'archives, des éléments d'Etat-Civil, des coupures de presse, billets critiques et courriers de spectateurs de l'époque, des témoignages du petit-fils du réalisateur (qu'elle a rencontré) et des extraits de livres de souvenirs de certains de ses collaborateurs, des lettres inédites retrouvées à la Maison de Victor Hugo et à la BNF, Christine Leteux dresse un portrait en kaléidoscope d'Albert Capellani, de son oeuvre et de son temps. La solide connaissance du cinéma muet de l'auteur forme le liant de la narration : Christine Leteux sait que les intertitres les moins ampoulés sont les meilleurs et son style ne s'encombre pas d'effets, même si l'humour fait régulièrement une discrète percée : le livre se lit comme un roman d'aventures, avec ses héros, ses personnages secondaires, ses caractères de l'ombre. On se souviendra des lignes consacrées à Maurice Tourneur (contemporain et collègue de Capellani), à Clara Kimball Young ou à Alla Nazimova.


Albert Capellani envisageait le cinéma comme un art noble et voulu lui donner la noblesse des classiques. C'est pourquoi il se spécialisa dans les adaptations filmées de romans ou de pièces au succès durable. Victor Hugo fut le terrain privilégié de ses créations (les péripéties des conflits entre Capellani et l'héritier des droits de l'écrivain sont édifiantes), Emile Zola aussi, dans une moindre mesure. Commençant sa carrière avec des films inspirés du théâtre, il sût très vite leur insuffler un dynamisme visuel tout différent, inventant sur le chemin une grammaire purement cinématographique et un nouvel esprit dans la direction d'acteur (le naturalisme de jeu des acteurs de Capellani est une source inépuisable de surprise). Il vit et vécut le passage de flambeau entre l'industrie du cinéma français et américain et tenta l'indépendance au moment même où les studios fusionnaient en donnant naissance à leur Age d'Or. Sa santé et peut-être les désillusions l'empêchèrent de poursuivre sa carrière au-delà de 1922, à une période où le cinéma muet subissait une nouvelle mutation.

"Les Misérables" (1912)

"Albert Capellani, cinéaste du romanesque" de Christine Leteux redonne au réalisateur, après une longue éclipse, la place qui est la sienne dans l'histoire du cinéma : celle d'un des plus grands réalisateurs de son temps. Et donne une furieuse envie, après sa lecture, de découvrir les chefs-d'oeuvre préservés de ce créateur visionnaire. Un livre passionnant de bout en bout.

"Albert Capellani, cinéaste du romanesque" (La Tour Verte, 2013)
Le livre comprend une filmographie complète d'Albert Capellani (qui indique les films disponilbles en DVD ou visibles sur Internet).

Christine Leteux travaille dans la recherche en histoire du cinéma. Elle a récemment traduit en français deux ouvrages majeurs de Kevin Brownlow : "La Parade est passée..." (Institut Lumière Actes Sud, 2011) et "Napoléon, le grand classique d'Abel Gance" (Armand Colin, 2012). "Albert Capellani, cinéaste du romanesque" est son premier ouvrage personnel.