14 février 2016

Heroes of mine : Pascale


Cet après-midi, j'entre dans la galerie Les Filles du Calvaire pour voir l'exposition "Smith" et la galeriste me dit que la projection du film va commencer en me tendant un casque. Quel film ? Une vidéo d'art de 59 minutes, je n'étais pas très chaud mais rien ne m'obligeait à rester jusqu'au bout, je me suis donc assis...


J'ai vite été intrigué puis pris par le film, titré "Spectrographies", autour de rencontres entre des vifs et des fantômes dans des paysages de neige, la nuit parisienne et des espaces indistincts. Et soudain, Pascale Ogier est apparue sur l'écran, dansant sur la chanson "Les tarots" d'Elli et Jacno dans la séquence de la première fête des "Nuits de la pleine lune" de Rohmer. J'ai senti quelque chose qui remontait de très loin et j'ai compris que le film allait frapper bien et fort.


Un peu plus tard, Jacques Derrida converse avec Pascale Ogier (dans un extrait de "The science of ghosts" de Ken McMullen, 1983) en lui expliquant que le cinéma est l'art des fantômes. Puis il lui demande si elle, elle croit aux fantômes. Elle hésite et lui répond avec assurance : "Maintenant, oui, absolument".


Pascale Ogier est morte brutalement la veille de ses 26 ans, le 25 octobre 1984, quelques semaines après avoir reçu le prix d'interprétation féminine à Venise pour son rôle de Louise dans "Les Nuits de la pleine lune". J'avais vu le film de Rohmer à sa sortie et, comme toute ma génération je crois, j'étais tombé amoureux de cette jeune actrice maigre et éthérée aux grands yeux bleus clairs, à la coiffure bouffante et à la voix à la tonalité si douce. L'annonce de sa mort brutale, inadmissible, nous avait comme coupé l'herbe sous les pieds et mis en colère. Renaud avait même écrit une chanson rageuse à sa mémoire : "P'tite conne".


La vidéo "Spectrographies" m'a bouleversé. Le délicat spectre de Pascale Ogier qui danse à l'écran et répond face caméra au philosophe qu'elle croit aux fantômes, m'a rappelé que moi aussi j'y crois, absolument, quand je regarde un film.


Pascale Ogier (1958-1984)

7 février 2016

Only Chanel

Coco Chanel interviewée dans son appartement de la rue Cambon en 1969.

A 86 ans, elle donne son avis sur les inconnus qui la saluent dans la rue, les femmes en pantalon, le prestige disparu de la France, les clientes américaines, les genoux, la grande sottise, les dîners parisiens, l'Homme dans la Lune, la télévision... Et ça décoiffe. Le style Chanel, inimitable, n'était pas que dans les tailleurs.


5 février 2016

Films vus par moi(s) : février 2016


*** excellent / ** bon / * moyen / 0 mauvais

Edge of seventeen (David Moreton, 1998) **
L'été 1984 dans l'Ohio, un garçon de 17 ans accepte son homosexualité. Un petit film qui décrit très justement l'éveil de la sexualité et les contorsions de la fin de l'adolescence, sans grand drame ni prêchi-prêcha et en évitant (presque) tous les clichés. L'atmosphère du début des Eighties est plus vraie que nature (avec en BO : Toni Basil, Bronski Beat, Miguel Brown, Eurythmics...). L'acteur principal, Chris Stafford, est parfait. Très chouette. BR US  

Le temps de la colère / Between Heaven and Hell (Richard Fleischer, 1956) **
Un jeune blanc-bec, propriétaire cotonnier du Sud appelé au combat en 1945 sur une île du Pacifique, y apprend la solidarité et l'humilité. Comme à son habitude, Richard Fleischer panache habilement action et psychologie dans ce très beau et bon film de guerre qui fait exister ses personnages (de premier et d'arrière plan) qui s'ouvrent à eux et aux autres. Robert Wagner est de toutes les scènes et assure une prestation remarquable. BR Fr

Le miroir à deux faces (André Cayatte, 1958) **
Un pauvre type qui a épousé un laideron révèle sa jalousie maladive lorsqu'un chirurgien esthétique transforme sa femme en Michèle Morgan. Le genre de film mélodramatique que j'adore : une fois le postulat outrancier accepté, il suffit de se laisser aller. La réalisation classique fait la part belle aux acteurs (Morgan pas mal du tout mais surtout Bourvil, formidable en connard fini et Sylvie en belle-mère acariâtre) et au pavillon de banlieue. BR Fr

Ex Machina (Alex Garland, 2015) ***
Un huis clos entre trois personnages (le CEO d'un moteur de recherche, un de ses programmeurs et un robot) isolés dans une maison-labo high tech dont le scénario et la réalisation maintiennent une remarquable rigueur intimiste loin de l'esbrouffe des blockbusters de SF. Le sujet du film (la prise d'autonomie de l'intelligence artificielle) n'en est que plus inquiétant, en entrouvrant la porte sur un futur qui est sans doute au coin de la rue. BR Fr

Modesty Blaise (Joseph Losey, 1966) **
Losey, son directeur artistique et ses acteurs (Monica Vitti, Terence Stamp, Dirk Bogarde...) ont du s'amuser sur cette oeuvre qui pastiche tant les films d'espionnage (et d'autres) et le style Pop des Sixties qu'il en est, plus qu'une caricature, une essence. L'histoire de cette chasse aux diamants n'a aucun intérêt si ce n'est de jouer, avec outrance et absurdité, sur une époque. Un étrange et amusant objet artistique dont le fond est la forme. DVD Z1 US 

L'intruse / City girl (F.W. Murnau, 1930) **
L'inverse de "Sunrise" (1927) : ici, un couple formé à la ville risque de rompre à la campagne. L'histoire de cette intruse aux champs, convoitée par un ouvrier agricole et haïe par le paternel, est un mélo routinier. Mais la mise en scène transcende son sujet comme dans le sublime plan travelling des amoureux arrivant à la propriété qui courent en s'embrassant dans les blés. Charles Farrell, comme toujours, est d'une justesse admirable. BR UK

Ben & Mickey vs. the Dead / The battery (Jeremy Gardner, 2012) 0
Deux types errent en voiture dans une zone rurale où rôdent des zombies. Le budget minuscule est compensé par le sens du cadre et le montage et il y a de l'idée dans ce petit film d'horreur indépendant mais la coolitude des deux personnages, casques hi-fi aux oreilles et fans de rock indie, m'a vite gonflé. L'humour peut être le piment de l'angoisse mais ici, l'équilibre est rompu et j'ai fast forwardé, déçu, jusqu'au final désespéré. BR Allem

L'horloger de Saint-Paul (Bertrand Tavernier, 1974) **
Inspirée de Simenon, l'histoire de ce père (Philippe Noiret, magistral) qui se met à communiquer avec son fils criminel après une vie de silences et de routines, est une suite de séquences discrètes où les personnages révèlent leurs éloignements douloureux. Dommage que l'ami syndicaliste, vers la fin, hurle démonstrativement ce qui a été suggéré pendant tout le film : "On étouffe dans ce putain de pays...". Avec une superbe fin au parloir. BR Fr 

Leviathan (Lucien Castaing-Taylor & Verena Paravel, 2012) ***
Si le fond - le quotidien d'un chalutier du Massachusetts - est documentaire, la forme inédite relève du film d'art : les caméras GoPro portées par les pêcheurs ou traînées dans l'océan immergent le spectateur au plus près de l'action, dans un déluge d'images dantesques porté par une bande son en furie. Ca m'a fait penser à la séquence nocturne du moissonnage humain par les Martiens dans "La guerre des mondes " de Spielberg. Impressionnant. BR UK

Les nuits de la pleine lune (Eric Rohmer, 1984) ***
Je ne suis pas objectif là, je n'avais pas revu le film depuis sa sortie et l'effet madeleine de Proust m'a happé. Pascale Ogier qui danse sur Les Tarots d'Elli et Jacno avait été il y a plus de 30 ans un moment de cinéma chéri, ca l'est encore plus aujourd'hui, pour tant de raisons. Et le verbe de Fabrice Luchini, les cernes de Tcheky Karyo, la tendresse de Virginie Thévenet et Pascale Ogier pour toujours... Un de ces films qui vous accompagnent. BR Fr

Vice-versa / Inside out (Pete Docter & Ronnie Del Carmen, 2015) **
Disney-Pixar pousse la barre vraiment haut avec ce scénario concept où la joie, la tristesse, la peur, la colère et le dégoût s'incarnent en des personnages actifs qui prennent le contrôle d'une gamine de 11 ans. L'idée est formidable, les séquences s'enchaînent avec rythme et le message est subtil mais bizarrement, j'ai trouvé le film trop intelligent et conscient de l'être pour qu'il puisse lâcher la bride à l'émotion. Mais c'est uniquement original. BR Fr 

Bone tomahawk (S. Craig Zahler, 2015) **
Dans le désert du Far West des années 1890, quatre types partent à la recherche de captifs enlevés par des sauvages. Cannibales. Un très étrange film, hybride de western (avant tout) et d'horreur. A 2h10, les longueurs se font sentir mais les acteurs (Kurt Russell, Patrick Wilson, Matthew Fox, Richard Jenkins) disent leurs dialogues teintés d'humour absurde avec un flegme accrocheur et la photo est superbe. Une vraie curiosité. BR Allem 

Cet été-là / The way way back (Nat Faxon & Jim Rash, 2013) **
Un coming of age movie qui suit les schémas éprouvés du genre (un ado de 14 ans mal dans sa peau et humilié par le copain de sa mère découvre l'estime de soi lors d'un job d'été dans un parc aquatique) mais qui fonctionne bien grâce à l'écriture sensible des personnages et surtout au casting sans faille (Steve Carell, Toni Collette, Sam Rockwell, Maya Rudolph, Allison Janney et Liam James, touchant en vilain petit canard). BR UK

Le dos au mur (Edouard Molinaro, 1958) 0
Un industriel (Gérard Oury) trompé par sa femme (Jeanne Moreau) avec un comédien (Philippe Nicaud) formente sa vengeance. Un drame bourgeois vieille école, avec ses voitures dans la nuit parisienne, ses tenancières de bar qui en ont vu et ses secrets conjugaux. Le genre de film qui ne me semble plus regardable aujourd'hui, sauf si les acteurs vous accrochent, ce qui n'est pas mon cas. Fast forwardé au bout de 45' et déjà oublié. BR Fr

Everest (Baltasar Kormakur, 2015) *
D'après l'excellent livre de Jon Krakauer, l'expédition tragique aux huit morts de l'Everest en 1996. La linéarité du récit et - paradoxalement - le manque de péripéties (les grimpeurs gèlent lors d'un orage à la descente) font qu'on suit l'histoire avec un détachement qui plombe le film, trop académiquement illustratif. La musique plaquée sur toutes les scènes est ridicule. Restent de belles images et l'évocation réussie des corps malmenés par l'altitude. BR Fr