**** chef-d'oeuvre / *** excellent / ** bon / * moyen / 0 mauvais
Depraved (Larry Fessenden, 2019) **
Revenu traumatisé de son activité militaire au Proche-Orient, un chirurgien de New York créé un être humain à partir de morceaux de corps. L'histoire de Frankenstein mais du point de vue d'un jeune homme tué pour son cerveau, recyclé dans la créature à qui revient peu à peu la mémoire. L'idée, associée à celle d'un startuper qui finance les travaux, renouvelle le sujet ingénieusement et le petit budget habituel du réalisateur l'oblige à se concentrer sur les affects, celui du monstre surtout et du garçon mort implanté en lui. Du très bon fantastique indie. BR US IFC/Scream Factory
La fleur écarlate / Álenkiy tsvetóchek (Lev Atamanov, 1952) **
Isolée sur l'île d'une créature difforme, une jeune femme est autorisée à revenir chez elle le temps que la fleur qu'elle a cueillie se fane. La version soviétique de La Belle et la Bête s'inspire de Walt Disney dans la personnalisation et l'animation tout en restant très russe dans la façon de conter, les accessoires et les couleurs. Pas effrayante pour un sou mais sourdant une abyssale tristesse, la créature semble annoncer les monstres de Miyazaki, un fan convaincu d'Atamanov. Un beau dessin animé de 45' dans la veine classique, la plus universelle. BR US Deaf Crocodile
L'esprit sacré / Espíritu sagrado (Chema García Ibarra, 2021) ***
À Elche, alors que sa jumelle a disparu, une petite fille est observée par son oncle, barman membre d'un groupe d'ufologues. Un film des plus étranges, entre drame et fantastique, qui dénonce les dérives capitalistes du complotisme avec une acuité à l'air de rien implacable. Réel, le malaise engendré est dû au contexte naturaliste de l'histoire, du décor et des personnages, des espagnols lamba paumés dans un monde de désinformation qui leur a lavé le cerveau. Et de la vulnérabilité de la gamine en proie du système. Un premier film magistral. BR UK Arrow Video
Larmes de clown / He who gets slapped (Victor Sjöström, 1924) ****
S'étant fait humilier et voler son invention, un scientifique perd pied et se retrouve clown à baffes dans un cirque. Une fable existentielle où les coups dans la gueule ne sont pas que symboliques pour le clown tragique incarné par Lon Chaney - formidable - dont les expressions faciales et le body language expriment tout. La mise en scène de Sjöström est une merveille d'intelligence rythmée d'images métaphoriques sur le destin, la haine de soi, la rédemption. Un inaltérable chef-d'oeuvre du muet. Avec Norma Shearer, John Gilbert et le lion de la MGM. BR US Flicker Alley
Enzo (Laurent Cantet & Robin Campillo, 2025) ***
À La Ciotat, un garçon de 16 ans (Eloy Pohu) en révolte sociale et familiale qui fait un stage de maçonnerie est attiré par un collègue ouvrier venu d'Ukraine (Maksym Slivinskyi). Imaginé par Cantet et tourné par Campillo après son décès, un beau film sur l'adolescence et ses désirs d'émancipation porté par une mise en scène limpide et un casting sans faute. Avec la guerre en filigrane, la confusion des sentiments et la sensualité retenue sont sur le fil du drame mais n'y tombent pas et l'émotion reste digne. Un peu un "Call me by your name" version chantier. BR FR Ad Vitam
A house of dynamite (Kathryn Bigelow, 2025) ***
Alors qu'un missile nucléaire de provenance incertaine se dirige vers les Etats-Unis, la défense doit informer le Président pour qu'il prenne une décision capitale : répondre par la pareille ou pas. Prenant du début à la fin ouverte, le film déroule de plusieurs points de vue ces minutes qui peuvent faire basculer l'humanité. La dynamique générale, sans doute très documentée dans ses ressorts et ses décors, évoque notre impuissance face à la toute-puissance de quelques-uns : dans le contexte actuel, c'est terrifiant. Mise en scène frénétique, habituelle à la réalisatrice. Netflix
The creeping garden (Tim Grabham & Jasper Sharp, 2014) *
Documentaire sur l'un des organismes les plus mystérieux de la nature : les myxomycètes ou champignons amiboïdes ou slime molds ou en plus pop, le blob. Des structures unicellulaires ni végétales ni animales qui se développent en réseau et possèdent la capacité de se mouvoir stratégiquement pour chercher leur nourriture. Le film donne la parole aux scientifiques, et c'est passionnant et aux artistes, et ça l'est moins. Reste la découverte d'un étrange état du vivant, une "chose" comme issue de la science-fiction qui nous entoure en silence et catimini. BR UK Arrow Video
The perfect neighbor (Geeta Gandbhir, 2025) *
En 2023 en Floride, des enfants noirs qui jouent dehors exaspèrent une voisine blanche : elle tue l'une des mères venue la confronter. D'un fait divers banal aux USA, un documentaire banal qui explore à la fois le phénomène des "Karen", la tension raciale et la question de l'invasion de propriété. Le gros joker est que tout est vu à travers les bodycams de la police, des caméras de surveillance et des smartphones. C'est aussi accrocheur que salopard : qui peut vraiment liker de voir en direct deux petits garçons à qui ont annonce que leur maman est morte ? Netflix
Les géants et les jouets / Kyojin to Gangu / Giants and toys (Yasuzô Masumura, 1958) ****
A Tokyo, une entreprise de bonbons transforme une jeune fille écervelée - et aux dents pourries - en icône de la marque. La marketisation à l'américaine de la société japonaise et l'affaissement des codes moraux du pays dans l'après-guerre est décortiquée avec malice dans cette satire amusante mais ravageuse du capitalisme et de la publicité conquérants. Très Pop dans son esprit et sa plastique, ce film de 1958 reste d'une étonnante actualité dans son propos prémonitoire. Une pépite du "Nouveau cinéma" japonais qui réserve plus d'un étonnement. BR UK Arrow Video
Sampo, le jour où la Terre gela / Sampo (Alexandr Ptushko, 1959) ***
La sorcière du domaine des glaces ayant enlevé la jeune promise d'un bûcheron du pays des forêts accepte de la libérer en échange du Sampo, le moulin des abondances. D'après le récit finlandais du Kalevala, un film de fantasy sovietico-finlandais dont les péripéties un peu répétitives - des allers-retours entre les deux contrées - et le jeu outrancier du casting sont balayés par la splendeur picturale des compositions, des décors naturels et de studio, des matte paintings et du Sovcolor flamboyant : la puissance visuelle de chaque plan emporte tout sur son passage. BR FR Artus Films
Blackout (Larry Fessenden, 2024) ***
Dans une petite ville forestière, un artiste dépressif qui se transforme en loup-garou aux pleines lunes cherche à se supprimer. Ce film indépendant d'un spécialiste du fantastique revisite formidablement le mythe de l'homme-loup en une métaphore des peurs et des divisions des USA trumpiens et du sentiment d'impuissance des opposants. Introspectif mais avec quelques belles scènes d'horror, son petit budget est surclassé par la mise en scène, la photo et les acteurs, notamment Alex Hurt - le fils de John - en type condamné au regard perdu. Excellent. (Inédit en France) BR US Dark Sky Selects
L'étranger (François Ozon, 2025) **
À Alger en 1938, un jeune français nihiliste tue un arabe. L'adaptation de Camus par Ozon met en images la narration unipersonnelle du roman dans un style classique hérité du cinéma français des années 30. La beauté sensuelle de la photographie N&B et des acteurs - Benjamin Voisin est par ailleurs excellent dans le rôle casse-gueule - en font une sorte de roman-photo existentialiste, solution ingénieuse pour toucher le grand public avec un thème grave : le refus morbide d'espérance. Un film qui appelle à la discussion et c'est très bien. Cinéma AP
Vivre et aimer / Sadie McKee (Clarence Brown, 1934) ***
Une jeune femme modeste épouse un richissime alcoolique en étant tiraillée entre deux autres hommes. Un mélodrame pre-Code avec des morceaux musicaux dans l'action et un intéressant arc narratif dans le statut social et la qualité morale de l'héroïne, une femme dans la Grande Dépression. Elle est interprétée par Joan Crawford, au sommet de son Star impact dans les Thirties. Habillée par Adrian, superbement photographiée, ses gros plans parsèment le film, offrant à l'adoration du public son visage d'angles et de clairs-obscurs. Et ça marche encore. BR US Warner Archive
Mort un dimanche de pluie (Joël Santoni, 1986) ***
Dans leur maison isolée, un architecte, sa femme et leur fille sont menacés par un couple dont le mari a un passif avec lui. Injustement méconnu, un rare exemple de thriller horrifique français dont le suspense monte crescendo sans lâcher prise, avec quelques scènes vraiment choquantes avec la fillette. Nicole Garcia est en tête d'affiche mais c'est Jean-Pierre Bacri, formidable, qui porte le film avec son personnage en apnée et Dominique Lavanant qui étincelle en psychopathe gratinée. Un bémol : la chanson Eighties pourrie en habillage musical. BR FR Le Chat qui Fume
La victime désignée / La vittima designata (Maurizio Lucidi, 1971) ***
Un homme en conflit d'argent avec sa femme rencontre un étrange excentrique qui lui propose de la tuer si lui tue son frère ennemi. Tomás Milián en mari paumé et Pierre Clémenti en ange damné se frôlent et s'affrontent dans ce thriller psychologique - qui n'est pas du tout un giallo comme il est vendu - à la Highsmith dans brumes morbides de Milan et de Venise. Bien plus riche qu'un giallo, le film aborde les sujets de la tentation homosexuelle et de l'emprise et, selon la clé de lecture qu'on choisit, de la dissociation schizophrène. Et là, c'est passionnant. DVD FR Frenezy Editions
February / The Black Coat's Daughter (Osgood Perkins, 2015) *
Coincées dans leur pension quand leurs parents ne sont pas venus les chercher pour les vacances de Noël, deux jeunes filles subissent une force surnaturelle alors qu'une troisième tente de les rejoindre en voiture. Avec sa lenteur et ses mystères calculés, ce film d'horror est trop consciemment cryptique pour l'emporter. On comprend que c'est une histoire de possession démoniaque et de schizophrénie en deux temps associés mais la circonvolution du scénario lasse et fatigue. Reste une belle atmosphère et trois jeunes actrices impliquées. Mouais... DVD FR TF1 Video
Une femme est passée / Nunca pasa nada (Juan Antonio Bardem, 1963) ***
Suite à une appendicite, une danseuse parisienne en tournée doit séjourner une semaine dans une petite ville d'Espagne où elle bouscule les corps et la morale. En gardant le look et la persona de "Cléo de 5 à 7" (Agnès Varda, 1961), Corinne Marchand illumine de sa liberté cet excellent mélodrame provincial qui se révèle une charge - très audacieuse à l'époque - contre l'enfermement du Franquisme. L'idée visuelle de ses apparitions blondes dans cette société sombre est formidablement cinématographique. Avec un score superbe de Georges Delerue. BR FR Tamasa
Tygra, la glace et le feu / Fire and Ice (Ralph Bakshi, 1982) **
Dans un monde primordial, le Prince des glaciers fait enlever la fille du Roi des volcans. L'échec du film est son histoire : entre poursuites et bastons, elle est si basique qu'il n'y en a pas et quel dommage. Le triomphe du film est sa sensualité folle et son animation, sans cesse exaltante. Les personnages ont été animés par rotoscopie - des acteurs filmés puis dessinés - et bougent avec une étonnante présence physique, sublimée par les décors grandioses. Un mémorable morceau d'Heroic Fantasy porté par la vision de Frank Frazetta, co-auteur du film. BR FR AB Video
Panics / Bad dreams (Andrew Fleming, 1988) *
Seule survivante d'une secte consumée, une jeune femme en PTSD rejoint en hôpital un groupe de patients bordeline. L'un après l'autre, ceux-ci se suicident. Détruit à sa sortie par Roger Ebert pour irresponsabilité et appel au suicide des ados - faut pas exagérer ! - un slasher Eighties qui a pour originalité et intérêt de s'attaquer au terrain commun de leur monstres, jamais vraiment abordé : la pathologie psychiatrique. Pour le reste, c'est correct. Le bonus : la traumatisée est Jennifer Rubin, la plus belle et photogénique de scream queens de l'époque. BR UK 88Films
Whisky à gogo / Whisky galore (Alexander Mackendrick, 1948) **
En 1943, déprimés suite à une rupture de whisky, les habitants d'une petite île des Hébrides veulent s'emparer des milliers de bouteilles en cale d'un cargo échoué. Un douanier les surveille... Immense succès du studio Ealing, un film qui célèbre l'esprit de corps et de résilience d'une communauté qui incarne toutes celles qui font le Royaume-Uni. Sur un ton léger et des personnages bon enfant, l'histoire suit son chemin de conte immoral - vol et recel - jusqu'à la fin en pirouette. Tout en ayant assez vieilli, le film conserve une portée subversive très attachante. BR FR StudioCanal







