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24 mai 2009

Jeunes Filles en Uniforme (Leontine Sagan, 1931)


Jeunes Filles en Uniforme (Mädchen in Uniform) : si le titre est très familier, le film l’est beaucoup moins par manque de visibilité depuis sa première sortie au début des années Trente. Mais ArtHaus l’a édité en DVD (Allemagne) en 2008 et sa réévaluation est maintenant possible. En deux mots, c’est un excellent film en plus d’être une passionnante fenêtre sur le cinéma et la société de la période de Weimar.

Adapté de la pièce "Gestern und Heute" ("Hier et Demain") de Christa Winsloe (1888-1944) qui connut un triomphe en Allemagne en 1930, Jeunes Filles en Uniforme fut immédiatement mis en chantier pour en capitaliser le succès. Le film fut produit de façon très originale par des fonds coopératifs sous la direction du cinéaste Carl Froelich (1875-1953) et non par un studio : les dividendes en furent donc distribués aux particuliers qui avaient investi dans la production. Celle-ci reprit peu ou prou la même équipe de comédiennes qu'à la scène et confia la réalisation à Leontine Sagan (1889-1974), actrice et metteur en scène de théâtre qui avait dirigé la pièce et dont c’était le tout premier film (elle n’en fit que trois dans sa carrière). Nouvelle aux métiers du cinéma, Sagan fut assistée tout au long du tournage par Froelich, qui est mentionné dans le générique comme « consultant artistique » mais qui fut, dans les faits, la véritable tête pensante du projet et de sa réalisation.

Jeunes Filles en Uniforme connut un très grand succès public et critique lors de sa sortie en Allemagne en 1931 (après quelques coupes volontaires faites par les producteurs et une modification de la fin d’origine) et fut exporté dans le reste de l’Europe, aux Etats-Unis et au Japon, où son accueil fut plus mitigé. Appartenant à la première génération des films allemands parlants, il fut l’une des premières productions cinématographiques allemandes de l’époque à être exportée à l'international et devait être la vitrine, pour les producteurs, de la vitalité retrouvée du cinéma national en perte de vitesse face à la concurrence américaine et française. En 1933, l’arrivée des Nazis au pouvoir modifia la donne : sorti de sa période d'exclusivité, le film fut interdit de ressortie à cause de ses thématiques subversives, même si, paradoxalement, Goebbels raconte dans l’entrée de son « Journal » du 02/02/1932 qu’il a beaucoup aimé le film pour ses qualités artistiques. Jeunes Filles en Uniforme fut relégué dans les recoins de la mémoire collective des spectateurs qui avaient pu le voir entre 1931 et 1933 et tomba peu à peu dans l’oubli. Un remake - que je n'ai pas vu - en fut fait avec Romy Schneider et Lily Palmer en 1958 (je préfère m'en tenir à l'original...).

Postdam, à la fin des années 1920 : Manuela von Meinhardis (Hertha Thiele), 14 ans, orpheline de mère et dont le père est trop pris par son travail pour s’occuper d’elle, est amenée par sa tante dans un pensionnat de jeunes filles dirigé de main de fer par la revêche Fräulein von Nordeck (Emilia Unda). Manuela est bien accueillie par ses camarades mais se renferme d’abord sur elle-même avant de transférer son besoin d’affection sur la professeur de littérature, la Fräulein von Bernburg (Dorothea Wieck). En effet, celle-ci se rend compte que les jeunes pensionnaires ont besoin de chaleur humaine et est la seule adulte travaillant au pensionnat à les traiter comme des jeunes filles de leur âge et non comme d’impersonnels numéros. Mais le sentiment que Manuela ressent pour son amicale professeur prend vite une tournure plus profonde : la jeune fille retrouve la joie de vivre au contact de son aînée. Après un spectacle d'école de « Don Carlos » avec lequel elle triomphe dans le rôle titre (ce qui permet au passage une étonnante scène de travestissement), Manuela, qui a fêté sa performance avec un peu trop d’alcool, clame son amour pour la Fräulein von Bernsburg devant ses camarades et ses professeurs médusées. "Ein Skandal !" hurle la directrice en tapant du pied et de la canne. Le scandale éclate. Remise (gentiment) à sa place par l’objet de son amour et renvoyée de l’établissement sous quelques jours, elle sombre dans la dépression et les pensées suicidaires. Ses camarades vont alors voler à son secours et faire plier l’intolérante directrice…

Raconté comme cela, Jeunes Filles en Uniforme a tout d’un mélodrame. Et c’en est un, mais c’est aussi beaucoup plus que cela. Car l’intérêt du film est multiple.

C’est d’abord, en 1931, le premier film d’importance qui focalise son histoire sur une relation lesbienne. Manuela est de toute évidence amoureuse de son enseignante (elle le dit d'ailleurs clairement) qui lui donne l’affection dont elle semble avoir été privée depuis la mort de sa mère. Le sentiment est-il réciproque ? Le film ne l'affirme pas et on peut supposer que s’il l’est, la Fräulein von Bernsburg connaît les risques d’engager une relation avec son élève mineure au sein de l’établissement et garde avec raison la distance nécessaire. La gentillesse et la douceur de la professeur (qui traite toutes les pensionnaires de la même façon même si elle passe plus de temps avec Manuela, qui lui semble plus en demande d’affection) est sans doute sur-interprétée par la jeune fille, notamment lors de cette très belle scène, la plus célèbre du film et à juste titre, où, au moment de l’extinction des feux dans le dortoir, l’enseignante passe embrasser sur le front toutes les filles l’une après l’autre mais dépose un baiser sur la bouche de Manuela. Il est intéressant de noter que, même si l’auteur de la pièce d’origine, Christa Winsloe, était une lesbienne affichée (elle fut assassinée avec son amie en Bourgogne en 1944 dans des circonstances obscures) et que Leontine Sagan l’était aussi, les quelques vagues que fit le film lors de sa sortie en 1931, ne furent pas dûes à son traitement d’une relation lesbienne mais à la métaphore de l’autoritarisme politique (en 1933, évidemment, il en fut tout autre). Bien sûr, vu aujourd’hui à la lumière des Gay Rights et des Gender Studies, Jeunes Filles en Uniformes ne peut être considéré autrement que comme l’une des pierres fondatrices du cinéma gay et lesbien, l'un de ses jalons les plus importants.


Une autre interprétation du film réside dans la représentation de ce pensionnat, un univers clos régi par des règles et des rituels incontournables. Le monde de ces pensionnaires est celui des soldats : les nombreuses images de statues de personnages militaires qui décorent les bâtiments publics de Postdam et apparaissent en insert au cours du film sont révélatrices. Dans la République de Weimar qui vit la naissance de la pièce et du film, la métaphore était claire pour les contemporains : Jeunes Filles en Uniforme était une mise en garde contre les dérives possibles d’un pouvoir politique, militaire ou policier qui serait trop fort. En 1931, deux ans avant le triomphe d’Hitler aux élections, le film pouvait être vu, non comme un brûlot anti-Nazi (ce serait une lecture anachronique) mais plutôt comme un avertissement des dangers du fascisme et du totalitarisme (l’obsession soviétique elle, n’était pas anachronique du tout). Encore une fois, la lecture qu’on peut avoir du film aujourd’hui et celle qu’on devait en avoir en 1931 ne sont pas les mêmes mais ont évolué à la lumière des événements postérieurs. Comme le montrent bien les coupures de presse d’époque, c’est bien cette portée pamphlétaire politique du film qui fit le plus tiquer en 1931. Mais comment ne pas lire d’une autre façon, après 1945, les scènes du film qui montrent les rangs de pensionnaires qui marchent au pas, vêtues d’uniformes à rayures ou encore la mise à l’index et à l’isolation d’une jeune fille un peu différente des autres ? Prémonitoire, oui... mais rétrospectivement. A partir de 1933, les choses étaient toutes autres et le sous-texte lesbien de l’histoire comme la charge politique furent intolérables aux Nazis, maintenant au pouvoir, qui interdirent aussitôt le film "dégénéré".

Techniquement, Jeunes Filles en Uniforme est admirable. La caméra n’est pas aussi mobile que dans un film de Murnau et le choix de réalisme de la mise en scène le projette loin des excès de l’Expressionnisme qui venait de mourir de sa belle mort après avoir produit en Allemagne une impressionnante série de chefs-d’œuvre. L’austérité des décors, justifiée par le fait que l’ensemble du film se passe dans les murs du pensionnat (il n’y a aucune scène à l’extérieur), est mise en valeur par la lumière qui joue sur les murs blancs, les couloirs obscurs, l’escalier central qui à un rôle essentiel au cours du film. Beaucoup de gros plans s’attardent sur les visages des comédiennes en leur permettant d’exprimer au mieux la palette des sentiments de leurs personnages tout en donnant aux images une remarquable force érotique. L’implication de Karl Froelich dans le film est évidente dans chaque plan : Leontine Sagan elle-même n’en faisait d’ailleurs pas mystère.

Il faut aussi dire quelques mots des jeunes comédiennes de Jeunes Filles en Uniforme. Toutes sont excellentes et une des grandes surprises de ma découverte récente du film fut de voir la saisissante modernité du jeu – et du physique - de ces jeunes actrices et de Dorothea Wieck (l’enseignante), notamment dans les nombreuses scènes où, laissées sans surveillance, les pensionnaires retrouvent leur joie de vivre et espièglerie d'adolescentes. Le naturel de leur prestations est remarquable pour un film du tout début des années Trente. Cela est sans doute dû au fait que pour la plupart, elles avaient joué la pièce de très nombreuses fois et possédaient parfaitement leur personnages. Les actrices plus âgées (le directrice, les autres enseignantes, les surveillantes, la Princesse qui vient visiter le pensionnat), par contraste, font plutôt « vieille école ». Cette différence sensible dans le jeu des actrices renforce encore les différents messages progressistes du film. Et illustre à merveille le titre original de la pièce : "Gestern und Heute" ("Hier et Demain"). La beauté de Dorothea Wieck, âgée de 23 ans au moment du tournage, une mince brune à la peau pâle et aux yeux bleus clairs, est la cerise sur le gâteau. Pour la petite histoire, le film précède de huit ans The Women de George Cukor (1939) dans son originalité de n’avoir dans son casting que des femmes et de ne pas montrer à l’écran un seul homme.

Le parcours des deux actrices principales après la sortie du film est intéressant : Hertha Thiela (l’élève) refusa de travailler pour le cinéma de Goebbels et, sa carrière brisée, dut s’exiler en Suisse en 1937, puis en France où elle devint infirmière après la guerre. Elle revint en Allemagne de l’Est en 1966. Dorothea Wick (l’enseignante), sympathisante nationale-socialiste au début des années Trente, s’en éloigna ensuite mais resta en Allemagne pendant la guerre en se faisant discrète pour se consacrer au théâtre. Elles sont mortes toutes les deux à Berlin, respectivement en 1984 et 1986. Quant à Leontine Sagan, juive, elle quitta rapidement l’Allemagne pour aller d’abord à Paris puis en Afrique du Sud, où elle créa le Théâtre National de Johannesburg et où elle est morte en 1974.

Sorti aux Etats-Unis en 1932 avec quelques scènes "allégées", le film connut d'abord un succès d’estime mais, dans un pays loin de la morale libérale de la République de Weimar, sa thématique distinctement lesbienne ne fut pas du goût de tout le monde, notamment des ligues de vertu. Jeunes Filles en Uniforme y fut rapidement interdit. Il fallut qu’Eleanor Roosevelt, admiratrice fervente du film, s’en mêle pour que le film puisse être de nouveau temporairement projeté, toujours dans sa version censurée. Puis, difficilement visible pendant plusieurs décennies après les années Trente, le film fut devint une sorte d’Arlésienne pour les cinéphiles et les gays du monde entier. L’évocation de son titre seul, Jeunes Filles en Uniforme, faisait surgir des images fantasmatiques qui ont permis au film de survivre dans la mémoire collective mais en lui collant une étiquette faussée. Aujourd’hui, le film doit être revu pour ce qu’il est : l’un des excellents films des débuts du parlant (juste avant la chape de plomb dont le pouvoir Nazi allait recouvrir le cinéma allemand), une pierre angulaire du cinéma queer et un audacieux pamphlet politique anti-fasciste dont la portée a traversé les décennies sans encombre. Jeunes Filles en Uniforme est un film important qui mérite largement une redécouverte.

Le DVD allemand édité par ArtHaus (visuel ci-dessous) est très bien. Le film n’a pas subi une restauration majeure mais plutôt un nettoyage et la qualité de l’image et du son est bonne. L’image est seulement un peu granuleuse dans les plans larges. Le son ne présente aucune distorsion. Pas de sous-titres français (mais des sous-titres allemands optionnels). Un DVD très recommandable, donc, pour ce film passionnant à plus d'un titre.

Quelques extraits (pas issus du DVD) peuvent être vus sur YouTube.

17 mai 2009

Search for Beauty (Erle C. Kenton, 1934)

Sorti aux Etats-Unis le 2 février 1934, Search for Beauty (L'Ecole de la Beauté) fit partie de la toute dernière vague de films présentés au public avant la mise en place effective du Production Code au 1er juillet de la même année. Le Code (de moralité cinématographique) avait été rédigé sous la direction de William H. Hays à la fin des années 1920, entériné par les studios et distributeurs le 31 mars 1930 mais seulement activé quatre ans plus tard, le 13 juin 1934 (pour les films sortants à partir du 1er juillet 1934). Entre le 31 mars 1930 et le 1er juillet 1934, toute une série de films, aujourd’hui connue sous le nom générique de « Pre-Code Films », put donc déferler dans les salles obscures américaines en se jouant allégrement de thématiques pointées du doigt par le Code. Le crime, la drogue, la profanation, le sexe, l’obscénité, la nudité, les attaques contre la religion… toutes ces bêtes noires des articles du Code connurent alors leurs derniers feux, avant l’autocensure – parfois très créative - qui allait frapper le cinéma américain jusqu’au milieu des années 1960 (le Code fut officiellement aboli quand il fut remplacé par le système de notation du MPAA en 1968). Voilà pour le rappel historique.

Baby Face avec Barbara Stanwyck ou I’m no Angel avec May West, deux célèbres films Pre-Code sortis en 1933, poussèrent un peu loin le bouchon de ce qui pouvait être montré ou suggéré à l’écran : dans leur cas, le sexe comme moyen d’élévation sociale ou comme instrument féministe. Search for Beauty, le film qui nous intéresse ici, est beaucoup moins connu que les deux titres précédents mais a pu récemment être redécouvert (pour la première fois depuis 1934) grâce à sa sortie dans le sympathique coffret Z1 Universal : "Pre-Code Hollywood Collection". Et pour une redécouverte, c’en est une ! De tous les films Pre-Code, c'est peut-être le plus (ou le moins selon qu'on l'entende au sens figuré ou propre) culotté. Il n’est pas difficile d’imaginer que c’est précisément à cause de tels films, et peut-être même de celui-là en particulier, que le Code de 1930 fut activé sans délai à l’été 1934, quatre mois après la sortie de Search for Beauty en salles.

Et, chose admirable, la portée sulfureuse de Search for Beauty, soixante-quinze ans après, reste toujours intacte. Jugez-en donc :

En 1932, deux escrocs tout juste sortis de prison (Robert Armstrong et Gertrude Michael) s’acoquinent avec un financier véreux (James Gleason) afin de racheter pour une bouchée de pain un magazine de culture physique en perte de vitesse et son centre de remise en forme associé. Ils veulent relancer le titre en orientant son contenu vers l'érotisme et le centre en le transformant en club de rencontre. Pour en assurer la publicité, ils engagent deux nageurs aux physiques irréprochables (interprétés par Buster Crabbe et Ida Lupino) qui viennent de participer aux Jeux Olympiques de Los Angeles. Evidemment, ils cachent à leurs recrues le genre de business qu’ils souhaitent développer : les deux athlètes s’investissent dans leur job, pensant travailler à la relance d’un magazine et d’un club de bien-être alors qu’ils font à leur insu la promotion d’un magazine porno et d’un bordel de luxe. Sur l'idée de Crabbe, un concours de beauté est organisé afin de trouver les plus belles filles et les plus beaux garçons du monde anglo-saxon : Crabbe et Lupino, propulsés membres du jury avec les trois compères, pensent recruter les jeunes beautés à des fins publicitaires, mais sont en fait en train d’aider à choisir sur le physique les futurs modèles dénudés du magazine et les pouliches et étalons de la maison de passe. Quand Ida Lupino commence à se douter que quelque chose de louche se trame, elle en fait part à Buster Crabbe, que Gertrude Michael se met à séduire afin de le faire passer dans son camp. Les tensions et les rivalités s’exacerbent alors que les jeunes beautés féminines et masculines arrivent pour participer au concours de perfection physique…

Et il s’agit, je vous le rappelle, d’un film de 1934 ! L’audace de ce scénario, même quand sait ce dont il parle avant de voir le film pour la première fois, ne cesse de surprendre tout au long des 80 minutes de projection : des athlètes recrutés sur concours par un trio d’escrocs pour poser nus et se prostituer, ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre une telle histoire pendant l’âge d’or du cinéma hollywoodien. Evidemment, rien n’est vraiment montré (et encore !) mais c’est plutôt dans la suggestion salace que Search for Beauty excelle. Comme dans cette scène où le trio infernal regarde des photos érotiques avec la caméra placée de telle manière qu’on ne peut qu’imaginer ce qu’ils regardent… et comme on l’imagine ! Cependant, au début du film, une scène dans les vestiaires olympiques présente brièvement mais franchement les athlètes aller aux douches dans leur plus simple appareil (je ne me souviens pas d’une autre scène avec autant de paires de fesses d'hommes dans un film d’avant les années… 1960 ? 1970 ?). Les femmes, elles, sont régulièrement filmées en maillots de bain et soutiens-gorge et dans des moments de déshabillage et de rhabillage. La préparation au concours est le prétexte à de multiples passages dans les salles de gym et piscines où les compétiteurs s’entraînent en shorts ou bikinis deux-pièces. Et tout cela, sous l’œil égrillard de Robert Armstrong, de Gertrude Michael et de James Gleason qui n’en perdent pas une miette… comme le spectateur d’ailleurs.

Il faut dire que le casting-director du film a su choisir ses figurants car les filles et les garçons correspondent bien à l’idéal de beauté physique du milieu des années 30 (un vrai concours de beauté avait même été organisé pour le casting des trente figurants principaux). C’est d’ailleurs amusant de voir comme celui-ci est éloigné de celui en vigueur de nos jours, soixante-quinze ans plus tard : les hommes y sont moins musclés et les femmes ont les hanches plus lourdes et les épaules plus étroites. Les coiffures, elles, sont évidemment d’un autre monde. Le seul comédien du film dont l’attrait physique semble avoir traversé les décennies sans aucune perte de sex-appeal est Buster Crabbe (1907-1983). L’acteur américain, âgé de 26 ans à l’époque du tournage et qui avait été champion olympique de natation en 1932, reste un splendide exemple de masculinité, en maillot de bain comme en costume-cravate. Deux ans après Search for Beauty, il allait s’engager dans le sérial Flash Gordon, qui devait lui assurer la célébrité universelle. La britannique Ida Lupino (1914-1995), 19 ans lors du tournage, est également très sexy mais sa jeunesse, sa coiffure blonde et ses nombreuses scènes déshabillées la rendent pratiquement méconnaissable (je dois avouer que je ne l’ai pas reconnue tout de suite même si je savais qu’elle jouait dans le film) : c’est très sympathique et émouvant de voir cette formidable actrice-réalisatrice débuter dans ce film olé-olé qui fut aussi son premier film américain. Une autre révélation est l’épatante Toby Wing (1915-2001), dans le rôle de la sœur d’Ida Lupino : si son nom est tombé aux oubliettes car elle a vite abandonné sa carrière au cinéma pour celle plus paisible de femme au foyer, le minois et le sourire espiègle de cette cover-girl des années 30 ne sont pas inconnus aux amateurs des films de Busby Berkeley, dont c’était la chorus-girl préférée. En contrepoint à toute cette insolente jeunesse qui s’exhibe plus qu’elle ne joue, Robert Armstrong (tout juste sorti du rôle qui fit sa gloire : celui de Carl Denham, le producteur de King-Kong), Gertrude Michael et James Gleason sont excellents en vieux rusés qui s’en mettent plein les yeux en attendant de s’en mettre plein les poches. Gertrude Michael, elle, espère sans doute aussi s’en mettre plein autre chose puisque dans une scène stupéfiante d’audace au début du film, elle examine aux jumelles le maillot de bain bien moulé de Buster Crabbe en lançant une réplique d’une grivoiserie inédite dans un film en noir et blanc.

Search for Beauty propose aussi une longue séquence musicale dans l’avant-dernière partie du film : la centaine de vainqueurs du concours de beauté, filles et garçons, se lancent dans un numéro tout à la gloire de leurs corps, un numéro qui copie sans complexe les chorégraphies de Busby Berkeley (42nd Street venait de triompher l’année précédente) sans leur arriver, bien évidemment, à la cheville. En revanche, là-aussi, pour se rincer l’œil, et quelque soit son orientation sexuelle, on est servi ! Tous les figurants se retrouvent en maillot de bain sur scène à faire une sorte de panaché de danse et de gym qui permet aux caméras de les saisir sous toutes leurs coutures naturelles. Ce morceau, qui commence comme une scène de musical et semble donc plutôt inoffensif, se révèle plutôt subversif à la fin quand on se rend compte que le numéro est en fait un prétexte imaginé par nos trois entrepreneurs véreux pour présenter leur écurie à leurs clients rassemblés dans l’auditoire : chacun y choisit sa chacune (les vieux messieurs y repèrent leurs girls) et chacune y choisit son chacun (les veuves font leur choix de boys) avant de leur donner rendez-vous pour la soirée dans l’établissement de rencontre. Là encore, le culot de la scène est inouïe : il s’agit ni plus ni moins que d’un marché aux escorts (pour rester dans un vocabulaire décent). D’ailleurs, dans la scène qui suit et qui franchit un cran de plus dans l’audace, l’innocente Toby Wing se retrouve à danser en nuisette sur la table d’un salon privé au milieu d’une dizaine de types d’un certain âge qui n’en peuvent plus. L’esprit du spectateur s’échauffe en imaginant la suite… avant qu’Ida Lupino et Buster Crabbe, aidés de quelques athlètes, ne viennent voler au secours de l’ingénue.

Toutes ces scènes font l'originalité absolue de Search for Beauty. Mais le film tout entier n’est bien sûr pas uniquement composé de ces grands moments : une partie est consacrée aux dialogues des trois escrocs entre eux quand ils sont en train de monter leur plan, de Lupino et de Crabbe qui s’interrogent sur la galère dans laquelle ils se sont embarqués, des confrontations entre les personnages... Ces scènes-là, qui se passent principalement dans le bureau de Robert Armstrong, souffrent d’une mise en scène assez statique qui distille un léger ennui (encore que la scène où des vieilles filles engagées au comité de rédaction en tant que garantie morale se mettent à se pâmer devant la verdeur des articles soit hilarante et qu’on peut passer un bon moment à simplement regarder Buster Crabbe !). On sent bien que le réalisateur Erle C. Kenton, dont c’était presque le 100ème film et qui venait de réaliser le formidable Island of Lost Souls / L’Ile du Dr Moreau (1932) – à quand ce chef-d’oeuvre en DVD d’ailleurs ? – ne s’est pas trop cassé la tête pour elles et a préféré mettre le paquet sur les scènes épicées. Allez, on ne lui reprochera pas…

Tout rentrera dans l’ordre à la fin du film : Lupino et Crabbe jureront, mais un peu tard, qu’on ne les y prendra plus et le trio sans scrupule se retrouvera derrière les barreaux jusqu’à la prochaine fois. Il fallait bien que la morale fut sauve, après ce que les scénaristes lui avaient fait subir tout au long du film. Et on pouvait respirer ! Enfin, les ligues de vertus américaines ne durent pas facilement retrouver leur souffle après avoir vu Search for Beauty : la fameuse "Legion of Decency" (Dieu, comme j’aime le nom de cette organisation !), fondée en 1933, grimpa aux rideaux et exigea des multiples coupes sur les croupes et les dialogues à double-sens. Mais comme si on coupait quelque chose, il fallait pratiquement tout couper, le film fut rapidement retiré de l’affiche et les bobines rangées dans leurs boîtes jusqu’à leur résurrection récente par l’intermédiaire du DVD. Quelques semaines plus tard, le Code entrait en vigueur, implacable cette fois, et ce pour une durée de près de 35 ans...

De la nudité, du sexe, de la prostitution, du proxénétisme, de la pornographie et des sous-entendus en cascade : Search for Beauty offre un florilège de thématiques scabreuses qui réussissent encore à nous surprendre après plus de sept décennies. A la fois amusant, excitant et historiquement passionnant, le film est une sorte de catalogue de ce qu’un film Pre-Code pouvait oser. Ne manquent à l’appel que l’adultère (et encore, les clients du club de rencontre ne sont pas que des célibataires), le meurtre, la drogue et le blasphème : aucun film, comme personne, n’est parfait !

Search for Beauty est disponible dans le coffret Z1 Universal : « Pre-Code Hollywood Collection ». La qualité de l’image et du sons sont très bons pour un film des années 30 et il y a des sous-titres français optionnels. Qu'on se le dise !

20 septembre 2008

The Terror of Tiny Town (Sam Newfield, 1938)

The Terror of Tiny Town est le premier (et le seul) western chantant entièrement joué par des nains, des lilliputiens (les "Jed Buell's Midgets") et des poneys...

La petite Innocente (Yvonne Moray, dite "Little Garbo") est convoitée par le petit Méchant en Noir et le petit Héros en Blanc. Tout ce petit monde se court après et se tire dessus. A la fin, le Méchant saute sur des bâtons de dynamite et L'Innocente embrasse le Héros.

Dans un décor western de studio générique (et donc construit pour des acteurs de taille normale), les westerners de Tiny Town chevauchent des poneys, passent sous les portes à battants du saloon et se hissent comme ils peuvent au niveau du comptoir du bar. Le cuisinier entre dans le placard pour chercher ses marmites, les musiciens se mettent à deux pour jouer de la contrebasse et les pistolets sont trop lourds pour les petites mains...

Ce pur film d'exploitation (et vrai fim culte) a été fait par un certain Sam Newfield, stakhanoviste de la série Z, en 1938. En noir et blanc et d'une durée de 62 minutes, c'est un bon candidat au titre de "plus mauvais film jamais tourné". Aucune idée de réalisation, des chansons effroyables et des lilliputiens improvisés acteurs qui surjouent tout ce qu'on leur demande de faire (sauf Le Héros et Little Garbo, qui sont assez bons). Les voix nasillardes, déjà pénibles au parlé, deviennent vite insupportables au chanté : le pompon est atteint dans une chanson où une minuscule entraîneuse, improbable croisement entre Judy Garland et Shirley Temple (mais avec la voix de Donald Duck), se lance dans l'un des pires numéros musicaux jamais vu dans un film. Les petits cavaliers maîtrisent très mal leur poneys qui courent dans tous les sens pendant les scènes de poursuite en menaçant de les éjecter à chaque instant. La bagarre finale entre le Méchant et le Héros dans la cabine en bois est en revanche très réussie.

Au début du film, un présentateur de vaudeville annonce aux spectateurs qu'ils vont assister à une grande première : "le premier film tourné entièrement avec des nains qui est aussi tout ce qu'un bon western devrait être". Bref, une bizarrerie unique en son genre, totalement "politiquement incorrecte" mais dont l'outrance (et le culot) ne sont pas désagréables. J'imagine qu'une grande partie de la troupe s'est retrouvée quelques mois plus tard à faire de la figuration dans Le Magicien d'Oz.
Un film idéal pour une nuit d'insomnie ou une soirée-navets bien arrosée entre potes. L'affiche originale du film, à part le titre The Terror of Tiny Town, proclamait ce seul adjectif : "Colossal !"