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19 décembre 2010

My best of : Neo-melodramas


Ma découverte récente et enthousiaste des mélodrames fous Forties et Fifties du finlandais Teuvo Tulio (merci Eric !) m’a fait lamenter sur la quasi-disparition d’un genre qui fit pourtant les belles heures de l’histoire du cinéma, hollywoodien, européen et autre. Alors qu’en cette semaine de Noël la neige blanchit les toits de Montparnasse, je me dis que c’est le bon moment pour s’interroger sur la persistance discrète du mélodrame dans le cinéma contemporain et se rendre compte que celui-ci a encore quelques beaux restes pour qui prend la peine de creuser. Voici donc une quinzaine de mélodrames des vingt dernières années, des néo-mélodrames. Des films comme je les aime, où le spectateur qui veut bien se laisser emporter comme un radeau sur les rapides des péripéties mélodramatiques en sortira les yeux brouillés et le cœur chaviré, triste et heureux à la fois.

Cette liste de films est bien entendu subjective : elle correspond à des films que j’ai vus (pour certains plusieurs fois, car le mélodrame est un plat dont on se ressert), aimés, et surtout qui m’ont fait pleurer : un mélodrame sans larmes n’en est pas un. Parmi ces quinze films (enfin, un n'est pas un film mais il y a aussi sa place), j’ai bien sûr mes préférences mais la discrétion m’oblige. Aussi sont-ils classés par ordre alphabétique du titre original. N’hésitez pas à en remettre une couche et à laisser en commentaire les titres de vos propres néo-mélos, de ceux qui vous sont chers.


The age of innocence / Le temps de l’innocence (Martin Scorsese, 1993)
Le meilleur film de Scorsese est cette bouleversante adaptation du roman d’Edith Wharton qui dissèque les codes sociaux de la haute-bourgeoisie new-yorkaise des années 1870 en racontant le calvaire d’une femme trop belle et trop libre dans un univers fermé comme un tombeau. Michelle Pfeiffer prête sa pâleur et ses yeux bleus délavés à l’héroïne, qui paie très cher son goût de l’indépendance et de la libre-pensée et dont le spectateur assiste à la chute, pire que la mort : l’expulsion par les cerbères bien éduqués des grandes demeures du quartier de Central Park. La mise en scène d’une stupéfiante maîtrise, portée par les décors et les costumes qui ressuscitent à l’écran un monde englouti par la Première Guerre Mondiale, est au service d’une analyse des sentiments que le cinéma d’hier et d’aujourd’hui a rarement su atteindre. Un mélodrame cruel et bouleversant qui écrase son personnage en respectant toutes les règles d’un manuel de savoir-vivre. Attendez la fin du générique et vous entendrez sur la bande-son le bruit des sabots de chevaux battant le pavé, comme les pulsations lointaines d’un univers distant. Un autre film à recommander, très proche dans son esprit de celui-ci, est « The house of mirth / Chez les heureux du monde » (Terence Davies, 2000), autre formidable adaptation d’Edith Wharton.


Breaking the waves (Lars von Trier, 1996)
Von Trier est peut-être un roué dont les films manipulent les émotions des spectateurs comme un fermier mène une vache à la traite mais le genre du mélodrame n’est pas de celui qui s’accommode de l’austère ou de la mesure : « Breaking the waves », dans le chemin de croix qu’il tisse pour sa tragique héroïne, pousse sur tous les accélérateurs, laissant le spectateur vidé mais exalté. Divisé en chapitres judicieusement séparés par de sublimes paysages retravaillés à l’infographie et au son de tubes rock et pop des Seventies (chaque chapitre annonce donc son artifice d’entrée de jeu), le film raconte l’histoire d’une pauvre fille (Emily Watson aux yeux de chien battu) issue d’une communauté rigoriste d’Ecosse qui s’offre aux premiers venus et descend littéralement en Enfer par amour de son époux paralysé à la suite d'un accident sur une plate-forme pétrolière. Elle croise sur sa route de misères des profiteurs, des ordures et même le Diable avant de connaître une épiphanie méritée dans une dernière scène inoubliable qui ouvre en grand les barrages de larmes que tout spectateur tant soit peu sensible avait peut-être réussi à contenir jusque-là. Le mélodrame religieux est un sous-genre à lui-seul, souvent imbuvable : « Breaking the waves », mélodrame chrétien, en est en revanche un magistral exemple qui ose nous sonner les cloches et nous donner une petite idée de ce que les martyrs devaient ressentir dans l’arène à l’instant de leurs retrouvailles avec leur Père.


The bridges of Madison County / Sur la route de Madison (Clint Eastwood, 1995)
Le secret qu’un personnage emporte avec lui dans la tombe et qui refait surface par accident à la génération suivante est l’une des astuces scénaristiques les plus éculées du mélodrame. Comment penser qu’au milieu des années 1990, Clint Eastwood, qu’on avait connu plus couillu au sens propre mais jamais autant au sens figuré, nous surprendrait en nous faisant pleurer avec cette histoire d’un amour aussi bref qu’intense entre un photographe du National Geographic et une habitante sans histoire de l’Iowa au milieu des années Soixante ? Il fallait tout le talent du réalisateur (qui s’octroya aussi le rôle principal) et de sa partenaire Meryl Streep pour nous faire marcher comme il le fit avec ce film où les cœurs des spectateurs battent plus vite, au rythme même de ceux des deux personnages qui choisissent la raison au détriment de la passion et laissent couler sous les ponts ce qui aurait pu être une toute autre vie - que n’avaient-ils vu le sublime « Brief encounter / Brève rencontre » de David Lean (1945) ? Le film se passe en deux époques parallèles, hier et aujourd’hui - un autre élément de vocabulaire formel imparable du mélodrame - et le moment où ses enfants à elle se rendent compte à posteriori de son existence à lui reste l’un des moments les plus intenses du mélodrame contemporain. Meryl Streep y confirmait qu’elle régnait sans partage (enfin presque… lisez un peu plus bas) sur les films qu’on aime.


Brokeback Mountain / Le secret de Brokeback Mountain (Ang Lee, 2005)
Un western gay. C’est ce que la critique et le public attendaient à gorge déployée à l’annonce de la sortie prochaine de l’adaptation de la nouvelle d’Annie Proulx par Ang Lee en 2005 et les rumeurs allaient bon train sur les scènes que les très hétéros Jake Gyllenhaal et Heath Ledger avaient dû être obligés de se taper au tournage. C’était sans compter sur l’intelligence sensible du réalisateur et de son scénariste qui offrirent en fin de compte au public une magnifique fresque cinématographique, austère mais romantique, l’histoire d’amour intense et contrariée de deux cowboys le temps d’une vingtaine d’années sur fond de paysages du Wyoming. En évitant tout flashback mais en racontant la passion tue entre les deux hommes dans une linéarité rare pour ce type de sujet, le film fait monter peu à peu l’émotion, sans jamais franchir la ligne de démarcation entre la pudeur et le voyeurisme mais en collant au plus près aux sentiments des personnages, magnifiquement interprétés par les deux acteurs et, il ne faut pas l’oublier, par Anne Hathaway et Michelle Williams, leurs épouses à l’écran. Le public ne s’y trompa pas, qui fit un triomphe au film : dans les salles de cinéma où ils le découvraient, la réaction émotionnelle des spectateurs des deux sexes, hétéros et gays, était perceptible, progressant doucement jusqu’à la bouleversante scène finale. "Brokeback Mountain" est un mélodrame car il en possède les codes mais la direction retenue de son réalisateur, en lui ôtant tout excès de pathos, le fait aussi entrer dans la typologie de la tragédie, qui est d’ailleurs le creuset dont sont issus plusieurs genres majeurs du cinéma classique, notamment (et pour cause), le mélodrame.



Dancer in the dark (Lars von Trier, 2000)
Second film de Lars von Trier dans cette liste (j’entends d’ici les cris d’orfraie), une autre histoire de sacrifice où cette fois une jeune mère célibataire qui devient aveugle se bat pour sauver son fils frappé de la même maladie tout en s’évadant dans la comédie musicale. Dans son unique rôle au cinéma, l’autrement insupportable Björk est sublime, asservie corps et âme à son personnage, attachante victime du destin dont le spectateur assiste, sans rien pouvoir faire, à la lente destruction mentale et physique, jusqu’à une scène d’exécution qui fit couler en son temps des flots d’encre bileuse à la critique qui ne supporta sans doute pas d’être ainsi prise à la gorge par le réalisateur (qui repartit quand même de Cannes avec la Palme d’Or sous le bras) et des torrents de larmes à votre serviteur. Quatre ans après « Breaking the waves », von Trier réussit encore un coup de maître, en fusionnant dans une écriture visuelle hyperréaliste deux des genres les plus artificiels et exaltants du cinéma : le mélodrame et le musical. A l’époque de la sortie du film en salles, je ne connaissais pas le cinéma de Teuvo Tulio et aujourd’hui, dix ans plus tard, alors que j’ai découvert celui-ci, j’ai compris la filiation du finlandais Tulio et du dannois von Trier, deux réalisateurs nordiques inclassables qui ont donné, au mélodrame ancien et moderne certains de ses plus beaux fleurons.


The end of the affair / La fin d’une liaison (Neil Jordan, 1999)
Je me souviens comme d’hier de ma découverte de ce film en salles : envoûté par la sublime partition de Michael Nyman et par l’histoire, tirée d’un roman de Graham Greene, qui contient à peu près tout ce qui me touche au cinéma, je me suis à pleurer pendant une scène de fuite sous la pluie (ceux qui l’ont vu comprendront) pour ne plus m’arrêter jusqu’après la fin, à mon plus grand embarras pour me lever de mon fauteuil et ressortir à la lumière crue du boulevard Saint-Michel. Londres pendant le Blitz, un serment inviolable qui produit le plus bouleversant des malentendus, la tuberculose qui s’en mêle, un miracle dans les allées grises d’un cimetière et la voix-off d’un homme qui se souvient : mais comment Neil Jordan a-t-il fait pour faire prendre ces improbables éléments et réussir l’un des grands mélodrames de l’histoire du cinéma ? Ce qui n’avait pas fonctionné dans version de Dmytryk en 1955 avec Deborah Kerr et Van Johnson (parce que contraint par la retenue de la mise en scène), marchait sans effort dans le remake et prouvait qu’on pouvait encore faire – et parfois mieux – un mélodrame à l’aube des années 2000. Julianne Moore entrait d’un rôle dans mon panthéon personnel et assurait sa place (qu’elle partage avec Meryl Streep) de reine du mélodrame contemporain. Passé inaperçu à sa sortie, "The end of the affair" mérite une réhabilitation définitive.


Far from Heaven / Loin du Paradis (Todd Haynes, 2002)
Julianne Moore, encore elle, souffre en silence dans ce film qui fit beaucoup de bruit à sa sortie (les Pythies du cinéma annoncèrent la renaissance du mélodrame dans le paysage cinématographique contemporain, ni plus ni moins) mais qui me semble un peu trop cérébral pour bouleverser, qui est avant toute chose ce que j’attends d’un mélodrame. Parce qu’ici, Todd Haynes créé un film post-moderne au sens strict du terme, c’est-à-dire qui présente tout en les analysant les codes du genre, en gardant un recul nécessaire à la dissection qu’il en effectue. Les références aux magnifiques mélodrames des années 50 de Douglas Sirk sont bien sûr omniprésents et passionnants (tout en s’autorisant une actualisation en intégrant de façon frontale le thème racial, rarement traité dans le mélodrame dit « classique », et surtout celui de l’homosexualité, qui lui, n’est jamais ouvertement évoqué dans les grands modèles du genre). Bref, « Far from Heaven » est un film important (parce qu’il replaça le mélodrame sur les radars) et c’est pour cela que je l’inclus ici mais qui pâtit à mon avis de sa froideur intrinsèque : c’est une œuvre d’analyse plus que d’émotion, malgré la flamboyance du Technicolor et de la partition d'Elmer Bernstein, qui sont elles aussi une réflexion sur le vocabulaire traditionnel du genre.


The hours (Stephen Daldry, 2002)
Là aussi, mes larmes ont coulé, incontrôlables. L’histoire de trois femmes à trois époques différentes (les années 1920, 1950, 2000), liées sans le savoir par leur rapport personnel au roman « Mrs Dalloway » de Virginia Woolf. Nicole Kidman, Julianne Moore et Meryl Streep – peut-on rêver d’un casting plus généreux ? – traversent des moments cruciaux de leurs vies, présentées en parallèle. La construction du film, qui fait faire des allers retours temporels au spectateur, exploite magnifiquement le sentiment de l’écoulement du temps, une composante essentielle du mélodrame, tout en laissant la place au développement d’autres thèmes forts : l’incommunicabilité (mais pas dans le sens d’Antonioni), l’insatisfaction émotionnelle et sociale, la maladie, l’absurdité de l’existence. Ces thèmes se répondent à distance, se croisent parfois et se cristallisent par trois suicides (ou tentatives), un nombre anormalement élevé, même dans le genre du mélodrame, qui n’en est pourtant pas avare. Et il faut encore parler de Julianne Moore, qui n’est jamais meilleure que quand, comme ici, elle joue les personnages dont la douleur perce sous le sourire de convenance. Grâce à elle, « The hours » est un mélodrame d’une tristesse et d’une beauté renversantes. Un grand classique.


Les invasions barbares (Denys Arcand, 2002)
Depuis « Dark victory » (Edmund Goulding, 1939) dans lequel Bette Davis se mourait d’une tumeur au cerveau – et en remontant plus loin avec « La dame aux camélias » - la maladie qui frappe est un thème irrésistible du mélodrame. Parfois, le cinéma traite le sujet avec toute la gravité qui lui sied, parfois, c’est avec humour et tendresse qu’il s’en empare. C’est alors que l’alchimie prend vraiment et que le spectateur peut se laisser emporter au mieux dans les filets du « mélodrame d’agonie » (sans quoi on peut sombrer dans le misérabilisme noir, ennemi d’un mélodrame digne de ce nom). Dans « Les invasions barbares », un quinquagénaire condamné par le cancer convoque au pied de son lit ses proches, famille et amis, pour leur dire au revoir. Comme le personnage n’est pas morose et est friand de bons mots, on se prend à rire avant, comme on s’y attendait, de se retrouver les yeux embués. Parmi les meilleurs mélodrames figurent ceux où le sourire se fige en boule dans la gorge. C’est d’ailleurs souvent comme cela dans la vie, qui est, quand on y pense, un éternel mélodrame. « Les invasions barbares » l'évoque avec une belle sincérité et se termine sur un avion qui s’envole au son de la magnifique chanson « L’amitié » de Françoise Hardy. Tout est dit.


The Joy Luck Club / Le club de la chance (Wayne Wang, 1993)
Quatre amies chinoises immigrées à San Francisco (toutes pour des raisons différentes, personnelles ou politiques) et leurs rapports pas toujours faciles avec leurs quatre filles, jeunes adultes sino-américaines totalement intégrées. Ça fait donc huit histoires potentielles et même plus si on les mélange : « Le club de la chance », qui pourrait nourrir plusieurs saisons de soap-operas, réussit en près de 2h30 à dresser une fresque à la fois collective et intimiste sur les origines, le déracinement et la résilience et à plonger le spectateur dans une essoreuse à émotions, portée par l’irrésistible partition composée par Rachel Portman. Le casting, presqu’entièrement féminin (les pères, maris ou petits amis sont secondaires), est d’une rare perfection et les interprètes dressent avec leurs personnages subtilement dessinés le portrait en kaléidoscope d’une société matriarcale aux prises avec le choc des traditions. J’avais découvert le film par hasard en 1993, lors d’un voyage à San Francisco (la séance de « Jurassic Park » était complète et je m’étais rabattu sur la salle d’à-côté) et j’en étais ressorti ému et heureux, malgré mon visage sans doute ravagé par l’émotion de la dernière scène. Je l’ai revu plusieurs fois depuis en DVD et je l’aime toujours autant : au contraire de moi et de « Jurassic Park », le film n’a pas pris une ride.


Longtime companion / Un compagnon de longue date (Norman René, 1989)
Entre 1981 et 1988, l’irruption du sida parmi un groupe d’amis new-yorkais et ses effets dévastateurs sur leurs liens amoureux ou amicaux. Le premier film hollywoodien sur le sida raconte dans l’urgence, avec retenue et dignité (mais non sans humour) une histoire dont on ne mesurait alors pas encore toutes les conséquences. Une dizaine de personnages (joués par des acteurs peu connus), touchés ou pas par le virus, essayent de comprendre ce qui leur tombe dessus et de repenser leurs vies retournées. Drame ou mélodrame ? Le thème est celui d’un drame bien sûr mais le point de vue choisi, le parcours d’individus dans un groupe aux connexions diverses où la maladie et la mort frappent de façon aléatoire, pousse le film vers les voies du mélodrame, qui est souvent l’étude d’une réaction à un événement extérieur imprévu. Avec « Longtime companion », on est loin des mélodrames classiques (mais plus près, dans la typologie, des films sur les civils en temps en guerre), mais la structure du scénario et le jeu des acteurs pour toucher le spectateur en lui racontant une histoire nécessaire par le biais de la fiction et de l’émotion le rapprochent des codes du mélodrame. D’ailleurs, la dernière scène sur la plage, par son étonnante puissance lyrique et émotionnelle, fait indiscutablement basculer le film dans le genre qui nous intéresse ici. Un mélodrame atypique mais un mélodrame quand même.


The lost prince (Stephen Poliakoff, 2003)
« The lost prince » n’est jamais sorti en salles puisqu’il s’agit d’une production de la BBC, donc un téléfilm. Il a tout de même sa place ici car c’est une œuvre remarquable en son genre qui raconte l'histoire peu connue du Prince John (Johnnie), fils de George V et de la Reine Mary, un gamin épileptique et légèrement autiste que la famille royale britannique a préféré faire oublier après sa mort à 13 ans en 1919. Le film rappelle sa courte vie et brosse un portrait de la société de cour de l'époque et des grands événements contemporains, notamment la Première Guerre Mondiale et la chute de la famille impériale de Russie, à travers ses yeux d'enfant. Bénéficiant d’une production imposante et d’un casting composé d'acteurs venant surtout du théâtre, « The lost prince » entremêle la grande et la petite histoire comme savent le faire les meilleurs mélodrames et l’émotion naît, non seulement du triste destin de cet enfant oublié des livres d’histoire, mais aussi de sa juxtaposition aux drames collectifs de l’époque. Comme souvent dans le mélodrame, le film est soutenu par une musique d’un rare lyrisme (ici composée par Adrian Johnston) et il est impossible, à moins d’avoir un cœur de pierre, de ne pas se laisser aller aux sanglots lors de la dernière scène, celle des adieux au jeune prince. La BBC montrait à nouveau qu'elle est magistrale dans les reconstitutions historiques, dont ce film constitue l’un des plus beaux exemples.


The funeral of Lady Diana Spencer (1997)
Pour continuer avec la famille royale britannique, comment parler du mélodrame contemporain sans mentionner l’époustouflant mélodrame réel auquel le monde entier fut exposé entre 1981 et 1997, du « mariage du siècle » à la mort de Diana Spencer ? Les seize ans pendant lesquels Lady Di vécut sous l’œil des caméras pour la délectation du public possèdent tous les ingrédients (et même plus) du plus mouvementé des archétypes du genre. Une jeune et sympathique godiche faite princesse par son mariage avec le successeur au trône d’Angleterre, tyrannisée par une famille hermétique, prenant son envol et son indépendance au forceps en même temps que son allure inimitable, reine de charités et de névroses, adultère, divorcée et photogénique à en mourir. Ce qu’elle fit à la fin des vacances sous le tunnel du pont de l’Alma, après une ultime course poursuite avec la presse. La transmission télévisée mondiale de ses funérailles (vue par près de 2,5 milliards de personnes), le 6 septembre 1997, avec ses foules de pleureurs célèbres et anonymes, le petit mouvement de tête de la reine Elisabeth au passage du cercueil devant Buckingham, la grandiose messe de Westminster avec les imprécations du frère, la marche digne de ses deux fils et de leur père et le suivi du convoi jusqu’aux portes du domaine familial d’Althorp, n’aurait pu être inventée par aucun scénariste, pas même celui d’ « Imitation of life / Le mirage de la vie » de Douglas Sirk. J’étais moi-même devant ma télé en ce samedi funeste et aujourd’hui, je ne sais toujours pas ce que je pleurais dans cette communion mélodramatique avec la presque moitié de l’Humanité.


Steel magnolias / Potins de femmes (Herbert Ross, 1989)
Le plus ancien (avec « Longtime companion ») - et l'un des meilleurs - film de cette liste, « Steel magnolias » est un peu plus qu’un mélodrame : c’est un « women’s picture » dans la plus pure tradition du genre. Sally Field, Dolly Parton, Shirley McLaine, Darryl Hannah et Olympia Dukakis s’y donnent la réplique, rient, s’engueulent, pleurent et se réconcilient autour du personnage de Julia Roberts dans une succession de numéros d’actrices qui tissent le fil de l’existence de quelques femmes, salariées ou clientes d’un salon de beauté de Louisiane au cours de plusieurs années. Les joies et les douleurs du quotidien s’y succèdent en entraînant le spectateur dans une comédie humaine au son de la belle musique de Georges Delerue. La péripétie mélodramatique attendue avec avidité quand on se lance dans la vision d'un tel film (ici, la maladie et la mort d’une des femmes), ne déçoit pas et fait passer d’un seul coup le film du genre de la comédie à celui du mélodrame, culminant dans une scène à tout casser où la toujours exceptionnelle Sally Field se laisse aller à la révolte (et à l’une des stupéfiantes improvisations dont elle a le secret) dans un petit cimetière régional. Après cette acmé, le film et la vie reprennent leur cours, mais avec une différence : pas un œil dans la salle de cinéma n’est resté sec et tout le monde respire par la bouche car les nez se sont bouchés.


Todo sobre mi madre / Tout sur ma mère (Pedro Almodovar, 1999)
Il fallait tout le culot d’Almodovar pour oser offrir au public en 1999, après près de vingt années de films inclassables, mélanges de comédies scabreuses et de women’s pictures qui avaient fait sa gloire, un mélodrame de haut-vol comme celui-là, où le rideau s’ouvre et se ferme sur la mort de deux de ses personnages en entrainant le spectateur sur des montagnes russes de rires et de larmes. Hommage affirmé aux grands classiques hollywoodiens du genre autant qu’à ses actrices, "Tout sur ma mère" réussit à reprendre les codes du mélodrame classique, avec ses péripéties improbables, ses brusques retournements de situation, ses personnages stéréotypés et ses sautes d’humeur chronométrées sans tomber dans le chausse-trappe de la distanciation post-moderne : emporté par le tourbillon narratif et les formidables prestations de ses interprètes, le public qui accepte le voyage (car, comme sur le Grand Huit, il ne faut pas avoir peur de se laisser complètement aller quand on s’embarque dans un tel film), est soumis à un flot d’émotions auquel il est pratiquement impossible de résister. En sortant de la salle, on peut bien sûr s’en vouloir de s’être ainsi fait avoir par les trucs du réalisateur et la construction artificielle de l’ensemble mais presque tous en redemandent parce qu’il est si bon de pleurer calé dans son fauteuil, à l’unisson des autres captifs de l’écran. Quand en plus, les thématiques ouvertes par le film sont aussi nombreuses, pertinentes et offrant de tels supports d’identification, on ne peut qu’admirer et applaudir. Avec "Tout sur ma mère", Almodovar atteignait le sommet de son art, entrait dans la cour des grands et donnait au mélodrame (et au cinéma tout court) une de ses pierres angulaires.

Les années 1930 à 1960 ont produit leur lot de mélodrames inoubliables et on ne peut nier que cette longue période ait été un âge d’or. Si le genre est moribond depuis les années 1970, remplacé par l’action, l’évasion et surtout la comédie romantique, il n’empêche que de temps en temps, une pépite ressurgit des profondeurs et son éclat réussit encore à nous aveugler comme au bon vieux temps. J’espère que cette liste vous en aura donné quelques convaincants exemples.

28 février 2010

My Best of : Epic films

A l'occasion de la sortie récente d'Agora d'Amenabar et de la publication de l'indispensable L'Antiquité au cinéma d'Hervé Dumont, voici une liste subjective et dans l'ordre alphabétique de mes films "épiques" préférés. Par "épiques", j'entends des films historiques à grand spectacle et dont l'action à tendance à se situer pendant l'Antiquité. C'est à dire au sens anglo-saxon du terme, que je reprendrai donc ici : "Epic films".

On pourra s'étonner de ne pas trouver dans cette liste des classiques populaires ou intouchables comme (au hasard) Ben-Hur de Wyler, Spartacus de Kubrick, Les Dix Commandements de deMille, Gladiator de Scott, Quo Vadis de LeRoy et bien d'autres... C'est comme ça.


Agora (Alejandro Amenabar, 2009)
"Agora" montre qu’il est encore possible de faire un film à la fois spectaculaire et intelligent sur l’Antiquité sans sombrer dans le superlatif et l’anachronisme. La tragédie d’Hypathia d’Alexandrie (Rachel Weisz, toute en nuance et dignité), qui paya de sa vie son indépendance de femme, de savante et d’incroyante au moment de la progression du Christianisme en Égypte romaine, réussit une double prouesse : révéler un épisode méconnu de l’histoire de la fin du monde antique et parler par ricochet de la situation géopolitique et de la montée inexorable des extrémismes religieux contemporains. L’effet de miroir qu’"Agora" propose sur le monde actuel, assez inattendu dans le genre calibré de l’Epic, peut provoquer jusqu’à un certain malaise et appelle en tous cas à la discussion aussitôt le film terminé. Une admirable réussite.


Alexander / Alexandre (Oliver Stone, 2004)
Raccourcie, rallongée, remontée en plusieurs versions, la folie d’Oliver Stone est un spectacle hybride et boursouflé mais traversé de fulgurances de mise en scène, de moments d’intense poésie et d’existentialisme au milieu du vacarme et de l’extravagance. Le réalisateur s’est sans doute quelque peu identifié, consciemment ou non, à son héros qui se perd lui-même sur les sentiers de son ambition et le film y récupère une dose d’auteurisme auquel le genre se prête rarement. Si Angelina Jolie incarne Olympias avec une outrance camp peu commune, Colin Farrell (malgré les boulets rouges qu’on lui a tirés), est un excellent Alexandre dont les doutes affleurent sous l’apparente assurance. L’arrivée à Babylone, la bataille en Inde, la mort du souverain... sont de grands moments du genre. L’échec du film à sa sortie, s’il est explicable, ne doit pas empêcher sa réhabilitation.


Apocalypto (Mel Gibson, 2006)
On dira que le film n’est qu’une longue course poursuite (un « survival ») dans la jungle et on aura raison. Oui, mais une jungle qui s’ouvre pour un moment sur une reconstitution stupéfiante de Chichen-Itza, la capitale sacrée des Mayas. L’Epic, presque toujours limité à la zone méditerranéenne pour des raisons évidentes, trouve dans ces scènes d’"Apocalypto" un décor inédit qui ne fait pas pâle figure à côté des édifices de la Rome antique et qui régénère le genre en lui apportant, en outre, un supplément de violence très cinématographique. Les obsessions et les démons de Gibson apparaissent à chaque coin de l’écran et la lecture prosélyte du film pourrait remplir des pages mais en tant que grand spectacle et film d’évasion (à tous les sens du terme), "Apocalypto" est une sorte de chef-d’œuvre.


Barabbas (Richard Fleischer, 1961)
Le très polyvalent Richard Fleischer a réalisé avec "Barabbas" un des fleurons du genre de l’Epic, un chef-d’oeuvre injustement mésestimé par le public à côté des "Ben-Hur" et autres "Spartacus". Anthony Quinn incarne magistralement le criminel libéré par Pilate au lieu de Jésus et rongé par un sentiment de culpabilité. La superproduction, qui bénéficie de décors impressionnants (qui peut oublier la séquence des mines de sel ?), y trouve une surprenante profondeur psychologique qui réussit à survivre à l’ampleur du cadre et des mouvements de foule. L’intime et le grandiose y fusionnent comme jamais le genre n’avait réussi à la faire auparavant et ne s’y risquera plus après, jusqu’au récent "Agora". On dit qu’une véritable éclipse solaire eut lieu au moment du tournage de la scène de la Crucifixion : "Barabbas" est peut-être un film touché par la Grâce.


Ben-Hur : a tale of the Christ / Ben-Hur (Fred Niblo, 1925)
Le célèbre remake aux 11 Oscars de "Ben-Hur" par William Wyler (1959) m’a toujours paru d’une assommante respectabilité et, malgré ses indéniables morceaux de bravoure, une indigeste bondieuserie à côté du magnifique Epic muet de Fred Niblo. Si le format du cadre, le beau noir et blanc et l’absence de paroles permettent à ce film de s’approcher au plus près des gravures des romans du XIXe siècle, l’audace de la violence de certaines scènes et les subreptices nudités qui parsèment le film lui donnent une liberté de ton et un zeste de piment qui manquent cruellement au remake. Quant à la course de chars, tant célébrée dans le Wyler, elle se hisse ici, compte-tenu des moyens des années 20, à un niveau qui me semble supérieur. Reste à évaluer les avantages respectifs de Ramon Novarro et de Charlton Heston mais ne comptez pas sur moi pour m’y atteler.


Caligula (Tinto Brass & Bob Guccione, 1979)
Le genre Epic est intrinsèquement lié à nos fantasmes sur les sociétés de l’Antiquité. Pour Rome, c’est entre autres la force de l’armée, la décadence des familles impériales, la pompe des cérémonies et la sexualité débridée. "Caligula" est loin d’être un bon film (il a été trop charcuté et obscènement réassemblé pour y prétendre) mais il reste une vraie curiosité, un phénomène sans égal qui n’est en fin de compte qu’un avatar perverti de ce que Cecil B.DeMille aurait fait s’il avait pu aller jusqu’au bout de ses obsessions. Ne gardant de l’histoire de Caligula que la part de scandale et d’abjection, ce monstre de foire qui préfigurait en son temps la mode du porno-chic et du porno-trash, parce qu’il ose montrer ce que la morale judéo-chrétienne a imposé à nos fantasmes sur la Rome antique, mérite bien sa place dans cette liste. "Caligula" est un pur film d’exploitation dont les clés de lecture sont passionnantes.


Cleopatra / Cléopâtre (Joseph L. Mankiewicz, 1963)
Cette autre extravagance qui faillit couler la Fox, coûta sa carrière à Mankiewicz et fit à jamais entrer Elizabeth Taylor dans l’Olympe des superstars reste, malgré son éprouvante longueur et ses interminables bavardages, un des monuments majeurs du genre. S’il ne possède pas un centième du fun de la version de Cecil B.DeMille (1934), le "Cléopâtre" de Mankiewicz marque une étape de l'Epic et une date trop importante dans l’histoire des studios hollywoodiens pour ne pas continuer à fasciner. Du plan d’ouverture sur le port d’Alexandrie à la mort de la reine destituée et de ses deux servantes en passant par l’apparition dans le tapis déroulé et l’entrée dans Rome, les scènes d’anthologie se succèdent entre deux coups de frein : ma préférée est celle du dialogue devant le tombeau d’Alexandre le Grand. Et Elizabeth Taylor a un look Sixties absolument irrésistible.


The fall of the Roman Empire / La chute de l’Empire Romain (Anthony Mann, 1964)
"Gladiator" de Ridley Scott (2000) a pillé sans vergogne et occulté ce qui me semble être le meilleur Epic de l’histoire du cinéma (ou tout au moins, mon préféré) : "La chute de l’Empire Romain". Un titre en lui-même épique, un générique splendide, une musique inoubliable de Tiomkin, des décors construits époustouflants et une vision panoramique du IIe siècle se conjuguent pour offrir au spectateur un spectacle total qui n’écrase pourtant pas la maturité du scénario. Seule la course de chars, inutile référence à "Ben-Hur", est un faux-pas, mais quelle importance par rapport à la plus belle scène de tout le genre de l’Epic : les funérailles sous la neige de Marc-Aurèle au pied du fort dans la forêt germanique ? Hélas, le film arriva trop tard, la mode du genre était passée et la ruine de son visionnaire producteur, Samuel Bronston, fut consommée. Un demi-siècle plus tard, son formidable film lui survit.


Ercole e la Regina di Lidia / Hercules unchained / Hercule et la Reine de Lydie (Pietro Francisci, 1959)
"Le fatiche de Ercole / Les travaux d’Hercule" (1958) lança la mode du péplum italien mais n’est pas un film mémorable. Sa suite, en revanche, reste une pure merveille et l’un des Epic films de second rang les plus enthousiasmants (pour qui aime le kitsch et le camp). Hybride de mythologie, de fantastique et de pop culture, "Hercule et le Reine de Lydie" pousse le genre dans de formidables outrances visuelles et thématiques, notamment dans toutes les scènes où apparaissent ensemble le sculptural Steve Reeves et la voluptueuse Sylvia Lopez, deux hallucinantes hypertrophies de masculinité et de féminité. Les décors, magnifiés par la photo saturée de couleurs de Mario Bava, servent d’écrin à ce couple inouï qui défie les lois de l’anatomie. Un plaisir coupable, sans doute, mais quel plaisir !


Jason and the Argonauts / Jason et les Argonautes (Don Chaffey, 1963)
Un spectacle merveilleux et indélébile pour qui l’a découvert enfant, "Jason et les Argonautes" est le chef-d’œuvre de ce genre hybride qu’est l’Epic fantastique, qui fusionne scènes naturelles et effets spéciaux artisanaux (ici, ceux du grand Harryhausen), qui avaient un charme fou que les CGI d’aujourd’hui ont totalement oblitéré. L’Epic ne s’est jamais approché autant du conte d’aventures qu’avec "Jason" et l’émerveillement de ma découverte du film est toujours intacte, tant d’années après : la vallée des statues de bronze, le combat avec l’hydre, le vieil aveugle et les harpies, le duel avec les squelettes… sont des moments de cinéphilie naissante que je continue à chérir. Porté par la partition de Bernard Herrmann, c’est du cinéma dans ce qu’il a de plus beau et de plus noble : un art de l’imaginaire et de l’évasion qui intrigue, inquiète et ravit.


King of Kings / Le Roi des Rois (Nicholas Ray, 1961)
Raconter le destin de Jésus au cinéma est un vrai chemin de croix : les pièges du cliché et les chausses-trappes du sulpicien attendent le scénariste et le réalisateur à chaque tournant d’une l’histoire débarrassée depuis deux mille ans de tout suspense. De toutes les versions qui se sont succédées (chaque génération a la sienne), celle de Nicholas Ray est la plus satisfaisante parce qu’elle s’attache à montrer le fils de Dieu comme un homme parmi les Hommes et non comme le héros sacré d’une adoration déjà acquise. Les scènes attendues sont toutes au rendez-vous mais laissent à Jeffrey Hunter la possibilité de suggérer l’humanité complexe du personnage qu’il incarne et nous offrent plus qu’un beau livre d’images. De toute façon, avec Jeffrey Hunter en Jésus, quelle qu’eût été la qualité du film, sa place dans cette liste était assurée. La version muette de 1927, "The King of Kings" par Cecil B. DeMille, est très bonne aussi, mais avec une dose involontaire de camp qui peut rebuter les philistins (dont ce carton inoubliable, prononcé par Marie-Madeleine : « Harnachez mes zèbres, cadeau du Roi de Nubie ! »).


Land of the Pharaohs / La terre des Pharaons (Howard Hawks, 1955)
Hawks et l’Epic n’auraient à priori pas fait bon ménage mais l’exception confirme la règle et "La terre des Pharaons" est un excellent film qui panache avec bonheur les scènes intimistes et les séquences spectaculaires, bénéficiant chacune d’un splendide sens du format Cinémascope. Si les manigances de Nellifer (Joan Collins, pas si mauvaise) se hissant dans les faveurs du Pharaon sont du ressort du mélodrame, le film atteint une ampleur inégalée dans les scènes de la construction de la Pyramide qui continuent d’impressionner, en notre époque de CGI, avec leurs milliers de figurants. Et la dernière partie du film offre une progression dramatique dans le suspense et l’angoisse absolument inoubliable, amplifiée par les effets sonores du sable qui s’écoule et des pierres qui se scellent. Les mystérieux bâtiments funéraires de l’Egypte ancienne ont-ils jamais été aussi excitants ?


The Passion of the Christ / La Passion du Christ (Mel Gibson, 2004)
Malgré le grotesque de certaines scènes (l’apparition du Diable au Jardin des Oliviers) et les relents antisémites qu’on ne peut occulter, le film de Mel Gibson a atteint son but prosélyte et polémique avec une incontestable réussite et reste l’un des Epics les plus audacieux et intéressants jamais produits. Le réalisme graphique des supplices infligés à la chair de Jésus, d’une brutalité oppressante, m’a semblé être dans le prolongement direct de la peinture sacrée de Grünewald, de certains tableaux de la Contre-Réforme et des Mystères qui étaient joués sur les parvis médiévaux des cathédrales. Jim Caviezel se donne à corps perdu à son rôle et si, comme pour "Apocalypto", "La Passion du Christ" éclaire sans doute autant les démons de Gibson que l’Evangile, la dernière image du film, dans sa fulgurante évidence, justifie toute la violence qui a précédé en renvoyant avec génie à l’essence-même du message chrétien.


Rome (HBO, 2005-2007)
Cette série TV qui s’est arrêtée au bout de deux saisons n’a rien à envier aux superproductions du grand écran et on ne peut que lui attribuer une place de choix dans le genre de l’Epic film. Dotée d’une ambition et d’un budget démesurés (qui causèrent sa perte), "Rome" donne à voir une antiquité débarrassée de sa propreté hollywoodienne. Le spectateur y découvre un monde intimiste et grouillant, civilisé et barbare, crédible et fascinant qui n’avait encore jamais été présenté de la sorte. Si les deux personnages principaux, Lucius et Titus, ont un peu trop tendance à toujours être au bon endroit au bon moment et si le personnage de Cléopâtre est totalement raté, tout le reste est admirable : décors et costumes, comédiens et dialogues, direction et technique. Pour continuer l’histoire, il faut voir une autre série inoubliable mais beaucoup plus théâtrale : "I, Claudius" (BBC, 1976), qui commence au moment précis où "Rome" s’arrête.


The sign of the Cross / Le signe de la Croix (Cecil B.DeMille, 1932)
Cecil B.DeMille a donné en une poignée de films ses lettres de noblesse à l’Epic : ses "Dix Commandements" de 1956 est l’un des titres les plus respectés du genre. C’est aussi un livre d’images trop naïf et ampoulé pour figurer ici. Mais en 1932, le réalisateur signait avec "Le signe de la Croix" un de ses classiques les plus pervers. La mémoire collective populaire, qui a surtout retenu de l’Empire Romain ses excès décadents, y trouvait de quoi se repaître : la scène du banquet/orgie et surtout la longue scène finale des jeux du cirque où les supplices les plus raffinés sont montrées dans la limite de ce que le pré-Code pouvait oser. Je ne me lasse pas de revoir le combat des nains et des Amazones, les chrétiennes livrées aux crocodiles ou aux gorilles, les grimaces de plaisir horrifié sur les visages des spectateurs sur les gradins… Le sexe, la torture et la Croix : le cinéma hollywoodien aura rarement été aussi titillant.


300 (Zack Snyder, 2006)
Adoré (c’est mon cas) ou détesté, le "300" de Zack Snyder, adaptation d’un BD à succès, revitalise tout en l’épuisant l’Epic à coup d’images de synthèse, de ralentis obscènes et de giclées de sang et se permet de transformer l’histoire de Léonidas aux Thermopyles en un délire thématique et formel que ses pourfendeurs ont réussi à affubler des adjectifs « réactionnaire », « raciste », « gay », « homophobe » et j’en passe. Je crois qu’il faut plutôt voir le film comme une ultime variation sur les codes de l’Epic, un fourre-tout (et un cul-de-sac) qui hypertrophie tous les composants du genre jusqu’à la nausée. Guerriers farouches et monstres innommables, jupettes et sandales, bodybuilders et travestis, courage et perfidie… tout cela se mêle dans un spectacle d’une absolue décadence qui, lorsqu’on réussit à aller au-delà de l’artifice de l’ensemble, exerce un pouvoir de fascination stupéfiée dont l’Epic, par tradition, n’est pas avare.

23 novembre 2009

My Best of : Films-catastrophe

A l'occasion de la sortie universelle et de ma délectation individuelle pour 2012, voici dans l’ordre alphabétique une liste subjective de mes 10 (et quelques) films-catastrophe préférés. Si le film-catastrophe est par définition un film de distraction (« entertainment movie » ou « popcorn movie »), quelques-uns de ses chefs-d’oeuvre, comme on le voit ci-dessous, repoussent ce qualificatif jusqu’à son opposé extrême (« depression movie ») et peuvent vous foutre le bourdon pour des jours. Moi, j’aime les uns comme les autres…


The day after tomorrow / Le jour d’après (Roland Emmerich, 2004)
Le changement climatique y plonge la Terre (et New-York) dans un chaos indescriptible mais très cinématographique. Le message écologique donne au film un petit supplément de responsabilité qui n’est pas commun dans les films-catastrophe hollywoodiens mais ce n’est bien sûr pas pour ça qu’on a vu le film : c’est pour le savoir-faire d’Emmerich dans la composition de scènes de désastres naturels, qui reste inégalé (sauf par lui-même dans 2012). De la banquise qui se fissure au gel subit de la planète, en passant par le raz-de-marée sur Manhattan, les tableaux grandioses se succèdent avec enthousiasme. Et si les clichés scénaristiques sur la famille, les élus et les damnés abondent, c’est dans la nature-même du genre. On regrettera quand même quelques loups en CGI vraiment trop voyants, mais c'est chipoter.


The day the Earth caught fire / Le jour où la Terre prit feu (Val Guest, 1961)
Un excellent film britannique en noir et blanc avec un scénario assez original : à la suite d’une série d’explosions nucléaires, la Terre se rapproche du Soleil, chauffe et menace de se consumer. Avec une économie de moyens qui bénéficie au réalisateur, obligé de se concentrer sur le drame humain vécu par quelques personnages (notamment un journaliste qui couvre la catastrophe pour un journal londonien), le film possède une tournure documentaire qui continue à impressionner aujourd’hui. Les vues des rues et des parcs de Londres, devenus fournaises, se vidant peu à peu de la population font – paradoxalement - froid dans le dos. Une grande réussite du film-catastrophe (sur le mode sérieux), malheureusement trop méconnu, et qui rappelle évidemment les inquiétudes des années 1960 concernant la prolifération nucléaire.



A night to remember / Atlantique, latitude 41 (Roy Ward Baker, 1958) &
Titanic (James Cameron, 1997)
Film de tous les superlatifs, Titanic de Cameron, malgré ses nombreux défauts et mièvreries, reste un exaltant moment de cinéma-catastrophe (et d’effets spéciaux) dès lors que le paquebot approche de l’iceberg. Mais c’est A night to remember, que Cameron a pillé sans scrupule, qui demeure le meilleur film jamais réalisé sur le Titanic. Tourné dans un noir et blanc qui lui assure son aspect documentaire et écrit avec l’assistance de Walter Lord, l’historien spécialiste de la tragédie, ce film britannique raconte sans négliger aucun détail l’avant, le pendant et l’après du naufrage. Baker met en scène avec beaucoup de subtilité le drame individuel et collectif des passagers tout en offrant des images saisissantes et élégiaques de l’intérieur du navire qui coule. C’est l’un de mes films préférés, tous genres confondus.


The Poseidon adventure / L'Aventure du Poséidon (Ronald Neame, 1972) &
Poseidon (Wolfgang Petersen, 2006)
L’aventure du Poséidon a donné au film-catastrophe ses lettres de noblesse en 1972 (après Airport, qui était plus un mélodrame) et reste encore, près que quarante ans plus tard, l’un des meilleurs. Le suspense de l’histoire, les effets spéciaux mécaniques, les décors saisissants du paquebot retourné et les acteurs chevronnés qui réussissent à apporter une émouvante épaisseur à leurs personnages stéréotypés permettent au film d’atteindre un équilibre entre frisson et émotion que le genre semble aujourd’hui avoir perdu. Enfant, l’affiche du film a longtemps orné un mur de ma chambre : c’est aussi peut-être pour cela qu’il me tient particulièrement à cœur. En 2006, le remake de Petersen, sans égaler l’original, a privilégié l’action pure et a rempli sa mission avec panache, malgré les critiques assassines qui l’ont accueilli.


On the beach / Le dernier rivage (Stanley Kramer, 1959)
Comme d’habitude chez Kramer, le meilleur côtoie le pire dans ce film d’un rare pessimisme où quelques personnages attendent l’arrivée d’un nuage radioactif mortel sur l’Australie. Le meilleur, c’est la science du cadre large et du noir et blanc. Le pire, c’est la lourdeur démonstrative et de jeu de certains acteurs (Astaire, Perkins). Mais le sentiment désespéré qui imprègne tout le film reste impressionnant après un-demi siècle et certains moments sont de splendides moments de mise en scène : la marche d’Ava Gardner sur le quai devant les marins, l’arrivée du sous-marin dans le port presque désert de San Francisco, la recherche de l’émetteur du signal morse, le dernier profil d'Ava Gardner (à mon avis, elle n'a jamais été plus belle que dans ce film), les toutes dernières images. Et l’utilisation du magnifique "Waltzing Matilda" comme illustration musicale provoque, à chacun de ses passages, un réel pincement au cœur.


San Francisco (W.S. Van Dyke, 1936)
Seule la dernière demi-heure appartient proprement au genre du film-catastrophe, mais quelle demi-heure ! Le tremblement de terre et l’incendie de San Francisco (1906) sont reconstitués de façon très spectaculaire sur les immenses plateaux de la MGM et exaltés par une formidable science du montage, évidemment influencée par le cinéma soviétique. Les trois premiers quarts du film mêlent mélodrame, musical et opéra (quel panachage !) mais contiennent une tension palpable due au fait que le spectateur qui découvre le film attend les premières secousses sans savoir quand elles vont arriver. Certains détestent l’outrance lyrico-mystique de la dernière séquence mais je trouve pour ma part qu’elle obéit bien à la loi du film-catastrophe et de l’époque et qu’elle conclut parfaitement ce film étonnamment hybride, l’une des premières grandes réussites du genre.


Testament / Le dernier testament (Lynne Littman, 1984)
Ce film est sans doute le plus sombre et déprimant jamais réalisé dans ce sous-genre du film-catastrophe : le film d’extinction. C’est ce qui doit expliquer la négligence avec lequel il est traité dans les papiers sur le sujet et l’oubli public dans lequel il est tombé. Réalisé par une femme (c’est important : le ton a une sensibilité toute féminine), il raconte sans aucun recours aux effets spéciaux les conséquences d’une attaque nucléaire distante sur une famille d’une banlieue bourgeoise californienne. Le père, parti travailler en ville le matin, est sans doute mort le premier. A la suite des retombées radioactives, ses enfants puis sa femme (bouleversante Jane Alexander) s’éteignent les uns après les autres, dans leur décor quotidien inchangé. Un film désespéré et inoubliable qui choisit d’analyser la désintégration psychologique et physique d’une famille confrontée à sa disparition certaine.


The towering inferno / La tour infernale (John Guillermin, 1974)
Avec L’Aventure du Poséidon, le second pilier historique du genre. Je me rappelle l’avoir vu sur très grand écran au cinéma, lors d’une ressortie d’été, et d’avoir physiquement ressenti des vagues de chaleur ! C’est à mon avis (malgré mon attachement pour le Poséidon), le modèle insurpassable du film-catastrophe pré-CGI, avec son scénario codifié et efficace, son casting royal, ses décors rutilants puis ravagés et ses effets spéciaux à la fois artisanaux et démesurés. Personne ayant vu le film n’a pu oublier la scène des amants pris au piège des flammes, de l’ascenseur extérieur ou du sauvetage en nacelle entre les deux tours. Je crois même me souvenir que le film avait provoqué à sa sortie l’introduction de modifications dans les règles de sécurité sur les bâtiments de grande hauteur. Son titre lui-même est entré dans la mémoire collective et le prononcer réussit toujours à provoquer un délicieux petit frisson.


United 93 (Paul Greengrass, 2006)
Je classe ce film dans le genre du film-catastrophe même si il y est bien trop à l’étroit. L’éprouvant réalisme du film, dû à l’intelligence du scénario, à la justesse des acteurs et à la maîtrise de la réalisation, dépasse de loin les normes du genre auquel il est pourtant rattaché par de nombreux points : microcosme en péril, univers clos, tension croissante. Le film s’arrête au moment précis de l’impact au sol de l’avion détourné, nous laissant avec nos images mentales des images réelles et obsédantes du 11 septembre. Un film cathartique et passionnel qui est aussi une expérience sensorielle insupportable pour beaucoup. Si United 93 est bien du cinéma, les terribles images du 11 septembre ne sont-elles pas les images définitives (au moins jusqu’à aujourd’hui) du plus grand film-catastrophe qu’on puisse imaginer ?



When the wind blows (Jimmy Murakami, 1986)
J’ai récemment découvert ce bouleversant long-métrage d’animation britannique qu’on peut rapprocher de Testament, cité plus haut. Ici aussi, des anonymes subissent les effets des retombées d’une attaque nucléaire. C’est un couple de petits retraités dans la campagne anglaise. Ils se préparent à des moments difficiles en suivant à la lettre les instructions que leur donne la BBC. Puis l’électricité est coupée, l’isolement devient total, ils tombent malades et meurent. La transition progressive entre la combativité au début, leur incompréhension au milieu et leur résignation à la fin rythme les trois sections du film. La catastrophe, lointaine, est seulement suggérée, mais ses effets sur ces deux charmants petits vieux lui donne une résonance universelle. Un film qui commence avec pas mal d'humour pour finir dans une infinie tristesse.



When worlds collide / Le choc des mondes (Rudolph Maté, 1951) &
2012 (Roland Emmerich, 2009)
Produit par le génial George Pal, Le choc des mondes m’impressionna dans mon enfance quand je l’ai découvert à la télé, au point d'aller parfois scruter le ciel d’été pour essayer d'apercevoir Bellus et Zira s’approchant de la Terre. Sa naïveté me fait aujourd’hui sourire mais j’ai gardé une grande tendresse pour lui. Son remake inavoué, le superlatif 2012 d’Emmerich (encore lui) pousse le film-catastrophe vers des outrances jamais vues jusqu'ici. Les effets spéciaux digitaux actuels permettent tous les excès, péché mignon du réalisateur. De la Californie détachée qui plonge en cinq minutes dans le Pacifique à l’Himalaya balayé par un tsunami, tout est désormais possible et montré, pour notre plus grand plaisir. Peu importe l’idiotie de l’ensemble, on s’accroche au fauteuil pendant 2h40... et on en redemande. Les américains ont inventé un nouveau qualificatif spécialement pour le film : « Disaster Porn ». De la sensation pure sans aucune émotion : on est loin du Poséidon et c’est assez bien vu.