Affichage des articles dont le libellé est 1980-1989. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est 1980-1989. Afficher tous les articles

24 octobre 2009

Marlene (Maximilian Schell, 1983)


En septembre 1982, l'acteur-réalisateur autrichien Maximilian Schell (né en 1930) débarqua à Paris en vue de réaliser des entretiens filmés avec Marlene Dietrich (1901-1992) dans l'appartement de celle-ci au 12 avenue Montaigne. Marlene avait accepté l’idée de l’exercice, signé un contrat avec Schell et s’était préparée à affronter une nouvelle fois la caméra, sept ans après sa dernière (et ultime) apparition dans un film, Just a Gigolo (1975) de David Hemmings.

Maximilian Schell, qui était de langue natale allemande comme Marlene et qui l’avait autrefois croisée sur le plateau de Jugement à Nuremberg (1960) de Stanley Kramer, avait eu l’innocence de croire qu’il avait réussi à l’apprivoiser et n’imaginait pas que les interviews prévus allaient tourner au cauchemar avant même de commencer et le forcer à revoir entièrement son projet de documentaire sur la vie et la carrière de la star. Car Marlene Dietrich, alors âgée de 81 ans et recluse depuis déjà quelques années dans son appartement parisien où elle vivait entourée de sa secrétaire particulière Annie Albers et de son homme de main Bernard Hall, avait décidé brusquement, dans les derniers jours avant le début du tournage, qu’elle ne voulait plus être filmée et fit savoir par son avocat que les entretiens ne pourraient être enregistrés que sur magnétophone, et sur magnétophone seulement : aucune image ne serait autorisée.

Maximilian Schell et toute son équipe, une fois le premier choc passé de cette catastrophique annonce, durent se résigner à repenser la forme du documentaire envisagé. Ne souhaitant pas attaquer Marlene par respect pour la star, pour son âge et pour son état de santé fragile, Schell imagina de faire avec ce que Marlene acceptait de lui donner (où plutôt de lui vendre puisqu’elle fut évidemment rémunérée pour le projet) : plusieurs heures d’entretiens enregistrés au micro chez elle, en allemand et anglais. Il fallait donc trouver une idée d’accompagment du son par des images. Comme aucune image de Marlene ni de son appartement n’était plus envisageable, Schell décida d’utiliser les moyens traditionnels du film documentaire : images d’archives, extraits de films, photographies anciennes. Il eut l’idée d’ajouter des effets de mise en scène en reconstituant en studio des coins de l’appartement de Marlene, d'utiliser quelques sosies et poupées, de faire intervenir certaines personnes qui la connaissaient bien (notamment Annie et Bernard ci-dessus mentionnés), des techniciens travaillant sur le film comme les éclairagistes ou l’assistante-monteuse et surtout, de recourir à toutes les possibilités expressives du montage pour donner à son film le dynamisme nécessaire.

Pas commode, la vieille Marlene...

Le résultat, Marlene, sorti en salles en 1983, est l’un des documentaires les plus originaux qui soient et sans doute, le portrait le plus créatif et sincère d’une star hollywoodienne jamais réalisé. D’une durée de 91 minutes, Marlene dresse un portrait impressionniste de la vie et de la carrière de cette femme hors-normes aux dernières années de sa vie et est un témoignage psychologique extraordinaire sur sa personnalité complexe. Marlene est aussi, et c’est aussi ce qui en fait la splendide nature, la réflexion d’un réalisateur sur l’impossibilité de faire le film qu’il avait prévu de faire et un acte créatif issu d’une intense frustration. A la fois documentaire et réflexion sur la nature d’un documentaire, le film de Maximilian Schell fut justement nominé aux Oscars 1984 du Meilleur Documentaire (l’Oscar fut remporté par l’excellent mais plus conventionnel The Times of Harvey Milk de Rob Epstein).

Des quarante heures et quelques de conversations enregistrées sur les bandes magnéto lors des multiples rendez-vous chez Marlene Dietrich, Maximilian Schell isola les moments les plus significatifs, amusants, surprenants et vrais. Vrais car Marlene, en parfait comédienne qu’elle fut pendant la plus grande partie de sa vie, joua lors des entretiens le rôle de son personnage de star forte, impatiente et capricieuse qu’elle avait sans doute aussi dû être dans la réalité. C’est seulement à quelques moments du film que la carapace se brise et que Maria Magdalena Dietrich ressurgit, une vieille femme surprise elle-même par la magnitude de la carrière qu’elle avait faite sous le nom de Marlene Dietrich. De sa voix reconnaissable entre toutes, même si usée par l'âge, la cigarette et le whisky (son ami fidèle Louis Bozon dit dans son livre que la voix de Marlene dans le documentaire est alcoolisée), Marlene raconte à sa manière son enfance, sa carrière, ses prises de position politiques pendant la guerre, ses rencontres surtout professionnelles et un peu privées… en respectant toutefois la légende de son personnage, ce qui donne l’occasion de scènes très drôles.

Illustrant avec malice les propos de Marlene par des photos ou des images d’archives, Schell réussit à débusquer ses mensonges ou oublis volontaires : ainsi lorsqu’il lui demande si elle était fille unique, Marlene répond « Oui, bien sûr ! » du tac-au-tac alors qu’on nous montre une photo d’elle et de sa sœur aînée dans les années 1910. Dans une autre scène, Marlene affirme péremptoirement qu’elle est n’a jamais versé dans le kitsch tandis que passent des extraits de ses concerts londoniens de 1972 où elle est en scène dans son célèbre manteau en plumes de cygne sur fond de drapés roses. Ou encore ce moment où elle dit qu’elle est toujours « très calme » et qu’on voit la scène de la bagarre dans le saloon de Destry Rides Again ainsi que son agression verbale d’un spectateur dissipé lors d’un concert : « Qui est-ce-qui parle ? Vous allez la fermer ? ». Plein de petites touches amusantes et contrastées de ce genre parsèment le film.

Maximilian Schell

Maximilien Schell se permet de temps en temps des effets provocateurs qui déstabilisent Marlene, comme cet extrait de L’Impératrice Rouge qu’il lui présente pour qu’elle le commente. Seulement, il a intégré subrepticement dans la scène qu’il lui montre des morceaux d’autres films : Marlene hésite puis l’engueule comme poisson pourri en lui disant qu’on lui a donné une mauvaise copie du film et que lui et son équipe ne sont que des amateurs (il faut l'entendre dire avec sa voix rauque : "Amateurs ! Amateurs !"). Il y a aussi la scène où elle affirme que L’Ange Bleu était son tout premier film et qu’il lui montre des extraits de ses films muets pour la contredire et lui clouer le bec (elle s'en sort plutôt bien). On ne peut s’empêcher de penser que l’effet humoristique un peu potache de ce type de farce qui revient plusieurs fois au cours du film est la petite vengeance personnelle du réalisateur envers celle qui lui avait cassé son projet d’origine.

Marlene nous apprend de la bouche-même de l’actrice que son propre film préféré était The Devil is a Woman (La Femme et le Pantin) de von Sternberg - ça tombe bien, c'est aussi le mien -, qu’elle adorait Spencer Tracy et qu’il faut se signer quand on prononce le nom d’Orson Welles. Que les allemands étaient contents d’avoir un Fürher en 1933 parce que les allemands aiment recevoir des ordres, que tous les allemands étaient au courant de l’existence des camps de concentration et qu’elle aime les français pour leur courage pendant la guerre. Qu’Emil Jannings était un gros porc qui surjouait et que ces pauvres acteurs de la Méthode qui vont chercher on ne sait quoi au fond d’eux-même avant de commencer une scène se la racontent. Que la scène du rouge à lèvres sur le miroir du sabre dans Dishonored (Agent X27) est le comble du kitsch (les mots "kitsch" et "quatsch" - "ringard" - reviennent en leitmotiv dans les propos de Marlene). Et bien sûr, que le fait d’avoir été une star hollywoodienne ne lui fait ni chaud ni froid…

Marlene dans son film préféré avec elle-même : The Devil is a Woman (1935)

Au final, Marlene, au-delà du portrait passionné et fascinant d’une femme qui fut à la fois entière et contradictoire, reste le témoignage de la formidable bataille d’egos qui se joua lors des ces interviews audios de 1982 entre Marlene Dietrich et Maximilian Schell, deux personnalités impliquées chacune à leur façon dans un projet de documentaire qui devint quelque chose qui n’était pas du tout prévu au départ : un film d'auteur. On n’arrive pas trop à savoir qui avait la main dans cette affaire : Marlene ou Maximilian ? Sans doute les deux, et à proportions égales. Ce qui est certain, c'est que dans ce jeu du jeu et de la souris, ils se sont mutuellement rendus chèvre. La tension de certains de leurs échanges (on a parfois l’étrange impression d’entendre des disputes d’un vieux couple) donne au film sa spécificité dont le seul autre exemple qui me vienne à l’esprit est un autre documentaire sur le cinéma, Ennemis Intimes, sur Werner Herzog et Klaus Kinski. J’aime particulièrement un moment du film où Dietrich dit à Schell : « Mais pour qui vous prenez-vous ? J’ai dîné à la table de tous les plus grands de ce monde et jamais, mais jamais, personne n’a osé me traiter comme vous le faites ! ».

Impatiente, Marlene l’est pendant toute la durée du film. Se protégeant régulièrement derrière ce fameux contrat qui stipulait combien de temps Schell devait rester pour chaque entretien ou quelle langue ils pouvaient parler ensemble (allemand ou anglais), elle fait la vieille petite fille agacée en réponse à de nombreuses questions du réalisateur : « Qu’est-ce-que vous voulez que je vous réponde à çà ? Blabalablablablabla… c’est çà que vous voulez ? », « Amateur, retournez chez votre Mama Schell ! », « Allez ouste, tout le monde s’en va ! ». La punition de la star difficile, purement cinématographique bien entendu, vient dans l’avant-dernière séquence, quand un formidable montage de photos, d’extraits de films et de bandes d’actualités, de recréations avec des poupées, d’éclairs, de musiques dissonantes et de roulements de tambour sur "Where are all the flowers gone?" fait plonger le documentaire dans le vaudeville et le personnage de Marlene Dietrich en héroïne de comi-tragédie. C'est un morceau d’anthologie.

"Qui est-ce qui parle ? Vous allez la fermer ?"

Mais Maximilian, en fin de compte, nous montre qu’il aime Marlene, sincèrement et profondément, car dans la toute fin de son film, il réussit l’impossible. Après le déchaînement du montage de l’avant-dernière séquence, il impose à la bande-son un tonitruant retour au silence. On entend alors la voix du réalisateur qui lit (en allemand) un poème berlinois de la fin du XIXe siècle sur la vie qui passe, la mort qui vient, les choses qu’on ne s’est pas dites et les regrets qui sont souvent le lot des derniers jours. Marlene l’écoute attentivement. Elle connaît de toute évidence le poème par cœur et le récite à la suite de la lecture que Schell vient de lui faire. Et là, sa voix se brise d’émotion, les mots restent en suspens dans sa gorge et on entend sur la bande-son les sanglots de la vieille star. Sur l’image qui s’estompe d’un gros-plan de visage de Marlene Dietrich dans son dernier film, Just a Gigolo, Marlene, en pleurs, réussit à dire que c’était le poème préféré de sa mère, qu’il est sans doute un peu kitsch mais que c’est la plus belle chose qu’elle connaisse. Le visage et la voix s’évanouissent dans un fondu au noir. Marlene Dietrich s’est éteinte dans son appartement de l’avenue Montaigne en 1992, onze ans après avoir accordé au microphone de Maximilien Schell ce bouleversant témoignage de sa vulnérable humanité.

On peut aimer ou détester Marlene Dietrich (ou s’en foutre) mais je suis certain que le film-documentaire de Maximilian Schell, par son astuce et sa surprenante grammaire, ne peut que fasciner, comme moi, tout ceux que le cinéma intéresse. Marlene est un film qu'il faut redécouvrir.


Et tant que j’y suis, je voudrais aussi mentionner un autre documentaire de 90 minutes que Maximilien Schell a réalisé en 2002 sur le même principe que Marlene : celui consacré à sa propre sœur, l’actrice Maria Schell (1926-2006), qui s’éloignait alors dans les brumes d’Alzheimer. Meine Schwester Maria (My Sister Maria), un film évidemment plus personnel que Marlene pour Maximilien Schell, est une autre merveille de sensibilité et de tendresse et l’un des plus beaux hommages qu’on puisse rendre à une célèbre actrice de cinéma et à la véritable personne qui se cachait derrière elle. On ne peut oublier ces images de Maria Schell qui regarde des extraits de ses propres films en demandant à son frère quelle est cette actrice qui est à l'écran. C’est un autre film exceptionnel.

Marlene et My Sister Maria existent en DVD Z0 américains d’excellente facture avec des sous-titres anglais.

23 février 2009

Sniff, Swig, Puff (Bea Arthur & Rock Hudson, 1980)


Devant la demande universelle et entre nous, voici l'origine du titre du blog que vous êtes en train de parcourir : Sniff and Puff.

Ce titre provient de l'inénarrable (et interminable) chanson "Everybody today is turning on" interprétée par Bea Arthur et Rock Hudson dans le show TV américain "The Bea Arthur Special", diffusé par CBS en 1980. Une chanson à l'origine écrite pour le musical génial et méconnu "I Love my Wife" en 1977 et reprise à l'unisson et au dixième degré par nos deux cinquantenaires malicieux trois ans plus tard. Un morceau insensé, véritable show-stopper, qui parle de substances qu'on sniffe et taffe (Sniff, swig, puff) sur un air plus qu'enlevé. Des paroles qu'on ne pourrait plus du tout entendre sur les télés d'aujourd'hui (How can a whiskey beat cannabis ?) et une interprétation géniale par Rock et Bea, très classieux en smoking et robe du soir, qui ont l'air de vraiment s'amuser tout en ayant trouvé le ton absolument juste. Bea est impériale comme d'habitude et Rock impressionnant de coolattitude. Un grand moment de n'importe quoi et un sommet de camp qui ne cessent de m'enchanter. J'adore !

Vous pouvez voir le numéro ci-dessous. Oui, la vidéo est un peu floue mais c'est un incunable. Essayez de comprendre quelques paroles ici et là, je vous jure que ça vaut le coup ! Ah, j'oubliais : il n'a pas de meilleure chanson pour un play-back à la maison. Et je sais de quoi je parle !

For some it’s grass, for some it’s coke
For some it’s powder, for some it’s smoke
Everybody today is turning on!
For some it’s dust, for some it’s weed
For some it’s acid, for some it’s speed
Everybody today is turning on!

Time was when if a fella felt depressed
He simply got it off his chest
By callin’ on a preacher
Talkin’ to his teacher
Coughin’ up a half a buck to see a double feature

But now it’s pills, and now it’s pot
And now it’s poppers, and God-knows-what!
Sniff, swig, puff, and your cares are gone!
Everybody today is turning on!

The simple life it must have been
When “smoke” was Luckys and “high” was gin!
One pink lady and how it turned ‘em on!
“Junk” was trash, “speed” was swift
Glue was pasted instead of sniffed
Coke and aspirin, and wow it turned ‘em on!

Those days whenever folks were feeling low
They knew that they could get a glow
And chase away the vapors
Laughing at the capers
(ici, un vers incompréhensible)
In the Sunday funny papers!

But now it’s ("sniff" noise) and down it goes
Around your windpipe and up your nose!
Sniff, swig, puff, and your cares are gone!
Everybody today is turning on!

Remember when “high” was up and kicks were tame
And “amyl nitrate” was some guy’s name?
Holdin’ hands and smoochin’ was turning on!
“Horse” was ride and “roach” was bugs
“French connections” were foreign plugs
Jivin’ to Eddie Duchin was turning on!

Those days when if your nerves were kind of shot
Instead of going right to pot
You prayed to hold it steady
Kept a Bible ready
Took advice from Rabbi Weiss or Mary Baker Eddy!

But with the world so much amiss
How can a whiskey beat cannabis?
Sniff, swig, puff, and your cares are temporarily gone!
Everybody today is turning on!

Remember when “hash” was fried and “T” was brewed?
Someone “pushing” was merely rude
But once a week you cut the grass
And too much acid just gave you gas!

Sniff, swig, puff, and your cares are temporarily gone
Everybody today is puffin’!
Into fudge look what they’re stuffin’!
Hold it, Ma, don’t touch that muffin!
God knows what your grandpa’s snuffin’!
Everybody today is turning on!


17 février 2009

Cult Movies (Danny Peary, 1981-1988)


Attention : post rébarbatif !

Entre 1981 et 1988, le critique de cinéma américain Danny Peary (né en 1949) a publié trois livres fondamentaux : Cult Movies, Cult Movies 2 et Cult Movies 3 (avec les sous-titres : "The Classics, the Sleepers, the Weird and the Wonderful") qui dressaient sa liste des titres de films qui pouvaient prétendre au titre de films-cultes. C'est lui, par l'intermédiaire de ces trois livres (et notamment du premier de la série en 1981) qui a définitivement popularisé ce terme de "Cult Movie" que tout le monde emploie depuis n'importe comment et en dépit du bon sens, le plus souvent dans une optique marketing. Ce n'est cependant pas lui qui en a forgé le terme, ce privilège revenant (et c'est toujours une source de grandes controverses) à Pauline Kael ou à Susan Sontag.

Pour remettre les choses en place, c'est dans son introduction de Cult Movies de 1981 que Danny Peary a donné ses pistes de définition d'un film-culte, puisque de définition magistrale, il n'y a point... par définition (c'est moi qui traduis ces lignes) :

Un "Cult Movie" est un film qui fait l'objet d'une adoration durable de la part d'un cercle réduit de spectateurs longtemps après sa première sortie et dont les images et les sons s'installent de façon permanente dans la vie quotidienne de ses fanatiques... Un "Cult Movie" se prête chez ses adorateurs à des interpétations multiples et contradictoires, inépuisables... Un "Cult Movie" implique le débat et la controverse, la discussion orale plus qu'écrite sur sa qualité artistique, sa thématique, son équipe créatrice... Un "Cult Movie" se revoit régulièrement... Un "Cult Movie" cessse de l'être dès qu'il connait un succès différé massif...

Il faut se replacer dans le contexte : Danny Peary a écrit son premier bouquin Cult Movies à la fin des années 1970. La K7 vidéo vient alors de faire son apparition et est accessible à une frange aisée de la population, les vidéo-clubs sont très peu nombreux, la TV cablée est marginale, les vieux films ne repassent qu'à la télé, dans les ciné-clubs ou lors des ressorties de l'été, les livres sur le cinéma sont rares : l'accessibilité à l'histoire du cinéma est encore très réduite. La charge affective que ces films-cultes provoquent chez leurs admirateurs inconditionnels est relativement bien plus forte qu'aujourd'hui, où notre accès aux films anciens est très facile par le DVD, le câble, Internet... C'est donc surtout historiquement que ces listes sont intéressantes. Elles montrent aussi et justement à quel point le terme "culte" est versatile et quasi indéfinissable, les films couvrant les genres les plus divers et les valeurs les plus opposées du spectre critique "raisonnable". Il y a évidemment quelques intrus dans cette liste : je ne crois pas que Peary y ferait figurer aujourd'hui "La Cage aux Folles"... Et encore, peut être qu'il y a toujours des vrais dingues de ce film-là (c'était le cas à sa sortie et dans les quelques années qui la suivirent).

Danny Peary n'a malheureusement jamais continué sur les films des années 1990-2000 malgré la pression de ses lecteurs. Il l'a justifié en disant que les années 1990 ont fait du "Cult Movie" un objet de consommation grand public, souvent même produit en tant que tel, et que le concept original n'existe donc plus, qu'il a tout bonnement disparu. A ce jour, Danny Peary continue à écrire, mais des chroniques sportives...

Une faiblesse de ces listes est l'ignorance quasi totale des films non-américains. Mais une fois de plus, il faut se replacer dans le contexte et penser à l'accessibilité des films internationaux à l'époque. Et ne pas oublier que l'intérêt collectif pour les "Cult Movies" est apparu sur les campus des universités américaines, lors des projections du soir dans les ciné-clubs... En France, le concept de "film-culte" existe depuis encore plus longtemps mais n'avait jamais été défini à l'époque. Il suffit de se souvenir des délires des Cahiers du Cinéma et des habitués du Mac Mahon sur un film comme "Les Aventures de Hadji" en 1954, pour se rendre compte qu'ils avaient eu l'intuition d'être devant un Cult Movie, mais sans pouvoir l'expliquer formellement.

Dans les trois bouquins de Danny Peary, chaque film est analysé d'une façon vraiment passionnée et éclairée. Ses notices font trois à quatre pages et étudient le film sous l'angle, après lecture, le plus pertinent, le plus évident. Quleques photos (noir et blanc) illustrent le propos. Cette trilogie est un must absolu pour les cinéphiles. Ceux qui les connaissent en ont tous, sans exception, fait des sortes de livres de chevet : depuis une vingtaine d'années, lorsque j'ai découvert Cult Movies 1 à la librairie W.H. Smith de la rue de Rivoli (je m'en souviens comme si c'était hier), je ne crois pas qu'il se soit passé une semaine sans que je relise une ou deux notices, par pur plaisir, par "délectation" comme on disait dans un autre temps. J'en connais, comme tous les fans des livres, les listes par coeur, dans l'ordre et à rebours et je m'étais donné à l'époque l'ambition de voir tous les films : c'est chose (presque) faite...

Malheureusement et inexplicablement, la trilogie des Cult Movies n'est pas traduite en français. Mais je vous jure que sa lecture justifierait presque de se mettre sérieusement à l'anglais pour ceux qui y sont réfractaires. Oui, ces trois livres sont à ce point d'excellence. A titre d'info, à ce jour les livres sont épuisés mais on peut les trouver pour une bouchée de pain sur les sites de vente d'occasions du style eBay ou Marketplace... Pour les cinéphiles anglophones, surtout, n'hésitez pas : vous ne savez pas ce que vous manquez si vous ne connaissez pas la Cult Movies Trilogy.

Pour être complet sur le sujet, il faut aussi signaler qu'en 1986, Danny Peary a publié un autre livre de critiques de films, tout aussi indispensable : Guide for the Film Fanatic. Dans celui-là, ce sont 1.600 mini-essais (sur 1.600 films donc, du muet à 1986) qui reprennent le style d'analyse critique de sa trilogie des trois volumes de Cult Movies. La reliure de mon exemplaire de Guide for the Film Fanatic est morte depuis longtemps et les pages volent au vent mais il n'est pas semaine non plus où je ne le reprenne pas. Il a aussi écrit le fabuleux Alternate Oscars (sur les films et acteurs qui d'après lui, auraient dû recevoir les Oscars) et le fascinant Close-Ups (des portraits de movie stars). Que des livres-cultes, en somme...

Pour ceux que ça intéresse, voici les trois listes originales des 200 Cult Movies de Danny Peary. Désolé pour la longueur : it's for the record...

Cult Movies (Danny Peary, 1981) : les 100 premiers titres

Aguirre, the Wrath of God - 1972 Herzog
All about Eve - 1950 Mankiewicz
Andy Warhol’s Bad – 1977 Johnson
Badlands – 1974 Malick
Beauty and the Beast (Belle et la Bête, La) – 1946 Cocteau
Bedtime for Bonzo – 1951 de Cordova
Behind the Green Door – 1972 Mitchell
Beyond the Valley of the Dolls – 1970 Meyer
Billy Jack – 1971 Franck
Black Sunday (Masque du Démon, Le) – 1960 Bava
Brood, The – 1979 Cronenberg
Burn ! – 1970 Pontecorvo
Caged Heat – 1974 Demme
Casablanca – 1942 Curtiz
Citizen Kane – 1941 Welles
Conqueror Worm, The – 1968 Reeves
Dance, Girl, Dance – 1940 Arzner
Deep End – 1971 Skolimowski
Detour – 1946 Ulmer
Duck Soup – 1933 McCarey
El Topo – 1971 Jodorowsky
Emmanuelle – 1974 Jaeckin
Enter the Dragon – 1973 Clouse
Eraserhead – 1978 Lynch
Fantasia – 1940 Disney
Forbidden Planet – 1956 Wilcox
Force of Evil – 1948 Polonsky
42nd Street – 1933 Bacon
Freaks – 1932 Browning
Girl Can’t Help It, The – 1956 Tashlin
Greetings – 1968 de Palma
Gun Crazy – 1949 Lewis
Halloween – 1978 Carpenter
Hard Day’s Night, A – 1964 Lester
Harder they Come, The – 1973 Henzell
Harold and Maud – 1971 Ashby
Honeymoon Killers, The – 1970 Kastle
House of Wax – 1953 de Toth
I Married a Monster from Outer Space – 1958 Fowler Jr
I Walked with a Zombie – 1943 Tourneur
Invasion of the Body Snatchers – 1956 Siegel
It’s a Gift – 1934 McLeod
It’s a Wonderful Life – 1946 Capra
Jason and the Argonauts – 1963 Chaffey
Johnny Guitar – 1954 Ray
Killing, The – 1956 Kubrick
King Kong – 1933 Cooper & Schoedsack
King of Hearts (Roi de Coeur, Le) – 1967 de Broca
Kiss me Deadly – 1955 Aldrich
Cage aux Folles, La – 1979 Molinaro
Land of the Pharaohs – 1955 Hawks
Laura – 1944 Preminger
Little Shop of Horrors, The – 1960 Corman
Lola Montes – 1955 Ophuls
Long Goodbye, The – 1973 Altman
Mad Max – 1979 Miller
Maltese Falcon, The – 1941 Huston
Man of the West – 1958 Mann
Night of the Living Dead – 1968 Romero
Nutty Professor, The – 1963 Lewis
Once upon a Time in the West – 1968 Leone
Out of the Past – 1947 Tourneur
Outrageous ! – 1977 Benner
Pandora’s Box – 1929 Pabst
Peeping Tom – 1960 Powell
Performance – 1970 Roeg
Petulia – 1968 Lester
Pink Flamingos – 1973 Waters
Plan 9 from Outer Space – 1956 Wood Jr
Pretty Poison – 1968 Black
Producers, The – 1968 Brooks
Rain People, The – 1969 Coppola
Rebel without a Cause – 1955 Ray
Red Shoes, The – 1948 Powell & Pressburger
Reefer Madness – 1936 Gasnier
Rio Bravo – 1959 Hawks
Rock’n’Roll High School – 1979 Arkush
Rocky Horror Picture Show, The – 1975 Sharman
Scarlet Empress, The – 1934 Von Sternberg
Searchers, The – 1956 Ford
Shock Corridor – 1963 Fuller
Shooting, The – 1967 Hellman
Singin’ in the Rain - 1952 Kelly & Donen
Sunset Boulevard – 1950 Wilder
Sylvia Scarlett – 1935 Cukor
Tall T, The – 1957 Boetticher
Targets – 1968 Bogdanovich
Tarzan and his Mate – 1934 Gibbons
Texas Chain Saw Massacre, The – 1974 Hooper
Top Hat – 1935 Sandrich
Trash – 1970 Morrissey
Two for the Road – 1967 Donen
Two-Lane Blacktop – 1971 Hellman
2001 : A Space Odyssey – 1968 Kubrick
Up in Smoke – 1978 Adler
Vertigo – 1985 Hitchcock
Warriors, The – 1979 Hill

Cult Movies 2 (Danny Peary, 1983) : les 50 titres suivants

Altered States – 1980 Russell
American Friend, The – 1977 Wenders
Barbarella – 1968 Vadim
Basket Case – 1982 Henenlotter
Beat the Devil – 1954 Huston
Bedazzled – 1967 Donen
Big Heat, The – 1953 Lang
Blood Feast – 1963 Lewis
Blood Money – 1933 Brown
Boy and his Dog, A – 1975 Jones
Breathless (A Bout de Souffle) – 1959 Godard
Bride of Frankenstein, The – 1935 - Whale
Children of Paradise (Enfants du Paradis, Les) – 1945 Carné
Clockwork Orange, A – 1971 Kubrick
Cutter’s Way – 1981 Passer
Dark Star – 1975 Carpenter
Daughters of Darkness – 1971 Kumel
First Nudie Musical, The – 1976 Haggard
Godzilla – 1954 Honda
Great Texas Dynamite Chase, The – 1977 Pressman
High School Confidential – 1958 Arnold
His Girl Friday – 1940 Hawks
Last Tango in Paris – 1973 Bertolucci
Man who Fell to Earth, The – 1976 Roeg
Marnie – 1964 Hitchcock
Massacre at Central High – 1976 Daalder
Mommie Dearest – 1981 Perry
Monthy Python and the Holy Grail – 1974 Gilliam
Morgan ! – 1966 Reisz
Ms. 45 – 1981 Ferrara
My Darling Clementine – 1946 Ford
Night of the Demon – 1957 Tourneur
Nightmare Alley – 1947 Goulding
Parallax View, The – 1974 Pakula
Phantom of the Paradise – 1974 de Palma
Picnic at Hanging Rock – 1975 Weir
Pretty Baby – 1978 Malle
Quadrophenia – 1979 Roddam
Salt of the Earth – 1954 Biberman
Seventh Seal, The – 1956 Bergman
Some Like it Hot – 1959 Wilder
Sullivan’s Travels – 1941 Sturges
Taxi Driver – 1976 Scorsese
To Be or Not To Be – 1942 Lubitsch
Vanishing Point - 1971 Sarafian
White Heat - 1949 Walsh
Wicker Man, The - 1973 Hardy
Willy Wonka and the Chocolate Factory - 1971 Stuart
Wuthering Heights - 1939 Wyler
Zardoz - 1974 Boorman

Cult Movies 3 (Danny Peary, 1988) : les 50 derniers titres

An American Werewolf in London - 1981 Landis
Annie Hall - 1977 Allen
Black Cat, The - 1934 Ulmer
Blade Runner - 1982 Scott
Blue Velvet - 1986 Lynch
Body Heat - 1981 Kasdan
Cabinet of Dr. Caligari, The - 1919 Wiene
Cafe Flesh - 1982 Dream
Chilly Scenes of Winter - 1982 Silver
Choose Me - 1984 Rudolph
Diva - 1982 Beinex
Dr. Strangelove - 1964 Kubrick
Easy Rider - 1969 Hopper
Faster, Pussycat ! Kill ! Kill ! - 1966 Meyer
Five Million Years to Earth - 1968 Baker
Gentlemen Prefer Blondes - 1953 Hawks
Glen or Glenda ? - 1952 Wood, Jr.
Gods Must Be Crazy, The - 1980 Uys
Imitation of Life - 1959 Sirk
In a Lonely Place - 1950 Ray
It's a Mad, Mad, Mad, Mad World - 1963 Kramer
Liquid Sky - 1983 Tsukerman
Martin - 1978 Romero
Miracle on 34th Street - 1947 Seaton
Monsieur Verdoux - 1947 Chaplin
Naked Kiss, The - 1964 Fuller
Napoleon - 1927 Gance
New York, New York - 1977 Scorsese
Night of the Hunter, The - 1955 Laughton
Now, Voyager - 1942 Rapper
Los Olvidados - 1950 Bunuel
On Her Majesty's Secret Service - 1969 Hunt
One-Eyed Jacks - 1961 Brando
Over the Edge - 1979 Kaplan
Psycho - 1960 Hitchcock
Quiet Man, The - 1952 Ford
Ride the High Country - 1962 Peckinpah
Road Warrior, The - 1981 Miller
Seconds - 1966 Frankenheimer
Sons of the Desert - 1933 Seiter
Star is Born, A - 1954 Cukor
Stunt Man, The - 1980 Rush
Terminator, The - 1984 Cameron
That Hamilton Woman - 1941 Korda
Thief of Bagdad, The - 1940 Berger/Powell/Whelan
Thing from Another World, The - 1951 Nyby
Touch of Evil - 1958 Welles
Walkabout - 1971 Roeg
Wanderers, The - 1979 Kaufman
Where the Boys Are - 1960 Levin

That's all, Folks !

20 septembre 2008

Pennies from Heaven (Herbert Ross, 1981)

Pennies from Heaven est un sacré bon film mais c'est aussi le musical le plus sombre et triste que je connaisse. C'est l'histoire d'un loser (Steve Martin) partagé entre sa femme (Jessica Harper) et sa maîtresse (Bernadette Peters) pendant la Grande Dépression. Le film est inspiré de la série TV (BBC, 1977) du même nom de Denis Potter.

Le principe de base est simple : au cours de l'action, les personnages se mettent à chanter en play-back sur des vieilles chansons (ici, des Années 30) qui expriment leur sentiments. Resnais l'a repris dans On Connaît la Chanson, qui est d'ailleurs dédié à Potter. Il faut s'y faire au départ mais si on accroche après les premières 20 minutes, on est vraiment transporté.

Le film reconstitue parfaitement l'ambiance du Midwest des Thirties (couleurs terreuses, intérieurs peu éclairés, vêtements et voitures à la Bonnie & Clyde...) et utilise pour ce faire les peintures d'Edward Hopper, dont plusieurs sont reconstituées en décor (dont le célèbre "Nighthawks" de l'Art Institute de Chicago). Le film montre des personnages qui souffrent et sombrent : il y a, dans le désordre, le chômage, un viol, un meurtre, un avortement, une exécution capitale... Le réalisateur, Herbert Ross ose aller bout du désespoir... en cassant les codes du musical hollywoodien (un peu sur les traces de Cabaret, New York, NewYork et All That Jazz).

Pennies from Heaven est sorti, dans la quasi-indifférence, en 1981 : les américains n'ont pas supporté que leur pitre Steve Martin se retrouve dans un tel rôle à contre-emploi et les musicals n'étaient plus vraiment à la mode. Le choix des morceaux musicaux (une dizaine en tout) est formidable : ce sont pour la plupart des chansons gaies et rythmées jazz-hot des Années 30 qui apportent un contrepoint à la noirceur du sujet. Le thème du film, c'est aussi celui de la fuite dans le rêve et le spectacle quand rien ne va plus. Tous les grands numéros musicaux (sans exception) sont géniaux, avec mention pour un numéro de strip-tease de Christopher Walken, les gamins d'une salle de classe de primaire qui se lancent dans un numéro à la Busby Berkeley sur "Love is Good for Anything that Ails You" (qu'est-ce-qu'on aurait aimé avoir une maîtresse d'école comme çà !), la chanson-titre ("Pennies from Heaven"), une scène où deux personnages reprennent dans un cinéma les pas d'Astaire et de Rogers devant un écran sur lequel "Let's Face the Music and Dance" est projeté... Bien sûr, les claquettes règnent. Le contraste entre ces moments jubilatoires (hommages volontaires aux grands classiques du genre des Années 30) et la dure réalité du reste du film est saisissant.

Un film comme Pennies from Heaven (Tout l'Or du Ciel en français) est l'exemple même du film que soit on adore, soit on déteste. Si on aime les chansons des Années 30, les films de Berkeley et On Connaît la Chanson, on ne peut qu'être conquis. Sinon, il vaut mieux passer son chemin. Quelques lenteurs à noter quand même dans les passages intimistes. Pour ma part, ce musical atypique est instantanément entré dans mes films favoris du genre.

Testament (Lynne Littman, 1983)

Testament est un film injustement méconnu mais qui est sans doute le film définitif sur le péril nucléaire et ses conséquences humaines. Je l'ai vu par hasard il y a des années, une nuit à la télé, et je ne l'ai jamais oublié. Il n'est jamais repassé à l'antenne à ma connaissance (sûrement trop déprimant pour les ménagères de moins de 50 ans).

Testament a été réalisé par Lynne Littman en 1983. Seule une femme pouvait tirer un tel film d'un tel sujet. On est à des années lumières de la pesanteur du Dernier Rivage de Stanley Kramer, par exemple.

Dans un temps très proche de la date du tournage du film (les années 1990 ?), une guerre nucléaire se déclenche brusquement. Un petit village de Californie, protégé par des collines, est épargné par le vent nucléaire de la bombe qui a détruit la ville toute proche de San Francisco. Une femme attend avec ses enfants le retour de son mari, parti travailler le matin en ville. Il ne reviendra pas. Les retombées radioactives atteignent le village dont les habitants meurent les uns après les autres. La mère et ses enfants attendent ensemble une fin certaine...

Pas d'effets spéciaux, pas de scènes de foule à la Emmerich (que j'aime beaucoup par ailleurs), pas de suspense. A travers quelques scènes parfaitement tenues (l'explosion distante de la bombe et son souffle à retardement ; un message du père sur un répondeur ; les rues du village qui se vident peu à peu de ses êtres vivants...), on est totalement dans l'horreur du sujet. Mais le film est aussi et surtout fait de dialogues et de silences d'une émotion rare entre cette jeune mère, sa progéniture et leurs quelques voisins du quartier. Dès le début, on sait que tout va très mal finir et le fait de le savoir donne à toutes ces scènes un fond crépusculaire que j'ai rarement ressenti devant un film.

Bien au-delà d'un film catastrophe (on ne peut d'ailleurs pas vraiment le caser dans ce genre autrement spectaculaire), Testament est surtout un superbe film humaniste et philosophique sur la Famille et le destin, qu'il soit collectif ou individuel. L'actrice Jane Alexander porte tout le film sur ses épaules et laisse le portrait d'une femme terrifiée qui s'enfonce dans la nuit avec les siens en essayant de les rassurer comme une mère pourrait le faire dans une telle situation. Le choix intimiste de la réalisatrice provoque une marée d'émotions.

Testament est un film simple et bouleversant et une expérience dont on ne peut sortir que sonné. Inoubliable, quoi... On notera un petit rôle de Kevin Costner, alors débutant. Inutile de le dire, Testament un film fortement déconseillé un soir de Noël, de Nouvel An ou de baisse sensible de moral... Vous êtes prévenus !

Spoorloos (George Sluizer, 1988)

Spoorloos est un bouleversant (au sens propre du terme) thriller psychologique et métaphysique franco-néerlandais et un film unique dans sa thématique et son traitement. Il commence comme un thriller presque traditionnel pour dévier rapidement dans une voie très différente, vers les ténèbres.

Un jeune couple hollandais traverse la France en voiture. Ils s’arrêtent sur l’autoroute près de Nîmes dans une station service. La fille disparaît. Trois ans plus tard, son ami, retourné en Hollande et hanté par cette disparition, est contacté par un homme (Bernard-Pierre Donnadieu) qui lui avoue (à raison ?) avoir enlevé la jeune femme et qui commence avec lui un jeu pervers du chat et de la souris…

Depuis l’une des toutes premières scènes du film, terrifiante par sa soudaineté et la peur primaire qu’elle exploite (les ténèbres) jusqu’à la scène finale, qui est l’une des plus dérangeante que j’ai pu voir dans une fiction, Spoorloos prend le temps d’étudier de façon magistrale l’excitation que peut procurer un acte criminel sur celui qui le commet et la dévastation qu’il entraîne sur celui qui en est victime (un sujet ambitieux rarement traité au cinéma il me semble, en tous cas très différent ici du Silence des Agneaux par ex.). La construction du film est très originale, faite d’allers et retours dans le présent, le passé et le futur (avant et après la disparition elle-même) et dans la pathologie criminelle de Donnadieu, étudiée sans aucun parti-pris ni jugement, ce qui la rend encore plus insupportable. Les rapports de Donnadieu avec sa famille (sa femme, ses deux filles) ajoutent au malaise prolongé du spectateur, comme dans cette étonnante scène de hurlements « pour rire » autour d’une table de déjeuner…

Excellence de la performance des trois acteurs principaux (Donnadieu et les deux comédiens hollandais). Spoorloos est truffé d'indices et symboles qui ne prennent leur glaçante signification qu’une fois le film terminé. Le concept jungien de « synchronicité » revient régulièrement au cours de la narration, ainsi qu'un sentiment d'angoisse existentielle proche des ecrits d'Edgar Poe. Psychologique (le film montre comment fonctionne un criminel «cérébral » et il dissèque les ravages du complexe de culpabilité), métaphysique (le film est une réflexion sur la nature profonde du Mal et aussi sur le Destin), c’est en même temps un véritable film d’amour qui trouve sa résolution dans le choix final du jeune hollandais en quête de sa compagne disparue, et de sa conséquence. Les dernières scènes du film, profondément choquantes, sont inoubliables.

Spoorloos a été réalisé en 1988. J’imagine que le film avait dû faire beaucoup parler à l’époque. Presque vingt ans plus tard, certaines affaires criminelles récentes lui donnent une résonance encore plus forte. Un film sans aucune concession et vraiment très dérangeant, qui a certainement le pouvoir de remuer comme rarement la plupart des spectateurs et de hanter leurs nuits. En repensant au film, on ne peut que penser à la phrase du philosophe : "Quand tu regardes dans l'abîme, l'abîme aussi regarde en toi". Spoorloos (l'original, puisque le réalisateur a fait quelques années plus tard un remake hollywoodien de son propre film avec une fin... hollywoodienne) est une oeuvre méconnue qui mérite une redécouverte. Aux risques et périls de celui qui ose regarder dans ses abîmes...

The Plague Dogs (Martin Rosen, 1982)

The Plague Dogs ("Les Chiens de la Peste", mais le film est-il déjà sorti en France ?) de Martin Rosen est un dessin animé britannique de 1982 dont je n'avais jamais entendu parler avant un article récent laudateur sur DVDTimes. Je l'ai enfin vu (DVD Z2 UK) et je dois dire que c'est une de mes plus grandes découvertes de ces derniers mois.

Un fox terrier et un labrador s'échappent d'un laboratoire d'expérimentations scientifiques sur les animaux isolé dans les Highlands. Traumatisés par les "hommes en blanc", ils cherchent à retrouver un maître qui saurait les aimer sans torture. Perdus dans les montagnes, ils rencontrent un renard qui accepte de les aider à retourner vers la civilisation. Seulement, une rumeur se répand dans les médias et la population que les deux chiens pourraient être porteurs de la peste. Une battue s'organise et les deux chiens vont vite se rendre compte que la vie en liberté peut être encore plus cruelle que celle qu'ils avaient dans les cages du laboratoire...

Noir et déséspéré - voire déprimant. Ce sont les premières impressions qu'on a quand on découvre le film. L'histoire de ces deux chiens et de leur accolyte le renard est racontée d'une façon très réaliste et crédible, loin des anthropomorphies et mignonneries disneyiennes. Le scénario, tiré d'un livre de Richard Adams, n'essaye pas du tout d'édulcorer les épreuves auxquelles sont soumises les animaux - que ce soit dans le labo ou dans la nature - ni leurs réactions à celles-ci. Comme chez Disney, les chiens pensent et parlent (John Hurt est la voix du fox terrier, un chien qui a été lobotomisé et qui souffre d'un terrible sentiment de culpabilité à cause d'un incident que le film évoque dans un flashback) mais ils restent des chiens, qui peuvent être dangereux et féroces quand ils sont poussés à bout. Au fur et à mesure de la progression du film, on se demande comment tout cela va finir, compte-tenu du manque quasi total d'humour et de second degré du scénario. Et cela finit mal, dans une scène ouverte très poétique qui laisse un peu désemparé. Le seul film d'animation que je connaisse auxquel on peut le comparer est Le Tombeau des Lucioles.

The Plague Dogs n'a évidemment pas trouvé son public quand il est sorti en 1982 : les enfants qui l'ont vu en salles ont été choqués par la noirceur de l'histoire (quand les parents ne les sortaient pas précipitamment de la salle avant la fin du film) et à cette époque, la grande majorité des adultes n'allait pas au cinéma voir des films d'animation. Résultat : le film a été coupé et ramené de 100' à 85' et est brièvement ressorti dans une version allégée (les scènes coupées sont des moments qui ralentissent l'action et une scène beaucoup trop dérangeante pour le jeune public). C'était trop tard, le film s'est planté au box-office et a été quasiment oublié. Sauf de ses admirateurs - dont je suis maintenant - qui lui ont taillé une réputation de film-culte, totalement méritée.

L'animation "à la main" de The Plague Dogs est très bonne, avec une splendide représentation réaliste des paysages des Highlands et une caméra étonnament mobile. Les animaux sont très bien animés aussi. Seuls les quelques humains qui apparaissent à l'écran - et on ne voit la plupart d'entre eux qu'à hauteur d'animal, soit le bassin et les jambes - sont parfois un peu raides. Mais quand on regarde le film, l'animation passe au second plan : c'est surtout l'histoire bouleversante des ces animaux perdus qui frappe le spectateur.

Bref, The Plague Dogs est un film d'animation très singulier, profondément original, qui mérite d'être beaucoup plus connu. L'animation britannique est loin d'être la plus productive. Combien de grands films d'animation anglais pourrait-on citer ? De la même équipe et réalisé quatre ans avant, il y a le fameux Watership Down, sur une bande de lapins qui fuient dans la campagne (les deux films forment d'ailleurs un diptyque passionnant).

Si vous en avez l'occasion, je vous conseille donc vivement de voir The Plague Dogs, parce que c'est un film techniquement réussi, bourré d'audaces dans le scénario et auxquel il me semble impossible de rester insensible. Par contre, je ne suis pas certain qu'il soit judicieux de le voir avec vos bambins, nièces ou neveux. Vous pourriez avoir besoin de leur remonter le moral bien longtemps après le visionnage.

Le DVD Z2 UK présente les deux versions du film : la version originale est de bien moins bonne qualité que la version courte à cause d'un léger manque de netteté et d'une désagréable dominante bleue sur l'image. La version courte est excellente (image et son) et se suffit à elle-même : on ne perd pas grand chose par rapport à la version longue et c'est, dans l'état actuel des choses, celle qu'il est préférable de voir pour découvrir le film. Attention : pas des sous-titres (ni français, ni anglais). Une édition française en DVD me semble indispensable.