Après Les Derniers Jours du Disco, il était temps de se pencher sur ceux d’Emmanuel Kant. On pourrait d’ailleurs trouver aux deux films, malgré leurs apparentes antipodes, bien des points communs sur leur sens si ce n’est leur forme. Le DVD, déniché quelque part il y a des siècles, traînait imperturbé sur mes étagères. Ce matin, au réveil, j’ai voulu voir ce film, poussé par je ne sais quelle pulsion synchronique. Bien m’en a pris : Les Derniers Jours d’Emmanuel Kant est une œuvre rare et précieuse qui m’aura mis en joie pour la journée et peut-être même plus.
1804 à Königsberg, en Prusse (aujourd'hui Kaliningrad, en Russie occidentale). Le philosophe Emmanuel Kant (1724-1804), entouré de son majordome, de quelques domestiques et de sa sœur, vit sa vieillesse dans sa maison qu’il n’a jamais quittée, selon l’hygiène de vie et les rituels obsessionnels qu’il s’était fixés des décennies plus tôt. Du matin au soir, les moments de chaque heure de ses journées sont les mêmes, immuables. Entre cafés et travaux profonds du matin, marches du midi, travaux légers de l’après-midi et dîners avec invités, les jours d’Emmanuel Kant s’écoulent au fil d’une organisation sans faille, d’une routine sacrée. Mais un jour, alors qu’un domestique à son service depuis trente ans est congédié et qu’il doit en embaucher un nouveau, les habitudes prises en viennent à se disloquer et la vie au naturel reprend ses droits sur le vieux philosophe qui entre dans sa "seconde enfance"…
Un petit film comme celui-là, d’une durée de 70’ et en noir et blanc, sur le crépuscule d’un philosophe génial des Lumières dont la vie, c’est bien le moins qu’on puisse dire, fut loin d’être trépidante, ne peut se permettre le relâchement ou l’approximation sous peine de figer le spectateur dans une somnolence dont il ne pourra revenir. C’est d’ailleurs cette crainte qui, sans doute, m’avait fait remettre sans cesse la vision du film depuis que j’avais le DVD. Et pourtant ! Les Derniers Jours d’Emmanuel Kant, une fois qu’on est entré dans le rythme si particulier - et si juste - du film, est une merveille plastique et intellectuelle de tous les instants.
Le réalisateur, Philippe Collin, qui a aussi été critique de cinéma à Elle et documentariste, s’est visiblement inspiré des gravures de la fin du XVIIIe siècle pour la composition de ses plans et ses choix de photographie (le bonus du DVD est d’ailleurs un formidable documentaire qu’il a fait en 1983 sur Hogarth) : chaque image du film, qu’elle présente une action ou une pause, semble tout droit tirée d’un recueil de gravures des Lumières. Les contrastes lumineux du noir et blanc, amplifiés par l’opposition des scènes d’intérieur et d’extérieur, de jour et de nuit, de soleil et de bougies donnent une rare picturalité au film, parfaitement en accord avec son esprit et l’époque qu’il évoque. Il n’est évidemment pas innocent que la scène d’ouverture du film soit celle d’un portraitiste qui arrive chez Kant pour lui dessiner son profil. Le choix de quelques décors naturels (une vieille maison de maître, un coin de rue de faubourg, un chemin de campagne) qui n’ont sans doute pas bougé depuis deux siècles, créé un sentiment de vérité assez impressionnant. Ajoutez à cela le très beau travail sur les costumes et les accessoires (papiers, vaisselle, chandeliers…) et vous en venez parfois à vous demander, comme je l’ai fait moi-même, si vous êtes en train de regarder un film ou un documentaire. J’ai souvent pensé à la célèbre série télé de l’ORTF des années 60, La Caméra Explore le Temps, qui s’approchait elle-aussi de cette étonnante fusion entre fiction et vérité.
Les acteurs, menés par David Warrilow (1934-1995, ce film fut son dernier), un acteur de théâtre britannique qui est exceptionnel dans le rôle de Kant et dont le visage maquillé ressemble à s’y méprendre aux portraits conservés du philosophe, disent leur dialogues avec un mélange de réalisme et de théâtralité qui ne cesse de réjouir. Le positionnement des acteurs à l’image, lui aussi, obéit aux codes de représentation des gravures de la fin du XVIIIe siècle, et on repense ici forcément à Hogarth.
Et ces dialogues ! Le film est inspiré du fascinant texte de Thomas de Quincey, "Les Derniers Jours d’Emmanuel Kant" (1827), qui raconte exactement ce que son titre indique. C'est un modèle d'adaptation d'un texte à l'écran. Tous les détails de la vie domestique routinière de Kant sont repris dans le film et en rythment le cours comme ils rythmaient les heures du maître. Quelques phrases que Kant avait l’habitude de dire, mentionnées par de Quincey, (« Ne plus s'abandonner aux paniques des ténèbres ! ») ponctuent le film et, pour théâtrales qu’elles soient, évoquent très bien l’esprit et les névroses du personnage. Les échanges entre Kant et son majordome sur le café, les répétitifs « Monsieur le Professeur, voici l’heure ! », les conversations entre amis à l’heure du dîner et les phrases échangées avec les domestiques et les voisins semblent à la fois tirés d’un recueil d’aphorismes savants et de propos de comptoir. La précision et la malice avec lesquelles David Warrilow les débite est un des grands plaisirs du film. Aucune prétention, aucune pose : Philippe Collin évite avec brio le piège infernal de ce type de projet, l’assommoir pédagogique (ce n'est pas dans ce film que vous trouverez une exégèse en images de "La Raison Pure" ou de "La Métaphysique des Moeurs"). Il impose l’humour et la poésie comme liant, transformant l’austère fin de vie de Kant en fable existentielle.
Car Les Derniers Jours d’Emmanuel Kant est un film très drôle. Il faut voir la scène où un voisin de Kant, exalté par la proximité du célèbre philosophe, l’entreprend devant chez lui avec des réflexions hautement pédantesques. On n’est pas loin des Précieuses Ridicules. Ou encore cette remise à sa place d’un jeune invité trop sûr de lui grâce à l’énigme insoluble des « Sept ponts de Königsberg ». Il y a aussi cette scène de promenade du midi de Kant, grâce à laquelle toutes les personnes qu’il croise savent exactement l’heure qu’il est et se le font savoir les uns les autres, cette autre scène de conversation au sujet de Bonaparte et cette autre encore où Kant s’endort sur ses travaux et qu’une bougie met le feu à son bonnet de nuit... Mais par petites touches, l’humour fait place à l’émotion, alors que Kant entre dans le gâtisme en perdant peu à peu le contrôle auquel il était tant attaché : son corps le lâche (très belle scène quand il tombe lors d’une promenade et que deux jeunes femmes viennent le relever) ; quand son nouveau domestique, venant lui servir le café, se positionne à un endroit différent de celui où se mettait l’ancien ; quand le vieux philosophe dérègle volontairement ses horloges ; quand il monte au grenier pour s’approcher d’un nid ou quand il quitte son bureau pour aller s’asseoir au bord de la fenêtre et profiter des rayons du soleil sur son visage… L’addition de ces petites scènes, drôles ou mélancoliques, sont au centre de la réussite du film : elles en sont le cœur. Et rendent à Kant, ce penseur des penseurs, sa bouleversante humanité.
Passionnante réflexion sur les conflits insolubles entre les exigences de l’esprit et l’autorité du corps, sur le temps qui passe et la légende des grands personnages, Les Derniers Jours d’Emmanuel Kant, est un film trop méconnu qui, sous son apparente austérité, cache une formidable créativité qui ne peut qu’enthousiasmer ceux qui font l’effort de le découvrir. Beau, spirituel, drôle et émouvant, c’est une œuvre, dans son genre, sans défaut.
La toute dernière scène peut résumer l’esprit du film entier : Kant, seul, commence sa promenade du midi sur sa route habituelle. Soudain, il s’arrête à un embranchement, s’avise quelques instants et prend la voie de traverse. Après quelques pas sur son nouveau chemin qui s’enfonce dans le lointain, on le voit s’arrêter à l’arrière-plan, de dos. La composition de l’image fait que ses pieds semblent posés sur un socle, qui lui, est placé au tout premier plan. Pour un moment, la silhouette de Kant semble une statue immobile sur son socle, l’image universelle du "Grand Homme". Et puis, Kant reprend sa marche et la silhouette du petit vieillard quitte le socle pour s’enfoncer dans la nature. Sublime !
Le DVD édité par Les Films du Paradoxe est excellent.
"Je suis une provinciale, je n'ai pas lu Pascal" (Michèle Torr).
Les Derniers Jours du Disco (The Last Days of Disco) : voilà un film que j’avais vu lors de sa sortie en salles en 1998 et dont mon seul souvenir était la déception qu’il avait provoquée. Il m’avait ennuyé, je n’en avais perçu ni l’intérêt ni le charme. Bien sûr, son illustration musicale, uniquement composée de tubes Disco, était assez énergique pour empêcher l’assoupissement mais dès le rideau tiré, The Last Days of Disco avait coulé dans la mare des films oubliés. L’autre jour, je suis tombé par hasard sur le DVD dans une solderie et l’envie m’a soudain pris de le revoir, pour Chloë Sevigny. Et cette fois, ça a été une révélation : dès le générique et la première scène sur "Doctor's Orders" de Carol Douglas (c'est la chanson qui a été reprise par Sheila sous le titre "C'est le Coeur" : "C'est le coeur, les ordres du docteur sont qu'il me faut tes bras, mon seul remède c'est toi...". Mais je m'éloigne déjà du sujet, là !) le film m’a totalement transporté, intrigué, amusé, ému. Plus de dix ans après, il est ressorti du marigot et s’est fait une belle place au soleil. Il fait partie de ces films qui, comme certaines personnes, s'apprécient mieux avec du recul.
« Début des années 80, Septembre ». Charlotte (Kate Beckinsale) et Alice (Chloë Sevigny) essayent d’entrer dans la dernière boîte à la mode de Manhattan, un théâtre reconverti en club Disco. Elles y parviennent, y retrouvent quelques collègues et y rencontrent deux garçons bien propres sur eux. Au cours des semaines qui suivront, elles vont apprendre à leurs dépens que les voies professionnelles et sentimentales qu’elles voyaient toutes tracées devant elles peuvent se dérober sous leurs escarpins : les Yuppies découvrent les réalités de la vie en dansant sur les derniers accords de Chic, Amii Stewart et Blondie…
Consacrer un film de 110’ à une bande de jeunes Yuppies new-yorkais dans la vingtaine dont aucun n’est franchement sympathique, entièrement absorbés qu’ils sont par leurs egos et leurs signes extérieurs de réussite, et pérorant à n’en plus finir sur tout ce qui tourne autour de leurs nombrils en sifflant des scotchs aux tables réservées d’un nightclub, c’est plutôt casse-gueule : le risque est d’insupporter le rat de cinémathèque qui, n’ayant aucune affinité avec les personnages à l’écran, pourrait en concevoir une poussée d’urticaire. C’est un peu ce qui m’était arrivé en 1998.
Ou alors, comme avec un bon vieux tube Disco, on fait fi de la misère de surface et on se laisse entraîner par la pulsation du rythme. Et là, ça commence vraiment à bouger. Whit Stillman, qui a produit, écrit et réalisé son film (est-ce pour leur rendre hommage en miroir que cet homme-orchestre a intégré autant de morceaux de Chic, ces autres control-freaks, dans sa B.O. ?), donne au verbiage de ses personnages une vitalité hors du commun : les dialogues de The Last Days of Disco sont brillants, ridicules, explosifs. Ils sont les paroles d’une chanson qui aurait pour mélodie les airs de certains des plus grands tubes de l’époque et comme ceux-là, ce sont des paroles de surface, pas de profondeur. Le liant est affaire de rythme. C’est ce que je n’avais pas compris il y a plus de dix ans, quand j’avais découvert le film. C’est ce qui m’a subjugué à sa redécouverte (sans compter qu'aujourd'hui je pourrais passer des heures à regarder des gens danser, alors qu'avant...).
Les quelques personnages sur lesquels le film s’arrête sont des pantins qui croient tenir en main leurs propres fils. Bien sûr et avant tout, il y a Charlotte (formidable Kate Beckinsale, où est passée sa carrière depuis ?), une petite brune qui bosse dans une maison d’édition mais « qui fera un jour de la télé ». Doté d’un ego démesuré (« On contrôle tout ! ») et d’une condescendance folle avec sa meilleure et seule amie qui est aussi son souffre-douleur (« C’est vrai, physiquement, je suis mieux que toi, mais t’es tellement sympa que tu devrais avoir plus de types que moi autour de toi »), c’est l’archétype de la « little brat », la petite peste qui mérite une gifle à chaque fois qu’elle ouvre la bouche – pour parler, j’entends.
Chloë Sevigny est Alice. La reine incontestée du cinéma indépendant US en était, en 1998, aux quasi-débuts de sa notoriété (elle s’était quand même fait remarquer dans Kids trois ans auparavant). C’est pour elle, et rien que pour elle, que j’ai voulu revoir The Last Days of Disco. Hier comme aujourd’hui, elle est toujours aussi parfaite. Son physique à la fois un peu ingrat et très sexy, en tous cas hors-normes, est idéalement adapté au rôle qu’elle interprète : celui d’une jeune lectrice dans une boîte d’édition qui, si elle travaille comme un chef, perd ses repères quand il s’agit de sa vie sociale et privée. Entraînée par sa copine Charlotte, elle goûte un peu à reculons au monde de la nuit et aux garçons et offre le seul contrepoint aux personnages de la petite bande : timide et gauche, elle essaye de les imiter mais sa personnalité insecure reprend toujours le dessus. Le « body language » de Chloë Sevigny, qui n’appartient qu’à elle, est l’un des trésors du film : il faut la voir se tordre dans tous les sens de mal à l’aise, esquisser un sourire sur une moue boudeuse, rentrer la tête dans les épaules, hésiter devant une tentation puis s’y laisser aller… Elle est formidable de justesse dans la maladresse et le couple improbable qu’elle forme avec Kate Beckinsale est un régal : quand elles sont toutes les deux à l’écran en même temps, le film fait des étincelles. Pour résumer, Chloë Sevigny, à elle-seule, justifie de voir le film.
Les garçons, eux, sont des passe-partout qui offrent les stéréotypes habituels du Yuppie des Eighties : bellâtres et vaniteux, énervants et ridicules. L’un est commercial dans la boîte d’édition, un autre juriste, un troisième trader… vous avez compris. Quelques-uns travaillent pour la discothèque, au management ou à la sécurité. Ils ne pensent qu’à leur plan de carrière et à sauter le plus de filles possible. Charlotte et Alice, étant, bien entendu, dans leur ligne de mire. Le temps d’une scène, Jennifer Beals (Flashdance, c’était elle) fait une apparition qui ancre le film dans son époque.
The Last Days of Disco pourrait sembler être, sur le papier, un Young Adult Movie (ou plutôt un Yuppie Movie). Et ce n’est pas faux. Mais par la grâce du script, des dialogues et de la réalisation de Whit Stillman, le film s’élève au-dessus de cela. La futilité creuse de tous ses personnages (Alice étant un peu à part) finit par être touchante : ces jeunes adultes sont en train de grandir dans un monde qui peut les broyer sans qu’ils s’en rendent compte. Il sont en costume-cravate ou en talons-aiguilles mais au fond, ils ont endossé des habits trop grands pour eux et restent des enfants sans boussole. Une des meilleures scènes du film est une longue élucubration de l’un des types sur la signification profonde du dessin animé de Disney, La Belle et le Clochard. C’est drôle, c’est triste aussi. Et puis, bien sûr, le titre du film et l’époque qu’il décrit ne sont pas innocents : The Last Days of Disco, situés sans doute entre 1980 et 1982, sonnent aussi le glas de l’insousciance. A la fin du film, les personnages ont presque tous été licenciés de leur boîte qui vient de fusionner avec une autre et se retrouvent à pointer au chômage. Ayant couché avec l’un de ses copains de club, la touchante Alice s’est choppé un herpès et une hépatite (« The 2 Hs »). Et le Sida, on s’en doute, tisse sa toile dans leur dos. Les jeunes Yuppies du film dansent sur un volcan au rythme des derniers tubes du Disco. Le film est bien évidemment, au-delà du portrait cynique et tendre d’une génération qui entre dans une zone de turbulences, une élégie. Dans l’une des dernières scènes du film, le blond juriste fraîchement débarqué se lance dans une tirade sur la mort et la future résurrection du Disco (un des grands moments d'ironie de ce film qui en compte tant) et le wagon de subway qui l’emmène avec Alice loin de Manhattan entre dans un tunnel obscur : la métaphore n’étant évidemment pas du tout celle de La Mort aux Trousses... La toute dernière scène, sur "Love Train" des O'Jays, est magnifique.
Je n’ai pas parlé de la photo du film, splendide. L’essentiel se passe la nuit, dans la boîte, les rues de Manhattan ou les appartements en colocation des Yuppies. Toutes les scènes dans la discothèque bénéficient de l’artifice des spots lumineux, des boules à facettes dans la pénombre et des tenues excentriques et colorées des clients. Quant à l’illustration musicale, elle est, par définition, une anthologie Disco. On aime on on n’aime pas mais il faut reconnaître qu’une scène de confidences sentimentales sur « Let’s All Chant » de Michael Zager Band, ça vaut son pesant de paillettes… L’ensemble représente, à ma connaissance, l’utilisation la plus judicieuse et cynique du Disco qu’on puisse imaginer. The Last Days of Disco n’est pas du tout, faut-il le préciser, une comédie musicale.
The Last Days of Disco forme, après Metropolitan (1990) et Barcelona (1994), le troisième volet de la « Yuppie Trilogy » de Whit Stillman. Je n’ai pas vu les deux premiers films (j’avais trop été refroidi par celui-là en 1998) mais ma récente réévaluation du troisième opus me donne maintenant fort envie de découvrir les deux autres. Comme quoi parfois, il faut essayer de revoir les films qu’on n’a pas aimés : la surprise peut être au rendez-vous. Et un navet peut se révéler, après plus de dix ans de Purgatoire, une sorte de chef-d’œuvre.
Pour le plaisir (Herbert Léonard n’ayant évidement rien à faire là-dedans), voici la tracklist de la bande-originale du film, avec en gras, les 17 titres figurant sur l’indispensable CD de la B.O. :
"Doctor's Orders" / Carol Douglas "Let's All Chant" / Michael Zager Band "He's the Greatest Dancer" / Sister Sledge "Shame" / Evelyn King "Le Freak" / Chic "Everybody Dance" / Chic "More, More, More (Pt. 1)" / Andrea True Connection "The Love I Lost" / Harold Melvin & The Blue Notes "The Tide Is High" / Blondie "I'm Coming Out" / Diana Ross "Knock on Wood" / Amii Stewart "Got to Be Real" / Cheryl Lynn "Hearts of Stone" / Norma Jean "Minstrel and Queen" / The Techniques "Opportunity" / The Jewels "Here I Am" / The Chi-Lites "The Oogum Boogum Song" / Brenton Wood "Turn the Beat Around" / Vicki Sue Robinson "Rockin' Chair" / Gwen McCrae "Heart of Glass" / Blondie "I Don't Know If It's Right" / Evelyn King "Got to Have Loving" / Don Ray "I Love the Nightlife (Disco 'Round)"/ Alicia Bridges "Everybody Loves Somebody" / Dean Martin "Good Times" / Chic "Carry Go Bring Come" / Justin Hines and The Dominoes "Dolce Vita" / Ryan Paris "Love Train" / The O'Jays "Amazing Grace" / Kate Beckinsale
The Last Days of Disco est sorti en DVD Z2 en 2006 sous le titre Les Derniers Jours du Disco. Image non anamorphique et son très corrects. Sous-titres français optionnels. Mais attention : Criterion sort son édition en août 2009 ! Avis aux amateurs !
Ci-dessous, quelques images du film (mais sur une illustration musicale qui n'est pas l'originale même si elle fonctionne plutôt bien) :
Les films ou les documentaires sur des personnages réels dont les vies accumulent des péripéties à damner le pion aux scénaristes les plus enfiévrés sont un de mes genres préférés : Dear Zachary, In the Realms of the Unreal, Southern Comfort… ont déjà fait l’objet de billets sur ce blog. Je suis ma propre Femme(Ich bin meine eigene Frau), le docudrama allemand de Rosa von Praunheim sur Charlotte von Mahlsdorf, les enterre tous.
Charlotte von Mahsldorf (1928-2002) naquit Lothar Berfelde à Berlin. Préférant la couture des robes aux jeux de ballons, l’adolescent qui subissait les railleries de ses camarades de classe quitta l’école pendant la guerre pour aller travailler chez un antiquaire dont il devint l’amant et qui allait se fournir à l’œil la nuit dans les appartements abandonnés par les juifs. Victime avec sa mère des violences répétées de son père (qui était membre actif du parti Nazi), Lothar décida en 1944, à 16 ans, de régler le problème. Après avoir, au sens propre, « tué le père » à coups de rouleau à pâtisserie, il fut placé quelque temps en institution psychiatrique puis condamné à quatre ans de prison par la justice nationale-socialiste. Libéré dès la fin de la guerre, il alla habiter chez sa tante (sa vraie tante, pas l'antiquaire !), une femme qui préférait les femmes, s’habillait en homme chez elle et permettait à Lothar de porter ses robes de ville. « La Nature nous a vraiment joué un drôle de tour ! » la tante avait-elle l’habitude de dire à son neveu. Se prostituant à l’occasion à des notables pour arrondir ses fins de mois tout en se constituant un carnet d’adresses et ayant pris le goût de piller les appartements en ruines de Berlin, Lothar fit jouer ses relations pour obtenir l’autorisation d’occuper gratuitement un manoir abandonné en attente de démolition dans le quartier de Berlin-Mahlsdorf. Il y déposa ses antiquités chapardées et ouvrit le bâtiment au public sous le nom de "Gründerzeit Museum" (la "Période des Fondateurs", soit les années 1840-1870), un musée tout à la gloire du mobilier et des objets de la petite-bourgeoisie berlinoise du milieu du XIXe siècle
Maintenant habillé en femme à la maison comme à la ville (le plus souvent d’une blouse ou d’un pull, d’un fichu et d’un collier de perles mais toujours sans aucun maquillage) et ayant changé son nom pour celui plus fleuri de Charlotte von Mahlsdorf, Lothar devint conservatrice de musée, une vraie self-made woman qui géra de façon artisanale sa collection pendant presque trente ans avec l’assistance de quelques gays et lesbiennes berlinois sortis du placard, y organisant des visites guidées et des événements communautaires à la barbe des autorités. Mais les Communistes (pendant la Guerre Froide, le quartier de Mahlsdrof était passé à Berlin-Est) virent cette équipe haute en couleurs et les rumeurs de réunions d’homosexuel(le)s dans les lieux d’un très mauvais œil : en 1974, ils voulurent récupérer le musée pour en faire une institution d’Etat et virer le personnel. Après maintes tracasseries policières et administratives de la part des Cocos, une période au cours de laquelle Charlotte distribuait les objets du musée à ses visiteurs en signe de protestation, l’Allemagne de l’Est capitula et lui laissa la jouissance du bâtiment et de ses collections.
Mais avec la chute du Mur en 1989, une autre menace apparut : celle de l’Extrême-Droite, dont les Skinheads harcelèrent Charlotte et ses collaborateurs. En 1991, ils saccagèrent le musée et cassèrent la gueule à l’équipe et aux invités après s’être introduits dans les lieux pendant une soirée LGBT. Fatiguée par ces soucis et n’ayant plus vraiment le cœur à continuer, Charlotte passa la main à un couple de filles moustachues et quitta Berlin pour la Suède en 1997, cinq ans avoir reçu une Médaille d’Honneur de la Ville en 1992. L’année du départ de Charlotte, la ville de Berlin rachetait le musée et le gère toujours aujourd’hui, sous le nom mémorable de « Gründerzeitmuseum Mahlsdorf u. Förderverein Gutshaus Mahlsdorf e.V. » (ah, ces Allemands !). Charlotte von Mahlsdorf, citoyenne d’honneur de la Ville de Berlin, est morte à 74 ans d’une crise cardiaque lors d’une visite à Berlin en 2002. Elle y est enterrée, en robe et collier.
Lothar à 11 ans et Charlotte cinquante ans plus tard.
Un personnage tel que Charlotte von Mahlsdorf ne pouvait que rencontrer et séduire Rosa von Praunheim (né Holger Bernhard Bruno Mischwitzky en 1942), le turbulent écrivain, réalisateur et figure de proue de l’activisme gay berlinois depuis les années 1960. En 1992, Rosa von P. décida de consacrer un film à Charlotte von M., qui était alors une amie de longue date. Charlotte venait d’écrire ses mémoires, « Ich bin meine eigene Frau » (« Je suis ma propre Femme ») et le livre servit de base au scénario tout en donnant son titre au film. Moins outrancier et plus grand public (enfin, tout est relatif !) que la plupart de ses autres productions, Je suis ma propre Femme est sans doute (avec Der Einstein des Sex, son très bon biopic de 1999 consacré à Magnus Hirschfeld, le pionnier des droits des homosexuels), le film le plus accessible de Rosa von Praunheim. Et un film-culte malheureusement trop peu visible depuis sa première sortie.
Je suis ma propre Femme raconte de façon chronologique la vie invraisemblable mais vraie de Lothar/Charlotte. Doté, comme tous les projets de Rosa von Praunheim, d’un budget dérisoire, le film compense son évident manque de moyens par une inventivité, un humour et une implication magistrale de tous ses participants, pour ne pas parler des surprises sans cesse renouvelées de l’histoire et du scénario. Le métier de documentariste de Rosa von Praunheim transperce sous celui de réalisateur de fiction et rend le film, au-delà de l’intérêt de son histoire, passionnant pas ses audaces structurelles.
Si les scènes du premier tiers de Je suis ma propre Femme (l’enfance de Lothar et son adolescence sous le Troisième Reich) furent tournées en studio ou dans des décors simples mais crédibles, le reste du film utilise les lieux réels dans lesquels s’est déroulée la vie de Charlotte, et notamment le Gründerzeit Museum, dont le film est donc aussi, en quelque sorte, une visite guidée. De temps en temps, des flashbacks proches ou lointains évoquent l’histoire des lieux, comme cette surprenante scène dans laquelle on découvre les bals travestis qui se tenaient dans le bâtiment du musée au milieu du XIXe siècle quand des jeunes hommes habillées en belles dames rejoignaient des gradés de l’armée prussienne dans les chambres après des soirées-concerts. A partir du moment où le film commence à raconter Charlotte en son musée, il prend une tournure assez fascinante, qui utilise à la fois les ressources du documentaire et de la fiction. Comme Lothar fut Charlotte et comme Holger est Rosa, le film se joue des apparences et brouille sa nature sous une double identité, pour le plus grand plaisir du spectateur.
Charlotte est jouée par trois acteurs différents selon l’âge de son personnage : l’adolescent et le jeune adulte sont interprétés par deux comédiens dont les prestations ne méritent sans doute pas un Grand Prix d’Interprétation mais qui restituent parfaitement les complexités de Lothar/Charlotte et n’ont pas peur de se donner corps et âmes aux situations les plus cocasses ou scabreuses. Et, dans un effet splendidement brechtien, Charlotte âgée est jouée… par Charlotte von Mahlsdorf elle-même (63 ans lors du tournage), qui interprète donc son propre rôle pendant la dernière partie du film. La personnalité apparemment très sympathique de Charlotte imprègne tout ce dernier tiers, au cours duquel la frontière entre le documentaire et la fiction est abolie. Rosa von Praunheim nous donne d’ailleurs un avant-goût de la présence de la vraie Charlotte dans une étonnante scène des débuts du film, quand, lors d’une séance SM des années de jeunesse du personnage, Charlotte fait une première apparition à l’écran, en corrigeant l’acteur qui l’incarne avec des indications sur la manière de donner un coup de cravache sur des fesses nues. C’est surprenant, ingénieux, amusant. De la même manière, les collaborateurs de Charlotte au musée sont joués par les véritables personnes elles-mêmes. La scène de saccage par les Skinheads a donc dû réveiller, pour les protagonistes du film, de biens mauvais souvenirs.
Les trois incarnations de Charlotte dans le film.
Je suis ma propre Femme dresse le portrait inoubliable d’une personnalité hors du commun, un jeune homme qui s’est « très tôt senti femme à l’intérieur » et qui, poussée par sa tante bienveillante, a choisi de passer sa vie habillé en femme (mais pas du tout de façon flamboyante : Charlotte von Mahlsdorf, passionnée par le milieu tout petit-bourgeois du XIXe siècle, ayant toujours préféré les chemisiers blancs à col-dentelle et les blouses de femme d’intérieur aux tenues des cocottes et des grandes dames) en traversant les bouleversements politiques de l’Allemagne entre les années 1930 et les années 1980. Travesti mais pas transsexuel (Charlotte von M. n’a jamais voulu être opéré et ignorait royalement son service trois-pièces), Charlotte réfutait d’ailleurs les deux termes et disait qu’elle était naturellement « une femme dans un corps d’homme » et même, pour compliquer les choses, qu’elle se sentait en fait « profondément lesbienne ». On en perd les pédales…
Le film donne de Charlotte von Mahlsdorf une image très positive et sympathique : affranchie, volontaire, obstinée, résiliente et activiste, elle ne peut que forcer l’admiration. Dans la réalité, les choses sont plus nuancées car depuis la sortie de son autobiographie et du film, de nombreuses voix se sont élevées contre cette image un peu trop respectable. En effet, ses activités de pillage des appartements juifs abandonnés pendant la guerre pour en récupérer le mobilier, ses probables accointances avec la Stasi (les services secrets de la RDA) – Charlotte von. M. est fortement soupçonnée d’avoir été informatrice pendant les années 1970 – et quelques déclarations tardives malheureuses sur les gays et les lesbiennes ont quelque peu terni la légende et provoqué des remous au moment de sa décoration par la Ville de Berlin. Ces zones d’ombre rendent le personnage encore plus complexe qu’il ne l’est déjà et donnent le sentiment que son inaltérable sourire de mamie-gâteau à la dégaine impossible a en fait caché bien des secrets. Une personne réelle qui aurait eu tant à revendre aux écrivains en mal d’inspiration, Charlotte von Mahlsdorf est devenue, avec le temps, une figure hautement romanesque qui ne peut que fasciner ceux qui la découvrent.
Pour preuve, la création en 2003 de la pièce "I am my own Wife" de Doug Wright, qui triompha d’abord Off-Broadway avant de passer à Broadway. La pièce, basée sur le livre de Charlotte, le film et ses rencontres avec l’auteur, a obtenu en 2004 les deux récompenses les plus prestigieuses qu’une pièce de théâtre peut remporter aux Etats-Unis : le Pulitzer Prize (Drama) et le Tony Award (Best Play). A ce jour, la pièce a été traduite dans de nombreuses langues et est toujours jouée dans plusieurs pays, passée du statut de création underground à celui de classique contemporain.
L'affiche de la pièce (notez les symboles dans les perles).
Alors, si vous en avez un jour l’occasion, n’hésitez pas à vous pencher sur le cas que fut la Fräulein von Mahlsdorf : ce n’est pas tous les jours que vous croiserez un Lothar qui s’appelait Charlotte et qui a réussi l’exploit de se débarrasser successivement de son père, des Nazis, des Communistes et des Skins avec du culot, une blouse et un plumeau.
J'ai découvert Je suis ma propre Femme un soir il y longtemps sur Arte, par hasard. Une VHS du film existe en cherchant un peu, ainsi qu'un DVD US (bootleg de qualité très médiocre). Le livre, dans sa version allemande ou traduction anglaise, est facilement trouvable.
J'avais vu La Mort vous va si bien (Death becomes her) de Robert Zemeckis à sa sortie en salles il y a plus de quinze ans. J'avais dû trouver le film sympa mais il ne m'avait pas laissé un souvenir impérissable. A l'occasion récente d'une seconde vision (DVD), j'ai redécouvert un film vraiment enthousiasmant, une comédie noire au scénario presque parfait avec un quatuor d'acteurs (Streep, Hawn, Willis, Rossellini) qui se donnent sans retenue dans des rôles ridiculement "over the top".
Mais c'est surtout la violence de la charge satirique contre le culte du corps, de la jeunesse à tout prix et de la chirurgie esthétique qui ravage aujourd'hui les écuries hollywoodiennes qui m'a semblé faire la force du film. Une charge d'une rare pertinence et d'autant plus visionnaire que le film a été tourné en 1992. L'histoire de ces deux femmes qui se haïssent et s'affrontent à coup de potions de jouvence a dû (et doit encore) faire rire jaune les professionnel(le)s du cinéma californien. Les outrages au corps que les scénaristes et le réalisateur font subir à leurs pathétiques héroïnes réussissent, encore aujourd'hui, à mettre mal à l'aise, malgré le parti-pris franchement comique de toutes les situations. Meryl Streep et Goldie Hawn (surtout elle, qui a pas mal eu recours à la chirurgie esthétique avant et depuis le film) ont joué le jeu de l'auto-dérision avec panache et culot. Pas mal d'actrices auraient sans doute préféré s'abstenir.
L'aspect néo-gothique des décors fait évidemment penser à Sunset Boulevard, le modèle insurpassable du genre. Le seul moment où le film flanche un peu est celui où l'action s'emballe avec la fuite de Bruce Willis sur les toits du manoir sous l'orage, parce qu'on sort alors du vrai sujet. Tout le reste est un modèle d'excellence dans sa rigueur et son écriture par rapport à l'histoire racontée. La cerise sur le gâteau étant les innombrables clins d'oeils à des scènes et des personnages célèbres de l'histoire du cinéma, des Aventures de Robin des Bois à The Shining et de Garbo à Monroe.
Il a souvent été dit que les acteurs et actrices des films classiques, deviennent, avec le temps qui passe et les efface physiquement, des zombies qui ne reviennent ponctuellement à la vie que dans l'obscurité des salles de cinéma et sur les écrans des salons aux rideaux tirés. La métaphore a rarement été aussi bien exploitée que dans cette Mort vous va si bien, dont le titre original et sa traduction française offrent un constat irréfutable et terrifiant. Une comédie (très drôle et vacharde) qui est aussi beaucoup plus profonde et déséspérée qu'il n'y paraît. Et un des pamphlets les plus réussis sur Hollywood par Hollywood. J'ai adoré.
Parfois, on découvre des films qui ne révolutionnent pas l'histoire du cinéma mais qui racontent une histoire qui méritait de l'être, d'une façon ou d'une autre. Rosewood, dont je n'avais jamais entendu parler avant de tomber par hasard sur le titre sur IMDb, est de ceux-là.
Le site de Rosewood est celui d'une ancienne petite bourgade de Floride qui fut réduite en cendres en 1923 parce que ses habitants, presque tous noirs, ne s'en sortaient pas si mal économiquement et que les habitants blancs du village d'à-côté voyaient cela d'un mauvais oeil. Le 1er janvier 1923, une jeune femme blanche qui venait d'être battue par son amant rapporta à tort qu'un "nègre" l'avait attaquée. La rancoeur des blancs y trouva une justification aux pulsions qui les démangeaient et en l'espace de quelques jours et nuits, aidés par l'esprit de meute et le Ku Klux Klan, Rosewood avait été rayée de la carte, ses hommes (et quelques femmes et enfants) pendus, brûlés ou tués par balles et les autres habitants en fuite définitive.
L'histoire avait été totalement occultée et est revenue à la lumière en 1983 avec un reportage sur CBS et en 1993 avec une première publication par l'Université de Floride. L'enquête bâclée de 1923 parla de moins de 10 morts mais les historiens actuels avancent le chiffre de 40 à 200 victimes. Bref, une page honteuse de l'histoire des Etats-Unis qui aura mis le temps à ressurgir des oubliettes de la mémoire collective.
Le film Rosewood, réalisé en 1993 (et inspiré par la publication de l'Université de Floride) par John Singleton, raconte cette histoire. C'est un film qui joue à la fois sur la pédagogie et l'émotion. Il est d'ailleurs montré dans certaines écoles américaines, avec les controverses qu'on peut imaginer, pour débattre du racisme. D'une durée de 2h20, il prend son temps pour mettre en place les éléments du drame puis se lance sans faux-semblants dans la description des événements eux-mêmes. Certaines scènes sont franchement violentes mais le film ne tombe jamais dans l'exploitation, le grand risque avec ce genre de scénario. Tous les éléments du scénario sont, d'après la production, issus de recherches des historiens et des témoignages des quelques rares survivants (qui étaient enfants à l'époque des faits). Les deux personnages principaux sont un blanc (Jon Voight) qui hésite à prendre parti au début et tente ensuite d'arrêter la violence et un noir vétéran de la Première Guerre Mondiale (Ving Rhalmes, mémorable dans Pulp Fiction) tout juste débarqué à Rosewood et qui devient l'une des cibles de la vindicte. Ce personnage a été inventé par les scénaristes pour structurer leur récit. Le film est bien sûr parsemé de stéréotypes hollywoodiens : le Rosewood d'avant la violence est décrit comme un sorte d'Eden noir, l'utilisation des enfants tire sur la corde sensible, les lyncheurs blancs sont presque tous à moitié demeurés...
Une licence inexplicable du scenario est l'une des scènes finales avecune fuite des femmes et des enfants en train - ce qui est vraiment arrivé - mais poursuivi par les lyncheurs en voiture et à cheval, et filmée exactement comme dans un western des années 30 ou 40. Là, le film perd de sa dignité historique pour devenir, le temps de quelques minutes un pur film d'aventures. L'effet de contraste en est très bizarre.
La reconstitution d'époque est réussie (Rosewood a été reconstruit à l'identique) et la photographie est magnifique. Le film se passe en grande partie la nuit et les scènes de poursuite à la torche dans la forêt et les marais sont très cinématographiques, lorgnant même parfois vers le fantastique à la Frankenstein ou Zaroff. Utilisation peut-être un peu abusive du traveling et de la grue. Les acteurs sont tous très bons (Don Cheadle et Michael Rooker notamment) à l'exception de celle qui déclenche le drame, qui surjoue l'hystérie.
Bref, Rosewood est un film réalisé très honnêtement et qui exhume courageusement une page bien sombre de l'histoire de la Floride. Bref, du cinéma utile. Je ne suis pas sûr que Rosewood soit jamais sorti en salles en France. Le DVD Z1 est de très bonne qualité image et son avec des sous-titres français optionnels. La jaquette ridicule laisse pressentir un navet fauché, ce que le film n'est pas.
Dust Devil est un film que j’ai découvert au hasard en surfant et dont les critiques sur IMDb m’ont donné envie d’en savoir plus. Je viens de le voir (DVD Z0 / Subversive Cinema) et j’en suis très content. On ne peut pas dire que ce soit vraiment un bon film mais il faut reconnaître que c’est un film passionnant à plus d’un titre.
Dans le désert de Namibie (pays indépendant de l’Afrique du Sud depuis 1990), un auto-stoppeur à chapeau et redingote de cowboy, tire le portrait au Polaroïd puis tue les personnes qui le prennent en stop. A Johannesburg, une jeune femme quitte son mari violent et part seule en voiture sur la route. Elle croise l’auto-stoppeur et le ramasse. Un flic au lourd passé suit la piste du serial-killer, aidé par un chamane qui lui raconte la mythologie du désert et notamment l’histoire du « Dust Devil », le « Démon de Poussière »…
C’est un film hybride, à la fois road-movie, western, thriller et fantastique. Il a été tourné en 1991 dans le désert namibien par le sud-africain Richard Stanley, alors âgé de 25 ans (qui a aussi écrit le scénario suite à un rêve qu’il avait fait quelques années avant). La durée originale faisait 120’ mais le producteur l’a ramené à 95’ et le distributeur à 85’. Echec cuisant. Des querelles juridiques ont fait que Stanley a été dessaisi de sa propriété sur le film qui s’est vite retrouvé sur une étagère, édité en VHS à la sauvette puis oublié. La carrière de Stanley ne s’en est jamais remise mais récemment, il s’est battu – et a payé de sa poche le travail - pour pouvoir remonter son film comme il l’avait voulu. En 2006, Subversive Cinema l’a sorti en DVD sous le titre Dust Devil : The Final Cut.
Ce n’est pas vraiment un bon film car le scénario semble assez confus à la première vision et plein de bonnes idées ou décors ne sont qu’effleurés, pas assez exploités. Il y a quelques lenteurs qui peuvent rebuter si on ne joue pas le jeu rythmique du film. Plus grave, il pâtit surtout du jeu assez médiocre des acteurs, notamment de Chelsea Field dans le rôle de la jeune femme.
Mais c’est néanmoins un film passionnant pour plein de raisons : l’utilisation spectaculaire des paysages désertiques de Namibie ; la splendide photographie qui utilise beaucoup les filtres jaunes ; le panachage étonnant des genres et codes cinématographiques ; le sous-texte politique (vestiges de l’apartheid et luttes politiques dans la région) ; le mix des langues parlées par les acteurs (anglais, hollandais et oshiwambo) ; la beauté et la poésie de certaines scènes comme une maison qui brûle dans le désert, le survol d’un canyon, l’omniprésence du vent et les prises de vues des Dust Devil (des colonnes de poussière qui apparaissent et disparaissent brusquement), les effrayantes peintures murales sur les scènes des crimes, la découverte de la ville abandonnée enfouie dans le sable ; la voix-off qui raconte les sombres légendes locales ; la musique lancinante de Simon Boswell, inspirée de Morricone et des rythmes africains et le travail génial sur la bande-son (il a même des chants de baleine) ; l’irruption impromptue du gore – du très gore - dans un récit autrement plutôt serein ; les innombrables références à d’autres films et réalisateurs (j’ai remarqué Hitcher et El Topo bien sûr mais aussi Sergio Leone, George Romero, Peter Weir, David Lean, Dario Argento… Il y en a sans doute bien d’autres).
Au final, les atouts de Dust Devil l’emportent sur ses défauts. Dès les premières images, j’ai tout de suite été happé par l’étrangeté du film, dans son fond et surtout dans sa forme. Apparemment, le film a ses fanatiques et fait l’objet d’un petit culte, sans doute parce qu’il a été invisible pendant près de 15 ans. Son édition en DVD par Subversive Cinema aurait pu le faire sortir de l’obscurité mais à part quelques articles sur quelques sites spécialisés dans le cinéma bis, rien ne s’est vraiment produit. C’est regrettable parce que Dust Devil est un film original qui aurait pu mettre sur les rails la carrière de son réalisateur. Cela ne s’est pas passé comme çà et Richard Stanley est retourné faire des documentaires. Pour les amateurs de curiosités, il serait dommage de passer à côté de ce Démon de Poussière…