En un instant, 2% de l'humanité s'est évaporée sans explication : les proches des disparus tentent de continuer à vivre malgré leurs habitudes et leurs certitudes remises en question.
La saison 1 de la série "The Leftovers" (2014) de HBO a l'un des plus intéressants et audacieux génériques du moment. La série elle-même souffre d'un scénario hermétique trop fabriqué et autocontemplatif.
Coco Chanel interviewée dans son appartement de la rue Cambon en 1969.
A 86 ans, elle donne son avis sur les inconnus qui la saluent dans la rue, les femmes en pantalon, le prestige disparu de la France, les clientes américaines, les genoux, la grande sottise, les dîners parisiens, l'Homme dans la Lune, la télévision... Et ça décoiffe. Le style Chanel, inimitable, n'était pas que dans les tailleurs.
En 1959, François Chalais interviewe la sublime et tragique Sylvia Lopez dans ce rare document télévisé. Je ne l'avais jamais vue ailleurs que dans ses quelques rôles à l'écran (souvent doublée à la voix) et c'est terriblement émouvant de la découvrir et de l'entendre répondre au journaliste. Elle dégage une éducation bourgeoise des beaux quartiers dont je n'avais pas idée. Cette élocution, ce port, ce regard, cette bouche !
Les trois films dont elle parle qu'elle vient de tourner en Italie coup sur coup sont : "Hérode le Grand", "Hercule et la Reine de Lydie" (un chef-d'oeuvre dans le genre "débauche de cheveux, de bijoux, de tout ce qu'on veut") et "Le fils du Corsaire Rouge". Tous sortis en 1959. Chalais donne l'impression de vouloir croire que sa carrière va décoller à l'international. Elle sourit.
Je ne sais pas si elle savait qu'elle n'en avait plus que pour quelques mois. Leucémie. A la fin de l'année, elle ne serait plus. Comme sa tombe l'indique dans l'allée centrale du cimetière Montparnasse : "Sylvia Lopez. 26 ans...".
C'est grâce à la sublime adaptation de "Madame de..." par Ophuls que je me suis un jour intéressé à Louise de Vilmorin (1902-1969), qui est vite devenue, par son excentricité, son aventureuse histoire personnelle, sa beauté et son charme irrésistibles, l'une des personnalités du siècle dernier pour lesquelles j'ai le plus de tendresse. Son talent d'écrivain, dans la nouvelle, la poésie ou les jeux de mots, je ne peux pas en juger, n'ayant lu que "Madame de..." justement, dont j'ai en tous cas un excellent souvenir.
Pendant une décennie (du début des années 50 à celui des années 60), celle qui fut l'épouse d'un héritier américain (avec qui elle vécut à Las Vegas dans les années 20), d'un comte hongrois qui l'installa dans un château des Carpathes dans les années 30 et la compagne ou maîtresse de grands noms du siècle, de Saint-Exupery à Malraux, qui lui ferma les yeux (elle se surnommait elle-même "Marilyn Malraux"), en passant par Welles et Duff et Diana Cooper (l'ambassadeur britannique en France et sa femme), reçevait le Tout-Paris - et même le Monde entier quand il était de passage - dans sa propriété de Verrières-le-Buisson autour d'un pot-au-feu du dimanche soir.
Louise de Vilmorin fut la représentante archétypique d'une certaine idée - la plus sympathique - de la "vieille France", bourgeoise et distinguée, éduquée et spirituelle. Ses rares interviews enregistrées sont des bijoux d'esprit et de légéreté. Il faut la voir et l'écouter donner son avis sur la littérature, l'amour, le bonheur et tant d'autres petites choses. Son choix de vocabulaire et son utilisation de métaphores, ses modulations de voix et sa façon d'infléchir la fin d'un mot dans une délicieuse tonalité teintée de snobisme (elle qui n'était pas snob pour un sou) font qu'on a envie de s'asseoir à côté d'elle en lui demandant de nous raconter quelque chose, n'importe quoi, autour d'une tasse de thé. Je l'aurais écoutée parler pendant des heures.
Sa devise était "Au secours !". Une femme merveilleuse, je vous dis.
Louise de Vilmorin vers 1930 : une jeune femme qui fit tourner bien des têtes
Le 7 mars 1964, la TSR (Télévision suisse romande) diffusait une récente interview de Louise de Vilmorin réalisé dans son manoir de Verrières. L'émission de 15 minutes est visible sur leur site internet. C'est, avec la courte et très amusante interview qui figure sur le DVD Criterion de "Madame de...", l'un des rares témoignages subsistants de son charme irrésistible. Je ne m'en lasse pas. Ecoutez-la répondre aux questions - souvent assez stupides ("Vous n'aimez pas ce qui est profond ?") - de son interlocuteur, laissez-vous porter par ses intonations et la gestuelle de ses mains.
Et on comprend à la vision de ce document qu'il y a, dans "Madame de...", beaucoup, mais beaucoup, de Louise de...
Vous pouvez y accéder en cliquant ici. (Louise de Vilmorin commence à parler à partir de 3'10)
Rue McClanahan (1934-2010) Blanche Devereaux forever
Une sincère tristesse m'a envahi avant-hier quand j'ai appris par le site du NYT la mort à New York de Rue McClanahan, à l'âge de 76 ans. C'était Blanche dans The Golden Girls, sans doute ma série TV préférée (avec Mad Men, ce qui n'a rien à voir). Blanche Devereaux, une southern belle nymphomane qui approchait de la soixantaine et qui partageait sa maison de Miami avec trois colocataires, trois femmes sur le retour aux personnalités impayables.
Les quatre Golden Girls : Blanche, Rose, Sophia et Dorothy
The Golden Girls est la seule série dont je regarde régulièrement l'un ou l'autre des épisodes des sept saisons (1985-1992, disponibles en DVD Z1). Avec toujours l'assurance de rire pendant trente minutes. Un show avec une qualité d'écriture de tous les instants, une perfection de jeu à l'unisson des quatre comédiennes et l'audace sans cesse surprenante de parler franchement dans une série TV (diffusée à l'origine sur NBC) de la vieillesse qui arrive avec son cortège de petits ou grands maux. Comme l'arthrose, le veuvage et la solitude. Mais qui parlait aussi sans détour du travail et de la sexualité des seniors, des préjugés sociaux et de la lutte entre générations. Et tant d'autres choses sur les territoires desquels les scénaristes TV osaient à l'époque rarement s'aventurer. Le tout avec un humour ravageur, un don de la réplique assassine et un optimisme auxquels rien ne résistait. Un éclat de rire toutes les quinze secondes et des moments-cultes à n'en plus savoir que faire. Et surtout, une tendresse, cette tendresse... L'amitié plus forte que tout. The Golden Girls était un show qui accumulait des sommets de talent : en son temps, il a été justement récompensé par une flopée de Golden Globes et d'Emmy Awards.
Rue McClanahan, Estelle Getty, Bea Arthur, Betty White et leurs Emmys
Après Estelle Getty, disparue en 2008, Beatrice Arthur, en 2009, c'est donc au tour de Rue McClanahan de s'être fait la belle en laissant tous les fans de la série un peu orphelins de fiction. Aujourd'hui, Betty White doit se sentir bien seule. Mais les DVD, la VOD et les reruns de la série continueront à garder Sophia, Dorothy, Blanche et Rose young... forever.
Un de mes échanges préférés de la série (mais l’écriture du show tout entier les fait crépiter comme des feux d’artifice) :
Dorothy : « Tiens, j’ai rencontré une libanaise très sympa. Je l’ai invitée à prendre un verre à la maison ce soir » Blanche : « Ah ! Je t’ai déjà dit que je ne voulais pas de ça chez moi ! Ces femmes-là, je ne les comprendrai jamais !» Dorothy : « J’ai dit libanaise, Blanche ! J’ai pas dit lesbienne ! »
The Golden Girls "Thank you for being a friend" chantait le générique
Dans l'excellente série Mad Men (Saison 1, épisode 6 "Babylone"), j'ai noté un échange savoureux entre Don Draper et sa femme Betty. Betty est au lit et lit le roman "The best of everything". Don se glisse entre les draps, regarde le titre du bouquin que Betty dévore et lui dit :
Don (sarcastique) : Ça a l'air fascinant ! Betty : C'est mieux que le film. Don : C'est certainement plus osé. Betty : Joan Crawford n'est plus ce qu'elle était. Et en plus, je trouve que ses sourcils sont vraiment énervants. On dirait qu'elle s'est collé une paire de chenilles sur le front. Don : Ben, certains hommes aiment les sourcils ! Et de toutes façons, tous les hommes aiment Joan Crawford.
Deux chenilles collées sur le front.
Je n'y avais jamais pensé mais c'est exactement çà.
Qui la connaissait de ce côté-ci de la Manche ? Mollie Sugden est morte à 86 ans le 1er juillet dernier. Mrs. Slocombe a ainsi rejoint une bonne partie de l’équipe de la fabuleuse sitcom Are You Being Served?, une merveille de la télévision britannique qui a quelque chose pour plaire à chacun et qui continue encore, vingt-cinq ans après son dernier épisode, à faire rire ses fans dans le monde entier, dont bien évidemment, je suis. La disparition de Molly Sugden m’a donné l’envie de faire ce billet sur Are You Being Served?, l'une de mes deux ou trois séries préférées. De tous les temps.
Le concept d’Are You Being Served? est d’une simplicité confondante : au rayon « Vêtements et accessoires pour dames et messieurs » du grand magasin londonien « Grace Brothers », c’est la guerre des nerfs hiérarchique et les réconciliations à gros bouillons entre les divers membres du personnel, de l’homme de ménage au directeur d’étage en passant par les vendeuses et secrétaires. Une dizaine de personnages sont jetés à chaque épisode dans l’arène du département, impliqués dans les situations les plus outrancières pour le bonheur du spectateur.
Tout le personnel de l'étage "Dames et Messieurs" du Grace Brothers Dept Store
Brillamment écrit par David Croft et Jeremy Lloyd avec des réparties assassines qui fusent dans tous les sens, Are You Bien Served? est une « situation comedy » qui osait pousser l'audace dans des directions bien rares à la télévision de l’époque. C’est d’abord une attaque ravageuse sur le sens de la hiérarchie de la société britannique dans son ensemble. Une sorte de Upstairs, Downstairs comique où les escaliers de service seraient remplacés par les comptoirs de vente. A gauche, le comptoir des femmes et à droite, celui des hommes. Leur terrain de bataille étant le terre-plein au pied des ascenseurs, épicentre des conflits. Il faut certainement être britannique pour goûter tout l’humour de l’écriture de Croft et Lloyd, beaucoup des us, coutumes et modes de pensée du bataillon d’étage étant de toute évidence strictement insulaires. Les locutions so british fleurissent à tout-va, d’abord celle qui donne son titre à la sitcom « Are you being served? » (« On s’occupe de vous ? »), prononcé par l’un ou l’autre des vendeurs et superviseurs dès l’arrivée d’un client et le fameux et culte « Are you free, Mr. Humphries ? » (« Etes-vous libre, Mr. Humphries ? ») qui amène toujours la réplique attendue et le début d’une nouvelle situation comique : « Yes, I’m free! ».
Mais c’est surtout l’incroyable audace des sous-entendus sexuels, qui parsèment les dialogues et provoquent l’hilarité, qui reste dans les mémoires et continue de fonctionner après tant d’années. Des quelques personnages principaux dont Are You Being Served? raconte les péripéties, deux sont des créations inoubliables de la sitcom anglaise : les indomptables Mrs. Slocombe (Molly Sugden) et Mr. Humphries (John Inman) qui passent leur temps à balancer des répliques d’une grivoiserie hors-norme, involontaire pour Mrs. Slocombe et complètement camp pour Mr. Humphries. Extravagants dans leurs conduites, leurs tenues et leurs réparties, les deux personnages (et les deux acteurs) sont les héros sans rivaux de Are You being Served?, des créatures extraverties et outrancières pour lesquelles tous les autres semblent n'être que des faire-valoir et pour lesquelles les fans continuent aujourd’hui à vouer un culte à la série.
Molly Sugden (1922-2009), inoubliable Mrs. Slocombe, prête à se farcir une cliente
Mrs. Slocombe (interprétée par Mollie Sugden) est la vendeuse principale du rayon « Dames » et la copine et tortionnaire de son inférieure hiérarchique, Miss Brahms (Wendy Richard). Elle est dans la cinquantaine, vieille fille, folle de son corps et a l’habitude de se faire des rinçages de couleur différents à chaque épisode. Ses coiffures sont légendaires mais sans doute moins que les exploits de l’animal de compagnie avec lequel elle vit, son fameux « Pussy » qui est le sujet des dialogues les plus salaces et (si j’ose dire, culottés) de la série. L’entendre dire innocemment que « This morning my Pussy got soaking wet » ou que « Last night I called the plumber and he got very fiendly with my Pussy » avec son inimitable accent anglais pour déchaîne immanquablement l’hilarité. C’est un humour de dessous la ceinture mais l’aplomb de Molly Sugden ferait passer des pets pour du hautbois. Bien sûr, « Pussy », en anglais, signifie « Chatte » dans les deux sens que lui donne aussi le français... C’est d’une vulgarité sans équivalent pour une série télé des années 70 mais d’une drôlerie sans pareille non plus.
John Inman (1935-2007), irrésistible Mr. Humphries
Mr Humphries (interprété par John Inman) est le vendeur principal du rayon « Messieurs » et le plus flamboyant membre du personnel de Grace Brothers. Dans la quarantaine, célibataire endurci, il vit toujours chez sa mère et possède un sens de l’humour décapant et tordu basé aussi, mais de façon très consciente, sur le sous-entendu queer et camp. Son occupation préférée est de mesurer l’entrejambe de ses clients avec son mètre ruban pour les commandes de costumes (d'où le burlesque quand un écossais se présente). Jamais ouvertement présenté comme homosexuel pendant toute la durée de la série, Mr. Humphries en est pourtant une caricature hystérique. Doté d’une voix de fausset, d’une démarche sautillante et d’une propension à se retourner les poignets, il est la folle la plus tordue de toute l’histoire des sitcoms de la BBC. Son personnage, par son outrance, provoqua d’ailleurs en son temps la fureur des activistes gays (qui avaient commencé depuis peu le combat) à cause de l’image caricaturale et ridicule qu’il présentait des homosexuels. Aujourd’hui, la colère est passée et Mr. Humphries s’est fait sa place au Panthéon des personnages cultes de la télé britannique. Rétrospectivement, on peut dire que son personnage dans Are You Being Served? donna au grand public anglais un sens du Camp et une notion du Queer jamais atteints jusqu’alors. Pour la petite histoire, le formidable John Inman, qui incarnait Mr. Humphries, était lui-même ouvertement gay et fit une brillante carrière, après la série, dans l’opérette travestie. Un sacré personnage.
Inutile de le dire, les scènes les plus déchaînées de Are You Being Served? sont celles qui font s’affronter Mrs. Slocombe et Mr. Humphries, deux langues de putes bien pendues et les éternels chat et souris de la série. Leurs dialogues en feu d’artifice de second degré et de sous-entendus sexuels sont un véritable régal.
Wendy Richard (1943-2009) est Miss Brahms, ici avec Mrs. Slocombe
Mais, dans mes personnages préférés de la série, il y a aussi la très sexy Miss Brahms (Wendy Richard), la jeune vendeuse sous la coupe de l’infernale Mrs. Slocombe, avec son accent cockney à couper au couteau et ses multiples soupirants éconduits. Il y a aussi le Capitaine Peacock (Frank Thornton), le chef d’étage qui essaye vainement de contenir les délires de son personnel avec un flegme britannique à toute épreuve. Et Mr. Rumbold (Nicholas Smith), le directeur du département « Dames et Messieurs » à l’invraisemblable physique. Sans oublier Young Mr. Grace (Harold Bennett), l'égrillard vieillard propriétaire du magasin qui semble avoir choisi ses pimpantes secrétaires dans l’écurie de Benny Hill.
Je ne me lasse pas d’Are You Being Served? que j’ai découvert un peu par hasard en DVD il y a quelques années. J’adore glisser la galette dans le lecteur et passer quelques moments en compagnie des personnages hauts-en-couleurs du magasin Grace Brothers. Les coiffures de Mrs. Slocombe et les petits cris de Mr. Humphries ne manquent jamais de me faire grimper aux rideaux. Parmi les 69 épisodes de 30 minutes de la série qui a duré dix saisons ans entre 1972 à 1985, certains sont des classiques, tels celui où Mrs. Slocombe, ayant réussi à obtenir un avancement au poste de sous-directrice d’étage, occupe son temps dans son nouveau bureau à manger des meringues et finit par avoir une indigestion ou encore celui où une visite de la Reine est annoncée dans le magasin et que Mr. Humphries se met en tête d’apprendre le protocole royal à ses collègues, et notamment la révérence.
Drôle, juste, incorrect et culotté (on ne peut imaginer la télévision contemporaine se lancer dans un projet pareil au temps du politiquement correct), splendidement écrit, joué à la perfection par l’ensemble de son casting et bénéficiant d’un sens du timing comique irrésistible, Are You Being Served? est l’un des grands triomphes de la BBC, une chaîne qui n’en est pas avare. Il n’était pas évident de faire durer sur dix saisons une série qui mettait en scène une poignée de vendeurs et de vendeuses sur un plateau de grand magasin : les créateurs de AYBS (Are You Being Served? pour ses fans) l’ont osé et réussi au-delà des espérances en en faisant une épopée en chambre de la guerre des sexes et des ambitions hiérarchiques. Si vous maîtrisez assez l’anglais pour le comprendre dans le texte, jetez-y un œil si vous en avez l’occasion : je suis sûr que vous pourriez en devenir accro, comme moi. Et ce, dès la chanson du générique.
Gay as a day in May !
En 1977, Are You Being Served? The Movie (réalisé par Bob Kellett) est sorti sur les écrans pour surfer sur le succès de la série TV et de la pièce qui en avait été tirée. Les mêmes acteurs y reprenaient leurs rôles mais le scénario les faisait sortir du magasin pour partir dans un club de vacances en Afrique du Nord. Ce n’était pas une bonne idée : à part quelques gags assez réussis, la magie était rompue et le film était très médiocre. Rien ne valait les discussions de comptoir et c'est la série qui est immortelle.
Je ne sais pas si AYBS est jamais passé à la télé française. Mais l’intégralité d’Are You Being Served? est disponible en DVD Z1 ou Z2UK. Attention : il n’y a pas de sous-titres français.
Et maintenant, les grands moments de Mrs. Slocombe et de son Pussy :
Ah, la télé US des Sixties ! A la fin de chaque épisode de Hullabaloo, une émission musicale produite par NBC de 1965 à 1966, l'incomparable Go-Go-Dancer Lada Edmund Jr. se trémoussait sur un morceau pop ou rock du moment, dans une cage placée en hauteur dans le décor d'un club.
Les spectateurs en demandant toujours plus, d'autres shows emboîtèrent le pas à Hullabaloo, dont celui-ci qui scénarisait sur un bout de chiffon les déhanchements de la belle. Dans l'épisode ci-dessous, Lada est enlevée et enfermée dans une cage de verre par un psychotique qui l'oblige à y danser sur le tube "Psycho" des Sonics (1965). Surexcité, le ravisseur se met aussi à esquisser des mouvements de danse épiléptiques puis s'énerve parce qu'elle ne le regarde pas, toute occupée qu'elle est à sa transe musicale. Voyez le zèle admirable avec lequel la sequestrée assure la punition qui lui est imposée par son geôlier (a-t-on jamais aussi bien go-go-dansé ?). Régalez-vous aussi de l'excitation puis de l'énervement et du coup de colère final du cinglé, qui recouvre la cage d'une couverture. On n'en fait plus des comme çà !
Quand Le Silence des Agneaux rencontre Girl in Gold Boots : c'était sur NBC en 1965 et c'est, aujourd'hui sans doute encore plus qu'hier, totalement irrésistible. Je ne m'en lasse pas.
Martin Sloan, adulte, rencontre Martin Sloan, enfant, dans l'épisode de "The Twilight Zone" : Walking Distance.
A chaque fois, c’est la même chose. Je mets le DVD dans le lecteur et je sélectionne l’épisode n° 5 de la première saison de "The Twilight Zone" : Walking Distance. Quel que soit l’état d’esprit dans lequel je commence à regarder les 25 minutes du court-métrage, je termine le visionnage dans un état proche de la serpillère. Je me suis souvent demandé comment un petit film comme celui-là, qui est passé pour la première fois à la télé US il y a maintenant 50 ans, pouvait provoquer chez moi tant d’émotion, tant de sentiment mélancolique. Je m’en doute un peu et je préfère ne pas creuser trop loin mais comme apparemment, je suis loin d’être le seul, je ne m’inquiète pas outre mesure : Walking Distance est simplement, et c’est ce qui compte, l’un des mes films préférés.
Walking Distance a été diffusé pour la première fois le 30 octobre 1959 sur CBS. Depuis, comme pour l’ensemble de la série "The Twilight Zone" ("La Quatrième Dimension"), il ne doit pas y avoir eu un jour sans qu'il soit rediffusé dans un des pays du monde. La série dans son intégralité (je parle de la série originale de 156 épisodes en noir et blanc, entre 1959 et 1964) est, au sens propre, extraordinaire par son originalité, son inventivité, ses talents impliqués et sa charge métaphysique, tous inédits à la télé à l’époque de sa création. Il y a tant d’épisodes remarquables, inoubliables : "It’s a Good Life", "The Monsters are due on Maple Street", "Living Doll", "The Eye of the Beholder"… et tellement d’autres. Mais aucun, tout au moins pour moi, n’atteint la puissance de Walking Distance. L’histoire de cet épisode est pourtant d’une grande simplicité.
Martin Sloan, 36 ans, est responsable de la communication d’une entreprise à Manhattan. Un jour, accablé par la pression professionnelle, il part faire un tour en voiture en dehors de la ville pour se changer les idées et remarque près de la station-service dans laquelle il s’est arrêté un panneau qui indique « Homewood ». C’est le nom de la petite ville où il a grandi et dans laquelle il n’est pas retourné depuis 25 ans. Comme ce n’est qu’à 1.5 miles de la station-service (à « walking distance ») il décide d’y aller à pied. Arrivé à Homewood, il se rend compte qu’il n’a pas seulement franchi 1.5 miles mais qu’il est aussi revenu plus de 25 ans en arrière, à l’époque de son enfance. Il retrouve les rues, les boutiques, le manège de chevaux de bois, les gens qu’il connaissait autrefois et va frapper à la porte de sa maison. Ses parents lui ouvrent la porte, ne reconnaissant bien sûr pas leur jeune fils qui est maintenant un homme et le prennent pour un cinglé. Puis il se rencontre lui-même, tel qu’il était quand il avait une dizaine d’années. Bouleversé par la situation, il provoque malgré lui un accident qui blesse l’enfant. Son père vient lui parler et, comprenant, qu’il s’adresse à son fils adulte revenu du futur, lui demande affectueusement de quitter les lieux, parce qu’il n’a « rien à faire ici ». Martin Sloan dit au revoir à son père et reprend la route de la station-service, en boitant de la jambe que l’enfant qu’il était vient de blesser. Martin Sloan venait de faire un court voyage dans "The Twilight Zone".
Les histoires de voyage dans le temps m’ont toujours fasciné mais la plupart cèdent au spectaculaire ou aux complexités du concept. Walking Distance, et c’est sa force, se concentre sur l’aventure humaine et émotionnelle de son personnage sans s’encombrer d’effets de mise en abîme ou de péripéties paradoxales. Il nous montre un type qui se retrouve, pour quelques heures, adulte dans son propre temps d’avant : sur le perron de la maison où il a grandi, à portée de bras de ses parents morts depuis longtemps, à l’époque des possibles et pour lui, de l’insouciance. Il lui revient les sensations du goût d’une crème glacée, d’un air de juke-box, de la pétarade d’une voiture ancienne. Et avec tout cela, le sentiment physique et métaphysique du temps qui s’est écoulé, des choses qui ont grandi et de celles qui se sont écroulées. Chacun de nous s’est sans doute un jour demandé comment il serait, ce qu’il dirait à ces gens autrefois proches, famille, amis, voisins, collègues, qui ne font plus partie de son univers s’il pouvait les retrouver, tels qu’auparavant. Walking Distance, sans appuyer sur aucun effet facile, nous en donne, très subtilement, une des réponses.
Bien sûr, si on creuse un peu le scénario de Walking Distance, les faiblesses de l’histoire apparaissent. Rod Serling (1924-1975), le génial créateur de "The Twilight Zone" et le scénariste de nombreux épisodes, dont celui-ci, le dit lui-même dans l’enregistrement d’une conférence qui fait office de commentaire sur le DVD : l’histoire aurait du trouver son apogée au moment de la rencontre entre Sloan et ses parents (comment dépasser émotionnellement une telle scène ?), pourquoi Sloan ne boîte-t-il pas au début de l’histoire mais seulement à la fin si sa jambe a été accidentée dans son enfance ?… Ces éléments, dit Serling, n’ont pas été assez travaillés et s’il avait pu, comme son héros, revenir en arrière, sans doute aurait-il apporté quelques modifications à son scénario. Mais tout cela n’est pas bien important : au final, Walking Distance reste le plus bouleversant épisode de "The Twilight Zone". De l’aveu de Rod Serling, c’est le scénario le plus personnel et le plus intime qu’il ait jamais écrit pour la série, Homewood étant la contrepartie de sa propre ville d'enfance, Binghamton : une histoire simple qui ne peut que toucher une corde sensible chez le spectateur impliqué parce qu’elle lui chuchote, au détour d’un épisode de série télé, les vérités les plus universelles.
Pour la petite histoire (mais qui ajoute au plaisir intarissable de Walking Distance), on peut ajouter que la rue de Homewood dans laquelle revient Sloan est celle de la maison de la famille de Judy Garland dans Meet Me in St. Louis (1944) de Minnelli puisque l’épisode a été tourné sur un backlot de la MGM ; que la musique est de Bernard Herrmann (et reprend des accords de celle de Vertigo de Hitchcock, autre film sur le temps et la mémoire réalisé l’année précédente) et qu’on y retrouve le petit Ron(ny) Howard, le futur réalisateur de blockbusters, le temps d’une courte scène. Robert Stevens a réalisé l'épisode mais c'est bien l'esprit de Rod Serling qui le survole à chaque seconde.
Enfin, il faut saluer le jeu de Gig Young (Martin Sloan adulte), un acteur toujours excellent qui reçut l’Oscar 1969 pour le rôle du MC dans On Achève bien les Chevaux : il donne la profondeur nécessaire à son personnage et ce faisant, assure en grande partie la puissance émotionnelle de l’épisode : si dans Walking Distance, le personnage incarné par Gig Young découvre à ses dépens qu’on ne peut pas, qu’on ne doit pas retourner dans le passé, l’acteur ne pouvait pas savoir que dans son propre futur, son histoire aurait une bien triste fin puisqu’un jour de 1978, il tua sa jeune épouse avant de se suicider dans leur appartement new-yorkais. Ce jour-là, lui aussi passa sans doute dans "The Twilight Zone", mais cette fois, ce n’était pas du cinéma et il n’y eut personne pour lui dire de rentrer tranquillement chez lui.
Il faut voir et revoir Walking Distance, cet extraordinaire épisode d'une extraordinaire série télé : rarement 25 minutes de télévision ont-elles été si bien exploitées. Et pour moi, l'image, au début, du reflet dans le miroir de Martin Sloane qui s'éloigne sur la route menant à Homewood sur les accords de Bernard Herrmann est sans nul doute l'une des plus belles du cinéma.
Le 15 janvier 1962 à 9h00 du matin, Jackie Kennedy arriva à la Maison Blanche dans un rare état de nerfs. Après que son habilleur, son maquilleur et son coiffeur se furent occupés d’elle et qu’elle eut descendu non pas l’escalier mais quelques verres de scotch pour se donner du courage, Jackie-la-Réserve entra dans une pièce du prestigieux bâtiment où une équipe de plus de 50 techniciens l’attendait. A 11h00, le tournage d’une des plus célèbres émissions de l’histoire de la télévision américaine pouvait commencer.
A Tour of the White House with Mrs. John F. Kennedy devait être une des pièces du jeu de séduction que les conseillers et les PR de John F. Kennedy avaient imaginé à l’intention des Américains et du reste du Monde : proposer à chacun la possibilité de faire, par le biais d’une émission télé, une visite guidée de la Maison Blanche dans son nouvel aménagement. Et pas avec n’importe quel guide mais avec la First Lady herself, l’énigmatique Jackie qui avait décidé et supervisé quelques temps auparavant le complet relooking de la vieille demeure.
En effet, fin 1960, Mamie Eisenhower, sur le départ, avait fait un tour du locataire à Jackie Kennedy qui devait s’installer dans les lieux avec son Président Elect de mari quelques semaines plus tard. La petite histoire dit que Jackie était sortie de la visite en pleurant, en se tordant les mains et en disant que « la Maison ressemble à un hôtel meublé par un grossiste pendant les soldes de janvier ». C’est suite à cette visite qu’elle avait décidé de donner à la Maison Blanche une nouvelle jeunesse. Assistée d’une équipe de décorateurs d’intérieur et de conservateurs de musées, Jackie s’était mise au travail illico. L’idée était de se défaire des pièces de mobilier et des objets d’art trop ploucs pour être compatibles avec le prestige de la demeure et de les remplacer par d’autres, d’un goût plus Vieille Europe. Il suffisait d’aller chercher dans les caves et les greniers, chez les antiquaires et dans les salles des ventes : on devrait bien trouver de quoi redécorer les 54 pièces et les 16 salles de bain de la maison des Présidents. Et c’est ce qui fut fait.
Deux ans après la funeste visite de 1960 donc, la nouvelle Maison Blanche était prête à être vue par les Américains ébahis. L’émission produite par CBS nécessita un an de pré-production et coûta 2 millions de dollars de l’époque. Aucune improvisation n’étant possible, quatre scripts successifs furent écrits, revus et corrigés pendant six mois avant que Jackie soit heureuse du résultat (elle participa activement à la rédaction). Charles Collingwood, journaliste de CBS, fut choisi pour accompagner à l’écran la First Lady dans sa visite guidée et c’est à Franklin J. Schaffner, le réalisateur attitré des speechs télévisés de JFK et le futur director de La Planète des Singes, Patton et Papillon (entre autres) qu’incomba la tâche de filmer la chic promenade dans les méandres du bâtiment.
Le 15 janvier 1962, soit presque un an jour pour jour après la prise de fonction de Kennedy, le tournage avait lieu. De 11h00 à 19h00, Jackie Kennedy et Charles Collingwood, micros cachés dans leurs vêtements, effectuèrent une visite en morceaux de la Maison Blanche rénovée (ou plutôt en cours de rénovation car les travaux n’étaient pas tout à fait finis : à un moment de l’émission, ils entrent dans une pièce en chantier de papier-peint dans laquelle, rassurez-vous, n’apparaît aucun ouvrier). Du Grand Hall d’Honneur du rez-de-chaussée aux Salons Officiels et Cabinets de Travail de l'étage noble et aux Appartements Privés de l’étage supérieur, une sélection de pièces de la maison fut parcourue et commentée par les deux guides novices mais parfaitement bien préparés. Charles C. posait les questions et Jackie K. apportait les réponses. On y parlait de couleur des murs, du mobilier, de l'argenterie et des bibelots (c’est d’ailleurs fou ce que Jackie aimait le mobilier et les objets d’art français du XVIIIe au début du XXe siècle : je dirais que 3/4 des objets montrés pendant l’émission avaient été dénichés en France), des tableaux et des sculptures plutôt américains (notamment les portraits de Présidents qui eux, n’avaient pas été mis au rebut). Seule la chambre de Lincoln, véritable trésor national, n’avait pas été touchée. Régulièrement, Jackie citait nominativement les généreux donateurs qui avaient participé à la rénovation en lui donnant des objets : on peut imaginer que quand Mr & Mrs Walter Anneberg de Philadelphie ou Mr & Mrs Henry Ford de Grosse Pointe, Michigan entendirent leurs noms prononcés à la télé par la First Lady elle-même, ils durent avoir l’une des plus grandes bouffées de chaleur de leurs vies.
Pendant que Jackie faisait sa visite guidée et commentait les meubles Boulle, les chandeliers Empire et la nuance des couleurs des rideaux de soie, John F. était dans une autre salle du bâtiment, pour sa première conférence de presse de l’année 1962 : il y était question du Mur de Berlin, de Cuba, des essais nucléaires, des dramatiques événements dans le sud-est asiatique (qui allaient bientôt déboucher sur la Guerre du Vietnam)… Juste à la fin de sa conférence, le Président vint retrouver son épouse autour d’une table pour une courte conversation avec le journaliste. A l’écran, c’est un moment très sympathique où JFK semble totalement détendu, compte-tenu des sujets brûlants qu’il venait d’aborder à quelques mètres de là, en parlant du formidable travail de sa femme et de l’importance pour chaque américain de connaître l’histoire de leur pays à travers celle de la Maison Blanche et de la succession de ses occupants. Pour la petite histoire, JFK ne fut pas satisfait de sa prestation et demanda à Schaffner de refilmer sa courte intervention le lendemain, ce qui fut fait (et ce qui impliqua un gros travail de montage puisque Jackie n’était plus là pour les prises de vues refaites).
A Tour of the White House with Mrs. John F. Kennedy fut diffusé le mercredi 14 février 1962 à 22h00 sur CBS et NBC et rediffusé le dimanche suivant à 18h00 sur ABC. L’émission avait été en effet produite par CBS avec la participation de NBC et ABC, une première dans l’histoire de la télé US (Kennedy ne voulant pas trop favoriser CBS au détriment des deux autres chaînes nationales). On estime que 46 millions d’Américains (soit 75 % des personnes qui étaient devant la télé à ce moment-là) regardèrent le programme de 60 minutes en noir et blanc, qui fut vite rebaptisé par les médias et le public The Jackie Kennedy Show.
Parce qu’évidemment, vous vous doutez bien que l’immense majorité des spectateurs ne regardèrent pas l’émission pour s’extasier sur le mobilier et les parquets de la Maison Blanche. C’est Jackie qu’on voulait voir, cette nouvelle First Lady si discrète, si jeune, si posée, si bien élevée, si impeccable, si mystérieuse… Comment elle était habillée et coiffée (un bouffant comme on n'en fait plus !), comment elle bougeait, comment elle parlait… La scruter pour essayer d’en percer les mystères insondables. De Des Moines à Hollywood en passant par Seattle et Tallahassee, on peut imaginer qu’anonymes et célébrités, les Sandra Jones et les Marilyn Monroe, les John Smith et les Truman Capote étaient devant leur poste de télévision le 14 février 1962 à 22h00 pour ne pas rater une seule minute du Jackie Show. Et que les téléphones durent sonner dans tout le pays à peine l’émission terminée pour aider à partager les impressions.
Et que virent-ils ces 46 millions de téléspectateurs ? A dire vrai, ils virent une Jackie Kennedy plutôt somnambulique et visiblement pas très à l’aise devant les caméras, glisser à petit pas de pièce en pièce, s’arrêtant devant tel tableau ou telle commode pour en faire une sommaire description sur le ton monocorde et à bout de souffle dont elle seule avait le secret. Une prestation qui était loin de mériter un Emmy Award (pour lequel Jackie n’a d’ailleurs pas été nominated) mais qui est un régal de chaque instant pour les amateurs de weirdness. En revoyant l’émission aujourd’hui, on est vraiment surpris par ce que dégage la First Lady, qui parait presque stoned pendant toute la durée de son intervention (l'effet des scotchs ?), comme absente ou au bord de la syncope. Le journaliste Collingwood s’essaye d’ailleurs comme un diable à animer la conversation et il faut bien avouer qu’on a un peu de peine pour lui. En revanche, l’incroyable vitalité et le charisme de John F. Kennedy explosent dans ses quelques minutes de présence à l’écran : lorsqu’il apparaît et qu’il se met à parler avec son sourire ravageur, on comprend en une seconde d’où vient le mythe JFK. Il faut avoir vu ces quelques moments et tout est dit.
Bien sûr, les médias américains encensèrent l’émission, sa nouveauté et la prestation inédite de Jackie tout en s’émerveillant de la redécoration de la Maison Blanche. Le style Jacqueline Kennedy, déjà bien diffusé par la presse, trouva une seconde célébrité grâce au Jackie Show : les trois rangées de perles, la sobre petite robe-tailleur au col horizontal, les talons plats, la coiffure bouffante et les chuchotements furent repris par des millions de femmes à travers le pays et au-delà : pendant une heure, on avait vu Jackie marcher, bouger, parler et se fendre de quelques rares sourires à son interlocuteur et aux spectateurs. Jackie ayant enregistré à part deux introductions en français et en espagnol, l’émission fut vendue et diffusée dans 32 pays.
Néanmoins, au milieu de toutes ces louanges, un papier de Norman Mailer dans « Esquire » fit tâche et forte impression : sans mâcher ses mots, Mailer compara la voix « artificielle » de Jackie Kennedy à celle « d’une présentatrice météo », nota qu’elle « se déplaçait à l’écran comme une starlette sans talent » et qu'elle « bougeait comme un cheval de bois ». Un avis tranché qui provoqua une animosité à vie entre l’écrivain et Jackie, qui garda toujours ces lignes assassines en travers de la gorge. Entre nous, Norman n’avait pas tout à fait tort. Le Jackie Show fit aussi le bonheur des satiristes presse, télé et radio, cela va sans dire.
A Tour of the White House with Mrs. John F. Kennedy fut en son temps et reste encore aujourd’hui l’une des émissions les plus mémorables de l’histoire de la télé américaine. Cette étrange visite guidée par Jackie K. permit aux Américains d’abord et à une grande partie du Monde ensuite d’avoir l’impression d’entrer pour une heure dans l’intimité d’une dynastie moderne sans égale et d’entrebâiller la porte sur les mystères de Camelot. La Maison Blanche remeublée avec style, le jeune et beau couple Kennedy veillant sur la sécurité et le bon goût du pays, tout semblait parti pour le meilleur. Un déplacement à Dallas quelque temps plus tard allait évidemment changer la donne.
Jackie Kennedy n’a jamais refait une émission télé de ce style par la suite : j’aime cependant à m’imaginer ce que ça aurait pu donner si elle avait fait la même chose (une visite guidée guindée) chez ses deux souillons de cousines, les formidables Edith et "Little Eddie" Bouvier Beale, à Grey Gardens, leur manoir à l’abandon des Hamptons (voyez si vous le pouvez le fabuleux documentaire qui leur a été consacré par les Maysles Brothers en 1975 : Grey Gardens). On dit que Jackie allait quelquefois rendre visite à ses cousines imprésentables, la nuit tombée et incognito : quel dommage que les équipes de Franklin J. Schaffner ne l’aient pas accompagnée au moins une fois dans le bouge infâme…
A Tour of the White House with Mrs. John F. Kennedy a été édité en DVD aux USA par le Field Museum. On peut le trouver en cherchant un peu sur le web. L’image (télévidéo d’origine) est moyenne mais la valeur de curiosité du document en rattrape largement la qualité.
Voici un court extrait du Jackie Show qui vous permettra de vous faire une idée plus précise de l'étrange performance de notre Fist Lady préférée :
Ce sujet s'appuie sur la conférence du même titre par Mary Ann Watson, Assistant Professor, Department of Communication, University of Michigan, 1986.
Devant la demande universelle et entre nous, voici l'origine du titre du blog que vous êtes en train de parcourir : Sniff and Puff.
Ce titre provient de l'inénarrable (et interminable) chanson "Everybody today is turning on" interprétée par Bea Arthur et Rock Hudson dans le show TV américain "The Bea Arthur Special", diffusé par CBS en 1980. Une chanson à l'origine écrite pour le musical génial et méconnu "I Love my Wife" en 1977 et reprise à l'unisson et au dixième degré par nos deux cinquantenaires malicieux trois ans plus tard. Un morceau insensé, véritable show-stopper, qui parle de substances qu'on sniffe et taffe (Sniff, swig, puff) sur un air plus qu'enlevé. Des paroles qu'on ne pourrait plus du tout entendre sur les télés d'aujourd'hui (How can a whiskey beat cannabis ?) et une interprétation géniale par Rock et Bea, très classieux en smoking et robe du soir, qui ont l'air de vraiment s'amuser tout en ayant trouvé le ton absolument juste. Bea est impériale comme d'habitude et Rock impressionnant de coolattitude. Un grand moment de n'importe quoi et un sommet de camp qui ne cessent de m'enchanter. J'adore !
Vous pouvez voir le numéro ci-dessous. Oui, la vidéo est un peu floue mais c'est un incunable. Essayez de comprendre quelques paroles ici et là, je vous jure que ça vaut le coup ! Ah, j'oubliais : il n'a pas de meilleure chanson pour un play-back à la maison. Et je sais de quoi je parle !
For some it’s grass, for some it’s coke For some it’s powder, for some it’s smoke Everybody today is turning on! For some it’s dust, for some it’s weed For some it’s acid, for some it’s speed Everybody today is turning on!
Time was when if a fella felt depressed He simply got it off his chest By callin’ on a preacher Talkin’ to his teacher Coughin’ up a half a buck to see a double feature
But now it’s pills, and now it’s pot And now it’s poppers, and God-knows-what! Sniff, swig, puff, and your cares are gone! Everybody today is turning on!
The simple life it must have been When “smoke” was Luckys and “high” was gin! One pink lady and how it turned ‘em on! “Junk” was trash, “speed” was swift Glue was pasted instead of sniffed Coke and aspirin, and wow it turned ‘em on!
Those days whenever folks were feeling low They knew that they could get a glow And chase away the vapors Laughing at the capers (ici, un vers incompréhensible) In the Sunday funny papers!
But now it’s ("sniff" noise) and down it goes Around your windpipe and up your nose! Sniff, swig, puff, and your cares are gone! Everybody today is turning on!
Remember when “high” was up and kicks were tame And “amyl nitrate” was some guy’s name? Holdin’ hands and smoochin’ was turning on! “Horse” was ride and “roach” was bugs “French connections” were foreign plugs Jivin’ to Eddie Duchin was turning on!
Those days when if your nerves were kind of shot Instead of going right to pot You prayed to hold it steady Kept a Bible ready Took advice from Rabbi Weiss or Mary Baker Eddy!
But with the world so much amiss How can a whiskey beat cannabis? Sniff, swig, puff, and your cares are temporarily gone! Everybody today is turning on!
Remember when “hash” was fried and “T” was brewed? Someone “pushing” was merely rude But once a week you cut the grass And too much acid just gave you gas!
Sniff, swig, puff, and your cares are temporarily gone Everybody today is puffin’! Into fudge look what they’re stuffin’! Hold it, Ma, don’t touch that muffin! God knows what your grandpa’s snuffin’! Everybody today is turning on!
Allez, un post en hommage aux créateurs/animateurs d'une émission TV qui a totalement changé le rapport des spectateurs au cinéma aux Etats-Unis, et par voie de conséquence, dans le monde entier : Rogert Ebert (né en 1942), Gene Siskel (1946-1999) et Richard Roeper (né en 1959).
Le 21 juillet 2008, Ebert et Roeper annoncaient que le format de leur émission At the Movies s'arrêterait en août 2008 après, sous divers avatars, 33 ans d'existence (la plus longue émission de cinéma de l'histoire de la télévison). ABC/Disney, producteur et propriétaire de l'émission, voulait lui donner une autre orientation à partir de septembre 2008 et les deux animateurs avaient décidé, bon gré mal gré, de quitter la boutique.
L'émission, enregistrée depuis toujours à Chicago, a commencé en 1975 sous le titre Sneak Previews : le critique de cinéma Roger Ebert y faisait des critiques argumentées et illustrées d'extraits des films à l'affiche. En 1986, il embarque un autre critique, Richard Siskel. Le format de l'émission, rebaptisée Siskel & Ebert at the Movies change : Ebert & Siskel, assis dans une salle de ciné, discutent à bâtons rompus des films à l'affiche et de certains films anciens. Comme ils ont des goûts plutôt différents sur le cinéma, cela créé assez souvent des discussions enflammées pour le plus grand plaisir des spectateurs. Siskel meurt d'un cancer en 1999 et est remplacé en 2000 par Richard Roeper dans une émission identique au titre modifié : Ebert & Roeper at the Movies. C'est cette émission qui s'arrête en août 2008. En septembre 2008, elle est reprise sous le titre At the Movies avec une nouvelle formule et une toute autre équipe, très rajeunie, des jeunes loups formatés aux écoles de journalisme.
Ebert, Siskel et Roeper ont à leur crédit d'avoir ouvert les yeux des téléspectacteurs américains sur les possibilités de lecture d'un film et essayé de leur faire comprendre que le cinéma était un diverstissement, une industrie mais aussi un art. La critique de cinéma écrite, qui seule faisait référence jusque-là, était doublée par le critique télévisuelle, ce qui lui a donné une visibilité beaucoup plus grande. Leurs analyses courtes mais pertinentes et passionnées d'un film par rapport à son histoire, ses acteurs, son réalisateur, sa technique, ses références, ses significations historiques, sociales et économiques... ont ouvert une porte auprès du public américain et donné naissance à plusieurs générations de critiques en herbe qui, pour certains, ont depuis volé de leurs propres ailes dans la presse, la TV, le web ou la blogosphère.
Ils ont aussi osé intégrer la part de sensibilté personnelle et d'émotion de spectateur que peut avoir le critique de cinéma dans ses avis, des paramètres essentiels que la critique européenne a toujours eu tendance à mettre de côté au profit de l'analyse purement technique ou intellectuelle. Leur système imparable de jugement d'un film depuis 1981 (qui pollue il faut bien l'avouer les jaquettes de DVD Z1) est basé sur les fameux "Thumbs Up" ou "Thumbs Down", qui ont le mérite de la lisibilité immédiate.
Roger Ebert publie depuis 1967 dans le "Chicago Sunday Times" ses critiques de films. Il a aussi publié pas mal de livres sur le cinéma, écrit des scénarios (notamment Beyond de Valley of the Dolls de Russ Meyer...) et a remporté le Pulitzer Prize en 1975 dans la section "Critique de Films". Il est le premier et l'un des trois seuls critiques ciné à l'avoir eu avec Stephen Hunter du "Washington Post" en 2003 et Joe Morgenstern du "Wall Street Journal" en 2005. Cette récompense prestigieuse reconnaissait sa contribution à avoir fait de la critique de cinéma un genre littéraire à part entière.
Souffrant d'un cancer depuis quelques années et incapable de parler suite à ses diverses chirurgies de la mâchoire, Roger Ebert (âgé de 67 ans en 2009) ne participait plus physiquement depuis déjà quelques temps son émission TV mais reste très présent sur son site internet et son blog qui sont d'une lecture qui, personnellement, m'enthousiasme toujours autant, qu'il y parle de "The Dark Knight", de "L'Avventura", de "La Vie des Autres", des "Enfants du Paradis" ou de "Benjamin Button".
Tout cela pour dire que Ebert, Siskel et Roeper, qu'on supporte ou pas leurs gimmicks (et surtout leurs "Thumbs"), sont des grands bonshommes avec formidable culture de l'histoire du cinéma et dont les avis, qu'on les partage ou pas - et pour ma part, je les partage à près de 90 % je pense - sont le type de critiques qui ont mis leur savoir et leur curiosité, leur opinions et leur personnalités au service du grand public auquel ils ont donné les clés pour regarder les films d'une façon plus enrichissante. Ils ont aussi contribué au développement de l'intérêt des américains pour les cinémas d'autres pays, même si il reste encore du beaucoup de travail à faire. Werner Herzog, qui n'est pas le plus commercial des réalisateurs, vient d'ailleurs de dédicacer son dernier film/documentaire (Encounters at the End of the World, 2008) "à son ami Roger Ebert".
En 33 ans, Ebert, Siskel et Roeper ont fait un boulot vraiment remarquable, aux Etats-Unis et dans les pays anglophones mais aussi, par ricochet, partout ailleurs où on va au cinéma ou on regarde des DVD : ils n'en seront jamais assez remerciés et la page qui s'est tournée en août 2008 avec leur départ d'ABC a bien marqué la fin d'une époque.
Angels in America, un téléfilm de 6 heures réalisé par Mike Nichols, a raflé en 2004 le record de 11 trophées à la cérémonie des Emmy Awards (record précédemment détenu par Racines en 1977 avec 9 trophées). Etait-ce vraiment mérité ?
Ce téléfilm HBO d'un budget colossal de 60 millions de $, tiré de la pièce de théâtre homonyme de Tony Kushner (qui avait reçu le Prix Pulitzer et le principal Tony Award en 1993), raconte les conséquences personnelles et collectives du SIDA dans le parcours de plusieurs américain(e)s de la seconde moitié des années 1980. C'est aussi et surtout un manifeste politique gay et une oeuvre américaine archétypique (faite par et pour les américains).
Le téléfilm (mais compte-tenu de son budget, de son ambition, de ses acteurs et de son réalisateur, on peut le considérer comme un film à part entière) est constitué de deux parties de 3 heures chacune : "Le Millénaire Approche" et "Perestroïka". Le casting, étincelant, est mené par Al Pacino (over the top en avocat à succès homophobe qui se meurt du SIDA), Meryl Streep (trois rôles à elle-seule, dont ceux de la mère mormonne d'un gay mal dans sa peau et... d'un rabbin), Emma Thompson (trois rôles, dont celui d'un Ange hystérique). Streep et Pacino ont remporté un Emmy. Deux révélations : Patrick Wilson (un mormon dans le placard) et Jeffrey Wright (un infirmier flamboyant). Le réalisateur Mike Nichols (Qui a Peur de Virginia Woolf, Catch-22, Le Lauréat) a aussi reçu un Emmy.
Angels in America (Emmy du meilleur Téléfilm), dont le scénario a été écrit par Tony Kushner lui-même (un Emmy aussi), mélange tous les genres : c'est un drame, un mélodrame, un film fantastique, un pamphlet politique, un manifeste social, sexuel, culturel et religieux, une fable, un conte de fées (ou de sorcières)... La dizaine de personnages principaux (des gays principalement et quelques femmes périphériques) se croisent, se perdent, se recroisent, vivent, meurent ou survivent. Au début, les méandres du film peuvent faire craindre un fourre-tout de la pire espèce. Il faut avouer que c'est un peu ça. La structure du scénario, tiré d'une pièce très bavarde, est d'une impressionnante complexité : la fin du film essaye de raccorder ensemble toutes les pièces du puzzle sans y parvenir complètement. Beaucoup d'effets spéciaux (plus ou moins réussis) et de très nombreux clins d'oeil à l'histoire du cinéma (notamment les "women's pictures" de Davis et Crawford et au Musical) en font une expérience visuelle assez étonnante. Hommage probable à la France, les références à Jean Cocteau sont très présentes.
Evidemment, Angels in America sera loin de plaire à tout le monde, notamment en France où ce genre de méli-mélo n'a jamais été apprécié (on pourra aussi lui reprocher sa démesure baroque, l'utilisation abusive de la musique, les métamorphoses de Meryl Streep, l'outrance d'Emma Thompson en Ange...). Il y a aussi un écueil, assassin : le texte foisonnant qui devient vite épuisant et qui tient assez souvent l'émotion du sujet à distance. La toute dernière scène, elle, est vraiment bouleversante, mais comment pourrait-il en être autrement ?
Malgré ses quelques défauts, il faut saluer le projet fou d'Angels in America. Produite par la chaîne HBO (Six Feet Under, Les Sopranos, Sex & the City...), voilà une oeuvre télévisuelle audacieuse dans son thème et sa forme qui n'a rien à envier aux films à thèse du grand écran. Une fresque puissante, baroque et littéraire qui part de l'histoire de quelques individus pour dresser un portrait de la résilience de l'Humanité.
Voilà une sorte de chef-d'oeuvre que j'ai découvert par hasard en surfant sur le Web : The Lost Prince, un téléfilm britannique qui bénéficiait partout de critiques excellentes. J'ai acheté à l'aveuglette le DVD et je me joins à ces critiques : c'est une fresque intimiste et épique à la fois qui m'a profondemment bouleversé et que je conseille vivement à tous ceux qui peuvent se laisser emporter par l'émotion d'une histoire.
The Lost Prince a été produit par la BBC en 2003 par Stephen Poliakoff, un spécialiste des reconstitutions historiques de qualité. Le téléfilm (3 heures, en deux parties) qui n'a rien à envier aux films de cinéma, raconte l'histoire oubliée du Prince John (Johnnie), fils de George V et de la Reine Mary, un gamin épileptique et légèrement autiste que la famille royale britannique a préféré faire oublier après sa mort à 13 ans en 1919.
Le film raconte sa courte vie et brosse un portrait de la société de cour de l'époque et des grands événements contemporains, notamment la Première Guerre Mondiale et la chute de la famille impériale de Russie, à travers ses yeux d'enfant. La réalisation est parfaite, sensible et retenue et les comédiens, pour la plupart venant du théâtre, tous formidables de justesse (surtout Miranda Richardson en Queen Mary et Gina McKee, bouleversante, en jeune nurse au service du Prince).
La musique symphonqiue composée pour le film par Adrian Johnston est extraordinaire et il me semble impossible de regarder les dernières scènes de la belle et triste histoire du Prince Johnnie sans verser quelques larmes. Bref, une belle découverte que ce Lost Prince dont l'histoire restera longtemps gravée dans ma mémoire. Et croyez-moi, si tout cela peut sembler mélodramatique, ça ne l'est pas : la pudeur du film fait sa force. Un film qui est un vrai et rare moment de poésie mélancolique doublé d'une leçon de grande et de petite histoire.
Le sommet de la carrière filmée de Judy Garland n'est-il pas la série de shows TV qu'elle a faite pour CBS en 1963-1964 : The Judy Garland Show ? Elle y est insurpassable.
Cette série de 26 shows télévisés de 1 heure que Garland a tournée dans les studios CBS de Los Angeles devait donner une nouvelle orientation à sa carrière. CBS pensait que le public serait ravi de retrouver Judy à la télé dans un show régulier et Garland, qui avait 41 ans, avait cruellement besoin d'argent. Un deal est signé. Judy chantait, dansait, jouait des sketchs, seule ou avec des artistes invités (c'est là qu'elle a fait débuter Streisand à la télé par exemple) et même ses enfants. Elle faisait ses numéros solo devant un public live (comme en concert) et enregistrait les sketchs. Un peu comme les shows de Maritie et Gilbert Carpentier, mais en N&B.
Les décors étaient simples et épurés, d'une stylisation jamais vue à la télé jusqu'alors. Un décor récurrent était celui dans lequel Garland chantait la plupart de ses numéros solo : sur une scène prolongée par un catwalk qui allait vers le public, une grosse malle de voyage était posée. C'est Garland elle-même qui avait voulu cet unique accessoire, qui devait symboliser pour elle toute une vie de vagabonde du spectacle.
Mais Judy avait bien changé physiquement depuis ses films musicaux et les téléspectateurs se sont sentis mal à l'aise de retrouver leur Dorothy prématurément vieillie. De plus, la concurrence était rude avec la chaine rivale NBC, qui passait à la même heure la nouvelle série Bonanza... en couleurs. Les shows ont commencé à ramer et CBS a décidé de les stopper au 26e numéro, plongeant Garland dans une profonde déprime et provoquant la colère des vrais fans et des critiques, qui avaient perçu le caractère exceptionnel du projet et l'investissement physique personnel stupéfiant de Garland. Ses biographes sont tous d'accord sur le fait que cet échec a précipité sa fin (Judy Garland est morte en 1969, à 47 ans).
Les 26 numeros du Judy Garland Show restent un moment unique de l'histoire du show-bizz télévisuel et Garland n'y a jamais été aussi proche, humaine, drôle et bouleversante. Par exemple, son interprétation de "Old Man River" dans le show #1 (voir extrait YouTube ci-dessous), est une expérience émotionnelle sans équivalent pour un admirateur de Judy et à mon humble avis la meilleure version jamais interprétée de cette chanson magique. Son interprétation du "Battle Hymn of the Republic" (Glory Glory Hallelujah) qu'elle a chanté dans son Show au lendemain de l'assassinat de Kennedy, est un morceau d'un lyrisme déséspéré inoubliable et fut la séquence la plus applaudie de l'ensemble des programmes. C'est dans ces shows qu'on peut mesurer, s'il en était encore besoin, combien elle a été une artiste absolument complète.
L'ensemble du Judy Garland Show est disponible en DVD Z1 (remasterisés, qualité vidéo et audio stupéfiante) en deux coffrets qui sont assez chers mais qui sont inestimables pour les fans.
Et tant que j'y suis, une autre édition concernant Judy Garland : Judy Garland Speaks! qui est une rareté absolue sortie en CD (googlez pour le trouver). Ce sont les bandes sonores que Judy Garland a enregistrées chez elle sur un magnétophone entre 1963 et 1967 dans le but de documenter une autobiographie qui n'a jamais vu le jour. Les bandes sont conservées aujourd'hui à la Columbia University de New York. En tout, 90 minutes d'enregistrements de Garland toute seule face à son micro, qui raconte sa vie, ses succès et ses échecs personnels et professionnels. Elle n'a pas la langue de bois et dit tout ce qui lui passe par la tête. Comme les bandes ont été commencées après la débacle de son show sur CBS, le début en est très amer... pour s'enfoncer encore plus au fur et à mesure de l'enregistrement. On entend souvent le bruit des glaçons dans le verre de whisky (elle termine souvent un enregistrement ivre morte). Au final, c'est une Judy Garland totalement désabusée par sa carrière qui révèle toute sa rage contre le système hollywoodien et sa terreur devant ses propres démons. Elle parle aussi de ses quelques souvenirs heureux, comme sa rencontre avec Mankiewicz ou Minnelli (mais pas sur le même ton de la fin de leurs relations), ses enfants et ses performances scéniques. Plus on avance dans l'écoute, plus un sentiment de malaise nous prend et l'expérience finale en tant qu'auditeur est plutôt désagréable. Judy Garland, défaite et d'une voix cassée, crache son amertume dans la seconde partie (elle insulte même ses fans, c'est-à-dire nous), parle beaucoup du désastre de sa vie privée et de son instinct de survie face à la mort qui semble la guetter. Quand on sait comme tout cela a fini, on a vraiment l'impression d'entendre un fantôme qui n'a pas trouvé le repos qui nous parle depuis la tombe. Bref, une écoute morbide que je ne recommande pas du tout à qui veut garder l'image rayonnante de la Judy Garland qu'on aime. Un document exceptionnel mais éprouvant. Je ne connais rien de semblable pour aucune autre star de la magnitude de Judy Garland.
C'était il y a près de 50 ans, le 31 octobre 1961 à 20h30 précises : l'ORTF diffusait sa production des Perses par Jean Prat. La France entière qui finissait sa soupe regarda à la télé ce spectacle inouï : en 1h10 et sans coupure de publicité, la plus ancienne des tragédies grecques conservées (et écrite par Eschyle, qui plus est), transfigurée par le spectaculaire décor et l'étonnante partition musicale, réussissait à s'inviter dans les foyers de l'Hexagone. Un oratorio télévisé à 20h30...
La diffusion fut une prouesse technique autant que culturelle puisque c'est la première fois en France que la télé et la radio s'unissaient pour permettre aux spectateurs de bénéficier de la stéréo. Le disque (B.O.) se vendit ensuite comme des petits pains et fit du compositeur, Jean Prodromides, une sorte de célébrité instantanée (il fit beaucoup plus tard la belle partition du Danton de Wajda).
Je suis tombé par hasard il y a des bien des années sur une rediffusion des Perses à la télé (je ne sais plus sur quelle chaîne) et je me souviens avoir été complètement envoûté par cette production que je découvrais alors. Le décor immense, librement inspiré des ruines du palais de Persépolis, la présence des personnages aux splendides masques et costumes à l'antique, la puissance de la musique et des voix (on reconnait la voix inimitable de Charles Denner), récitant des litanies ou chantant les monologues ou choeurs transcrits de la pièce, les très efficaces mouvements de la caméra montée sur une grue, aussi à l'aise dans les plans larges que dans les gros plans et bien sûr la beauté du texte d'Eschyle (la pièce raconte sur le mode déclamatoire la défaite perse de Salamine) et l'assurance du découpage fait par Prat... m'avaient donné l'impression de découvrir une pépite oubliée d'un âge d'or de la télévision française.
L'autre jour, je repensais aux Perses de Prat et Prodromides et je me disais que ce serait formidable si un éditeur pouvait le sortir en DVD. Je suis allé sur le site de l'INA et j'ai vu qu'on pouvait en voir les dix premières minutes gratuites ou télécharger l'ensemble moyennant paiement. Je me suis décidé à la télécharger et j'ai donc pu revoir Les Perses sur mon ordinateur portable (le logiciel de téléchargement/visionnage autorisé par l'INA ne permet hélas pas de graver sur un DVD... ou alors, je ne sais pas m'y prendre). Actualisation : depuis la publication de ce billet, Les Perses est sorti en DVD en France. J'ai été stupéfait de constater que je ressentais exactement la même chose qu'il y a des années, quand je l'avais pu le voir à la télé pour la seule et unique fois : la sensation d'assister à un spectacle complet, mélange de télé, cinéma, théâtre et opéra, peut-être un peu kitsch mais ô combien jubilatoire. Je me suis imaginé l'exaltation du public qui le découvrit en 1961 (les témoignages de son impact sur les téléspectateurs d'alors - des plus jeunes aux plus âgés - peuvent d'ailleurs être trouvés sur le web) et qui avait dû avoir l'impression d'assister à un événement télévisuel culturel majeur.Ce faisant, je me disais aussi qu'aujourd'hui, produire une telle émission et qui plus est, la passer en début de soirée (et mieux encore, connaître un immense succès public et critique), serait totalement impossible.
Les Perses de Jean Prat sont passés à la télé il y a près de 50 ans, dans un autre temps. J'ai d'ailleurs découvert que Jean Prat s'était suicidé en 1991, désespéré de ne plus avoir la possibilité de réaliser les projets télévisuels qu'il avait à coeur. Il avait laissé ce mot plein d'amertume avant de se tuer : "Ce qui est vraiment scandaleux, ce n'est pas mon absence prolongée sur le écrans, c'est le naufrage de la télévision à cause des pubs, des coupures, de l'audimat des films, des séries doublées. C'est contre tout ça que j'adresse cette ultime protestation. Salut." Et c'était en 1991 ! Si il avait su que près de 20 ans plus tard, c'est le Nikos A. qui évoquerait à lui-seul la Grèce aux consommateurs du prime-time. Peut-être que Les Perses est repassé récemment sur Arte ou une autre chaîne (laquelle l'oserait?). Je ne sais pas, je ne regarde plus depuis longtemps la télé.
Aussi, je vous recommande à tous d'aller faire un tour sur le site de l'INA pour voir ce dont il s'agit : il est fort probable que vous aussi, vous serez fascinés par cette invraisemblable émission de l'ORTF qu'est Les Perses (si le début vous semble un peu statique, faites l'effort d'attendre le premier récitatif chanté : c'est quand la musique arrive que cela décolle et que Les Perses devient génial). Vite, les éditeurs, un DVD avec image restaurée et son stéréophonique pour qu'on puisse enfin redécouvrir Les Perses dans les meilleures conditions et pas seulement à la sauvette, sur un écran d'ordinateur.
PS : Le site de l'INA propose maintenant un service de gravure de ses émissions sur DVD à la commande. Je me suis commandé Les Perses et j'ai reçu le DVD quelques jours après (14,50 € port compris). Qualité d'image et de son impeccables. On peut enfin revoir Les Perses chez soi à la télé, en finissant sa soupe, comme en 61...