3 septembre 2025

Films vus par moi(s): septembre 2025


**** chef-d'oeuvre / *** excellent / ** bon / * moyen / 0 mauvais

Venez donc prendre le café... chez nous ! / Venga a predere il caffè da noi ! (Alberto Lattuada, 1970) ****
Sur le Lac Majeur, un arriviste séduit trois soeurs vieilles filles pour la fortune que leur père leur a laissée. Une féroce satire de la cupidité mais surtout de la frustration sexuelle féminine avec une trivialité et un humour dévastateurs qui passeraient mal dans notre contemporain réduit au premier degré. Dans le décor bourgeois et brumeux de Luino, Ugo Tognazzi est magistral en queutard stratège mais ce sont les trois actrices (Francesca Romana Coluzzi, Milena Vokotic et Angela Gooodwin) qui m'ont font grimper aux rideaux. Du lucre et du stupre : génial ! DVD FR Tamasa 

Le Lion de Saint Marc / Il Leone di San Marco (Luigi Capuano, 1963) **
A Venise au XVIe siècle, le fils du Doge s'éprend d'une femme pirate dont la bande attaque régulièrement la ville. Un chouette film d'aventures en couleurs et costumes tourné dans Venise avec ce qu'il faut de bals, de masques, de duels et de traitrises. Le casting est très bon, avec un séduisant Gordon Scott et une splendide Gianna Maria Canale en chemise, pantalon et indépendance. La mise en scène est sage mais les décors naturels et le spectacle font qu'on passe un moment distrayant, ce qui était recherché avant tout par la production. DVD FR Artus Films 

La forteresse noire / The keep (Michael Mann, 1983) 0
Dans une gorge des Carpathes en 1941, des nazis et un savant juif sont piégés par une forteresse ancienne qui abrite une entité maléfique. Même si le film envisagé a été charcuté par la Paramount et n'a plus aucun sens, la laideur Eighties de l'ensemble et la bêtise abyssale du scénario et des dialogues ampoulés qui tentent une explication ancestrale du Nazisme sont atterrants, précipitant ce soi-disant "film culte" dans la poubelle des navets irrécupérables. Il y a juste le décor hammérien du village et le monstre qui retiennent un peu l'attention. Nul. BR US Vinegar Syndrome 

Possession meurtrière / The possession of Joel Delaney (Waris Hussein, 1972) **
Une divorcée de Manhattan essaye de comprendre pourquoi son frère a des accès de folie furieuse. Un film de possession assez dérangeant, par l'atmosphère d'inquiétude Seventies qu'il dégage, la suggestion incestueuse et le final avec les enfants en péril. Ajouté au décor du New York crado de l'époque, à l'imbrication entre l'aspect documentaire en ville et le vaudou porto-ricain et au jeu solide de Shirley MacLaine et de Perry King, le film maintient la tension. En donnant l'impression d'être un chainon manquant entre Rosemary's baby et L'Exorciste. BR US Vinegar Syndrome 

Winter kept us warm (David Secter, 1965) ****
Sur le campus de l'Université de Toronto, un étudiant s'attache à un autre. Canadien, le tout premier film gay - faut-il dire forcément dire "queer" ? - présenté à Cannes est le travail d'un passionné de cinéma de 22 ans qui y racontait un peu son histoire, qui est aussi celle de tout homo qui a eu un jour le coeur qui bat pour un camarade de cours. Avec un budget de rien le scénario, les dialogues et la réalisation font des merveilles, portés par un casting amateur très sympathique. La révélation d'un film pionnier d'un temps où l'homosexualité, au Canada, était un crime. BR US Canadian International Pictures

Un si joli village... (Etienne Périer, 1978) ***
Un village près d'Angoulême prend la défense d'un potentat, le propriétaire de l'usine locale soupçonné par un juge d'avoir tué sa femme. Une formidable étude de caractères, individuels - les personnages - et collectifs - le village, la justice - qui sous les apparences d'une enquête à la "Columbo", aborde des thèmes à la fois fixés dans leur temps et dans l'intemporel, notamment l'emprise des pourvoyeurs d'emplois sur les municipalités et leurs liens troubles avec les institutions. Avec Victor Lanoux, Valérie Mairesse et surtout Jean Carmet, dans son meilleur rôle ? BR FR StudioCanal 

La brigade du suicide / T-Men (Anthony Mann, 1947) ***
Deux agents du Département du Trésor américain - les T-Men - infiltrent un gang mafieux de faux-monnayeurs en se faisant passer pour deux caïds. Un étonnant hybride de Film Noir et de documentaire panégyrique sur la police financière US, qui utilise des effets communs aux deux - la voix-off et le tournage en extérieurs - tout en travaillant la grammaire du premier avec une sublime photographie N&B contrastée et des cadrages extrêmes et la pédagogie du second. Avec en plus une violence crue et des émotions froides qui donnent au film une férocité singulière. BR FR Rimini Editions 

Sambizanga (Sarah Maldoror, 1972) ***
En Angola en 1961, une jeune femme de la campagne part avec son bébé à Luanda à la recherche de son mari capturé et torturé par la police coloniale portugaise. Joué par des non-professionnels - le couple sera critiqué d'être trop "beau" - et traité sur un ton mi-documentaire, mi-élégiaque, le premier film africain réalisé par une femme - une française noire - évoque les prémices de la guerre décoloniale angolaise (1961-1975) d'un point de vue féminin hautement personnel. Du cinéma politique engagé avec un véritable supplément d'art et d'âme. BR FR Carlotta

Les proies / The beguiled (Sofia Coppola, 2017) *
Pendant la Guerre de Sécession, un soldat nordiste blessé est recueilli par le six occupantes d'une pension privée de Virginie. Un remake du film avec Clint Eastwood (Don Siegel, 1971) qui bénéficie d'une production et d'une photographie léchées - un peu  trop - et d'un casting épatant - Colin Farrell, Nicole Kidman, Kirsten Dunst, Elle Fanning - mais dont le scénario répétitif bifurque vers une fin trop expédiée. Surtout, le message est brouillé : si le pauvre type est en chaleur, c'est parce que les pubères ont toutes le feu où je pense. Pour le féminisme annoncé, on repassera... BR UK

Le fruit défendu (Henri Verneuil, 1952) **
Notable d'Arles, un docteur marié se prend de passion pour une jeune aventurière venue de Paris. Le démon de midi n'est plus un sujet au cinéma et quel dommage : outre les outrances de scénario et les leçons de morale, ça donne aussi des numéros d'acteurs et d'actrices formidables. C'est le cas ici, avec Fernandel dans un role dramatique qui s'avilit pour Françoise Arnoul, super en imper et béret ou en négligé affriolant. Un drame bourgeois de papa comme je les aime et en prime, Sylvie en mère abusive et Claude Nollier en grande cocue. DVD FR René Chateau

Fils de (Carlos Abascal Peiró, 2025) **
Dans l'effervescence de la nomination d'un premier ministre, un attaché parlementaire (Jean Chevalier) pousse son père, politicien retiré (François Cluzet), à être candidat. Une comédie-thriller qui est surtout une charge contre la classe politique autocentrée et ses magouilles. On rit souvent de l'outrance des situations et du casting remonté (Karin Viard, Alex Lutz...) et la satire semble savoir de quoi elle parle mais le rythme et le montage trépidants fatiguent et on s'interroge sur la pertinence d'en rajouter une couche au moment où la chose politique est tellement défiée. Cinéma

2 août 2025

Films vus par moi(s): août 2025


**** chef-d'oeuvre / *** excellent / ** bon / * moyen / 0 mauvais

Marché de brutes / Raw deal (Anthony Mann, 1948) ***
Un gangster évadé de prison avec la complicité de sa compagne doit prendre en otage sa jeune avocate, qui n'est pas insensible à lui. Un Film Noir archétypique dans sa forme - avec des clairs-obscurs magnifiques, une urgence dans la narration, des roles assignés et une utilisation de la voix off - mais qui repose sur un conflit sentimental inattendu autour de ces deux femmes éprises du même homme, lui-même déstabilisé et fragilisé par la situation. Dennis O'Keefe, Claire Trevor et Marsha Hunt sont parfaits dans leur touchante vulnérabilité. BR FR Rimini Editions

Un Américain bien tranquille / The quiet American (Joseph L. Mankiewicz, 1958) **
A Saïgon en 1952, un journaliste anglais (Michael Redgrave) se rappelle sa concurrence pour une femme vietnamienne avec un jeune Américain retrouvé assassiné (Audie Murphy). D'après Graham Greene qui désavouera l'adaptation, un film à deux têtes - entre politique et mélodrame - qui intrigue par son classicisme de mise en scène dans le décor réel de Saïgon au moment de la Guerre d'Indochine, son croisement des langues - anglais, français, vietnamien - et son histoire confuse autour de ce jeune homme ressuscité en flash-back. Un bien étrange hybride. BR FR Rimini Editions  

A real pain (Jesse Eisenberg, 2024) ***
Deux cousins juifs font un voyage de groupe mémoriel en Pologne en souvenir de leur grand-mère, récemment décédée aux USA. Portrait de deux hommes encore jeunes aux personnalités opposées - Jesse Eisenberg en introverti et Kirean Culkin en extraverti - aux prises avec l'héritage de l'Holocauste et leurs propres ombres, un film plein d'émotion et d'humour inspiré de l'histoire familiale d'Eisenberg, l'auteur, acteur et réalisateur. Il y a du Woody Allen dans le style mais on est loin de sa cérébralité et de son nombrilisme : ici, c'est l'universel qui rayonne. BR FR Searchlight

Unknown world (Terry O. Morse, 1951) 0
Face au péril atomique, un savant emmène une équipe scientifique voir si le centre de la Terre pourrait abriter un havre de sécurité pour l'Humanité. Une série Z indépendante, fauchée et amorphe qui suit les personnages dans la cabine de leur engin d'exploration et les couloirs d'une grotte. Les seuls maigres intérêts : les matte-paintings et incrustations, le sujet bien de son temps de la Guerre Froide et l'orientation plutôt à gauche des créateurs du film, exclus de Hollywood. Un éclaireur de la SF des Fifties très loin des futurs classiques du genre. BR US Severin Films

Scarecrow in a garden of cucumbers (Robert J. Kaplan, 1972) **
Une provinciale débarquée à Manhattan pour devenir actrice rencontre des personnages excentriques en cherchant une coloc. La faune du cinema underground US se retrouve autour de l'icône transgenre - et Superstar warholienne - Holly Woodland dans ce film musical sans véritable fil conducteur mais avec une bonne humeur potache de tous les instants. Ça surjoue, ça s'agite, c'est sympathique comme tout mais c'est d'abord un témoignage précieux sur le dynamisme de la scène queer et camp du temps béni de tous les possibles. YouTube 

Saturday night at the Baths (David Buckley, 1975) ***
Un pianiste hétéro du Montana se fait embaucher au club gay des Continental Baths de Manhattan au risque de se faire transformer en pédé. Blague à part, derrière le petit film indépendant limité par son budget, une formidable time capsule de la grande période du Gay Lib et une fenêtre de première main sur le culture des bathhouses des 70s. Le pianiste a une copine bienveillante, ce qui ouvre le sujet sur la bisexualité, traitée naturellement. Un film étonnamment sincère et un document important sur le monde gay d'avant le Sida. BR US Anus Films 

The last days on Mars (Ruari Robinson, 2013) 0
Alors qu'ils terminent une mission sur Mars, une petite équipe de chercheurs découvre une bactérie qui les contamine un à un et les transforme en zombies féroces. Du vu et du revu dans ce film de SF-horror qui recycle la structure et les péripéties de bien meilleurs autres avant lui, avec Alien évidemment à la source. Le début annonçait peut-être quelque chose de pas mal mais dès la première contamination, le survival en course-poursuite épileptique se déclenche pour ne plus cesser jusqu'au final nihiliste ouvert attendu. Casting sans éclat. BR US Magnet

Le destin se joue la nuit / History is made at night (Frank Borzage, 1937) *
Partie pour divorcer et ayant rencontré un homme qu'elle aime, une femme est poursuivie par son riche mari jaloux. Même pas sauvée par les nombreux gros plans des visages superbement éclairés de Jean Arthur et de Charles Boyer, une comédie mélodramatique qui ne fonctionne pas, la faute à un scénario décousu dans ses péripéties et ses ambiances - on passe de Ratatouille à Titanic - et au certain ennui qui enrobe le tout. Borzage avait le génie du sentiment et de l'effet romantiques, mais pas ici : ce film brouillon mérite son relatif oubli. BR US Criterion

Winter break / The Holdovers (Alexander Payne, 2023) ***
Retenus dans un collège privé fermé pendant le Noël 1970, un professeur d'histoire gréco-romaine, un étudiant solitaire et une cantinière apprennent à se connaître. L'humanité d'Alexander Payne brille une fois encore dans cette chronique douce-amère qui touche avec justesse les sujets de la réussite, de la solitude, de la classe sociale, du lien humain... Les carapaces craquent, les sourires s'embuent et le spectateur se prend à s'attacher comme pas possible à ces trois personnages lambda d'exception (Paul Giamatti, Dominic Sessa et Da'Vine Joy Randolph). BR FR ESCD        

Evanouis / Weapons (Zach Cregger, 2025) ***
Lorsque tous les enfants d'une classe d'école sauf un disparaissent mystérieusement une nuit, leur jeune maîtresse, qui est soupçonnée par les parents, essaye de savoir ce qui s'est passé. Couronné de laudes justifiées, un film d'horror rondement mené qui privilégie la construction et l'atmosphère plutôt que le sursaut gratuit qui pollue tant d'autres produits du genre. Surtout, il remet en scène le personnage de la sorcière, trop oubliée dans le cinéma contemporain. Et, sans message évident, il laisse le champ libre à toutes les interprétations. J'ai la mienne. Cinéma 

Portrait d'un assassin (Bernard Roland, 1948) ***
Un cascadeur de cirque est entrainé dans un numéro à haut risque par une impresario croqueuse d'hommes. Sur un scénario aux dialogues épatants de Charles Spaak et François Chalais, un mélodrame circassien aux faux airs de Film Noir dûs au personnage vénéneux de Maria Montez, rare salope. Mais c'est tout le casting qui étincelle et rend le film si enthousiasmant : Pierre Brasseur en pauvre type, Arletty, Jules Berry toujours génial, Dalio et Erich von Stroheim en énigmatique éclopé. Quelle galerie de portraits, quel plaisir de cinéma ! BR FR Editions Montparnasse  

Le Messie du Mal / Messiah of Evil (Willard Huyck & Gloria Katz, 1973) ***
Recherchant son père disparu dans une petite ville côtière, une jeune femme tombe sur une communauté de goules cannibales. Un étonnant film d'horror et d'essai où ce n'est pas l'histoire basique qui compte mais son traitement par la mise en scène et surtout par la composition des images, qui accumulent les morceaux de bravoure. Si la dynamique erratique suit celle d'un cauchemar à la "Carnival of Souls", la plastique furieusement tournant des 60's-70's est un enchantement. Entre Romero et Antonioni, une pépite du film de genre à prétention artistique. BR FR Le Chat qui Fume

Arthur, or the Gigolo (Thomas Carter, 1985) *
Pressé par un mafieux, un gigolo veut mettre la main sur les diamants de la riche excentrique qu'il a épousée. Episode 10 de la saison 1 du nouvel Alfred Hitchcock Presents, un téléfilm court-métrage qui a l'originalité d'associer Brad Davis à Sandy Dennis, deux acteurs que j'aime particulièrement. Tous deux cabotinent au cachet sur une histoire cent fois vue, si ce n'est les péripéties autour de la tribu de chats que la dame possède. Cela ne mériterait pas de notice mais rien que pour voir Sandy en hystérique et Brad en latin lover à stache, on y va quand même. YouTube

Maria (Pablo Larraín, 2024) ***
En septembre 1977 à Paris, la dernière semaine de Maria Callas. Après Natalie Portman dans Jackie (2017) et Kristen Stewart dans Spencer (2021), c'est à Angelina Jolie d'affronter une icône tragique dans ce biopic bien plus réussi que les deux autres. La production est luxueuse comme une pub Hermès, la psyché fissurée de la Callas finie intelligemment mise en images et la musique là où il faut, le tout sur un ton crépusculaire non dénué de sourires. Mais avant tout, comme véhicule pour Angelina Jolie c'est un triomphe. Diva par nature, elle y est captivante. BR FR ESCD   

2 juillet 2025

Films vus par moi(s): juillet 2025


**** chef-d'oeuvre / *** excellent / ** bon / * moyen / 0 mauvais

The Substance (Coralie Fargeat, 2024) ****
Virée de son show à cause de son âge, une TV host quinquagénaire s'injecte un produit qui créé un double jeune d'elle mais qui exige des conditions d'utilisation strictes. Sorte d'hybride de "La Mort vous va si bien" et de "La Mouche" version Cronenberg, un captivant film de body horror sur le vieillissement au temps du jeunisme. C'est superbement écrit et mis en scène, plein de citations bienvenue de classiques du genre et porté par l'implication totale de Demi Moore et de Margaret Qualley. Un conte d'anti-fées entre esthétisme et Grand Guignol. BR FR Metropolitan Film & Video

Smile 2 (Parker Finn, 2024) ***
Une star de la pop harcelée par des visions de cauchemar pète les plombs à l'aube d'une tournée. La suite du très bon "Smile" (2022) s'aventure dans la métaphore de la maladie mentale - le trouble borderline plutôt que la schizophrénie en l'occurence -, un sous-texte qui donne au film une profondeur et une gravité inattendues. Le gore est gratiné mais dans ce contexte, pas gratuit. Dans un rôle très demandeur enchaînant les gros plans de son visage, Noami Scott est impressionnante. Du cinéma de multiplexe avec un truc en plus vraiment. BR FR Paramount 

La Baronne de minuit / Midnight (Mitchell Leisen, 1939) ****
A Paris, une aventurière américaine se retrouve à jouer la Baronne à la demande d'un aristocrate et au dépit du chauffeur de taxi qui s'est épris d'elle. Une screwball comedy géniale écrite par le duo Billy Wilder/Charles Brackett sur - comme à leur habitude - la confusion d'identité. La construction de l'histoire est brillante, les dialogues d'un esprit irrésistible, la mise en scène un modèle d'élégance dynamique et le casting, mené par Claudette Colbert épatante, un vrai bonheur : Don Ameche, John Barrymore, Mary Astor... Un film enivrant. BR US The Criterion Collection

Mademoiselle (Tony Richardson, 1966) ***
La jeune institutrice respectée de l'école d'un village de Corrèze qui incendie les fermes et empoisonne les bêtes sans se faire choper s'entiche d'un viril ouvrier immigré italien. Un film perturbant aux images en N&B splendides et aux bruits de la nature qui offre à Jeanne Moreau un personnage de sociopathe glaçant qui lui va comme un gant. Truffé de symboles sexuels et de relations perverses imaginés par Jean Genet et Marguerite Duras à l'écriture, l'ensemble a des allures de cauchemar, jusqu'au doublage anglais qui déstabilise et renforce l'étrangeté. BR UK BFI     

Brigade des moeurs (Max Pécas, 1985) ***
A Paris, un jeune inspecteur de la Brigade de moeurs (Thierry de Carbonnières) relevé d'une sale affaire par son supérieur continue l'enquête de son côté. Après les soft-erotics et entre deux navets de plage, Pécas réalise ce polar situé dans le milieu nocturne du sexe et de la drogue et marqué par son extrême violence et incorrection. Phobe et anti en tout, la plupart de situations et des dialogues seraient aujourd'hui impensables : c'est ce qui fait son attrait. Quant au jeu maladroit de certains acteurs, il renforce l'originalité fascinante de l'ensemble. BR FR Le Chat qui Fume 

Tam Lin / The Ballad of Tam Lin (Roddy McDowall, 1970) **
Une richissime quinquagénaire qui s'entoure de jeunes gens pour ignorer le temps qui passe s'emporte et se venge quand son amant tombe amoureux d'une fille de son âge. Le seul film de Roddy McDowall est un étonnant produit de son temps, entre British psyché-pop et Folk horror gothique qui transpose une vieille légende écossaise à la fin des Sixties. Plein d'idées dans sa réalisation, superbement photographié dans la campagne verdoyante, il met surtout en valeur Ava Gardner sur le retour, toujours star jusqu'au bout des griffes. Une vraie curiosité. BR UK BFI 

Tout ce qui respire / All that breathes (Shaunak Sen, 2022) ***
A Dehli, deux frères recueillent et soignent des milans noirs qui tombent du ciel empoisonné par la pollution. Les images superbement composées et la portée symboliste de ce documentaire le poussent vers le film d'art et d'essai, au sens le plus noble du terme. Derrière la tâche insurmontable des deux hommes, c'est l'irresponsabilité écologique du monde contemporain et l'impact de ses assauts sur tout ce qui respire. Traité sur un ton élégiaque, l'inéluctabilité du processus de corruption globalisée du vivant fait froid dans le dos et désespère. BR US The Criterion Collection  

Les Charnelles (Claude Mulot, 1974) *
Un fils de famille révolté et impuissant embarque avec lui deux jeunes paumés, un garçon et une fille, pour quelques jours de glandouille. Etonnant film érotique Seventies - les décors, costumes, pilosités et musiques - qui distille quelques pénibles scènes de violences, notamment faites aux femmes en un mélange qui ne passe plus aujourd'hui. Malgré la qualité esthétique de l'ensemble, on tique un peu sur l'ambivalence crasse du produit final, indéniable. A voir comme une curiosité et une tentative sans suite de cinéma érotique à sujet. BR FR Le Chat qui Fume 

Quatre nuits d'un rêveur (Robert Bresson, 1971) ***
Pendant quatre nuits successives, une jeune homme et une jeune femme se retrouvent sur le Pont-Neuf, là où ils s'étaient rencontrés alors qu'elle allait se jeter dans la Seine. Plastiquement beau à tomber, d'un artifice bressonien toujours fascinant, illuminé par le présence étherée d'Isabelle Weingarten et avec son traitement tordu du thème des raisons du coeur, je me suis pourtant assez fait chier après le premier quart-d'heure. Le film terminé, ce qu'il en reste et sa petite musique qui résonne me touchent plus que je l'aurais pensé. Magie de Bresson. BR FR Potemkine MK2 

Cœur de pierre / Das kalte Herz (Paul Verhoeven, 1950) ***
En Forêt-Noire, un sympathique charbonnier sans le sou échange son coeur contre de l'or et devient imbuvable. L'adaptation est-allemande par la DEFA du célèbre conte allemand pousse les valeurs du travail contre celles du capital en message moral et politique tout en créant un superbe livre d'images qui oscille entre le folklore et fantastique, le romantisme et la cruauté. La production est luxueuse et le pictorialisme de l'Agfacolor en met plein la vue : rien que pour cela, mais pas que pour cela, le film est un enchantement. Ce fut un immense succès. BR FR Artus Films  

Constance aux Enfers (François Villiers, 1963) **
Un été à Paris, une veuve a une liaison dangereuse avec un jeune voisin qu'elle a surpris en train de tuer sa copine. Entièrement construit sur les tourments de Michèle Morgan en bourgeoise en chaleur, un mélo-thriller du genre académique qui se laisse voir pour la romance automne-printemps, le décor à la "Fenêtre sur cour" et le choc générationnel  entre Morgan et la jeune garde Simón Andreu - pas mal - et Dany Saval, starlette insipide. Et aussi pour le twist du milieu, qui rebat les cartes et relance l'histoire quand il le fallait. Du bon ciné de papa. DVD René Château  

La nuit des morts-vivants / Night of the living dead (Tom Savini, 1990) ***
Un petit groupe de gens terrifiés se barricade dans une maison de la campagne de Pennsylvanie contre une horde de cadavres revenus à la vie. L'excellent remake officiel du chef-d'oeuvre de Romero en reprend précisément le scénario et le découpage, les personnages et les situations aussi, mais en couleur et avec Barbara - la fille catatonique de 1968 - en figure dynamique centrale, contrat des années 80-90. Patricia Tallman est d'ailleurs formidable, comme Tony Todd dans le rôle de Ben et les zombies, vraiment effrayants. Une actualisation en réussite totale. BR DE Sony

Let's scare Jessica to death (John Hancock, 1971) **
Juste sortie de dépression, une jeune femme se met au vert dans le Connecticut accompagnée de son mari et d'un ami, mais la maison qu'ils ont louée est occupée par une étrange squatteuse. Tout en atmosphère, un film d'horror typique du début des 70s où la suggestion est préférée à l'action et où le spectateur est appelé à entrer dans l'esprit - ici passablement névrosé - du personnage, superbement incarné par Zohra Lampert. On pense à l'art et essai ou à l'horror européenne et on apprécie les subtiles références cinéphiles. Du modeste classieux. BR US Shout Factory

La pie voleuse (Robert Guédiguian, 2024) ***
A Marseille, une assistante de vie dévouée à ses clients leur subtilise chèques et billets pour aider sa famille. Un chouette conte moral et humaniste dans une Marseille de carte postale où les fidèles de Guédiguian et quelques nouveaux tournent sur le manège des petits conflits et des grands sentiments. En délinquante de charité prête à recoudre les difficultés des autres, on pardonnerait tout à Ariane Ascaride, toujours lumineuse. Il y a des films comme ça qui sont confortables et réconfortants au meilleur sens du terme : celui-ci en fait partie. BR FR Diaphana

Les Granges Brulées (Jean Chapot, 1973) **
Dans le Doubs en hiver, un juge parisien (Alain Delon) enquête dans une ferme près de laquelle un meurtre sauvage a été commis. Un film de gens et de lieux entièrement centré sur ses personnages taiseux dominés par la matriarche de la tribu paysanne, Simone Signoret impériale. Avec son décor ouaté de neige et son dénouement en non-événement, il n'y a aucune péripétie, juste une ambiance de fin d'un monde autour de deux stars magnétiques. Paralysé par leur présence, le réalisateur abandonna le tournage, repris par l'assistant aidé de Delon. BR FR Coin de Mire

3 juin 2025

Films vus par moi(s): juin 2025


**** chef-d'oeuvre / *** excellent / ** bon / * moyen / 0 mauvais

Kill (Nikhil Nagesh Bhat, 2023) *
Un soldat d'élite affronte dans un train la bande familiale de bandits qui a tué son amoureuse. Slash ! Crack ! Chtong ! Swoosh ! Tous les bruitages des films d'action violente sont rassemblés dans ce revenge movie indien dont l'originalité est qu'il se passe entièrement dans les couloirs et les plateformes des wagons et que le héros tue à l'arme blanche les 40 voleurs dans des séquences ininterrompues de massacre gore et bourrin. Le montage et le masculinisme sont frénétiques, les flashbacks sirupeux et la mise en scène fiévreuse. Mon truc ? Pas vraiment. BR FR Seven 7

Wolfpack (Bill MIlling, 1987) **
Dans une high school du New Jersey, le leader néo-nazi de l'équipe de foot entraîne toute l'école dans une spirale fascisante, à laquelle seulement quelques étudiants s'opposent. Ou comment un petit teenage movie fauché des Eighties complètement oublié et assez mal joué prend une résonance terriblement contemporaine avec les Etats-Unis MAGA et l'état du Monde actuel. La démonstration ne fait pas dans la dentelle mais la dénonciation du phénomène de fascination collective pour les "winners" et les "bullies" touche juste. Étonnamment visionnaire. BR US Vinegar Syndrome 

Rhapsody in Blue (Irving Rapper, 1945) ***
La vie et la fulgurante carrière de George Gershwin (1898-1937). Entre pédagogie et mélodrame, un biopic de luxe comme la Warner en avait le secret. Les 2h30 du film passent très bien grâce à la fluidité du scénario, la somptueuse production en N&B, le casting épatant - même si Robert Alda est un peu fade dans le rôle principal - et surtout la succession presque ininterrompue des chefs-d'oeuvre de Gershwin formidablement mis en scène, souvent avec les créateurs eux-mêmes au chant ou à la baguette. Un best of de haute volée, que demander de plus ? BR US Warner Archive

Fanfan la Tulipe (Christian-Jaque, 1952) ****
Sous Louis XV, un jeune affranchi se retrouve impliqué dans les affaires militaires et royales tout en fréquentant une pulpeuse arnaqueuse. Le temps n'a pas de prise sur ce classique justifié du cinéma populaire français qui bondit comme son héros de péripétie en péripétie sans temps mort, porté par une mise en scène toujours maline, les dialogues de Jeanson et une photographie N&B héritée des gravures du 18e s. Gérard Philipe est formidable évidemment, comme Gina Lollobridgida et les autres, avec mention pour Jean Parédès en folle du régiment. Un bonheur. BR FR Coin de Mire

Knocking / Knackningar (Frida Kempff, 2021) **
Sortie de l'hôpital psychiatrique où elle séjournait suite à un choc traumatique, une jeune femme (Cecilia Milocco, impressionnante) s'installe dans un petit appartement et entend chez le voisin du dessus des cognements qui lui semblent être des SOS en morse. Tout est doute pour le spectateur dans ce petit film suédois qui exploite à merveille l'espace clos d'un lieu fermé pris dans la canicule où une femme isolée se débat entre intuition et psychose, ignorée par tous ceux qu'elle tente d'alerter. Thriller atmosphérique ou fable sur la maladie mentale ? BR US Yellow Veil

End of the trail (D. Ross Lederman, 1932) ****
Destitué pour trahison, un capitaine de l'armée se réfugie et s'intègre dans une tribu indienne proche du fort dans lequel il était stationné. Un stupéfiant western pro-indien dont l'anti-héros (Tim McCoy, solide) accuse dans son discours et son action l'homme blanc de colonialisme génocidaire. Sec et concentré sur sa durée de moins d'une heure chaque scène réserve de l'inattendu dans un film des années 30 : la noblesse des indiens, la mort d'un enfant, la colère contre Washington... Et en cadeau, l'influence des photos d'Edward Curtis. Une révélation (merci Christophe F. !). YouTube 

Presence (Steven Soderbergh, 2024) ***
Une famille de quatre s'installe dans une maison habitée par un fantôme. Du fantastique conceptuel par Soderbergh qui retourne les codes du film de maison hantée - un peu au formidable "Les Autres" - en filmant tout en caméra subjective du point de vue de la "présence" qui observe les nouveaux locataires. L'exercice de style fonctionne parfaitement en créant un sentiment de voyeurisme de plus en plus actif. Derrière la brillante idée de mise en scène, c'est aussi un beau film sur la famille et ses failles, qui laisse bien des choses ouvertes jusqu'à l'intrigant final. BR FR Blaq Out

Le tueur (Denys de La Patellière, 1972) **
Un vieux commissaire (Jean Gabin) s'oppose à son nouveau supérieur (Bernard Blier) sur la façon d'attraper un tueur en cavale. Un étrange film policier sur des gens qui ont tout vu dans un monde qui change vite. L'action est une poursuite linéaire dans un Paris 70s en mutation - chantier de la Tour Montparnasse et des Halles - qui fait disparaître l'ancien, celui du Gabin de la grande époque justement : c'est crépusculaire. Une autre étrangeté : l'érotisation du psychopathe (Fabio Testi sexy comme jamais) et la chanson finale qui sonne comme un blanc-seing. BR FR Coin de Mire

Le Colosse de Rhodes / Il Colosso di Rodi (Sergio Leone, 1961) *
Venu se reposer à Rhodes, un militaire athénien se retrouve impliqué dans la lutte de rebelles contre le tyran de l'île. Ce peplum italien ambitieux dans son format de 2h20 et ses décors spectaculaires - l'extérieur et l'intérieur du Colosse - avait aussi pour lui son scénario solide et l'œil déjà aiguisé de Leone, dont c'était la première réalisation. Seulement, le film ne décolle que dans sa seconde partie pleine d'action, la première étant tuée par le jeu et l'anti-charisme de Rory Calhoun dans la rôle principal, aussi piètre acteur que présence. Une erreur de casting rédhibitoire. BR FR Warner Archive 

L'étoile du silence / Der schweigende Stern / The silent star (Kurt Maetzig, 1960) **
Suite à la découverte d'un cylindre extraterrestre, une équipe internationale d'astronautes part pour Vénus pour rencontrer les Vénusiens. Un film de science-fiction est-allemand de la Guerre Froide sans doute trop bavard mais aux décors psychédéliques surcolorés et à la musique électronique plutôt pionniers. Le plus étonnant sont les personnages et le casting multiracial et le message limpide - en 1959 - sur les risques de l'escalade nucléaire et la nécessité d'une fraternité universelle. Dans les pays de l'Est, la science-fiction s'appelait l'utopie. CQFD. BR UK Eureka!   

Rue des Cascades / Un gosse de la Butte (Maurice Delbez, 1964) ***
A Ménilmontant, un garçon de neuf apprend à connaître l'amant de sa mère célibataire (Madeleine Robinson), un jeune boxeur noir d'une vingtaine d'années (Serge Nubret). Avec ses compositions inspirées de Doisneau, son regard sincère sur l'enfance et son message anti-raciste frontal, le film bénéficie aussi du décor naturel d'un quartier populaire de Paris aujourd'hui gentrifié et d'idées poétiques qui enchantent l'ensemble. La liaison mixte montrée choqua à l'époque et coula le film et son réalisateur. La redécouverte est réelle : elle était méritée. BR FR Coin de Mire

L'histoire de Souleymane (Boris Lojkine, 2024) ***
A Paris, les deux jours et nuits trépidants d'un migrant guinéen avant son entretien de demande d'asile. Omniprésent sur son vélo de livreur ou courant après des sous et des papiers, l'acteur non professionnel Abou Sangaré crève l'écran dans ce film au rythme de thriller qui prend pourtant le temps de dresser le portrait et l'odyssée de ces invisibles de notre société qu'on croise à chaque coin de rue des grandes villes. En en incarnant un avec tant de force, Sangaré leur donne à tous un visage et une histoire. La scène de l'entretien est d'une puissance rare. BR FR Pyramide Video

Dream scenario (Kristoffer Borgli, 2023) ***
Lorsqu'il apparaît dans les rêves de plein de gens, un professeur d'université lambda devient une star mais quand les rêves tournent aux cauchemars, il devient un pestiféré social. Une fable existentielle qui commence en comédie pour muter en drame sur le comportement de meute, l'exploitation commerciale et la réputation au temps des réseaux sociaux. Sur une idée et un scenario malins comme tout, Nicolas Cage est sensationnel en victime sacrificielle du collectif. Un film singulier, à la fois enthousiasmant et puissamment dérangeant. BR FR Metropolitan

5 mai 2025

Films vus par moi(s): mai 2025


**** chef-d'oeuvre / *** excellent / ** bon / * moyen / 0 mauvais

Une étrange affaire (Pierre Granier-Deferre, 1981) ***
Le nouveau patron d'un grand magasin parisien vampirise l'un de ses subalternes. Une étrange affaire en effet que ce film inclassable qui échappe au thriller social pour aller vers le drame psychologique freudien aux relents d'horror. Dans un jeu d'attraction et de manipulation sublimée par la suggestion homosexuelle, Michel Piccoli et Gérard Lanvin forment un duo fascinant, secondés par Jean-Pierre Kalfon et Nathalie Baye, tous deux formidables. Le sujet et le traitement vraiment originaux en font l'un des grands films français des années 80. BR FR

Quand la Terre s'entr'ouvrira / Crack in the World (Andrew Marton, 1965) **
Malgré les risques, un géologue (Dana Andrews) fait exploser une charge nucléaire sous l'écorce terrestre pour exploiter le magma remonté à la surface. Comme beaucoup de ces années-là, ce film de SF/catastrophe évoque les peurs de l'époque : l'atome, l'hubris des décideurs, la science sans conscience... et annonce la bataille environnementale. La gravité du ton couplée aux effets spéciaux "à la George Pal" lui donnent une identité propre inattendue, celle d'un spectacle nihiliste. Janette Scott y est l'essence même de la potiche décorative. Pas mal du tout. BR FR

Le salaire de la violence / Gunman's walk (Phil Karlson, 1958) ***
En Arizona, sous l'oeil de son autre fils, un éleveur (Van Heflin) qui adule son aîné machiste (Tab Hunter) doit se rendre à l'évidence de la dérive incontrôlable de celui-ci. L'étude des caractères et l'affrontement quasi biblique - ou freudien - au sein d'une famille d'hommes est mené de main de maître dans ce western psychologique sur la masculinité toxique. Les vastes panoramas des plaines servent de décor impassible à l'histoire d'un monde en mutation auquel les personnages sont prêts ou pas. La mise en scène et l'écriture sont admirables. Le film est magnifique. BR FR 

The sex garage (Fred Halsted, 1972) **
Dans un hangar de L.A, une fille taille une pipe à un jeune blond avant de se faire sauter sur le sol de ciment. Quelque part en ville, un brun se branle au savon sous la douche. Puis il arrive au garage et prend la place de la fille, partie en courant. Un motard aux cheveux longs débarque à son tour, mate les deux mecs et encule le brun. Puis il regarde amoureusement sa moto, en caresse longuement les chromes et la baise par le pot d'échappement avant de nourrir le cuir de son foutre. Voilà, ça dure 35', c'est en N&B, plutôt arty et c'était pionnier dans le genre. BR US

Acte de violence / Act of violence (Fred Zinnemann, 1949) ***
Un américain tranquille est pourchassé par un de ses anciens camarades pour une faute qu'il a commise pendant la guerre. Tournée dans un clair-obscur violent qui doit symboliser la conscience torturée du père de famille en fuite, cette histoire de culpabilité et de vengeance prend tous les habits du Film Noir tout en étant un drame intimiste baigné de désespoir sur les fantômes du passé. Robert Ryan est saisissant en vengeur imperturbable face au toujours formidable Van Heflin, Janet Leigh au début de sa carrière et Mary Astor magnifique en pute vieillissante. BR US

Goutte d'Or (Clément Cogitore, 2022) **
Au contact d'une petite bande de "mineurs isolés" maghrébins, un faux voyant se découvre un don et l'irrationnel qui l'entoure. Porté par l'interprétation fiévreuse de Karim Leklou et la meute des jeunes garçons de la rue, un hybride de cinéma vérité et de fantastique qui révèle une société et des codes exclus du regard public. Tout en étant intrigué par le sujet, j'ai été un peu rebuté par l'esthétisation visuelle de cet interlope underground presqu'entièrement nocturne estampillé "art et essai". J'en suis resté en dehors, intéressé mais pas impliqué. Mitigé donc. BR FR

La faute à Voltaire (Abdellatif Kechiche, 2000) ***
A Paris, un sans-papiers tunisien (Sami Bouajila) se retrouve en centre d'hébergement et en centre psychiatrique tout s'attachant à une puis à une autre jeune femme à problèmes. Le contexte misérabiliste de l'histoire est contrebalancé par l'énergie et la libido - au sens de force de vie - qui se dégagent des personnages et de la mise en scène, la première et déjà tout est là, de Kechiche. Le casting sans faute, avec mention pour Elodie Bouchez dans un rôle écrasant, incarne admirablement ces invisibles, compagnons solidaires de galère et de précarité. Un film puissant. BR UK

Suburra (Stefano Sollima, 2015) ***
A Rome, un député risquant un scandale, un parrain mafieux, le chef d'un clan rom et une étoile montant de la pègre s'affrontent autour d'un projet de développement à Ostie. Un puissant souffle nihiliste traverse tout ce film sur les courants souterrains du pouvoir et de la corruption qui décortique l'emprise du crime sur les corps et les âmes. La casting parfait et la mise en scène assurée - mais un peu bling bling - retiennent l'attention du début à la fin d'une apnée dans la pourriture d'une société sans charité aucune. On on sort content de voir ça de l'extérieur. BR UK 

Fade-In ("Allen Smithee" Jud Taylor, 1968) ***
Dans l'Utah, le tournage d'un film fait se rencontrer une monteuse de Los Angeles et un rancher local. Avec comme intéressant alibi le making of du western "Blue", cette bluette de roman-photo ne cesse d'étonner par ses ruptures de ton et de style dues à la fois à la mise en scène du réalisateur et au remontage pirate du studio. Mais le plus surprenant est l'objectification du visage mâle et du corps dénudé de Burt Reynolds - qui débute à la Marlon Brando -, vu au prisme du désir de la trop rare Barbara Loden. Un film qui méritait largement sa sortie des oubliettes. BR US Kino Lorber

Les Linceuls / The Shrouds (David Cronenberg, 2024) ***
A Toronto, un entrepreneur qui a perdu sa femme d'un cancer créé un cimetière avec écrans connectés à l'intérieur des cercueils. Un peu plombé au milieu par une sous-intrigue inutile sur la concurrence industrielle, un film très personnel du veuf Cronenberg qui condense ses obsessions et son univers sur le sujet du deuil et le terrain de l'amour fou. Vincent Cassel est très juste en alter-ego du réalisateur et la morbidité extrême de l'ensemble est compensée par l'étrange poésie typique de l'auteur. Avec la meilleure utilisation d'un bruitage que j'aie jamais entendue. Cinéma


2 avril 2025

Films vus par moi(s): avril 2025


**** chef-d'oeuvre / *** excellent / ** bon / * moyen / 0 mauvais

La Bête (Bernard Bonello, 2024) ****
En 2044, une jeune femme revit avec l'IA les traumas de ses vies antérieures en 1910 et 2014. Aucun résumé ne peut rendre justice à ce film qui hybride avec brio S-F, mélodrame, thriller et psychanalyse jungienne en touchant des thèmes qui semblent échapper à la perception pour activer l'affect, assez comme du David Lynch : ça fonctionnera ou pas selon le spectateur et ses projections. Omniprésente et multiple, Léa Seydoux est exceptionnelle et l'idée inédite du générique de fin est géniale. Une pépite de plus pour Bonello. BR FR 

Charade (Stanley Donen, 1963) **
A Paris, une jeune veuve se retrouve harcelée par des malfrats qui cherchent à récupérer un magot planqué par son défunt mari. Sur une histoire légère comme tout entièrement construite sur l'usurpation d'identité et le thème de la confiance, une comédie hitchcockienne aux rebondissements amusants dont le seul prétexte est de mettre en valeur la beauté racée d'Audrey Hepburn, ici à son sommet. Face à elle, Cary Grant assure avec ses vingt-cinq ans de plus qui donnent tout son sel au couple. Deux stars que je n'aime pas, mais là j'avoue... BR FR

Une saison en enfer / Una stagione all'inferno (Nelo Risi, 1971) *
A 19 ans et 35 ans, du temps de Verlaine et de l'Afrique de l'Est, des fragments de la vie d'Arthur Rimbaud. Naviguant artificiellement entre Paris, Aden, Londres et l'Abyssinie, un biopic qui fait l'impasse sur la création pour explorer le lien Rimbaud-Verlaine en même temps que la "famille" africaine et le trafic des armes. Le point de vue est intéressant, Terence Stamp et Jean-Claude Brialy s'en tirent bien mais il manque la dose d'énergie nécessaire. En revanche, les images et compositions sont splendides. BR FR 

Le serment de Pamfir / Pamfir (Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk, 2022) ***
Dans la campagne d'Ukraine frontalière de la Roumanie, un ancien truand - Oleksandr Yatsentyuk, solide - reprend la contrebande pour payer les travaux de l'église à laquelle son fils à mis le feu. Plus que l'histoire d'une mafia rurale, c'est l'aspect visuel baroque, parfois fantastique, et le sens de la tragédie à l'antique qui fait l'originalité de ce film ukrainien où les forces masculines primitives sont à l'oeuvre dans le décor d'une nature rude et d'une culture de tradition. C'est l'Europe et c'est un autre monde. BR FR

Conclave (Edward Berger, 2024) ***
Un conclave se réunit pour l'élection d'un nouveau pape. D'après le roman de l'accrocheur Robert Harris, un thriller politico-spirituel qui tient en haleine du début à la fin grâce à l'immersion dans les arcanes de ce vote des plus secrets, aux dialogues ciselés pour un casting de haut vol - Ralph Fiennes est incroyable d'intériorité fiévreuse - et à la splendeur des costumes et des décors reconstitués du Vatican. La lourdeur crasse de la péripétie islamiste est la seule déception du scénario captivant. BR FR

Megalopolis (Francis Ford Coppola, 2024) 0
Dans Manhattan devenu une nouvelle Rome, le maire Cicero s'oppose à un architecte visionnaire, Cesar. Je pense que c'est ça parce que je ne suis pas allé plus loins que 30', écoeuré - au sens propre - par la laideur des visuels, l'indigestabilité des références-clichés et du jeu lamentable des acteurs. Voulue ou fortuite, la métaphore sur le Palatin de Trump et des siens m'a semblé le meilleur et le plus visionnaire mais non, c'est pas possible. Coppola n'a régné qu'une décennie, les Seventies. Prime Video

Sous le ciel de Paris (Julien Duvivier, 1951) *
A Paris, vingt-quatre heures de la vie de quelques personnages habitants ou visiteurs de la capitale. La jolie provinciale, l'ouvrier gréviste, les deux gamins, l'étudiant en médecine qui concoure, le sculpteur sociopathe, la vieille aux chats... ils s'ignorent et se croiseront au final dans ce film terriblement daté à la narration fragmentée sur des poncifs en voix off dits par François Périer. Mais tous ces quartiers de Paris dans leur crasse de 1950 et la chouette chanson-titre créée en bord de Seine permettent un voyage dans le temps fascinant. Casting passable. DVD Z2 FR René Chateau