A la fin des années 60, Paul, un garçon de 16 ans qui vit avec sa mère dans un immeuble HLM des boulevards des Maréchaux à Paris, entretient une relation homosexuelle avec Philippe, un riche homme marié de 50 ans qui lui offre l’attention, la tendresse et le confort matériel dont il a toujours été privé.
Ce sujet, très sulfureux pour l’époque (en 1971, Paul est cinq ans sous l'âge légal de 21 ans) et qui garde quelque peu de sa charge subversive quand on le découvre près de quarante ans plus tard, est traité avec austérité par Gérard Blain, l’acteur du Beau Serge, dans "Les Amis", le premier de ses dix films en tant que réalisateur. Scénariste et dialoguiste de son film, Gérard Blain s’est sans doute en partie inspiré de son propre parcours (le père absent, l’abandon de l’école à 13 ans, la séduction du physique, l’appel d’une carrière artistique…) pour raconter l’histoire du jeune Paul, de ses aspirations à une autre vie et de son indépendance rudement acquise.
Admirateur proclamé de Robert Bresson, Gérard Blain choisit de réaliser son film dans un style assez proche de celui de son aîné, à l’aide de plans longs soigneusement composés, d’une caméra la plupart du temps immobile et d’un jeu tout en retenue de ses acteurs. Avec en plus, l’utilisation symbolique des couleurs vives. Etude de caractères plus qu’étude de mœurs, « Les Amis » évite ainsi tous les pièges du sensationnalisme dans lequel le sujet aurait pu le précipiter.
La relation qu’entretiennent Paul et Philippe ouvertement homosexuelle (même si, bien sûr, aucune scène de sexe n’est montrée) mais le propos du film n’est pas seulement là. Il s’agit aussi d’évoquer les désastres que peut entraîner le désert affectif, que ce soit dans les relations entre parents et enfants (Paul, sa mère et sa sœur) ou entre époux (Philippe et sa femme) et des possibilités de solutions que la vie saura toujours proposer, notamment dans les rencontres extérieures. En rencontrant Philippe, qui lui offre l’accès matériel à un monde auquel il n’aurait pu prétendre, Paul trouve aussi la chaleur humaine et le conseil raisonnable qui lui permettent de croire en lui et de prendre, le moment venu, les bonnes décisions pour affronter avec succès le passage à l’âge adulte.
Porté par les remarquables prestations de Yann Favre (Paul) dans un rôle difficile et de Philippe March (Philippe) dans un rôle plus difficile encore, « Les Amis » sait garder du début à la fin la ligne directrice de cette thématique compliquée par le fait que les deux personnages sont masculins. Ce qui ne pourrait être qu’une simple histoire de gigolo (Blain ne cache pas le fait que Philippe entretient Paul, qui lui même entretient sa mère) prend une dimension universelle et devient par l’intelligence du traitement une méditation sur la transmission entre les générations et du besoin qu’on a les uns des autres. La réussite du film tient au fait que les deux personnages, Paul et Philippe, trouvent chacun leur propre équilibre dans la relation de dépendance qu’ils ont engagée. Et par le fait que Gérard Blain se garde d’expliquer ou de juger celle-ci : l’absence de jugement externe sur le rapport des deux hommes est d’ailleurs une des grandes surprises que réserve le film.
Autour des deux personnages principaux en gravitent d’autres, bien croqués par Gérard Blain grâce à une écriture précise de leurs conditions et personnalités : le petit groupe d’amis bourgeois que Paul se constitue lors d’un séjour à Deauville (et notamment de la jeune fille blonde avec laquelle il a une aventure), de la famille de Paul (sa mère, sa sœur et son beau-frère) et surtout du troisième personnage du film, Nicolas (Jean-Claude Dauphin), l’étudiant aux Beaux-Arts qui comprend bien que Philippe n’est pas l’oncle de Paul comme celui-ci le présente et que leur « amitié » cache en fait sa véritable nature. C’est lui qui, à un moment crucial de l’histoire, permettra à Paul de franchir un cap décisif.
Le film prend pour décors plusieurs univers totalement différents : le Paris populaire d’où Paul vient ; la campagne verdoyante où Philippe vit avec sa femme ; Deauville et son théâtre social ; le Neuilly de la bourgeoisie renfermée sur elle-même. Dans ces décors, le thème du théâtre et du jeu reviennent en leitmotiv, d’abord par la métaphore (les usurpations identitaires et les signes extérieurs d’appartenance, comme les vêtements, les appartements et les voitures) puis plus tard, plus directement grâce à la scène de la classe de théâtre qui clôt pratiquement le film.
« Les Amis » (il faut noter que les guillemets font partie intégrante du titre du film) est une œuvre d'une calme audace tout à fait à part dans le paysage cinématographique français du début des années 70. Présenté en Sélection Officielle à Cannes en 1971, « Les Amis » a remporté le Léopard d’Or au Festival de Locarno 1971 dans la catégorie « Meilleure Première Œuvre». Gérard Blain continuera à explorer certaines des mêmes thématiques dans ses films suivants, notamment avec Un Enfant dans la Foule, en 1976. Intéressante partition de François de Roubaix, notamment à base de voix.
En regardant le film l'autre jour, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à une brillante réplique de Certains l'Aiment Chaud, film avec lequel "Les Amis" n'a évidemment strictement rien à voir : à un moment, Tony Curtis demande à Jack Lemmon quelque chose comme "Pourquoi un homme épouserait-il un homme ?". Le réponse, imparable : "La sécurité !". Si "Les Amis" avait été une comédie, ça l'aurait assez bien défini...
C’est tout à l’honneur de René Château que d’avoir sorti « Les Amis » de l’oubli dans lequel il était tombé en l’éditant en DVD (je n'avais jamais entendu parler de ce film avant de la voir). Techniquement, le DVD est du pur René Château : pas de chapitrage, une image non-anamorphique, un son parfois un peu saturé et aucun supplément. Mais la qualité de la copie utilisée est excellente, les couleurs sont vibrantes et la compression est impeccable.