31 décembre 2010
Photostories : DS & MM
27 décembre 2010
Heroes of mine : Lizabeth
Chacune des apparitions du nom de Lizabeth Scott au générique d'un Film Noir, genre dont elle fut l'une des figures tutélaires, me procure un ravissement dont peu d'autres actrices peuvent se targuer. Elle n'a fait qu'une vingtaine de films entre 1945 et 1957 avant de laisser tomber, juste après avoir donné la réplique à Elvis dans son deuxième film, le sympathique et anodin "Loving you". Puis elle enregistra un album dans la foulée ("Lizabeth") et se retira, seule, dans sa grande maison d'Hollywood Boulevard, où elle vit encore aujourd'hui.
Mais Lizabeth Scott a toujours mieux manié le revolver que Bacall et ses imprécations à l'encontre de ses ennemis dans les thrillers qu'elle fréquentait avaient un potentiel de menace qui n'appartenait qu'à elle. Son look de femme fatale boudeuse était doté d'un tout petit défaut d'élocution qui donnait à sa voix grave et rauque entre toutes un supplément d'âme et d'une très légère coquetterie dans les yeux qui en agrémentait le charme. Il suffit de la voir dans "The strange loves of Martha Ivers" (1946), "Dead reckoning" (1947), "Desert fury" (1947), "Easy living" (1949), "Dark city" (1950), "Stolen face" (1952) pour comprendre qu'on tient là une personnalité pour qui le Film Noir (ou le mélo-thriller où elle fut aussi excellente) semble avoir été inventé.
Son jeu fut certainement limité mais sa présence, elle, en était inversement proportionnelle : son magnétisme à l'écran a résisté à toutes ces décennies et lui a permis de s'assurer une place de choix dans les coeurs de cinéphiles qui ne se lassent pas des amorales histoires concoctées par les scénaristes hollywoodiens des années 40 et 50. Sa vie privée, aussi mystérieuse que ses personnages, a été soumise à bien des rumeurs (the "L" word...) et lui a sans doute coûté sa carrière mais le temps en a effacé le scandale. Lizabeth Scott est l'une des reines du Film Noir, malgré le peu de films dans lesquels elle a paru : sa rareté en fait aussi son prix, inestimable.
Lizabeth Scott en 2007, à une projection de "The strange loves of Martha Ivers" (soixante ans la séparent de son image en miroir sur l'affiche du film)
24 décembre 2010
Christmas Special
19 décembre 2010
My best of : Neo-melodramas
Cette liste de films est bien entendu subjective : elle correspond à des films que j’ai vus (pour certains plusieurs fois, car le mélodrame est un plat dont on se ressert), aimés, et surtout qui m’ont fait pleurer : un mélodrame sans larmes n’en est pas un. Parmi ces quinze films (enfin, un n'est pas un film mais il y a aussi sa place), j’ai bien sûr mes préférences mais la discrétion m’oblige. Aussi sont-ils classés par ordre alphabétique du titre original. N’hésitez pas à en remettre une couche et à laisser en commentaire les titres de vos propres néo-mélos, de ceux qui vous sont chers.
The age of innocence / Le temps de l’innocence (Martin Scorsese, 1993)
Le meilleur film de Scorsese est cette bouleversante adaptation du roman d’Edith Wharton qui dissèque les codes sociaux de la haute-bourgeoisie new-yorkaise des années 1870 en racontant le calvaire d’une femme trop belle et trop libre dans un univers fermé comme un tombeau. Michelle Pfeiffer prête sa pâleur et ses yeux bleus délavés à l’héroïne, qui paie très cher son goût de l’indépendance et de la libre-pensée et dont le spectateur assiste à la chute, pire que la mort : l’expulsion par les cerbères bien éduqués des grandes demeures du quartier de Central Park. La mise en scène d’une stupéfiante maîtrise, portée par les décors et les costumes qui ressuscitent à l’écran un monde englouti par la Première Guerre Mondiale, est au service d’une analyse des sentiments que le cinéma d’hier et d’aujourd’hui a rarement su atteindre. Un mélodrame cruel et bouleversant qui écrase son personnage en respectant toutes les règles d’un manuel de savoir-vivre. Attendez la fin du générique et vous entendrez sur la bande-son le bruit des sabots de chevaux battant le pavé, comme les pulsations lointaines d’un univers distant. Un autre film à recommander, très proche dans son esprit de celui-ci, est « The house of mirth / Chez les heureux du monde » (Terence Davies, 2000), autre formidable adaptation d’Edith Wharton.
Breaking the waves (Lars von Trier, 1996)
Von Trier est peut-être un roué dont les films manipulent les émotions des spectateurs comme un fermier mène une vache à la traite mais le genre du mélodrame n’est pas de celui qui s’accommode de l’austère ou de la mesure : « Breaking the waves », dans le chemin de croix qu’il tisse pour sa tragique héroïne, pousse sur tous les accélérateurs, laissant le spectateur vidé mais exalté. Divisé en chapitres judicieusement séparés par de sublimes paysages retravaillés à l’infographie et au son de tubes rock et pop des Seventies (chaque chapitre annonce donc son artifice d’entrée de jeu), le film raconte l’histoire d’une pauvre fille (Emily Watson aux yeux de chien battu) issue d’une communauté rigoriste d’Ecosse qui s’offre aux premiers venus et descend littéralement en Enfer par amour de son époux paralysé à la suite d'un accident sur une plate-forme pétrolière. Elle croise sur sa route de misères des profiteurs, des ordures et même le Diable avant de connaître une épiphanie méritée dans une dernière scène inoubliable qui ouvre en grand les barrages de larmes que tout spectateur tant soit peu sensible avait peut-être réussi à contenir jusque-là. Le mélodrame religieux est un sous-genre à lui-seul, souvent imbuvable : « Breaking the waves », mélodrame chrétien, en est en revanche un magistral exemple qui ose nous sonner les cloches et nous donner une petite idée de ce que les martyrs devaient ressentir dans l’arène à l’instant de leurs retrouvailles avec leur Père.
The bridges of Madison County / Sur la route de Madison (Clint Eastwood, 1995)
Le secret qu’un personnage emporte avec lui dans la tombe et qui refait surface par accident à la génération suivante est l’une des astuces scénaristiques les plus éculées du mélodrame. Comment penser qu’au milieu des années 1990, Clint Eastwood, qu’on avait connu plus couillu au sens propre mais jamais autant au sens figuré, nous surprendrait en nous faisant pleurer avec cette histoire d’un amour aussi bref qu’intense entre un photographe du National Geographic et une habitante sans histoire de l’Iowa au milieu des années Soixante ? Il fallait tout le talent du réalisateur (qui s’octroya aussi le rôle principal) et de sa partenaire Meryl Streep pour nous faire marcher comme il le fit avec ce film où les cœurs des spectateurs battent plus vite, au rythme même de ceux des deux personnages qui choisissent la raison au détriment de la passion et laissent couler sous les ponts ce qui aurait pu être une toute autre vie - que n’avaient-ils vu le sublime « Brief encounter / Brève rencontre » de David Lean (1945) ? Le film se passe en deux époques parallèles, hier et aujourd’hui - un autre élément de vocabulaire formel imparable du mélodrame - et le moment où ses enfants à elle se rendent compte à posteriori de son existence à lui reste l’un des moments les plus intenses du mélodrame contemporain. Meryl Streep y confirmait qu’elle régnait sans partage (enfin presque… lisez un peu plus bas) sur les films qu’on aime.
Brokeback Mountain / Le secret de Brokeback Mountain (Ang Lee, 2005)
Un western gay. C’est ce que la critique et le public attendaient à gorge déployée à l’annonce de la sortie prochaine de l’adaptation de la nouvelle d’Annie Proulx par Ang Lee en 2005 et les rumeurs allaient bon train sur les scènes que les très hétéros Jake Gyllenhaal et Heath Ledger avaient dû être obligés de se taper au tournage. C’était sans compter sur l’intelligence sensible du réalisateur et de son scénariste qui offrirent en fin de compte au public une magnifique fresque cinématographique, austère mais romantique, l’histoire d’amour intense et contrariée de deux cowboys le temps d’une vingtaine d’années sur fond de paysages du Wyoming. En évitant tout flashback mais en racontant la passion tue entre les deux hommes dans une linéarité rare pour ce type de sujet, le film fait monter peu à peu l’émotion, sans jamais franchir la ligne de démarcation entre la pudeur et le voyeurisme mais en collant au plus près aux sentiments des personnages, magnifiquement interprétés par les deux acteurs et, il ne faut pas l’oublier, par Anne Hathaway et Michelle Williams, leurs épouses à l’écran. Le public ne s’y trompa pas, qui fit un triomphe au film : dans les salles de cinéma où ils le découvraient, la réaction émotionnelle des spectateurs des deux sexes, hétéros et gays, était perceptible, progressant doucement jusqu’à la bouleversante scène finale. "Brokeback Mountain" est un mélodrame car il en possède les codes mais la direction retenue de son réalisateur, en lui ôtant tout excès de pathos, le fait aussi entrer dans la typologie de la tragédie, qui est d’ailleurs le creuset dont sont issus plusieurs genres majeurs du cinéma classique, notamment (et pour cause), le mélodrame.
Dancer in the dark (Lars von Trier, 2000)
Second film de Lars von Trier dans cette liste (j’entends d’ici les cris d’orfraie), une autre histoire de sacrifice où cette fois une jeune mère célibataire qui devient aveugle se bat pour sauver son fils frappé de la même maladie tout en s’évadant dans la comédie musicale. Dans son unique rôle au cinéma, l’autrement insupportable Björk est sublime, asservie corps et âme à son personnage, attachante victime du destin dont le spectateur assiste, sans rien pouvoir faire, à la lente destruction mentale et physique, jusqu’à une scène d’exécution qui fit couler en son temps des flots d’encre bileuse à la critique qui ne supporta sans doute pas d’être ainsi prise à la gorge par le réalisateur (qui repartit quand même de Cannes avec la Palme d’Or sous le bras) et des torrents de larmes à votre serviteur. Quatre ans après « Breaking the waves », von Trier réussit encore un coup de maître, en fusionnant dans une écriture visuelle hyperréaliste deux des genres les plus artificiels et exaltants du cinéma : le mélodrame et le musical. A l’époque de la sortie du film en salles, je ne connaissais pas le cinéma de Teuvo Tulio et aujourd’hui, dix ans plus tard, alors que j’ai découvert celui-ci, j’ai compris la filiation du finlandais Tulio et du dannois von Trier, deux réalisateurs nordiques inclassables qui ont donné, au mélodrame ancien et moderne certains de ses plus beaux fleurons.
The end of the affair / La fin d’une liaison (Neil Jordan, 1999)
Je me souviens comme d’hier de ma découverte de ce film en salles : envoûté par la sublime partition de Michael Nyman et par l’histoire, tirée d’un roman de Graham Greene, qui contient à peu près tout ce qui me touche au cinéma, je me suis à pleurer pendant une scène de fuite sous la pluie (ceux qui l’ont vu comprendront) pour ne plus m’arrêter jusqu’après la fin, à mon plus grand embarras pour me lever de mon fauteuil et ressortir à la lumière crue du boulevard Saint-Michel. Londres pendant le Blitz, un serment inviolable qui produit le plus bouleversant des malentendus, la tuberculose qui s’en mêle, un miracle dans les allées grises d’un cimetière et la voix-off d’un homme qui se souvient : mais comment Neil Jordan a-t-il fait pour faire prendre ces improbables éléments et réussir l’un des grands mélodrames de l’histoire du cinéma ? Ce qui n’avait pas fonctionné dans version de Dmytryk en 1955 avec Deborah Kerr et Van Johnson (parce que contraint par la retenue de la mise en scène), marchait sans effort dans le remake et prouvait qu’on pouvait encore faire – et parfois mieux – un mélodrame à l’aube des années 2000. Julianne Moore entrait d’un rôle dans mon panthéon personnel et assurait sa place (qu’elle partage avec Meryl Streep) de reine du mélodrame contemporain. Passé inaperçu à sa sortie, "The end of the affair" mérite une réhabilitation définitive.
Far from Heaven / Loin du Paradis (Todd Haynes, 2002)
Julianne Moore, encore elle, souffre en silence dans ce film qui fit beaucoup de bruit à sa sortie (les Pythies du cinéma annoncèrent la renaissance du mélodrame dans le paysage cinématographique contemporain, ni plus ni moins) mais qui me semble un peu trop cérébral pour bouleverser, qui est avant toute chose ce que j’attends d’un mélodrame. Parce qu’ici, Todd Haynes créé un film post-moderne au sens strict du terme, c’est-à-dire qui présente tout en les analysant les codes du genre, en gardant un recul nécessaire à la dissection qu’il en effectue. Les références aux magnifiques mélodrames des années 50 de Douglas Sirk sont bien sûr omniprésents et passionnants (tout en s’autorisant une actualisation en intégrant de façon frontale le thème racial, rarement traité dans le mélodrame dit « classique », et surtout celui de l’homosexualité, qui lui, n’est jamais ouvertement évoqué dans les grands modèles du genre). Bref, « Far from Heaven » est un film important (parce qu’il replaça le mélodrame sur les radars) et c’est pour cela que je l’inclus ici mais qui pâtit à mon avis de sa froideur intrinsèque : c’est une œuvre d’analyse plus que d’émotion, malgré la flamboyance du Technicolor et de la partition d'Elmer Bernstein, qui sont elles aussi une réflexion sur le vocabulaire traditionnel du genre.
The hours (Stephen Daldry, 2002)
Là aussi, mes larmes ont coulé, incontrôlables. L’histoire de trois femmes à trois époques différentes (les années 1920, 1950, 2000), liées sans le savoir par leur rapport personnel au roman « Mrs Dalloway » de Virginia Woolf. Nicole Kidman, Julianne Moore et Meryl Streep – peut-on rêver d’un casting plus généreux ? – traversent des moments cruciaux de leurs vies, présentées en parallèle. La construction du film, qui fait faire des allers retours temporels au spectateur, exploite magnifiquement le sentiment de l’écoulement du temps, une composante essentielle du mélodrame, tout en laissant la place au développement d’autres thèmes forts : l’incommunicabilité (mais pas dans le sens d’Antonioni), l’insatisfaction émotionnelle et sociale, la maladie, l’absurdité de l’existence. Ces thèmes se répondent à distance, se croisent parfois et se cristallisent par trois suicides (ou tentatives), un nombre anormalement élevé, même dans le genre du mélodrame, qui n’en est pourtant pas avare. Et il faut encore parler de Julianne Moore, qui n’est jamais meilleure que quand, comme ici, elle joue les personnages dont la douleur perce sous le sourire de convenance. Grâce à elle, « The hours » est un mélodrame d’une tristesse et d’une beauté renversantes. Un grand classique.
Les invasions barbares (Denys Arcand, 2002)
Depuis « Dark victory » (Edmund Goulding, 1939) dans lequel Bette Davis se mourait d’une tumeur au cerveau – et en remontant plus loin avec « La dame aux camélias » - la maladie qui frappe est un thème irrésistible du mélodrame. Parfois, le cinéma traite le sujet avec toute la gravité qui lui sied, parfois, c’est avec humour et tendresse qu’il s’en empare. C’est alors que l’alchimie prend vraiment et que le spectateur peut se laisser emporter au mieux dans les filets du « mélodrame d’agonie » (sans quoi on peut sombrer dans le misérabilisme noir, ennemi d’un mélodrame digne de ce nom). Dans « Les invasions barbares », un quinquagénaire condamné par le cancer convoque au pied de son lit ses proches, famille et amis, pour leur dire au revoir. Comme le personnage n’est pas morose et est friand de bons mots, on se prend à rire avant, comme on s’y attendait, de se retrouver les yeux embués. Parmi les meilleurs mélodrames figurent ceux où le sourire se fige en boule dans la gorge. C’est d’ailleurs souvent comme cela dans la vie, qui est, quand on y pense, un éternel mélodrame. « Les invasions barbares » l'évoque avec une belle sincérité et se termine sur un avion qui s’envole au son de la magnifique chanson « L’amitié » de Françoise Hardy. Tout est dit.
The Joy Luck Club / Le club de la chance (Wayne Wang, 1993)
Quatre amies chinoises immigrées à San Francisco (toutes pour des raisons différentes, personnelles ou politiques) et leurs rapports pas toujours faciles avec leurs quatre filles, jeunes adultes sino-américaines totalement intégrées. Ça fait donc huit histoires potentielles et même plus si on les mélange : « Le club de la chance », qui pourrait nourrir plusieurs saisons de soap-operas, réussit en près de 2h30 à dresser une fresque à la fois collective et intimiste sur les origines, le déracinement et la résilience et à plonger le spectateur dans une essoreuse à émotions, portée par l’irrésistible partition composée par Rachel Portman. Le casting, presqu’entièrement féminin (les pères, maris ou petits amis sont secondaires), est d’une rare perfection et les interprètes dressent avec leurs personnages subtilement dessinés le portrait en kaléidoscope d’une société matriarcale aux prises avec le choc des traditions. J’avais découvert le film par hasard en 1993, lors d’un voyage à San Francisco (la séance de « Jurassic Park » était complète et je m’étais rabattu sur la salle d’à-côté) et j’en étais ressorti ému et heureux, malgré mon visage sans doute ravagé par l’émotion de la dernière scène. Je l’ai revu plusieurs fois depuis en DVD et je l’aime toujours autant : au contraire de moi et de « Jurassic Park », le film n’a pas pris une ride.
Longtime companion / Un compagnon de longue date (Norman René, 1989)
Entre 1981 et 1988, l’irruption du sida parmi un groupe d’amis new-yorkais et ses effets dévastateurs sur leurs liens amoureux ou amicaux. Le premier film hollywoodien sur le sida raconte dans l’urgence, avec retenue et dignité (mais non sans humour) une histoire dont on ne mesurait alors pas encore toutes les conséquences. Une dizaine de personnages (joués par des acteurs peu connus), touchés ou pas par le virus, essayent de comprendre ce qui leur tombe dessus et de repenser leurs vies retournées. Drame ou mélodrame ? Le thème est celui d’un drame bien sûr mais le point de vue choisi, le parcours d’individus dans un groupe aux connexions diverses où la maladie et la mort frappent de façon aléatoire, pousse le film vers les voies du mélodrame, qui est souvent l’étude d’une réaction à un événement extérieur imprévu. Avec « Longtime companion », on est loin des mélodrames classiques (mais plus près, dans la typologie, des films sur les civils en temps en guerre), mais la structure du scénario et le jeu des acteurs pour toucher le spectateur en lui racontant une histoire nécessaire par le biais de la fiction et de l’émotion le rapprochent des codes du mélodrame. D’ailleurs, la dernière scène sur la plage, par son étonnante puissance lyrique et émotionnelle, fait indiscutablement basculer le film dans le genre qui nous intéresse ici. Un mélodrame atypique mais un mélodrame quand même.
The lost prince (Stephen Poliakoff, 2003)
« The lost prince » n’est jamais sorti en salles puisqu’il s’agit d’une production de la BBC, donc un téléfilm. Il a tout de même sa place ici car c’est une œuvre remarquable en son genre qui raconte l'histoire peu connue du Prince John (Johnnie), fils de George V et de la Reine Mary, un gamin épileptique et légèrement autiste que la famille royale britannique a préféré faire oublier après sa mort à 13 ans en 1919. Le film rappelle sa courte vie et brosse un portrait de la société de cour de l'époque et des grands événements contemporains, notamment la Première Guerre Mondiale et la chute de la famille impériale de Russie, à travers ses yeux d'enfant. Bénéficiant d’une production imposante et d’un casting composé d'acteurs venant surtout du théâtre, « The lost prince » entremêle la grande et la petite histoire comme savent le faire les meilleurs mélodrames et l’émotion naît, non seulement du triste destin de cet enfant oublié des livres d’histoire, mais aussi de sa juxtaposition aux drames collectifs de l’époque. Comme souvent dans le mélodrame, le film est soutenu par une musique d’un rare lyrisme (ici composée par Adrian Johnston) et il est impossible, à moins d’avoir un cœur de pierre, de ne pas se laisser aller aux sanglots lors de la dernière scène, celle des adieux au jeune prince. La BBC montrait à nouveau qu'elle est magistrale dans les reconstitutions historiques, dont ce film constitue l’un des plus beaux exemples.
The funeral of Lady Diana Spencer (1997)
Pour continuer avec la famille royale britannique, comment parler du mélodrame contemporain sans mentionner l’époustouflant mélodrame réel auquel le monde entier fut exposé entre 1981 et 1997, du « mariage du siècle » à la mort de Diana Spencer ? Les seize ans pendant lesquels Lady Di vécut sous l’œil des caméras pour la délectation du public possèdent tous les ingrédients (et même plus) du plus mouvementé des archétypes du genre. Une jeune et sympathique godiche faite princesse par son mariage avec le successeur au trône d’Angleterre, tyrannisée par une famille hermétique, prenant son envol et son indépendance au forceps en même temps que son allure inimitable, reine de charités et de névroses, adultère, divorcée et photogénique à en mourir. Ce qu’elle fit à la fin des vacances sous le tunnel du pont de l’Alma, après une ultime course poursuite avec la presse. La transmission télévisée mondiale de ses funérailles (vue par près de 2,5 milliards de personnes), le 6 septembre 1997, avec ses foules de pleureurs célèbres et anonymes, le petit mouvement de tête de la reine Elisabeth au passage du cercueil devant Buckingham, la grandiose messe de Westminster avec les imprécations du frère, la marche digne de ses deux fils et de leur père et le suivi du convoi jusqu’aux portes du domaine familial d’Althorp, n’aurait pu être inventée par aucun scénariste, pas même celui d’ « Imitation of life / Le mirage de la vie » de Douglas Sirk. J’étais moi-même devant ma télé en ce samedi funeste et aujourd’hui, je ne sais toujours pas ce que je pleurais dans cette communion mélodramatique avec la presque moitié de l’Humanité.
Steel magnolias / Potins de femmes (Herbert Ross, 1989)
Le plus ancien (avec « Longtime companion ») - et l'un des meilleurs - film de cette liste, « Steel magnolias » est un peu plus qu’un mélodrame : c’est un « women’s picture » dans la plus pure tradition du genre. Sally Field, Dolly Parton, Shirley McLaine, Darryl Hannah et Olympia Dukakis s’y donnent la réplique, rient, s’engueulent, pleurent et se réconcilient autour du personnage de Julia Roberts dans une succession de numéros d’actrices qui tissent le fil de l’existence de quelques femmes, salariées ou clientes d’un salon de beauté de Louisiane au cours de plusieurs années. Les joies et les douleurs du quotidien s’y succèdent en entraînant le spectateur dans une comédie humaine au son de la belle musique de Georges Delerue. La péripétie mélodramatique attendue avec avidité quand on se lance dans la vision d'un tel film (ici, la maladie et la mort d’une des femmes), ne déçoit pas et fait passer d’un seul coup le film du genre de la comédie à celui du mélodrame, culminant dans une scène à tout casser où la toujours exceptionnelle Sally Field se laisse aller à la révolte (et à l’une des stupéfiantes improvisations dont elle a le secret) dans un petit cimetière régional. Après cette acmé, le film et la vie reprennent leur cours, mais avec une différence : pas un œil dans la salle de cinéma n’est resté sec et tout le monde respire par la bouche car les nez se sont bouchés.
Todo sobre mi madre / Tout sur ma mère (Pedro Almodovar, 1999)
Il fallait tout le culot d’Almodovar pour oser offrir au public en 1999, après près de vingt années de films inclassables, mélanges de comédies scabreuses et de women’s pictures qui avaient fait sa gloire, un mélodrame de haut-vol comme celui-là, où le rideau s’ouvre et se ferme sur la mort de deux de ses personnages en entrainant le spectateur sur des montagnes russes de rires et de larmes. Hommage affirmé aux grands classiques hollywoodiens du genre autant qu’à ses actrices, "Tout sur ma mère" réussit à reprendre les codes du mélodrame classique, avec ses péripéties improbables, ses brusques retournements de situation, ses personnages stéréotypés et ses sautes d’humeur chronométrées sans tomber dans le chausse-trappe de la distanciation post-moderne : emporté par le tourbillon narratif et les formidables prestations de ses interprètes, le public qui accepte le voyage (car, comme sur le Grand Huit, il ne faut pas avoir peur de se laisser complètement aller quand on s’embarque dans un tel film), est soumis à un flot d’émotions auquel il est pratiquement impossible de résister. En sortant de la salle, on peut bien sûr s’en vouloir de s’être ainsi fait avoir par les trucs du réalisateur et la construction artificielle de l’ensemble mais presque tous en redemandent parce qu’il est si bon de pleurer calé dans son fauteuil, à l’unisson des autres captifs de l’écran. Quand en plus, les thématiques ouvertes par le film sont aussi nombreuses, pertinentes et offrant de tels supports d’identification, on ne peut qu’admirer et applaudir. Avec "Tout sur ma mère", Almodovar atteignait le sommet de son art, entrait dans la cour des grands et donnait au mélodrame (et au cinéma tout court) une de ses pierres angulaires. Les années 1930 à 1960 ont produit leur lot de mélodrames inoubliables et on ne peut nier que cette longue période ait été un âge d’or. Si le genre est moribond depuis les années 1970, remplacé par l’action, l’évasion et surtout la comédie romantique, il n’empêche que de temps en temps, une pépite ressurgit des profondeurs et son éclat réussit encore à nous aveugler comme au bon vieux temps. J’espère que cette liste vous en aura donné quelques convaincants exemples.
4 décembre 2010
Films vus par moi(s), décembre 2010
Neotpravlennoye pismo / La lettre inachevée (Mikhail Kalatozov, 1959) ***
En Sibérie, quatre géologues sont livrés aux éléments déchaînés. Sommet de cinéma formaliste, le film atténue le discours (le sacrifice au service de l'Etat) au profit d'époustouflantes images : taïga en feu, débâcle des glaces... La caméra mobile, la photo contrastée et la mise en péril des acteurs provoquent un étonnement continu. DVD
Contact (Robert Zemeckis, 1997) **
La signora di tutti / La dame de tout le monde (Max Ophuls, 1934) ***
Un mélodrame d'une étonnante froideur où une star de cinéma (Miranda, formidable) revoit sa vie sentimentale en flashback sur une table chirurgicale et nous offre le prototype des héroïnes fascinament vides d'Ophuls. L'admirable mise en scène à la photo baignée de lumière annonce les futurs chefs-d'oeuvre du maître. DVD
Taste of fear / Hurler de peur (Seth Holt, 1961) **
Exorcist II: The heretic / L'exorciste II: L'hérétique (John Boorman, 1977) 0
Que faut-il avoir bu, fumé ou s'être injecté pour pouvoir se laisser porter par les délires seventies de cette insane divagation sur le chef-d'oeuvre de Friedkin ? On dira que les scènes africaines sont plus intrigantes que les scènes new-yorkaises et que Blair et Burton surjouent à en rire avant d'en pleurer. Diablement mauvais. DVD
The city of the dead / La cité des morts (John Moxey, 1960) **
Un remarquable petit film anglais sur une malédiction de sorcière du 17e siècle qui frappe un village du Massachusetts et ceux qui s'y aventurent. Avec un budget limité, le décorateur et le chef opérateur ont fait des merveilles : la brume et les masures à l'abandon sont inquiétantes à souhait. La patronne de l'auberge aussi. DVD
Vers le sud (Laurent Cantet, 2006) ***
Rampling est magistrale en prof de fac sur le retour venant chercher des émotions sensuelles à Haïti et entrant en clash avec une autre femme (Young, très bien aussi) qui convoite le même boy qu'elle. Sans racolage aucun, Cantet dissèque les jeux risqués du désir et de l'exploitation dans une mise en scène d'une puissante austérité. DVD
Summer and smoke / Eté et fumées (Peter Glenville, 1961) **
Avec quelques passages à vide, cette adaptation d'une pièce de jeunesse de Tennessee Williams sur une vieille fille obsédée par un médecin coureur de jupons vaut d'abord pour Page, excellente dans le jeu de la névrose, et la photographie surchargée. Comme toujours chez Williams, tout est too much, outré et désuet mais j'aime ça. DVD