La prolifique carrière du réalisateur producteur William
Castle (1914-1977), surtout célébré pour ses films d’exploitation à gimmicks de
la fin des années 50 et des années 60, recèle des perles méconnues. Avant de
connaître le triomphe avec « The Tingler » (1959), il avait commis
une série de séries B Westerns, Noirs et Guerre où les limites budgétaires
étaient souvent compensées par un savoir-faire qui les surclassait et où
l’aspect mélodramatique pointait souvent son nez.
William Castle, qui fut aussi le producteur de "Rosemary's baby"
« It’s a small world » (1950) est mon
préféré de ses films fauchés, courts et nerveux, qui ont bien résisté au
passage du temps et qui fusionnent les genres dans d’invraisemblables scénarios
piochant partout pour régurgiter leur propre folie.
Celui-ci raconte l’histoire de Harry Musk, un jeune garçon
d’une petite ville du Midwest américain qui s’étonne de voir ses camarades de
classe grandir et muer alors que son développement à lui semble s’être arrêté
et que sa voix fluette ne change pas. Sujet de leurs moqueries et harcèlements,
il trouve dans un dico médical emprunté à la bibliothèque municipale le sens du
mot « Midget » (« nain ») que le médecin de famille a
asséné à ses parents lors d’une consultation traumatisante. Sa prise de
conscience de son altérité et son expulsion du domicile (son père ne veut plus
le voir suite au diagnostic) est le début d’un chemin de croix jalonné de
rencontres peu recommandables (bateleurs, escrocs et putes) qui le conduiront de
l’enfance à l’âge adulte dans une spirale d’humiliations, d’exploitations et de
larcins. Pris en sympathie par un ancien soldat au chômage qui ne prête guère attention à son handicap, Harry retrouve confiance
en lui et tente de reprendre le droit chemin en se faisant embaucher par une
troupe de cirque itinérante dans laquelle travaille une séduisante petite
naine…
Le film appartient de plein droit au genre du « coming
of age film » pour lequel le cinéma américain a toujours eu une véritable passion :
seules les épreuves individuelles forgent le caractère et la personnalité et
permettent l’épanouissement nécessaire à une vie réussie. Ici, la toute petite
taille du héros favorise les situations embarrassantes qui sont autant de
chapitres de son apprentissage douloureux, notamment auprès des femmes qui lui en font voir de toutes les couleurs. Sa camarade de classe pour laquelle
il avait un coup de coeur lui préfère un sportif costaud, son oncle chez qui il
se refuge éclate de rire chaque fois qu’il le voit, la belle pépée qui lui
laisse espérer une liaison est une prostituée qui lui pique ses économies et
s’envoie en l’air dans la pièce d’à côté avec son mac, la bonne mémé russe qui
le recueille est une voleuse professionnelle qui l’envoie sur le trottoir faire
les poches des bourgeois...
L’exploitation (au sens propre et au sens figuré) est donc
au centre de ce film dont l’histoire racontée comme ça peut faire craindre le
pire navet. Pourtant, il n’en est rien : William Castle n’avait pas encore
versé dans les trucs et gimmicks extérieurs qui désamorçaient la narration au
profit de l’effet pour la titillation immédiate du spectateur. « It’s a
small world » n’oublie pas l’émotion et les épreuves que traverse
courageusement son petit héros sont sincèrement touchantes, comme l’est son
amitié durable avec le personnage séduisant du « guy next door », véritable ange gardien qu’il
rencontre sur un banc et qui lui offre (métaphore ou pas) un bout de son sandwich en lui donnant une perspective sur la vie. Les scènes finales, dans le décor des coulisses
d’un cirque ambulant, tout en sacrifiant au happy end de bon aloi, laissent un
goût amer puisque le seul refuge que trouvera Harry Musk contre la violence des rapports sociaux extérieurs
semblera n’exister qu’entre les murailles d’une autre société, close sur
elle-même sous la loi du qui se ressemble s'assemble.
Dans un rôle qui occupe chaque scène du film, le lilliputien
Paul Dale (dont ce fut apparemment le seul film, à part peut-être une
figuration dans « Le Magicien d’Oz ») s’en tire très bien, transmettant
à l’écran les multiples émotions qui le traversent au fil de ses aventures, de
la peine à la colère, de l’abattement à l’espoir. Sa petite voix de canard fait des
merveilles dans un moment de grâce complètement inattendu, quand il se
lance à la fin dans une chanson entraînante qui donne son titre au film. Son seul public est
une jeune employée du cirque, lilliputienne comme lui, dont le physique m’a
fait penser à une Lana Turner miniature qui aurait le sourire d’Ann Blyth. Pour
quelques instants, le réalisateur mélange les genres en ouvrant au mélodrame social d’« It’s
a small world » les portes de l’absurde et de la comédie musicale. Et ça
fonctionne.
Bien sûr un film de William Castle reste un film de William
Castle et une scène enfonce le clou de l’Exploitation jusqu’à la garde :
celle où une énorme matrone au physique de ballon d’hélium accueille le petit
homme terrifié chez elle. On sent là que le vieux roublard qu’était le
réalisateur se délecte de l’effet obscènement comique des contrastes physiques.
Et ça marche, évidemment car c'est un peu pour ça qu'on était venu.
D'un point de vue technique et visuel, le film rengorge de plans
intéressants (en plongée, contreplongée, surimpressions, gros plans…) manifestement hérités
des exemples du Film Noir sur lesquels Castle avait fait ses armes. Bref, « It’s a small world » est un très
bonne surprise, un petit film comme son petit héros mais qui professe sa leçon
de tolérance à la différence avec une assurance qui fait plaisir à voir.
J’ai remarqué depuis longtemps que mes films bis préférés
mettaient souvent en scène des nains, des nonnes et des nazis. Celui-ci ne fera pas exception à la règle.
"It's a small world" en disponible en DVD Z1 US dans la collection Warner Archive. Image et son excellents. Pas de sous-titres français.
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