**** chef-d'oeuvre / *** excellent / ** bon / * moyen / 0 mauvais
Sirāt (Oliver Laxe, 2025) ****
Avec son jeune fils, un père (Sergi Lopez) part dans le désert marocain à la recherche de sa fille qu'il pense avoir rejoint une rave. Ils se lient à un groupe de drifters. C'est le fil tenu de ce film que j'aurais dit nihiliste il y a quelque temps et que j'ai vu aujourd'hui comme le plus désespérément lucide sur notre époque. Ça commence comme The Grid de MTV, passe par Mad Max et Le Salaire de la peur en plusieurs chocs émotionnels rares au cinéma, portés par une image somptueuse, un casting parfait et une bande son, au sens propre, d'Enfer. On en est là ? Cinéma
Smith le taciturne / Whispering Smith (Leslie Fenton, 1948) ***
Le détective d'une compagnie de chemin de fer comprend que son meilleur ami s'est laissé entraîner dans le vol de marchandises. Un magnifique western sur les carrefours de la vie, les directions qu'on prend ou qu'on rejette. Dans un Technicolor Kalmus crépusculaire, les personnages retiennent leurs émotions jusqu'à la rupture. Robert Preston en ami perdu et Brenda Marshall en femme éprise de l'autre sont magnifiques mais le film appartient à Alan Ladd, le plus mélancolique, tragique et oublié des immenses acteurs de l'après-guerre. BR FR Sidonis Calysta
Poop Cruise (James Ross, 2025) **
Documentaire sur l'épreuve du Carnaval Triumph en février 2013. Après un incendie du circuit électrique, le paquebot s'arrête au milieu du Golfe d'Amérique, sans aération et les chasses d'eau en panne. Pendant plusieurs jours, les déjections des 5000 passagers et membres d'équipage s'accumulent, transformant la croisière en enfer fécal et social. Traité sur un ton respectueux qui ne cède qu'à l'outrance drolatique des scènes racontées par les témoins encore traumatisés, une histoire de fou qui mériterait ô combien son propre film-catastrophe. En Odorama ? Netflix
Hercule à la conquête de l'Atlantide / Ercole alla conquista di Atlantide / Hercules and the captive women (Vittorio Cottafavi, 1961) ***
Naufragés en Atlantide, Hercule, son fils Hyllos, Androclès et leur nain affrontent Antinea, la terrible reine prête à sacrifier sa propre fille pour régner sans fin. Avec le musculeux Reg Park en jupette filmé sous tous les angles imaginables, la fatale Fay Spain aux yeux de chatte, le vieux nain hystérique et l'étrange garde rapprochée de clones blonds, un peplum italien qui réserve de belles surprises à chaque méandre de son distrayant scénario. Avec le Technicolor et le talentueux Cottafavi à la barre, on tient là un des meilleurs films de ce genre impayable. BR US Shout Factory
L'oiseau au plumage de cristal / L'uccello dalle piume di cristallo (Dario Argento, 1970) ***
Témoin d'une tentative de meurtre, un écrivain américain à Rome enquête sur un probable serial killer pour aider la police. A part Mario Bava un peu avant, voici donc le film fondateur du giallo, un genre que d'habitude je n'aime pas à cause de ses stridences artificielles systématiques. Or celui-ci m'a surpris et plu, sans doute parce qu'il reste ancré dans la tradition du thriller à suspense, évite les outrances ultérieures et bénéficie de la présence de Toni Musante qui n'en rajoute pas. Et c'est stylé pop italien début 70s avec un score entêtant de Morricone. DVD UK Arrow Video
Venez donc prendre le café... chez nous ! / Venga a predere il caffè da noi ! (Alberto Lattuada, 1970) ****
Sur le Lac Majeur, un arriviste séduit trois soeurs vieilles filles pour la fortune que leur père leur a laissée. Une féroce satire de la cupidité mais surtout de la frustration sexuelle féminine avec une trivialité et un humour dévastateurs qui passeraient mal dans notre contemporain réduit au premier degré. Dans le décor bourgeois et brumeux de Luino, Ugo Tognazzi est magistral en queutard stratège mais ce sont les trois actrices (Francesca Romana Coluzzi, Milena Vokotic et Angela Gooodwin) qui m'ont fait grimper aux rideaux. Du lucre et du stupre : génial ! DVD FR Tamasa
Le Lion de Saint Marc / Il Leone di San Marco (Luigi Capuano, 1963) **
A Venise au XVIe siècle, le fils du Doge s'éprend d'une femme pirate dont la bande attaque régulièrement la ville. Un chouette film d'aventures en couleurs et costumes tourné dans Venise avec ce qu'il faut de bals, de masques, de duels et de traitrises. Le casting est très bon, avec un séduisant Gordon Scott et une splendide Gianna Maria Canale en chemise, pantalon et indépendance. La mise en scène est sage mais les décors naturels et le spectacle font qu'on passe un moment distrayant, ce qui était recherché avant tout par la production. DVD FR Artus Films
La forteresse noire / The keep (Michael Mann, 1983) 0
Dans une gorge des Carpathes en 1941, des nazis et un savant juif sont piégés par une forteresse ancienne qui abrite une entité maléfique. Même si le film envisagé a été charcuté par la Paramount et n'a plus aucun sens, la laideur Eighties de l'ensemble et la bêtise abyssale du scénario et des dialogues ampoulés qui tentent une explication ancestrale du Nazisme sont atterrants, précipitant ce soi-disant "film culte" dans la poubelle des navets irrécupérables. Il y a juste le décor hammérien du village et le monstre qui retiennent un peu l'attention. Nul. BR US Vinegar Syndrome
Possession meurtrière / The possession of Joel Delaney (Waris Hussein, 1972) **
Une divorcée de Manhattan essaye de comprendre pourquoi son frère a des accès de folie furieuse. Un film de possession assez dérangeant, par l'atmosphère d'inquiétude Seventies qu'il dégage, la suggestion incestueuse et le final avec les enfants en péril. Ajouté au décor du New York crado de l'époque, à l'imbrication entre l'aspect documentaire en ville et le vaudou porto-ricain et au jeu solide de Shirley MacLaine et de Perry King, le film maintient la tension. En donnant l'impression d'être un chainon manquant entre Rosemary's baby et L'Exorciste. BR US Vinegar Syndrome
Winter kept us warm (David Secter, 1965) ****
Sur le campus de l'Université de Toronto, un étudiant s'attache à un autre. Canadien, le tout premier film gay - faut-il dire forcément dire "queer" ? - présenté à Cannes est le travail d'un passionné de cinéma de 22 ans qui y racontait un peu son histoire, qui est aussi celle de tout homo qui a eu un jour le coeur qui bat pour un camarade de cours. Avec un budget de rien le scénario, les dialogues et la réalisation font des merveilles, portés par un casting amateur très sympathique. La révélation d'un film pionnier d'un temps où l'homosexualité, au Canada, était un crime. BR US Canadian International Pictures
Un si joli village... (Etienne Périer, 1978) ***
Un village près d'Angoulême prend la défense d'un potentat, le propriétaire de l'usine locale soupçonné par un juge d'avoir tué sa femme. Une formidable étude de caractères, individuels - les personnages - et collectifs - le village, la justice - qui sous les apparences d'une enquête à la "Columbo", aborde des thèmes à la fois fixés dans leur temps et dans l'intemporel, notamment l'emprise des pourvoyeurs d'emplois sur les municipalités et leurs liens troubles avec les institutions. Avec Victor Lanoux, Valérie Mairesse et surtout Jean Carmet, dans son meilleur rôle ? BR FR StudioCanal
La brigade du suicide / T-Men (Anthony Mann, 1947) ***
Deux agents du Département du Trésor américain - les T-Men - infiltrent un gang mafieux de faux-monnayeurs en se faisant passer pour deux caïds. Un étonnant hybride de Film Noir et de documentaire panégyrique sur la police financière US, qui utilise des effets communs aux deux - la voix-off et le tournage en extérieurs - tout en travaillant la grammaire du premier avec une sublime photographie N&B contrastée et des cadrages extrêmes et la pédagogie du second. Avec en plus une violence crue et des émotions froides qui donnent au film une férocité singulière. BR FR Rimini Editions
Sambizanga (Sarah Maldoror, 1972) ***
En Angola en 1961, une jeune femme de la campagne part avec son bébé à Luanda à la recherche de son mari capturé et torturé par la police coloniale portugaise. Joué par des non-professionnels - le couple sera critiqué d'être trop "beau" - et traité sur un ton mi-documentaire, mi-élégiaque, le premier film africain réalisé par une femme - une française noire - évoque les prémices de la guerre décoloniale angolaise (1961-1975) d'un point de vue féminin hautement personnel. Du cinéma politique engagé avec un véritable supplément d'art et d'âme. BR FR Carlotta
Les proies / The beguiled (Sofia Coppola, 2017) *
Pendant la Guerre de Sécession, un soldat nordiste blessé est recueilli par le six occupantes d'une pension privée de Virginie. Un remake du film avec Clint Eastwood (Don Siegel, 1971) qui bénéficie d'une production et d'une photographie léchées - un peu trop - et d'un casting épatant - Colin Farrell, Nicole Kidman, Kirsten Dunst, Elle Fanning - mais dont le scénario répétitif bifurque vers une fin trop expédiée. Surtout, le message est brouillé : si le pauvre type est en chaleur, c'est parce que les pubères ont toutes le feu où je pense. Pour le féminisme annoncé, on repassera... BR UK
Le fruit défendu (Henri Verneuil, 1952) **
Notable d'Arles, un docteur marié se prend de passion pour une jeune aventurière venue de Paris. Le démon de midi n'est plus un sujet au cinéma et quel dommage : outre les outrances de scénario et les leçons de morale, ça donne aussi des numéros d'acteurs et d'actrices formidables. C'est le cas ici, avec Fernandel dans un role dramatique qui s'avilit pour Françoise Arnoul, super en imper et béret ou en négligé affriolant. Un drame bourgeois de papa comme je les aime et en prime, Sylvie en mère abusive et Claude Nollier en grande cocue. DVD FR René Chateau
Fils de (Carlos Abascal Peiró, 2025) **
Dans l'effervescence de la nomination d'un premier ministre, un attaché parlementaire (Jean Chevalier) pousse son père, politicien retiré (François Cluzet), à être candidat. Une comédie-thriller qui est surtout une charge contre la classe politique autocentrée et ses magouilles. On rit souvent de l'outrance des situations et du casting remonté (Karin Viard, Alex Lutz...) et la satire semble savoir de quoi elle parle mais le rythme et le montage trépidants fatiguent et on s'interroge sur la pertinence d'en rajouter une couche au moment où la chose politique est tellement défiée. Cinéma
Je vais continuer à te suivre ici. Amicalement ;)
RépondreSupprimerAh, ça me fait plaisir ! Tu seras toujours le bienvenu ! ;)
SupprimerTom,
RépondreSupprimerSauf si tu la connais déjà, à lire la très intéressante anecdote de David Cronenberg lue sur imdb, dans laquelle il parle du film qui a le plus d'influence dans sa vie pour sa future carrière de cinéaste ("Winter Kept Us Warm"). Ses amis jouent dans le film et c'est la première fois qu'il les voyait à l'écran dans une fiction. Et surtout c'est un film qui l'a profondément marqué même s'il ne s'agit pas d'un film d'horreur...
David Secter a réalisé peu de films (4 en tout en 30 ans de carrière) mais il y en a un qui attise indéniablement ma curiosité en lisant son pitch c'est "Feelin' Up" ou "Getting Together" 1976 produit par TROMA.
Oui, j'avais lu ce que Cronenberg en a dit, que le film lui avait montré qu'au cinéma on pouvait raconter une bonne histoire avec peu de moyens et qu'il en ferait lui aussi. Je ne savais pas que les acteurs du film étaient de ses camarades de fac.
SupprimerGetting together doit être une curiosité mais les critiques sont très mauvaises. Tu me diras si tu l'as vu. Dans les bonus de Winter kept us warm, Secter parle de son film, il a maintenant près de 85 ans...
D'accord avec toi concernant "L'oiseau au plumage de cristal". Y'a de très bons giallo et d'autres qui le sont beaucoup moins. C'est un genre qui était florissant dans les années 70-80 en particulier en Italie mais pas que. Jusqu'à la version postmoderne de Cattet et Forzani que je n'aime pas du tout. La passion ok je veux bien, et les hommages aussi sauf que chez ce duo ça tourne à l'exercice de style très vain. Et je préfère revoir les films dont ils s'inspirent que ceux qu'ils réalisent car je n'y trouve pas une forme de trouble originel qui peut être présent dans "La dame rouge tua sept fois" par exemple. J'aime beaucoup "Six Femmes pour l'assassin" le film de Bava et son univers de mode et femmes assassinées les unes après les autres. En particulier pour sa superbe photographie.
RépondreSupprimerEt y'a aussi une curiosité allemande dans le genre "Masks" sorti en 2012. Très beau Scope en particulier
J'adore l'original de "Les Proies" de Don Siegel avec Eastwood notamment pour son final percutant et terrible; Et pour ce qui précède aussi.
Sinon, Disc King a réouvert (j'y suis passé au milieu du mois de Juin avant qu'il ne ferme pour l'Eté en juillet et août). La boutique se trouve désormais au 2 rue de l'Arbalète dans le 5ème arrondissement, tout près du métro Censier-Daubenton, ligne 7.
Je vais regarder les premiers giallo de Bava, merci pour le conseil des Six Femmes. J'avais détesté Suspiria il y a longtemps (mais pour moi tout film avec Jessica Harper est ruiné par son jeu exécrable, la seule actrice qui me fait cet effet) et aussi Le Syndrome de Stendhal qui m'avait ennuyé au possible. J'ai vu il y quelque temps La maison aux fenêtres qui rient et c'était pas mal du tout, d'un autre réalisateur. Mais je trouve qu'il y a quelque chose de très démodé dans les giallo d'après les années 1970, une façon de filmer, des stridences systématiques...
SupprimerJe n'ai pas vu Les Proies de Siegel, il faut.
Merci pour l'info sur la nouvelle boutique de Disc King, c'est bien qu'il ait trouvé un endroit. J'irai voir.