1 août 2009
Marilyn par Bert Stern (Exposition, 2006)
A l'occasion de l'anniversaire de la mort de Marilyn (5 août 1962), je publie ce billet avec la courte interview de Bert Stern, reprise d'un article que j'avais écrit en 2006 au moment de l'exposition "Marilyn Monroe, la dernière séance" au Musée Maillol à Paris. C'était pour le journal du fan-club français de Marilyn Monroe.
L’exposition Marilyn Monroe, la Dernière Séance qui a lieu dans la grande salle du Musée Maillol à Paris du 29 juin au 30 octobre 2006 fut une première à double sens : c’était la première exposition jamais consacrée à Marilyn Monroe en France et, comme l'a dit Bert Stern lui-même, c’était aussi le premier séjour parisien de Marilyn Monroe. Mais ça a surtout été, pour les visiteurs qui ont eu l’occasion de voir l’exposition, une très belle rencontre avec 59 photographies de Marilyn qui ont depuis longtemps fait le tour du monde mais qui n’avaient jamais été présentées ensemble, dans leur intégralité.
Les 59 photographies de l’exposition sont la sélection originale que Bert Stern a réalisée en 1982, au moment où il publiait chez l’éditeur allemand Schirmer/Mosel son livre monumental « Bert Stern - Marilyn Monroe - The Complete Last Sitting ». Bert Stern avait alors choisi 59 photographies sur les 2.571 clichés qu’il avait pris de Marilyn lors des deux séances photo qu’il avait faites avec elle pour le magazine Vogue en juin 1962. Cette sélection ne représentait pas pour Bert Stern une sorte de « best of » mais voulait plutôt évoquer l’émotion magique de ces deux prises de vues. Toutes les photographies montrées au Musée Maillol sont des tirages originaux (certains de 1962, d’autres de 1982, quelques autres plus récents). Elles sont même plus car chacune est le tout premier numéro de chacun des tirages originaux. C’est ainsi que chaque photographie est numérotée au 1/25, 1/36 ou 1/50 (selon que le tirage original soit de 25, 36 ou 50 exemplaires), titré « Marilyn » et signé de la main de Bert Stern, le tout au crayon noir. L’ensemble appartient aujourd’hui à la prestigieuse collection de Michaela et Leon Constantiner, un couple de collectionneurs partageant leur résidence - et leur collection - entre New York et Tel Aviv. Leon Constantiner (né en 1959) a acquis les 59 photographies à une vente aux enchères chez Sotheby’s New York au milieu des années 1990. Cet ensemble unique de photographies de Marilyn Monroe par Bert Stern a alors rejoint le reste de sa collection, qui comprend entre autres beaucoup d’autres photographies vintage de Marilyn. Une grande partie de la collection Marilyn Monroe des Constantiner a été présentée au Tel Aviv Museum of Art en 2004 et au Brooklyn Museum of Art en 2005. Mais seul le Musée Maillol a le privilège d’exposer l’intégralité de la série originale des 59 photographies choisies par Bert Stern en 1982. Actualisation : La collection Constantiner a été vendue par ses propriétaires depuis 2006.
Un petit rappel sur cette fameuse « Dernière Séance » qui sont en réalité deux séances distinctes.
Nous sommes au début juin 1962 : Marilyn vient d’avoir 36 ans et d’être licenciée par la Fox. Le tournage de Something’s Got to Give de Cukor s’est arrêté de façon calamiteuse. Marilyn n’a plus de travail et tue le temps entre la décoration de sa nouvelle maison de Brentwood et ses séances quotidiennes de psychanalyse chez le Dr Greenson. Bert Stern est un photographe de 32 ans (il est né en 1929) qui s’est spécialisé dans les portraits de célébrités. Il vient d’aller faire des photos d’Elizabeth Taylor à Rome sur le tournage de Cléopâtre. Travaillant en free-lance pour Vogue, il propose au magazine de faire une série de photos de Marilyn. Ayant obtenu le feu vert du magazine, il appelle l’agent de Marilyn à Los Angeles qui lui donne quelques heures plus tard la réponse de la star : c’est d’accord. Bert Stern, stupéfait par la rapidité de la réponse, prend l’avion pour Los Angeles, réserve une suite à l’hôtel Bel-Air de Hollywood et donne rendez-vous par téléphone à Marilyn.
Le jour convenu, Marilyn arrive à 19h00 avec cinq heures de retard, seule et apparemment enthousiasmée à l’idée de faire la prise de vues. Bert Stern a apporté quelques foulards colorés transparents et quelques colliers en guise d’accessoires. Il avait dit à Marilyn qu’il souhaitait faire des portraits mais Marilyn comprend qu’il a autre chose en tête en voyant les foulards. Elle le met à l’aise en lui posant directement la question « Vous voulez faire des nus ? ». Lui : « Vous accepteriez ? ». Elle : « Pourquoi pas ? ». Lui : « Mais vous ne serez pas maquillée ». Elle (en riant) : « Ah, vous voulez du créatif ! »… La séance durera 12 heures, de 19h00 à 7h00 du matin. Le champagne et le bordeaux contribuent à la détente de l’atmosphère et Marilyn se prête dans la bonne humeur au jeu des portraits et des nus (mais avec les foulards). Les photos sont réalisées en couleur et en noir et blanc avec deux appareils photo : un Rolleiflex 6x6 et un Nikon 24x36. Bert Stern sait sur le champ que cette séance de photos avec Marilyn va changer à jamais sa vie et sa carrière.
De retour à New York, Bert Stern montre les clichés qui enthousiasment la rédaction de Vogue. Mais en 1962, des nus ne sont pas publiables dans un magazine de mode. Vogue demande alors au photographe d’organiser une seconde séance avec Marilyn, habillée cette fois. Rendez-vous est à nouveau pris avec l’actrice (toujours au Bel-Air, mais dans un bungalow) : une équipe de Vogue – coiffeur, maquilleur, habilleur – accompagne Bert Stern. Cette seconde séance est presque exclusivement consacrée au noir et blanc et les clichés sont très différents de la première séance : il s’agit vraiment d’une série de photos de mode avec des robes et accessoires amenés de New York par l’équipe de Vogue. Mais c’est Marilyn Monroe qui est le mannequin et cela fait toute la différence. Après six heures de travail, les films sont en boîte et l’équipe de Vogue quitte les lieux. Bert Stern se permet alors de demander à Marilyn si elle accepte de refaire une nouvelle série de nus, tout de suite. Elle répond « oui », retire son maquillage et se glisse dans les draps. C’est au cours de cette seconde partie de la « seconde séance » que sont réalisées les célèbres photographies de Marilyn nue sur le lit blanc. Pour lesquelles Stern ressort aussi ses films couleur. Au petit jour, Marilyn s’endort, Stern prend un dernier cliché de son modèle endormi et quitte la pièce. Il ne reverra plus Marilyn puisqu’elle meurt dans la nuit du 4 au 5 août 1962, cinq semaines après leur rencontre.
Lors des deux séances, Marilyn avait demandé à Stern de lui montrer les clichés avant toute publication : elle était un peu inquiète de la cicatrice qui barrait son abdomen (trace d’une opération récente de la vésicule biliaire) et souhaitait conserver son droit à l’image. Stern lui avait répondu qu’il pourrait retoucher la cicatrice au laboratoire mais il lui avait aussi fait parvenir une sélection d’ektachromes de chaque série pour contrôle. Marilyn avait barré certains d’entre eux d’une croix au marqueur rouge et griffé d’autres avec une aiguille. Ces clichés « censurés » par Marilyn elle-même seront vus pour la première fois par le grand public en 1982 dans le livre de Bert Stern publié chez Schirmel/Mosel. L’exposition en présente deux, dont l’émouvante « Crucifixion », un chef-d’œuvre à part entière... qui pose toutefois des questions sur l'éthique du photographe, Bert Stern ayant décidé en 1982 de finalement montrer les photos censurées par Marilyn elle-même. Devait-il, pouvait-il le faire ?
L’article sur Marilyn illustré des photographies de Bert Stern devait sortir dans l’édition de Vogue daté de la deuxième semaine d’août 1962. Après la mort de l’actrice, la rédaction du magazine hésita puis décida de publier l’article de huit pages tel quel, avec un court préambule. Seules des photographies en noir et blanc furent choisies parmi les photos de mode et un portrait, celui où Marilyn éclate de rire en gros plan avec un collier de strass, le bras droit levé dans un geste rétrospectif d’adieu.
L’exposition du Musée Maillol nous offre le bonheur de revoir une Marilyn Monroe qui ne nous est pas inconnue (toutes les photographies présentées sont célèbres depuis 1982) mais qui devait l’être pour ceux qui ont pu voir ces clichés en 1962. L’ombre de la disparition de la jeune femme plane évidemment sur chaque photo mais le miracle de Marilyn opère immédiatement sur les visiteurs : radieuse ou marquée, espiègle ou absente, concentrée ou ivre, l’image de Marilyn Monroe continue de prendre possession de l’espace qu’elle investit avec une force et une intemporalité stupéfiante. Une jeune femme qui visitait l’exposition m’a dit qu’elle avait du se retenir pour ne pas pleurer tant l’émotion était intense et inattendue. C’est le plus bel hommage qu’on puisse rendre à Marilyn Monroe et à Bert Stern, qui ont créé à eux deux en juin 1962 une formidable œuvre d’art qui méritait bien enfin les honneurs d’un musée français.
Bert Stern était à Paris pour les vernissages de l’exposition. J’ai pu le rencontrer le mercredi 28 juin 2006 au Musée Maillol, lors du vernissage presse où je me suis faufilé, et lui poser quelques questions auxquels il a bien voulu répondre (l'entretien a eu lieu en anglais, c'est moi qui traduis) :
Q : Aviez-vous rencontré Marilyn Monroe avant votre première séance photo avec elle ?
Stern : Une seule fois au début des années 50 à un cocktail mais elle était entourée d’une cour d’hommes et je n’avais pas pu l’aborder et de toutes façons je ne crois pas que j’aurais osé.
Q : Quelle a été votre première impression quand vous avez vu Marilyn entrer dans la chambre du Bel-Air ?
Stern : Je l’ai trouvée très belle. On m’avait dit qu’elle était marquée mais j’ai vu entrer une très belle femme. D’ailleurs je lui ai tout de suite dit, sans réfléchir. Elle a ri. Je crois que ça lui a fait plaisir.
Q : Vous n’étiez pas un débutant mais vous étiez un jeune photographe. Vous n’étiez pas trop nerveux de vous retrouver en tête à tête avec Marilyn Monroe ?
Stern : Si bien sûr ! C’est aussi pour ça que j’avais commandé du champagne. Je ne tiens pas l’alcool mais je savais qu’un ou deux verres me détendraient. C’est elle qui a presque tout bu et je peux vous dire qu’elle tenait bien le coup !
Q : Vous aviez photographié Liz Taylor à Rome quelques semaines avant Marilyn. Vous avez senti une grande différence dans votre rapport de photographe par rapport aux deux actrices ?
Stern : C’était complètement différent. Avec Liz Taylor, ça a été très professionnel. Elle avait des assistants, elle m’a demandé ce que je voulais faire et a suivi mes directives. Ca a duré environ cinq heures en comptant la préparation et elle est partie après m’avoir remercié. Avec Marilyn, j’ai tout de suite senti qu’il allait se passer quelque chose que je ne contrôlerai pas. C’était très physique, très libre. J’ai été un peu débordé par la vitalité qu’elle dégageait. C’est pour ça que j’ai pris tellement de photos, je n’arrêtais pas. Elle bougeait et elle inventait tout le temps. Je n’ai jamais retrouvé cela dans toute ma carrière.
Q : C’est votre appareil photo ou c’est vous que Marilyn voulait séduire ?
Stern : Les deux sans doute ! Je ne sais pas si mes appareils photos ont été sensibles (je crois qui si parce qu’il y a quand même des photos pas mal, non ?) mais je peux vous dire que moi, je l’ai été. Et puis en plus, j’ai toujours eu un faible pour les blondes.
Q : Avez-vous ressenti les problèmes personnels que Marilyn traversait dans les mêmes semaines ?
Stern : Non. Je savais bien sûr comme tout le monde qu’elle traversait des moments difficiles mais pendant les séances photos, je n’ai rien senti de tel. Elle avait vraiment l’air contente d’être là. De temps en temps, elle semblait un peu ailleurs, un peu dans le vague, puis ça repartait. On le voit bien sur les photos je crois.
Q : En y repensant, au moment où vous la photographiez, auriez-vous pu imaginer la place que Marilyn Monroe allait prendre dans notre mémoire collective ?
Stern : Non, pas du tout. Comment aurais-je pu ? Par contre, j’ai tout de suite compris que c’était quelqu’un de spécial parce qu’elle était très différente dans son comportement des autres actrices que j’avais photographiées jusque là.
Actualisation : J'avais été très enthousiasmé par ma rencontre avec Bert Stern au Musée Maillol en 2006. Depuis, mon enthousiasme s'est dissipé, Stern s'étant révélé un personnage beaucoup plus ambigu dans son lien avec Marilyn Monroe, qui me semble maintenant beaucoup plus de l'ordre du marketing que de l'affectif. Sa reprise pitoyable de sa prise du vues de Marilyn en 1962 avec Lindsay Lohan en 2008 n'a fait qu'enfoncer le clou. Bref...
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Etonnante Marilyn, plus je vieillis et plus je la trouve séduisante, fascinante... en tout cas ton billet donne envie de se procurer ce livre, à défaut d'aller voir l'exposition. Un merci global à l'ensemble de tes textes, j'ai souvent l'envie de te dire "merci" mais cela serait redondant... Je prends un grand plaisir à te lire ( je place les titres de film sur mes listes interminables...), de Rahan jusqu'aux films inconnus jusqu'alors, c'est un bel autoportrait que tu dessines...
RépondreSupprimerMerci Abronsius, ton message me fait plaisir. En esperant continuer a te faire decouvrir bien des raretes...
RépondreSupprimerMarilyn était un être très spécial qui mérite sa place de légende du cinéma... Bert Stern très ambigu, le fait de publier des photos que Marilyn a censurées est scandaleux !! ... à moins qu'il soit en contact avec le fantôme de Marilyn ou l'âme de Marilyn sait-on jamais elle était si extraordinaire !
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