20 septembre 2008

Rosewood (John Singleton, 1993)

Parfois, on découvre des films qui ne révolutionnent pas l'histoire du cinéma mais qui racontent une histoire qui méritait de l'être, d'une façon ou d'une autre. Rosewood, dont je n'avais jamais entendu parler avant de tomber par hasard sur le titre sur IMDb, est de ceux-là.

Le site de Rosewood est celui d'une ancienne petite bourgade de Floride qui fut réduite en cendres en 1923 parce que ses habitants, presque tous noirs, ne s'en sortaient pas si mal économiquement et que les habitants blancs du village d'à-côté voyaient cela d'un mauvais oeil. Le 1er janvier 1923, une jeune femme blanche qui venait d'être battue par son amant rapporta à tort qu'un "nègre" l'avait attaquée. La rancoeur des blancs y trouva une justification aux pulsions qui les démangeaient et en l'espace de quelques jours et nuits, aidés par l'esprit de meute et le Ku Klux Klan, Rosewood avait été rayée de la carte, ses hommes (et quelques femmes et enfants) pendus, brûlés ou tués par balles et les autres habitants en fuite définitive.
L'histoire avait été totalement occultée et est revenue à la lumière en 1983 avec un reportage sur CBS et en 1993 avec une première publication par l'Université de Floride. L'enquête bâclée de 1923 parla de moins de 10 morts mais les historiens actuels avancent le chiffre de 40 à 200 victimes. Bref, une page honteuse de l'histoire des Etats-Unis qui aura mis le temps à ressurgir des oubliettes de la mémoire collective.

Le film Rosewood, réalisé en 1993 (et inspiré par la publication de l'Université de Floride) par John Singleton, raconte cette histoire. C'est un film qui joue à la fois sur la pédagogie et l'émotion. Il est d'ailleurs montré dans certaines écoles américaines, avec les controverses qu'on peut imaginer, pour débattre du racisme. D'une durée de 2h20, il prend son temps pour mettre en place les éléments du drame puis se lance sans faux-semblants dans la description des événements eux-mêmes. Certaines scènes sont franchement violentes mais le film ne tombe jamais dans l'exploitation, le grand risque avec ce genre de scénario. Tous les éléments du scénario sont, d'après la production, issus de recherches des historiens et des témoignages des quelques rares survivants (qui étaient enfants à l'époque des faits). Les deux personnages principaux sont un blanc (Jon Voight) qui hésite à prendre parti au début et tente ensuite d'arrêter la violence et un noir vétéran de la Première Guerre Mondiale (Ving Rhalmes, mémorable dans Pulp Fiction) tout juste débarqué à Rosewood et qui devient l'une des cibles de la vindicte. Ce personnage a été inventé par les scénaristes pour structurer leur récit. Le film est bien sûr parsemé de stéréotypes hollywoodiens : le Rosewood d'avant la violence est décrit comme un sorte d'Eden noir, l'utilisation des enfants tire sur la corde sensible, les lyncheurs blancs sont presque tous à moitié demeurés...

Une licence inexplicable du scenario est l'une des scènes finales avecune fuite des femmes et des enfants en train - ce qui est vraiment arrivé - mais poursuivi par les lyncheurs en voiture et à cheval, et filmée exactement comme dans un western des années 30 ou 40. Là, le film perd de sa dignité historique pour devenir, le temps de quelques minutes un pur film d'aventures. L'effet de contraste en est très bizarre.

La reconstitution d'époque est réussie (Rosewood a été reconstruit à l'identique) et la photographie est magnifique. Le film se passe en grande partie la nuit et les scènes de poursuite à la torche dans la forêt et les marais sont très cinématographiques, lorgnant même parfois vers le fantastique à la Frankenstein ou Zaroff. Utilisation peut-être un peu abusive du traveling et de la grue. Les acteurs sont tous très bons (Don Cheadle et Michael Rooker notamment) à l'exception de celle qui déclenche le drame, qui surjoue l'hystérie.

Bref, Rosewood est un film réalisé très honnêtement et qui exhume courageusement une page bien sombre de l'histoire de la Floride. Bref, du cinéma utile. Je ne suis pas sûr que Rosewood soit jamais sorti en salles en France. Le DVD Z1 est de très bonne qualité image et son avec des sous-titres français optionnels. La jaquette ridicule laisse pressentir un navet fauché, ce que le film n'est pas.

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