En 1993, trois garçons de huit ans furent retrouvés morts au
bord d’un ruisseau d’un petit bois de West Memphis, Arkansas. Quelques jours
plus tard, trois adolescents du coin furent arrêtés, soupçonnés d’être les
meurtriers. En 1994, ils furent jugés et condamnés : deux à la prison à
vie, le troisième, considéré comme le chef de bande, à la peine de mort.
En 2011, après avoir passé plus de dix-huit ans en prison,
les trois condamnés furent libérés après une réouverture de l’enquête et la divulgation
de nouveaux éléments (dont des tests ADN et d'autres expertises de médecins légistes) dûes en grande partie à la longue mobilisation de groupes
d’activistes et de personnalités et à la réalisation pour HBO de deux
documentaires sur l’affaire par Joe Berlinger et Bruce Sinofsky :
« Paradise Lost : The Child Murders at Robin Hood Hills » (1996)
et « Paradise Lost 2 : Revelations » (2000). Libérés mais pas
innocentés (alors que les indices semblent montrer leur innocence) puisqu’ils ont seulement pu sortir de prison après avoir reconnu devant
le juge leur culpabilité dans les meurtres tout en niant leur implication dans
ceux-ci (exploitant une spécificité du système judiciaire US connue sous le nom de
« Alford Plea »).
Au moment de la réouverture de l’enquête, Berlinger et Sinofsky étaient en train de tourner la troisième partie de leur documentaire fleuve : « Paradise Lost 3 : Purgatory » qui est sortie sur HBO en janvier 2012, quelques mois après la libération des trois prisonniers. En orientant les regards vers le coupable probable, un proche d'une des victimes et lui-même témoin au cours des trois films...
Au moment de la réouverture de l’enquête, Berlinger et Sinofsky étaient en train de tourner la troisième partie de leur documentaire fleuve : « Paradise Lost 3 : Purgatory » qui est sortie sur HBO en janvier 2012, quelques mois après la libération des trois prisonniers. En orientant les regards vers le coupable probable, un proche d'une des victimes et lui-même témoin au cours des trois films...
Jessie Misskelley (né en 1975) - Damien Echols (né en 1974) - Jason Baldwin (né en 1977)
Les documentaires « Paradise Lost » forment
une trilogie unique dans l’histoire du documentaire judiciaire : le
spectateur y suit non seulement une enquête criminelle d’une extrême complexité
sur une durée de quinze ans mais assiste aux coups de théâtre qui la jalonnent
(eux-mêmes provoqués pour la plupart par l’effet de ces films sur le public,
les activistes et les médias). Témoins, policiers, magistrats, journalistes,
personnalités et anonymes ainsi que les familles et proches directement
concernés des trois victimes et des trois détenus témoignent et évoluent dans
le temps dans leur rapport personnel et collectif à l’affaire. Et plus
puissants que tous ces témoignages, il y a les nombreux moments passés en
prison avec les condamnés, entrés en cellule aux environ de 18 ans et qui n’en
sont sortis, transformés en profondeur, qu’à l’approche de la quarantaine.
Le film montre entre autres les rouages du système
judiciaire américain avec ses particularités effarantes, la toute-puissance des
juges et des experts, l’effet de meute de l’opinion publique (qui fut persuadée pendant
longtemps de la culpabilité des trois adolescents sur la seule base qu’ils
s’habillaient en noir et écoutaient Metallica, donc étaient Satanistes et que l'arrogant détachement de Damien Echols lors de son arrestation lui était insupportable), le lobbying des associations et
des groupes activistes sur Internet, les dysfonctionnements de la police, l’atmosphère
étouffante de la société de la banlieue déshéritée de West Memphis et les capacités
de survie et de résilience de certains individus dans les pires conditions
physiques et psychologiques.
L’affaire des WM3 (« West Memphis Three »),
acronyme sous lequel ceux qui l’ont suivi depuis toutes ces années la
connaissent, est une histoire criminelle passionnante mais aussi une aventure
humaine extraordinaire qui nous interroge sur les notions universelles du Bien
et du Mal, de la Vérité et de l’Erreur, de l’Individu et de la Collectivité.
C’est aussi une histoire d’amitié chaotique entre trois jeunes hommes pris au
piège d’une machine infernale et une histoire d’amour entre l’un d’entre eux (Damien Echols) et
de la femme qu’il épousa depuis le Couloir de la Mort, quelques années après qu’elle ait vu le
premier documentaire de 1996 et soit entrée en correspondance avec le condamné.
Au-delà de l’histoire et de l’aventure, la trilogie
« Paradise Lost » interroge aussi (et ce n’est pas l’aspect le moins
dérangeant de l’expérience) le spectateur sur les risques d’orientation faussée
de sa propre opinion, comme par exemple avec ce personnage secondaire des films
dont le comportement étrange, dans les épisodes 1 et 2, nous le font soupçonner
d’être le véritable coupable avant qu’il effectue un revirement dans l’épisode
3 qui nous le fait alors considérer d’une toute autre façon.
L’affaire des West Memphis Three a mobilisé pendant de
longues années de très nombreux anonymes et un certain nombre de personnalités dont
Johnny Depp, Marilyn Manson, Natalie Maines (des Dixie Chicks), Eddie Veder (de
Pearl Jam) et les membres de Metallica (qui ont donné gracieusement des titres
pour la B.O. des documentaires), Peter Jackson et Fran Welsh (qui ont produit
un autre documentaire sur l’affaire : « West of Memphis » de Amy
Berg, 2012)… Atom Egoyan vient de tourner un film sur l’affaire avec Colin Firth
et Reese Whiterspoon : « Devil’s Knot », qui sortira en 2013.
La trilogie « Paradise Lost » est un monument du
genre documentaire, par la magnitude de la durée qu’il couvre (plus de quinze
ans) et par les questionnements qu’il soulève sur des thèmes universels qui entrent forcément en résonance avec chacun de ses spectateurs. C'est aussi une oeuvre engagée comme rarement un documentaire peut l'être dans une histoire criminelle puisque les films ne l'ont pas seulement documentée mais aussi orientée jusqu'à provoquer le dénouement de l'affaire (tout au moins pour ce qui est des trois ex-condamnés puisque le véritable coupable des crimes de 1993 court toujours).
Après avoir vu les trois films (en DVD Z1 US), j’ai voulu en
savoir plus sur cette histoire hors-norme et j’ai appris que le charismatique Damien Nichols, le
« chef de groupe » et seul condamné à mort des trois garçons, avait
publié un livre sur sa vie jusqu’à son arrestation et son expérience de
dix-huit ans dans les prisons d’Arkansas et dans le Couloir de la Mort à partir
des journaux qu’il écrivait en cellule. Sous le titre extraordinaire et
pourtant évident de « Life after Death », le livre est sorti chez
Blue Rider Press en 2012. C’est un document terrible et bouleversant. Un splendide travail
d’écriture. Un des plus grands livres que j’ai lus, de récente mémoire.
Je n'avais JAMAIS entendu parler de cette affaire !! Ces documents existent-ils en français ou du moins sous-titrés ?
RépondreSupprimerPour les DVDs US : le double DVD "Paradise Lost / Paradise Lost 2" (paru chez WarpFilms) a des sous-titres français. En revanche, ni le DVD "Paradise Lost 3" ni le coffert "Paradise Lost Trilogy" (parus chez Docurama) n'en ont.
RépondreSupprimerLe livre de Damien Echols n'a pas été traduit en français.
La sortie prochaine du doc produit par Peter Jackson et du film d'Egoyan devraient provoquer une littérature en français sur le sujet, peut-être l asortie des documentaires en France et une traduction du livre d'Echols?