2 mars 2013

Albert Capellani, cinéaste du romanesque

Jusqu'il y a encore peu, Albert Capellani (1874-1931) était tombé aux oubliettes de l'histoire du cinéma.  Ce n'est qu'en 2010 et 2011 que le festival "Il Cinema Ritrovato" de Bologne propose à son public une rétrospective en deux parties de l'oeuvre du cinéaste. En 2011, Pathé sort un coffert DVD de 4 de ses films majeurs et de 7 de ses courts. En mars 2013, La Cinémathèque Française montre un cycle de ses films. Le retour à la lumière de ce pionnier du cinéma que fut Albert Cappelani semble définitivement installé. C'est un retour amplement mérité.

Qui était vraiment Albert Capellani ? Les notices biographies éditées jusqu'ici, les rares textes qui parlaient de lui, repris d'éléments fragmentaires et confus, fourmillaient d'erreurs dont les moindres n'étaient pas de faire de lui un ex-membre de la troupe de théâtre d'André Antoine ou de fusionner les moments de sa vie et de sa carrière avec ceux de son propre frère, l'acteur Paul Capellani (1877-1960).


Le livre de Christine Leteux, "Albert Capellani, cinéaste du romanesque", est une addition bienvenue à la courte bibliographie d'Albert Capellani. C'en est même désormais, à la lecture de son ouvrage, basé sur les informations et documents qu'elle a pu retrouver au fil de ses recherches sur l'homme et le cinéaste, la pierre angulaire. L'ouvrage est préfacé par Kevin Brownlow.


Elle y fait revivre Albert Cappelani depuis sa naissance boulevard Beaumarchais à Paris en 1874 jusqu'à sa mort boulevard Péreire en 1931. En racontant (brièvement, les documents sont très fragmentaires sur cette première partie de sa vie) les jeunes années du futur cinéaste, ses débuts professionnels comme employé de banque puis administrateur du Théâtre de l'Alhambra puis, et c'est bien sûr le coeur et la raison d'être du livre, sa carrière cinématographique en France et aux Etats-Unis (où il passa sept années entre 1915 et 1922).

Albert Capellani (1874-1931)

Dans un style concis et dynamique, Christine Leteux tord le cou à des idées reçues et remet les choses à leur place en dressant un portrait personnel et professionnel, non seulement d'Albert Capellani lui-même, mais aussi de l'évolution fulgurante du cinéma dans les quelque quinze ans qui virent s'épanouir sa carrière, entre 1905 et 1922.

Présenté de façon chronologique, s'attardant ici sur les péripéties familiales de l'homme et de ses proches (dont son frère Paul, qui tourna souvent pour lui), là sur les films qui jalonnèrent sa carrière ("Notre-Dame-de-Paris" en 1911, "Les Misérables" en 1912, "Germinal" et "La Glu" en 1913, "La Vie de Bohème" en 1916, "The House of Mirth" en 1918, "Quatre-vingt-treize" en 1914-1921, "The Red Lantern" en 1919), là encore sur l'organisation et l'économie des sociétés de production avec lesquelles le réalisateur travailla des deux côtés de l'Atlantique (Pathé, SACGL, World Film Corporation, Metro, Albert Capellani Productions Inc...), l'ouvrage décrit avec une clarté remarquable le parcours de cet homme et de la nouvelle industrie artistique dont il fut sans aucun doute - on le réalise après avoir terminé le livre - l'un des personnages majeurs.

"Quatre-vingt-treize" (1914-1921)

La somme d'information contenue dans "Albert Capellani, cinéaste du romanesque" est impressionnante mais sa lecture n'est pas indigeste, tout au contraire. En mêlant habilement des documents d'archives, des éléments d'Etat-Civil, des coupures de presse, billets critiques et courriers de spectateurs de l'époque, des témoignages du petit-fils du réalisateur (qu'elle a rencontré) et des extraits de livres de souvenirs de certains de ses collaborateurs, des lettres inédites retrouvées à la Maison de Victor Hugo et à la BNF, Christine Leteux dresse un portrait en kaléidoscope d'Albert Capellani, de son oeuvre et de son temps. La solide connaissance du cinéma muet de l'auteur forme le liant de la narration : Christine Leteux sait que les intertitres les moins ampoulés sont les meilleurs et son style ne s'encombre pas d'effets, même si l'humour fait régulièrement une discrète percée : le livre se lit comme un roman d'aventures, avec ses héros, ses personnages secondaires, ses caractères de l'ombre. On se souviendra des lignes consacrées à Maurice Tourneur (contemporain et collègue de Capellani), à Clara Kimball Young ou à Alla Nazimova.


Albert Capellani envisageait le cinéma comme un art noble et voulu lui donner la noblesse des classiques. C'est pourquoi il se spécialisa dans les adaptations filmées de romans ou de pièces au succès durable. Victor Hugo fut le terrain privilégié de ses créations (les péripéties des conflits entre Capellani et l'héritier des droits de l'écrivain sont édifiantes), Emile Zola aussi, dans une moindre mesure. Commençant sa carrière avec des films inspirés du théâtre, il sût très vite leur insuffler un dynamisme visuel tout différent, inventant sur le chemin une grammaire purement cinématographique et un nouvel esprit dans la direction d'acteur (le naturalisme de jeu des acteurs de Capellani est une source inépuisable de surprise). Il vit et vécut le passage de flambeau entre l'industrie du cinéma français et américain et tenta l'indépendance au moment même où les studios fusionnaient en donnant naissance à leur Age d'Or. Sa santé et peut-être les désillusions l'empêchèrent de poursuivre sa carrière au-delà de 1922, à une période où le cinéma muet subissait une nouvelle mutation.

"Les Misérables" (1912)

"Albert Capellani, cinéaste du romanesque" de Christine Leteux redonne au réalisateur, après une longue éclipse, la place qui est la sienne dans l'histoire du cinéma : celle d'un des plus grands réalisateurs de son temps. Et donne une furieuse envie, après sa lecture, de découvrir les chefs-d'oeuvre préservés de ce créateur visionnaire. Un livre passionnant de bout en bout.

"Albert Capellani, cinéaste du romanesque" (La Tour Verte, 2013)
Le livre comprend une filmographie complète d'Albert Capellani (qui indique les films disponilbles en DVD ou visibles sur Internet).

Christine Leteux travaille dans la recherche en histoire du cinéma. Elle a récemment traduit en français deux ouvrages majeurs de Kevin Brownlow : "La Parade est passée..." (Institut Lumière Actes Sud, 2011) et "Napoléon, le grand classique d'Abel Gance" (Armand Colin, 2012). "Albert Capellani, cinéaste du romanesque" est son premier ouvrage personnel.

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