31 janvier 2009

Capitaine Sky et le Monde de Demain (Kerry Conran, 2004)


Jude Law est le Capitaine Sky, qui vole littéralement sur les traces du méchant Dr Totenkopf (un Laurence Olivier d'archives tripatouillées) en compagnie de la journaliste Gwyneth Paltrow et aidé (discrètement) de Giovanni Ribisi et d'Angelina Jolie. Ils affrontent des robots, des dinosaures, des sortes de nazis, des savants fous en traversant tous les paysages possibles, dans les airs, sur terre et sous les eaux...

Mais l'histoire n'a strictement aucune importance : ce qui compte, c'est le fun, les références et les effets spéciaux. Question visuels, on en prend vraiment plein les yeux pendant 1h45. Le film revisite avec une avalanche d'effets spéciaux, la plupart stupéfiants et d'autres volontairement dépassés (rear-projection, mate-painting...), le principe des sérials américains des années 30 et 40. Tout en citant des dizaines et des dizaines de classiques du ciné d'aventures et de s-f. On y retrouve pêle-mêle et j'en oublie plein : King-Kong, Metropolis, L'Empire Contre-Attaque, Horizons Perdus, James Bond, Le Choc des Mondes, Jurassic Park, Hell's Angels, 20.000 Lieues sous les Mers, Independance Day, La Guerre des Mondes, Buck Rogers, Flash Gordon, Indiana Jones, Abyss, Batman... et même Le Magicien d'Oz et Casablanca. Un des grands bonheurs du film est le fait de se dire à chaque moment : "Tiens, cette phrase vient de La Soif du Mal, cette scène de La Guerre des Etoiles".

Le style début des Années 40 et la tonalité sépia/bichrome qui assurent sa cohérence à ce patchwork indescriptible sont un vrai régal. De toute évidence, le réalisateur et les acteurs (qui ont uniquement travaillé devant un fond bleu) s'en sont donnés à coeur joie - même si Gwyneth est un peu figée - et la bonne humeur qui les anime se transmet au spectateur pour peu que celui-ci soit prêt à jouer le jeu. Alors peu importe la légèreté frustrante du scénario et l'inexistence psychologique des personnages : Capitaine Sky et le Monde de Demain est un vrai film pop-corn pour cinéphiles (ce qui doit expliquer son relatif échec aux USA comme ailleurs : le film n'a pas su trouver son public), qui ne s'encombre d'aucun scrupule pour parvenir à ses fins. Nous distraire, nous étonner techniquement et nous faire passer un excellent moment de délire rétro-fantaisiste.

Gag final très rapide mais très drôle qui ne devrait pas manquer de mettre le sourire aux lèvres de chaque spectateur (la tête de Gwyneth !). J'ai vraiment adoré ce film qui se revoit d'ailleurs très bien, comme on reprend avec toujours autant de plaisir sa BD préférée. Captain Sky and the World of Tomorrow sera sans doute un jour un film-culte.

La France (Serge Bozon, 2007)


A l’automne 1917, au plus fort de la Guerre de 14, Camille (Sylvie Testud) reçoit une lettre de rupture de son mari qui est au front et décide sur un coup de tête de partir le retrouver pour essayer de comprendre pourquoi il lui a écrite. Pour passer inaperçue, elle se coupe les cheveux, s’habille en garçon et part à pied dans la campagne vers le front. Elle rencontre une petite compagnie de soldats qu’elle entreprend de suivre pour ne pas cheminer seule. Les soldats la prennent pour un adolescent de 17 ans et acceptent peu à peu sa présence. Ils font la route ensemble, pour le meilleur et pour le pire…

La France est un film dont l'originalité n'a pas cessé de me surprendre quand je l’ai découvert en DVD il y a quelques jours. Je pensais voir un film de guerre, sans doute intimiste, mais un film de guerre quand même. La première scène chantée, qui arrive au bout de 20 minutes environ et à laquelle je ne m’attendais pas du tout, fait soudain passer le film du statut de drame en temps de guerre à celui de drame onirique : c’est un virage complètement inattendu. Le spectateur peut alors sortir du film pour ne plus y rentrer ou alors, comme moi, plonger avec émerveillement dans son étonnante narration. J'ai tout aimé : le scénario, les acteurs (Sylvie Testud m’énerve assez souvent mais ici, elle est parfaite et Pascal Greggory est excellent comme toujours), la photographie, le travail sur la couleur et les splendides scènes de nuit, la composition très picturale des images, les références aux films classiques comme la très belle descente nocturne de la rivière en radeau qui évoque fortement La Nuit du Chasseur, l'audace de ces scènes impromptues chantées par des comédiens non-chanteurs (et ça marche, une fois le premier moment de surprise passé), l'intense poésie de l'ensemble, la très belle fin...

Le film a apparemment divisé les spectateurs et la critique à cause de son point de vue tellement original et qui a pu sembler poseur. C’est pourtant ce qui le rend si fascinant : si la narration avait été classique, La France aurait été un film de plus sur la Guerre de 14, avec un twist un peu gratuit de travestissement qui finalement, aurait sans doute été vite éventé. Le culot du mélange des genres (guerre, mélodrame, musical) que la scénariste Axelle Ropert et le réalisateur Serge Bozon ont osé proposer donne à leur film une identité unique, d’une exceptionnelle fraîcheur. Quant aux questions qu’on peut légitimement se poser sur l'histoire racontée, ses bizarreries et ses incohérences, je pense qu'on peut en avoir chacun sa propre interprétation. C’est ce qui fait que le film est si riche et si beau. Je me suis moi aussi posé quelques questions à la fin mais j'ai fini par trouver mon explication, qui me satisfait et qui en entretient le rêve :

Attention SPOILERS !

Le personnage incarné par Sylvie Testud, ravagé par la lettre de son mari parti au front, se déguise en garçon pour partir le retrouver. Pour se rassurer et avancer dans son dangereux voyage, elle imagine qu'elle rencontre un petit bataillon de soldats avec lequel elle peut faire la route. Elle est pourtant seule jusqu'aux retrouvailles avec son mari, sauf lors des scènes des rencontres avec quelques tiers (le père et son fils, l'informateur, les allemands...). Le film presque entier est donc le périple d'une jeune femme amoureuse prête à tous les dangers pour retrouver son mari, mais un périple vu de son propre point de vue, où l’imaginaire l’emporte sur la réalité. Ses compagnons de voyage n’existent que dans son imagination mais ils lui permettent d’avoir la force physique et surtout mentale de réussir son coup d'audace en limitant sa terreur de marcher seule vers le front. Plusieurs scènes m'incitent à penser le film comme çà, notamment ces fameuses scènes chantées et celle, si étrangement belle, où les soldats sont dans les branches d'un arbre, comme le Chat de Chester d'Alice. La France serait donc d'abord et avant tout une histoire onirique, aux frontières du fantastique.

Un très beau film qui semble être passé rapidement à la trappe malgré son prix Jean Vigo 2007, La France (un titre énigmatique, à l’image du film dans son ensemble) mérite d'être redécouvert. C'est un des mes grands coups de cœur récent, vraiment.

29 janvier 2009

Return to Peyton Place (José Ferrer, 1961)


L'autre jour, il neigeait sur Paris comme sur Peyton Place : c'était le bon moment pour passer une matinée paresseuse avec Return to Peyton Place (Retourne à Peyton Place !), la suite du grand mélo de Mark Robson. Un très bon moment effectivement, le film semblant fait pour ce temps qui donne envie de rester chez soi.

Il y a plein de plaisirs dans Return to Peyton Place, le moindre d'entre eux n'étant pas celui de reprendre tous les personnages du premier film en les faisant jouer par des acteurs tous différents, comme si ils étaient passés comme un seul homme entre les mains d'un chirurgien esthétique radical entre les deux films. C'est surprenant, c'est marrant. Il a aussi la fameuse grammaire mélodramatique appliquée à la lettre (voir le post consacré à Madame X sur ce blog), ce qui est toujours une occasion de grands bonheurs sémantiques. Il y a le Cinémascope et le Technicolor. Il y a ensuite l'effet de miroir entre ce que le film raconte et ce qui est vraiment arrivé à la pauvre Grace Metalious (l'auteure du roman "Peyton Place" et sa suite), mise au ban de la société de sa petite ville de province suite au succès à scandale de son livre (qui fut quand même en son temps, dit-on, le second livre le plus vendu au monde après la Bible) : Grace avait pourtant du nez, sa dénonciation de la bigoterie des puritains américains est bien vue et toujours valide, près de 50 ans plus tard. Et bien sûr, il y a Mary Astor, qui vampirise chaque scène dans laquelle elle apparaît : son rôle de mère abusive et réactionnaire se prêterait à tous les excès mais Mary Astor (quelle actrice géniale !) sait garder la mesure d'équilibre qui la rend plus effrayante encore que si elle était tombée dans l'outrance : sa dernière scène est un modèle d'understatement, une perfection.

L'acteur José Ferrer s'essaye à la réalisation correctement, c'est ni bien ni mal. Mail il y a quand même deux grosses faiblesses dans Return to Peyton Place, toutes deux liées aux limites d'acteurs. Carol Lynley ne sait tout simplement pas jouer (la seule fois où je l'ai appréciée est dans L'Aventure du Poséidon, où son rôle n'implique pas de savoir jouer) et plombe toutes ses scènes, ce qui est dommage quand on a le premier rôle. Et Jeff Chandler, en éditeur malin, ne semble pas à son aise, emprunté et peu convaincant. J'aurais préféré Joan Crawford, qui aurait d'ailleurs pu y prolonger son rôle de The Best of Everything, un autre mélo d'enfer (cf. le post dédié à ce film aussi sur ce blog) dont quelques accords de la musique sont étonnament utilisés dans la scène de la party de Return to Peyton Place. Il y aurait eu un piment supplémentaire. Tiens à propos de Crawford et Chandler, quand sortiront-ils enfin Female on the Beach (La Femelle sur la Plage) en DVD ?

Bref, Return to Peyton Place, s'il n'atteint pas les sommets de Peyton Place (pour ceux qui aiment ce genre, je comprend qu'il y ait de la résistance) ne mérite pas l'opprobe dont il est vêtu : je ne l'aurais sans doute moi-même pas vu sans une occasion inattendue. C'est une suite très décente d'un mélo difficilement égalabale, une suite qui dit des choses très justes sur les sociétés confinées, l'hypocrisie et les moyens de la défaire. Et puis, Mary Astor en mégère...

A Summer Place (Delmer Daves, 1959)


Après avoir réalisé principalement des films noirs, des films de guerre et des westerns depuis le milieu des années 40, Delmer Daves effectua un virage à 180° en 1959 avec A Summer Place (Ils n’ont que vingt ans), un surprenant mélodrame qui connut un succès immense, remplit à ras bord les caisses de la Warner, fit pour un temps de Sandra Dee et de Troy Donahue les chouchous de l’Amérique et modifia en profondeur les règles de censure morale du cinéma grand public hollywoodien.

En 1959, sur une petite île de la côte Est des Etats-Unis, les Hunter (Arthur Kennedy & Dorothy McGuire) et leur fils Johnny (Troy Donahue), propriétaires d’un hôtel sur le déclin, reçoivent la visite des Jorgenson (Richard Egan & Constance Ford) et de leur fille Molly (Sandra Dee), nouveaux riches qui ont décidé de passer quelques jours de vacances au bord de la mer. Seulement Ken Jorgenson, brillant homme d’affaires, était vingt ans auparavant un simple employé de l’hôtel géré par les grands-parents Hunter et l’amant de Sylvia Hunter : le séjour ravive la flamme entre les anciens tourtereaux, déclenche l’hystérie de la frigide Mme Jorgenson et aggrave l’alcoolisme de Mr. Hunter. Pour empirer les choses, les rejetons des deux couples tombent amoureux l’un de l’autre, flirtent dès le premier soir, passent une nuit dehors et brisent les ambitions sociales de Mme Jorgenson, qui rêve d’un beau mariage d’argent pour sa fille. Rancœurs, haines et insultes fusent parmi les adultes tandis que les enfants envisagent une fugue pour vivre tranquillement leur passion nouvelle…

A Summer Place vogue évidemment sur le succès de Peyton Place (Mark Robson, 1957) et comme lui, invite le spectateur, par le biais du mélodrame, à entrer dans la vie intime de ses protagonistes à travers l’évocation de leur sexualité. Ici, l’originalité vient du fait que les deux générations connaissent les bonheurs et les affres du désir : Ken Jorgenson et Sylvia Hunter d’un côté (qui approchent de la cinquantaine et retrouvent avec la passion l’énergie de leur jeunesse passée), Johnny et Molly de l’autre. L’acte sexuel est évoqué à de nombreuses reprises, par les dialogues (notamment de la mère Jorgenson, qui semble lui vouer une véritable phobie) et par des ellipses comme le naufrage des jeunes dans la tempête suivi de leur nuit au clair de lune sur la plage isolée. Le mot « sexe » est prononcé plusieurs fois dans le cours de l’intrigue, ce qui constitue une sorte de précédent dans le cinéma hollywoodien grand public de l’époque et encore aujourd’hui, réussit encore à surprendre dans le contexte formellement « grande production de studio » du film. Plus étonnant encore sont l’évocation de l’adultère consommé des adultes, des thèmes limpides du divorce et du remariage, de la défloration des jeunes filles (par une invraisemblable scène, sans doute le clou du film, où Mme Jorgenson fait examiner la virginité de sa fille par un médecin), de la sexualité des teenagers, conduisant ici à une grossesse prénuptiale… Bien sûr, on est dans un film de 1959 donc le sexe est toujours, dans le scénario, lié au sentiment amoureux, mais en filigrane et pour le spectateur d’aujourd’hui, c’est bien de baise qu’il s’agit et c’est cela qui ne manque pas d’étonner, cinquante ans plus tard. Même si quelques scènes du film, sans doute autrefois sérieuses, ne peuvent que provoquer l’hilarité aujourd’hui par l’emploi d’euphémismes savoureux : Sandra Dee répète à plusieurs reprises qu’elle a été « good » (= qu’elle est toujours vierge) et demande à Troy Donahue s’il a déjà été « bad » avec des filles (= s’il a couché). Le succès d’A Summer Place a en tous cas permis aux films hollywoodiens de commencer à parler de sexualité de façon plus directe et le tournant qu’a représenté en ce sens le début des années 60 au cinéma lui doit sans doute beaucoup.

A Summer Place, au-delà de son scénario culotté, bénéficie d’un excellent casting, notamment les quatre adultes dont deux, Mrs Jorgenson et Mr Hunter sont des stéréotypes de névrotisme et de veulerie tandis que les deux autres, Mr Jorgenson et Mrs Hunter, sont des portraits beaucoup plus nuancés. J’adore particulièrement Constance Ford (Mrs Jorgenson) qui vole la vedette à ses partenaires dans chacune de ses scènes. Ses échanges perfides avec son mari, sa fille et les autres protagonistes de l’histoire, sont de grands moments d’hystérie contenue. Sandra Dee, petit boudin blond à la bouche avenante et à la coiffure bouffante, tire assez bien son épingle du jeu et le « heartthrob » (beau gosse) Troy Donahue joue… comme Troy Donahue, c’est-à-dire de façon très limitée mais sympathique par son application.

La photo, le cinémascope et le technicolor apportent un lyrisme de chaque instant au film, encore amplifié par le magnifique score de Max Steiner, dont le thème principal connut un immense succès et fit entrer la B.O. dans les charts de l’époque. A Summer Place fut un des top-grossers de 1959 et entraina la mise en chantier immédiate de quelques autres mélodrames basés sur la même formule, dont plusieurs (Parrish, Susan Slade, Rome Adventure : tous les trois récemment sortis dans un coffret DVD Z1) furent aussi réalisés par Delmer Daves et interprétés par Troy Donahue, dont ils constituèrent en quelque sorte le bouquet final de la carrière (Donahue continua dans l’alcool, s’en sortit grâce aux AA et mourut oublié en 2001).

Attention SPOILER !

Pour ceux ou celles qui, comme moi, aiment lire entre les lignes des films et les sur-interpréter, A Summer Place réserve aussi une dernière surprise, et de taille celle-là : si on creuse un peu, il n’est pas du tout invraisemblable, compte-tenu de la chronologie de l’histoire des personnages, que Troy soit le fils né de l’ancienne liaison de Mrs Hunter et de Mr Jorgenson. Et donc le demi-frère de Molly. A la fin du film, leur enfant à naître serait donc le fruit d’un inceste. Now, that would really be bad ! Et le vertige nous prend ! En tous cas, pour un film grand public de 1959, c’est du jamais-vu…

Un excellent mélodrame des familles donc, au sens propre et à la moralité salée.

15 janvier 2009

Avant que j'oublie (Jacques Nolot, 2007)


Encore un film que j’ai découvert au hasard d’un topic récent, en parcourant le forum Criterion. Intrigué, j’ai acheté le DVD sur PriceMinister et après quelques semaines de purgatoire dans la pile des galettes abandonnées, j’ai décidé de le regarder il y a quelques jours, Avant que j'oublie. Putain de film !

Pierre va avoir 60 ans et ne le vit pas très bien. C’est un ancien gigolo qui vient de perdre son protecteur de longue date et qui, par négligence, a laissé passer l’héritage confortable qui lui était destiné. L’été de la canicule dans son petit appartement parisien, il fume beaucoup, essaye d’écrire, regarde la télé, fait monter des gigolos réguliers et hésite à commencer une trithérapie après 24 ans de séropositivité sans trop de problèmes. Il sort aussi un peu, pour aller voir des copains de son âge, qui eux aussi ont des soucis d’argent (parce qu’ils en ont trop ou pas assez), de gigolos et de corps qui s’affaissent... Il rencontre l’ex d’un ex qui a fait de la prison puis fortune, un jeune gigolo à qui il donne quelques conseils désabusés et quelques autres personnages qu’il connaît de près ou de loin. Tout ce petit monde discute beaucoup, des regrets du passé, de l’ennui du présent et de l’angoisse du futur dans des pièces aux fenêtres grandes ouvertes ou aux terrasses des cafés aoûtiens…

Avant que j’oublie montre avec un réalisme étonnant une niche de population quasiment jamais représentée dans le cinéma contemporain : celle des "homosexuels célibataires qui approchent de l’âge de la retraite" et qui voient avec inquiétude et cynisme le moment des grandes solitudes et des constats auxquels ils peinent à faire face. Le fait que le personnage principal soit, en plus d'être une vieille pédale (le terme "gay" n'est pas employé une seule fois dans le film), un ancien gigolo qui a eu son heure de gloire, lui donne un supplément d'originalité. Jacques Nolot, visage régulier du cinéma français depuis les années 80 (notamment dans plusieurs films de son pote Téchiné), a écrit et réalisé un film sans doute en partie autobiographique mais qui touche, malgré la spécificité du milieu décrit, à l’universel grâce aux questions qu’il soulève sur le vieillissement et ses effets secondaires, du tarissage des revenus à l’isolement, de la perte d’énergie à la disparition progressive de l’entourage, des soucis de santé aux regrets de ce qu’on n’a pas fait. Dans le cas du personnage du film, pas d’enfants ni de petits-enfants pour occuper ses pensées, pas de chat ni de chien pour lui tenir compagnie, juste la solitude d’un type sur le retour et l’écriture qui ne coule pas de source. Le film est presque exclusivement masculin : deux personnages de femmes, pas franchement sympathiques, apparaissent le temps de deux courtes scènes.

Le film est constitué d’une série de séquences qui racontent à peu près une journée d’été de la vie de Pierre, du petit matin à la nuit tombée. Pierre (joué par Jacques Nolot lui-même, dans une performance stupéfiante de franchise), par ses contacts avec les autres protagonistes de l’histoire, nous évoque de façon très subtile qui il est mais aussi qui il a été et, peut-être, qui il sera. Quelques-unes de ces séquences sont vraiment étonnantes : notamment l'abstraction symbolique du pré-générique (un cercle noir qui dévore peu à peu un fond blanc), la toute première où le corps nu de cet homme de 60 ans est montré sans fausse pudeur et la toute dernière, fin ouverte que je ne dévoilerai pas mais qui est un magnifique moment de cinéma, l’un des plus forts que j’ai vus ces dernières années. Le génie de Nolot en tant que scénariste et réalisateur est d’avoir fait un film grave, parfois désespéré, mais aussi plein de moments d’humour et de ridicule sans aucune trace de caricature (la discussion des michetons sur le prix des gigolos, l’entrée illégale dans l’appartement du mort, le notaire marié qui fait venir des mecs entre deux signatures d'actes…). D'avoir choisi pour la photo, très belle, une lumière crue et solaire qui retire au film toute morbidité. Et d’avoir donné à Pierre une dignité de tous les instants, dans la conversation comme dans la sodomie. Les dialogues sont excellents, ciselés et souvent littéraires (j'ai plusieurs fois pensé à Rohmer) et dits avec panache par les comédiens dont quelques-uns sont des non-professionnels qui jouent leur propre rôle.

Avant que j’oublie n’est évidemment pas destiné à tous les publics (les scènes de sexe, toutes simulées, sont assez crues et les homophobes devraient serrer les dents) mais pour celles et ceux (homos, hétéros et autres) qui aiment les films à la fois dérangeants et sensibles, durs et drôles, écrits et libres, c’est un titre à conseiller sans réserve. C’est à mon avis un des meilleurs films français récents, un des plus audacieux aussi. Dans le bonus du DVD, Nolot dit que « ce film est né d’un besoin de dire ». Il dit, c’est vrai, des choses très justes, mais il a aussi fait un sacré beau film. Et cette fin !

J’ai maintenant très envie de découvrir les deux films de la trilogie de Nolot qui précèdent Avant que j’oublie : La chatte à deux têtes, sur la journée d’un ciné porno et L’arrière-pays, un retour sur le pays de l’enfance et l’adolescence du réalisateur.

Le DVD Z2 édité chez Blaqout est excellent (image et son) / Format 1.66 anamorphique / Sous-titres anglais optionnels / Bonus : Entretien (environ 20 minutes) avec Jacques Nolot + Préface de Serge Toubiana / Durée du film : 1h48

26 octobre 2008

"Les Amis" (Gérard Blain, 1971)


A la fin des années 60, Paul, un garçon de 16 ans qui vit avec sa mère dans un immeuble HLM des boulevards des Maréchaux à Paris, entretient une relation homosexuelle avec Philippe, un riche homme marié de 50 ans qui lui offre l’attention, la tendresse et le confort matériel dont il a toujours été privé.

Ce sujet, très sulfureux pour l’époque (en 1971, Paul est cinq ans sous l'âge légal de 21 ans) et qui garde quelque peu de sa charge subversive quand on le découvre près de quarante ans plus tard, est traité avec austérité par Gérard Blain, l’acteur du Beau Serge, dans "Les Amis", le premier de ses dix films en tant que réalisateur. Scénariste et dialoguiste de son film, Gérard Blain s’est sans doute en partie inspiré de son propre parcours (le père absent, l’abandon de l’école à 13 ans, la séduction du physique, l’appel d’une carrière artistique…) pour raconter l’histoire du jeune Paul, de ses aspirations à une autre vie et de son indépendance rudement acquise.

Admirateur proclamé de Robert Bresson, Gérard Blain choisit de réaliser son film dans un style assez proche de celui de son aîné, à l’aide de plans longs soigneusement composés, d’une caméra la plupart du temps immobile et d’un jeu tout en retenue de ses acteurs. Avec en plus, l’utilisation symbolique des couleurs vives. Etude de caractères plus qu’étude de mœurs, « Les Amis » évite ainsi tous les pièges du sensationnalisme dans lequel le sujet aurait pu le précipiter.

La relation qu’entretiennent Paul et Philippe ouvertement homosexuelle (même si, bien sûr, aucune scène de sexe n’est montrée) mais le propos du film n’est pas seulement là. Il s’agit aussi d’évoquer les désastres que peut entraîner le désert affectif, que ce soit dans les relations entre parents et enfants (Paul, sa mère et sa sœur) ou entre époux (Philippe et sa femme) et des possibilités de solutions que la vie saura toujours proposer, notamment dans les rencontres extérieures. En rencontrant Philippe, qui lui offre l’accès matériel à un monde auquel il n’aurait pu prétendre, Paul trouve aussi la chaleur humaine et le conseil raisonnable qui lui permettent de croire en lui et de prendre, le moment venu, les bonnes décisions pour affronter avec succès le passage à l’âge adulte.

Porté par les remarquables prestations de Yann Favre (Paul) dans un rôle difficile et de Philippe March (Philippe) dans un rôle plus difficile encore, « Les Amis » sait garder du début à la fin la ligne directrice de cette thématique compliquée par le fait que les deux personnages sont masculins. Ce qui ne pourrait être qu’une simple histoire de gigolo (Blain ne cache pas le fait que Philippe entretient Paul, qui lui même entretient sa mère) prend une dimension universelle et devient par l’intelligence du traitement une méditation sur la transmission entre les générations et du besoin qu’on a les uns des autres. La réussite du film tient au fait que les deux personnages, Paul et Philippe, trouvent chacun leur propre équilibre dans la relation de dépendance qu’ils ont engagée. Et par le fait que Gérard Blain se garde d’expliquer ou de juger celle-ci : l’absence de jugement externe sur le rapport des deux hommes est d’ailleurs une des grandes surprises que réserve le film.

Autour des deux personnages principaux en gravitent d’autres, bien croqués par Gérard Blain grâce à une écriture précise de leurs conditions et personnalités : le petit groupe d’amis bourgeois que Paul se constitue lors d’un séjour à Deauville (et notamment de la jeune fille blonde avec laquelle il a une aventure), de la famille de Paul (sa mère, sa sœur et son beau-frère) et surtout du troisième personnage du film, Nicolas (Jean-Claude Dauphin), l’étudiant aux Beaux-Arts qui comprend bien que Philippe n’est pas l’oncle de Paul comme celui-ci le présente et que leur « amitié » cache en fait sa véritable nature. C’est lui qui, à un moment crucial de l’histoire, permettra à Paul de franchir un cap décisif.

Le film prend pour décors plusieurs univers totalement différents : le Paris populaire d’où Paul vient ; la campagne verdoyante où Philippe vit avec sa femme ; Deauville et son théâtre social ; le Neuilly de la bourgeoisie renfermée sur elle-même. Dans ces décors, le thème du théâtre et du jeu reviennent en leitmotiv, d’abord par la métaphore (les usurpations identitaires et les signes extérieurs d’appartenance, comme les vêtements, les appartements et les voitures) puis plus tard, plus directement grâce à la scène de la classe de théâtre qui clôt pratiquement le film.

« Les Amis » (il faut noter que les guillemets font partie intégrante du titre du film) est une œuvre d'une calme audace tout à fait à part dans le paysage cinématographique français du début des années 70. Présenté en Sélection Officielle à Cannes en 1971, « Les Amis » a remporté le Léopard d’Or au Festival de Locarno 1971 dans la catégorie « Meilleure Première Œuvre». Gérard Blain continuera à explorer certaines des mêmes thématiques dans ses films suivants, notamment avec Un Enfant dans la Foule, en 1976. Intéressante partition de François de Roubaix, notamment à base de voix.
En regardant le film l'autre jour, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à une brillante réplique de Certains l'Aiment Chaud, film avec lequel "Les Amis" n'a évidemment strictement rien à voir : à un moment, Tony Curtis demande à Jack Lemmon quelque chose comme "Pourquoi un homme épouserait-il un homme ?". Le réponse, imparable : "La sécurité !". Si "Les Amis" avait été une comédie, ça l'aurait assez bien défini...

C’est tout à l’honneur de René Château que d’avoir sorti « Les Amis » de l’oubli dans lequel il était tombé en l’éditant en DVD (je n'avais jamais entendu parler de ce film avant de la voir). Techniquement, le DVD est du pur René Château : pas de chapitrage, une image non-anamorphique, un son parfois un peu saturé et aucun supplément. Mais la qualité de la copie utilisée est excellente, les couleurs sont vibrantes et la compression est impeccable.

24 octobre 2008

Girl in Gold Boots (Ted V. Mikels, 1968)


Une brune aux airs d’héroïne de série Z (c'en est d'ailleurs une) qui se morfond dans son job de serveuse de dinner dans le désert en passant son temps à danser seule sur des tubes de juke-box et qui rêve d’aller faire carrière de Go-Go Girl à Los Angeles : c’est le début de ce film fort sympathique, sans doute le plus accessible et regardable d’un des rois de l’exploitation américaine, Ted V. Mikels. Elle y réussira, après avoir rencontré un beau parleur qui connaît le patron d’une boîte louche où les filles se trémoussent sur les chansons d’un groupe pop de troisième zone. La brune gravira tous les échelons du métier de Go-Go Girl, prise en amitié puis en détestation par la meneuse du groupe, la seule des filles chaussée de bottes dorées (d’où le titre), toutes les autres portant des bottes argentées. Elle croisera sur le chemin du succès un bellâtre guitariste en mal de producteur (dont elle tombera amoureuse au grand dam de son protecteur), quelques crapules, des drogués, des types de la mafia locale et un flic un peu trop entreprenant…

Je n’avais bien sûr jamais entendu parler de Girl in Gold Boots avant de lire quelques avis amusés sur des blogs de cinéma-bis. Le thème de la Go-Go Girl en péril est sans doute l’un des plus intéressants du cinéma d’exploitation non horrifique dont il mélange toujours plusieurs principes fondamentaux : les belles pépées peu vêtues qui savent remuer en cadence tout ce qui bouge, les morceaux pop-rock inconnus, les maquereaux sapés, les flingues et les poursuites en voiture. Girl in Gold Boots n’échappe pas à la règle : il en suit même à la lettre les principes sacrés. Comme il s’agit d’un film de 1968, les fringues, les coiffures, les couleurs et la bande-originale sont un régal, pour les yeux et les oreilles. Ca pourrait être un film d’Elvis (il aurait juste fallu un peu plus de moyens et la présence du King), le héros étant ici un ersatz de Presley au demeurant très sympathique. Quelques gueules sont la cerise sur le gâteau, comme celle de l’homme de main du patron de la boîte de nuit, sérieux comme un pape mais affligé de tics oculaires hilarants.

Je n’ai reconnu aucun des acteurs du film, dont pas un n’a fait brillante carrière (ils ont plutôt la tête d’acteurs de séries TV de l’époque), mais j’ai tout de suite noté la présence magnétique de l’actrice principale, une certaine Leslie McRae, improbable croisement de Jennifer Jones et d’Angelina Jolie. La belle plante brune ne sait pas jouer ni danser (elle surjoue et surdanse toutes ses scènes) mais quand elle est à l’écran, on ne voit qu’elle : son charisme physique et son investissement de toute évidence sincère dans le rôle de sa vie forcent le respect à défaut de la crédibilité. Rien que pour elle, le film est à voir.

Le réalisateur Ted V. Mikels, vieux briscard du cinéma-bis (qui, si cela vous intéresse, vend ses DVD dédicacés pour pas grand-chose sur son site web), ne fait pas preuve d’une grande imagination dans les séquences filmées ni le travail de montage, mais réussit quand même quelques belles prises de vues, comme les plans en plongées et en rythme sur les fesses ou les seins de la petite troupe de Go-Go Girls en action. Il a aussi eu la bonne idée d’utiliser des décors naturels du Los Angeles de l’époque, avec ses quartiers un peu louches, ses néons dans la nuit, ses boîtes aux décors kitschs à souhait (le fameux "Hollywood’s Haunted House Club" est d'ailleurs celle où se produisent les Go-Go Girls) et ses parkings à perte de vue. Dans une audace de scénario assez culottée pour un film aussi léger, il se permet même une fin douce-amère où plane l’ombre de la Guerre du Vietnam.

Girl in Gold Boots est un petit film qui se déguste sans doute avec encore plus de plaisir 40 ans après sa réalisation qu’au premier jour : finalement innocent et plutôt stylé, il est l’exemple sympathique d’un certain cinéma des la fin des années 60, plus destiné au drive-in qu’à la salle obscure. Le sexe, la violence et la musique y sont encore bon-enfants. Et ce n’est pas dépréciatif. Dans le genre, c'est même une sorte de petit chef-d'oeuvre.

Girl en Gold Boots est également digne d'intérêt pour une autre raison : le film a de toute évidence inspiré le formidable Showgirls de Paul Verhoeven, dont il préfigure, avec 30 ans d’avance et beaucoup plus de retenue, la plupart des péripéties mélodramatiques. Une bonne descendance, en somme.