Viva est un film dont je ne savais pas trop quoi penser juste après l’avoir découvert. J’en avais entendu parler il y a quelques mois en surfant sur le web et ses photos, sa bande-annonce et son sujet m’avaient furieusement donné envie de le voir : un pastiche des films d’exploitation du début des Seventies sur la Révolution Sexuelle, écrit et réalisé par une femme, figure de l’Underground californien, ça devait être quelque chose ! Au final, après l’avoir vu dans son édition DVD Z1 tout juste sortie chez Cult Epics, je ne pouvais que m’interroger. Maintenant, après plusieurs jours de décantation, voici mes pensées sur Viva.
Barbi Smith est une jeune épouse au foyer désœuvrée qui se laisse entraîner par sa voisine dévergondée dans une descente aux enfers de la luxure dans le Los Angeles de la fin des années 60. Prenant Viva comme pseudonyme (comme dans « Viva la vida ! »), elle goûte au lesbianisme, à la prostitution, au nudisme, à la partouze et à la danse du ventre. Chemin faisant elle rencontre une ronde de personnages hauts en couleurs : une mère-maquerelle, un micheton sur le retour, un coiffeur flamboyant, un play-boy photographe à l'accent français… et creuse l’écart avec son mari qui a du mal à accepter la nouvelle liberté sexuelle de sa femme.
Résumé comme ça, le scénario de Viva évoque évidemment ceux des films de Russ Meyer, Radley Metzger ou Doris Wishman. Mais ces illustres modèles du cinéma-bis ont réalisé le meilleur de leurs bizarreries dans les années 1960 ou 1970, alors quel intérêt y avait-t-il à marcher dans leurs pas 40 ans plus tard ? On comprendrait si Viva y allait franchement avec les scènes de cul ou s’il en retournait tous les clichés pour en subvertir la subversion. Ou encore s’il était un manifeste féministe. Or, il n’en est rien : le film d’Anna Biller est d’une discrétion extrême dans la description du sexe, assume le respect canonique avec lequel il reprend les codes de ses lointains prédécesseurs et n’est pas du tout politique. Et si l’humour, auquel on serait en droit de s’attendre, est bien présent, c’est à dose homéopathique. C’est donc ailleurs qu’il faut aller chercher l’originalité et l’intérêt du film.
Il semble bien en effet que l’originalité de Viva soit dans le genre même du film qu’il est : faussement présenté comme une fiction qui serait une comédie, une Sexploitation ou un pastiche, le film est plutôt à classer dans le genre du film d’art et serait plus à sa place en projection dans une salle du MoMA, de la Tate Modern ou du Centre Pompidou que dans celle d’un cinéma commercial. Anna Biller, qui a écrit, réalisé, monté et produit Viva et qui s’est aussi occupée du casting, des décors, des costumes et s’en est attribuée le rôle-titre (rien que çà !), en a donc fait une œuvre entièrement personnelle : une œuvre d’art contemporaine bien plus qu’un film au sens habituel du terme.
L’exactitude du détail des décors et costumes qui confine à l’obsession (Anna Biller avoue qu’elle a passé deux années à chiner dans les brocantes et autres Armées du Salut les costumes, meubles et accessoires qu’on voit dans Viva), la distance émotionnelle qu’on ressent à la vision du film (essentiellement provoqué par le jeu des acteurs aux expressions et au langage corporel très simplifiés ainsi qu’à l’élocution étonnamment artificielle), le travail saisissant sur la couleur dont les tons forcés éclatent à chaque instant et sur la composition visuelle des plans, qui pourraient souvent passer, isolés dans des captures, pour des images photographiques ou picturales venues tout droit du Pop Art… tous ces éléments conjugués donnent au film sa surprenante identité. Viva explore encore plus loin la voie du post-modernisme (car c’est un exemple parfait de film post-moderne) que Far from Heaven de Todd Haynes, un film avec lequel il a bien des points communs. Mais alors que Far from Heaven conservait une charge émotionnelle qui lui faisait garder un pied dans le genre du mélodrame Fifties auquel il rendait hommage, Viva ne cherche à conserver que l’essence des films d’exploitation des Seventies : il en dépiaute tous les éléments et nous les présente, froidement disséqués, dans une vitrine de verre.
La première vision de Viva n’est donc pas forcément une expérience réussie : le film n’est pas du tout celui auquel on serait en droit de s’attendre. Ce n’est pas un film de Sexploitation, c’est une réflexion sur les codes de la Sexploitation ; ce n’est pas un pastiche des films du début des années 70, c’est un travail d'étude sur ces films. Et avant tout, ce n’est pas un film de fiction, c’est un film conceptuel : une nuance de genre qui a une sacrée importance. Une fois qu’on a compris et accepté ce point de vue, Viva devient une œuvre vraiment passionnante en plus d’être totalement originale. Un petit défaut cependant : d’une durée de deux heures, le film est un peu long (les meilleurs concepts sont toujours les plus courts) et n'aurait pas souffert de quelques coupes.
La fantasque Anna Biller (une américaine au physique par ailleurs très étonnant, mélange probable d’asiatique et de caucasien mâtiné d'hispanique) dont Viva est le premier long-métrage après une série de courts, a pris un gros risque avec son étrange projet et c’est tout à son honneur. Archétype du film indépendant, il n’aura pas eu la primeur d’une distribution globale mais semble avoir acquis une réputation flatteuse dans les festivals qui l’ont projeté. A terme, Viva pourrait bien devenir un film-culte et/ou entrer dans les collections de musées d’art contemporain, ce qui serait après tout un sort mérité. Pour le spectateur qui le découvre aujourd’hui en DVD, la première surprise (et déception) passées, c’est l’hallucinante reconstitution de l’esprit et de l’identité visuelle des films des années Pop qui s’impose. En regardant la bande-annonce du film, seul un œil bien exercé peut dire s’il s’agit d’un film du début des années 70 ou d’un film actuel : la longue traque aux objets vintage à laquelle Anna Biller s’est livrée avant de commencer à tourner s’est avérée payante. Peu de films à ma connaissance ont réussi à aller aussi loin dans la restitution de l'esprit d'une époque. A plus d'un titre, Viva est vraiment drôle de création qui, sous l'apparence d'un film, cache en fait une performance.
Barbi Smith est une jeune épouse au foyer désœuvrée qui se laisse entraîner par sa voisine dévergondée dans une descente aux enfers de la luxure dans le Los Angeles de la fin des années 60. Prenant Viva comme pseudonyme (comme dans « Viva la vida ! »), elle goûte au lesbianisme, à la prostitution, au nudisme, à la partouze et à la danse du ventre. Chemin faisant elle rencontre une ronde de personnages hauts en couleurs : une mère-maquerelle, un micheton sur le retour, un coiffeur flamboyant, un play-boy photographe à l'accent français… et creuse l’écart avec son mari qui a du mal à accepter la nouvelle liberté sexuelle de sa femme.
Résumé comme ça, le scénario de Viva évoque évidemment ceux des films de Russ Meyer, Radley Metzger ou Doris Wishman. Mais ces illustres modèles du cinéma-bis ont réalisé le meilleur de leurs bizarreries dans les années 1960 ou 1970, alors quel intérêt y avait-t-il à marcher dans leurs pas 40 ans plus tard ? On comprendrait si Viva y allait franchement avec les scènes de cul ou s’il en retournait tous les clichés pour en subvertir la subversion. Ou encore s’il était un manifeste féministe. Or, il n’en est rien : le film d’Anna Biller est d’une discrétion extrême dans la description du sexe, assume le respect canonique avec lequel il reprend les codes de ses lointains prédécesseurs et n’est pas du tout politique. Et si l’humour, auquel on serait en droit de s’attendre, est bien présent, c’est à dose homéopathique. C’est donc ailleurs qu’il faut aller chercher l’originalité et l’intérêt du film.
Il semble bien en effet que l’originalité de Viva soit dans le genre même du film qu’il est : faussement présenté comme une fiction qui serait une comédie, une Sexploitation ou un pastiche, le film est plutôt à classer dans le genre du film d’art et serait plus à sa place en projection dans une salle du MoMA, de la Tate Modern ou du Centre Pompidou que dans celle d’un cinéma commercial. Anna Biller, qui a écrit, réalisé, monté et produit Viva et qui s’est aussi occupée du casting, des décors, des costumes et s’en est attribuée le rôle-titre (rien que çà !), en a donc fait une œuvre entièrement personnelle : une œuvre d’art contemporaine bien plus qu’un film au sens habituel du terme.
L’exactitude du détail des décors et costumes qui confine à l’obsession (Anna Biller avoue qu’elle a passé deux années à chiner dans les brocantes et autres Armées du Salut les costumes, meubles et accessoires qu’on voit dans Viva), la distance émotionnelle qu’on ressent à la vision du film (essentiellement provoqué par le jeu des acteurs aux expressions et au langage corporel très simplifiés ainsi qu’à l’élocution étonnamment artificielle), le travail saisissant sur la couleur dont les tons forcés éclatent à chaque instant et sur la composition visuelle des plans, qui pourraient souvent passer, isolés dans des captures, pour des images photographiques ou picturales venues tout droit du Pop Art… tous ces éléments conjugués donnent au film sa surprenante identité. Viva explore encore plus loin la voie du post-modernisme (car c’est un exemple parfait de film post-moderne) que Far from Heaven de Todd Haynes, un film avec lequel il a bien des points communs. Mais alors que Far from Heaven conservait une charge émotionnelle qui lui faisait garder un pied dans le genre du mélodrame Fifties auquel il rendait hommage, Viva ne cherche à conserver que l’essence des films d’exploitation des Seventies : il en dépiaute tous les éléments et nous les présente, froidement disséqués, dans une vitrine de verre.
La première vision de Viva n’est donc pas forcément une expérience réussie : le film n’est pas du tout celui auquel on serait en droit de s’attendre. Ce n’est pas un film de Sexploitation, c’est une réflexion sur les codes de la Sexploitation ; ce n’est pas un pastiche des films du début des années 70, c’est un travail d'étude sur ces films. Et avant tout, ce n’est pas un film de fiction, c’est un film conceptuel : une nuance de genre qui a une sacrée importance. Une fois qu’on a compris et accepté ce point de vue, Viva devient une œuvre vraiment passionnante en plus d’être totalement originale. Un petit défaut cependant : d’une durée de deux heures, le film est un peu long (les meilleurs concepts sont toujours les plus courts) et n'aurait pas souffert de quelques coupes.
La fantasque Anna Biller (une américaine au physique par ailleurs très étonnant, mélange probable d’asiatique et de caucasien mâtiné d'hispanique) dont Viva est le premier long-métrage après une série de courts, a pris un gros risque avec son étrange projet et c’est tout à son honneur. Archétype du film indépendant, il n’aura pas eu la primeur d’une distribution globale mais semble avoir acquis une réputation flatteuse dans les festivals qui l’ont projeté. A terme, Viva pourrait bien devenir un film-culte et/ou entrer dans les collections de musées d’art contemporain, ce qui serait après tout un sort mérité. Pour le spectateur qui le découvre aujourd’hui en DVD, la première surprise (et déception) passées, c’est l’hallucinante reconstitution de l’esprit et de l’identité visuelle des films des années Pop qui s’impose. En regardant la bande-annonce du film, seul un œil bien exercé peut dire s’il s’agit d’un film du début des années 70 ou d’un film actuel : la longue traque aux objets vintage à laquelle Anna Biller s’est livrée avant de commencer à tourner s’est avérée payante. Peu de films à ma connaissance ont réussi à aller aussi loin dans la restitution de l'esprit d'une époque. A plus d'un titre, Viva est vraiment drôle de création qui, sous l'apparence d'un film, cache en fait une performance.
Un film qui m'était inconnu, et que je vais commander de ce pas... La bande-annonce trahit néanmoins à plusieurs reprises son origine contemporaine : certains cadrages un poil trop amples, et certains éclairages, ne trompent pas, malgré les artefacts 60's... On trouve la même volonté mystificatrice dans le "PERVERT !" de Jonathan YURIS (qui est franchement Sexploitation, lui...)
RépondreSupprimerMerci pour cette découverte, en tout cas...
Bien sûr, des yeux entraînés comme les nôtres ne sauraient être pris en défaut par les artifices contemporains de "Viva" : l'étude détaillée de ce qui, dans le film, ne pourrait pas venir des années 60 en est d'ailleurs un des plaisirs. J'ignorais tout de "Pervert!" mais au vu du trailer, ce film semble être un pur produit-pastiche, ce que "Viva" n'est en fin de compte pas du tout. Bon visionnage en tous cas quand vous aurez reçu la galette!
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