3 avril 2009

Walking Distance (Rod Serling, 1959)

Martin Sloan, adulte, rencontre Martin Sloan, enfant, dans l'épisode de "The Twilight Zone" : Walking Distance.

A chaque fois, c’est la même chose. Je mets le DVD dans le lecteur et je sélectionne l’épisode n° 5 de la première saison de "The Twilight Zone" : Walking Distance. Quel que soit l’état d’esprit dans lequel je commence à regarder les 25 minutes du court-métrage, je termine le visionnage dans un état proche de la serpillère. Je me suis souvent demandé comment un petit film comme celui-là, qui est passé pour la première fois à la télé US il y a maintenant 50 ans, pouvait provoquer chez moi tant d’émotion, tant de sentiment mélancolique. Je m’en doute un peu et je préfère ne pas creuser trop loin mais comme apparemment, je suis loin d’être le seul, je ne m’inquiète pas outre mesure : Walking Distance est simplement, et c’est ce qui compte, l’un des mes films préférés.

Walking Distance a été diffusé pour la première fois le 30 octobre 1959 sur CBS. Depuis, comme pour l’ensemble de la série "The Twilight Zone" ("La Quatrième Dimension"), il ne doit pas y avoir eu un jour sans qu'il soit rediffusé dans un des pays du monde. La série dans son intégralité (je parle de la série originale de 156 épisodes en noir et blanc, entre 1959 et 1964) est, au sens propre, extraordinaire par son originalité, son inventivité, ses talents impliqués et sa charge métaphysique, tous inédits à la télé à l’époque de sa création. Il y a tant d’épisodes remarquables, inoubliables : "It’s a Good Life", "The Monsters are due on Maple Street", "Living Doll", "The Eye of the Beholder"… et tellement d’autres. Mais aucun, tout au moins pour moi, n’atteint la puissance de Walking Distance. L’histoire de cet épisode est pourtant d’une grande simplicité.

Martin Sloan, 36 ans, est responsable de la communication d’une entreprise à Manhattan. Un jour, accablé par la pression professionnelle, il part faire un tour en voiture en dehors de la ville pour se changer les idées et remarque près de la station-service dans laquelle il s’est arrêté un panneau qui indique « Homewood ». C’est le nom de la petite ville où il a grandi et dans laquelle il n’est pas retourné depuis 25 ans. Comme ce n’est qu’à 1.5 miles de la station-service (à « walking distance ») il décide d’y aller à pied. Arrivé à Homewood, il se rend compte qu’il n’a pas seulement franchi 1.5 miles mais qu’il est aussi revenu plus de 25 ans en arrière, à l’époque de son enfance. Il retrouve les rues, les boutiques, le manège de chevaux de bois, les gens qu’il connaissait autrefois et va frapper à la porte de sa maison. Ses parents lui ouvrent la porte, ne reconnaissant bien sûr pas leur jeune fils qui est maintenant un homme et le prennent pour un cinglé. Puis il se rencontre lui-même, tel qu’il était quand il avait une dizaine d’années. Bouleversé par la situation, il provoque malgré lui un accident qui blesse l’enfant. Son père vient lui parler et, comprenant, qu’il s’adresse à son fils adulte revenu du futur, lui demande affectueusement de quitter les lieux, parce qu’il n’a « rien à faire ici ». Martin Sloan dit au revoir à son père et reprend la route de la station-service, en boitant de la jambe que l’enfant qu’il était vient de blesser. Martin Sloan venait de faire un court voyage dans "The Twilight Zone".

Les histoires de voyage dans le temps m’ont toujours fasciné mais la plupart cèdent au spectaculaire ou aux complexités du concept. Walking Distance, et c’est sa force, se concentre sur l’aventure humaine et émotionnelle de son personnage sans s’encombrer d’effets de mise en abîme ou de péripéties paradoxales. Il nous montre un type qui se retrouve, pour quelques heures, adulte dans son propre temps d’avant : sur le perron de la maison où il a grandi, à portée de bras de ses parents morts depuis longtemps, à l’époque des possibles et pour lui, de l’insouciance. Il lui revient les sensations du goût d’une crème glacée, d’un air de juke-box, de la pétarade d’une voiture ancienne. Et avec tout cela, le sentiment physique et métaphysique du temps qui s’est écoulé, des choses qui ont grandi et de celles qui se sont écroulées. Chacun de nous s’est sans doute un jour demandé comment il serait, ce qu’il dirait à ces gens autrefois proches, famille, amis, voisins, collègues, qui ne font plus partie de son univers s’il pouvait les retrouver, tels qu’auparavant. Walking Distance, sans appuyer sur aucun effet facile, nous en donne, très subtilement, une des réponses.

Bien sûr, si on creuse un peu le scénario de Walking Distance, les faiblesses de l’histoire apparaissent. Rod Serling (1924-1975), le génial créateur de "The Twilight Zone" et le scénariste de nombreux épisodes, dont celui-ci, le dit lui-même dans l’enregistrement d’une conférence qui fait office de commentaire sur le DVD : l’histoire aurait du trouver son apogée au moment de la rencontre entre Sloan et ses parents (comment dépasser émotionnellement une telle scène ?), pourquoi Sloan ne boîte-t-il pas au début de l’histoire mais seulement à la fin si sa jambe a été accidentée dans son enfance ?… Ces éléments, dit Serling, n’ont pas été assez travaillés et s’il avait pu, comme son héros, revenir en arrière, sans doute aurait-il apporté quelques modifications à son scénario. Mais tout cela n’est pas bien important : au final, Walking Distance reste le plus bouleversant épisode de "The Twilight Zone". De l’aveu de Rod Serling, c’est le scénario le plus personnel et le plus intime qu’il ait jamais écrit pour la série, Homewood étant la contrepartie de sa propre ville d'enfance, Binghamton : une histoire simple qui ne peut que toucher une corde sensible chez le spectateur impliqué parce qu’elle lui chuchote, au détour d’un épisode de série télé, les vérités les plus universelles.

Pour la petite histoire (mais qui ajoute au plaisir intarissable de Walking Distance), on peut ajouter que la rue de Homewood dans laquelle revient Sloan est celle de la maison de la famille de Judy Garland dans Meet Me in St. Louis (1944) de Minnelli puisque l’épisode a été tourné sur un backlot de la MGM ; que la musique est de Bernard Herrmann (et reprend des accords de celle de Vertigo de Hitchcock, autre film sur le temps et la mémoire réalisé l’année précédente) et qu’on y retrouve le petit Ron(ny) Howard, le futur réalisateur de blockbusters, le temps d’une courte scène. Robert Stevens a réalisé l'épisode mais c'est bien l'esprit de Rod Serling qui le survole à chaque seconde.

Enfin, il faut saluer le jeu de Gig Young (Martin Sloan adulte), un acteur toujours excellent qui reçut l’Oscar 1969 pour le rôle du MC dans On Achève bien les Chevaux : il donne la profondeur nécessaire à son personnage et ce faisant, assure en grande partie la puissance émotionnelle de l’épisode : si dans Walking Distance, le personnage incarné par Gig Young découvre à ses dépens qu’on ne peut pas, qu’on ne doit pas retourner dans le passé, l’acteur ne pouvait pas savoir que dans son propre futur, son histoire aurait une bien triste fin puisqu’un jour de 1978, il tua sa jeune épouse avant de se suicider dans leur appartement new-yorkais. Ce jour-là, lui aussi passa sans doute dans "The Twilight Zone", mais cette fois, ce n’était pas du cinéma et il n’y eut personne pour lui dire de rentrer tranquillement chez lui.

Il faut voir et revoir Walking Distance, cet extraordinaire épisode d'une extraordinaire série télé : rarement 25 minutes de télévision ont-elles été si bien exploitées. Et pour moi, l'image, au début, du reflet dans le miroir de Martin Sloane qui s'éloigne sur la route menant à Homewood sur les accords de Bernard Herrmann est sans nul doute l'une des plus belles du cinéma.

5 commentaires:

  1. Belle découverte que je viens de faire là, depuis le blogue de BBJane.
    J'adorais "The Twilight Zone", qui passait régulièrement à la télé à la fin des années 80 — sur la toute première M6, il me semble — mais je n'ai pas souvenir de cet épisode.
    En tous cas, voilà une belle analyse qui donne envie de revenir ;))

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  2. Merci Deef! Si vous adoriez The Twilight Zone, cet épisode devrait vous plaire : il concentre le meilleur de la série.

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  3. C'est également mon épisode préféré de la série. J'ai bien dû le voir 40 fois... Et la musique d'Herrmann fait depuis longtemps partie de la bande-originale de ma petite existence (je ne compte plus le nombre d'écoutes du CD...)
    Je n'aime guère les scripts de Serling pour la série, généralement assez moralisateurs et prévisibles, mais celui-ci possède une touche "bradburyenne" qui m'émeut beaucoup...

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  4. J'ajoute que ça me fait plaisir de retrouver Deef ici...

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  5. bbjane, je vous trouve un peu sévère avec les scripts de Serling.

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