20 septembre 2008

Addio Zio Tom (Jacopetti & Prosperi, 1971)


Addio Zio Tom (Les Négriers) est un film dont je n'avais jamais entendu parler mais dont j'ai trouvé le DVD en fouinant dans une boutique d'occase. Je ne l'ai pas pris (parce j'ai d'abord pensé que ca devait être un sacré navet) mais en rentrant chez moi je suis quand même allé voir sur Internet ce qu'on disait du film. J'ai alors immédiatemment appelé la boutique pour qu'ils me le mettent de côté. Le lendemain, je l'avais en mains et j'ai finalement vu Addio Zio Tom. 136 minutes que je ne suis pas près d'oublier !

Le film a été réalisé en 1971 par les italiens Gualtierro Jacopetti et Franco Prosperi, qui s'étaient faits connaître en 1962 avec leur sulfureux documentaire Mondo Cane. Addio Zio Tom est un faux documentaire sur l'esclavage aux USA dans les années 1830.

C'est aussi un film conceptuel : en 1971, une équipe de réalisateurs de documentaires s'envole en hélico et atterrit dans le Sud des Etats-Unis cent-quarante ans auparavant. Ils peuvent donc filmer ce dont tout le monde a entendu parler, a lu mais n'a jamais vu : les horreurs de l'esclavage dans les plantations de la Louisiane, Géorgie, Mississippi... Ils ramènent au XXe siècle 2 heures d'images-témoins qui montrent en détail : le transport des esclaves depuis l'Afrique, leur arrivée et dépouillage dans le Sud, leur vente sur les marchés aux esclaves, leur conditions de vie et d'exploitation sur les plantations, leurs rapports avec leurs maîtres et entre eux, leurs reproduction dans les fermes à esclaves, leurs révoltes, etc...

Le film commence et finit par un brûlot politique : des vues d'actualité sur la situation des Noirs dans l'Amérique de la fin des années 1960 (ghettos, soulevements, Black Panthers, meurtre de Luther King...), présentée comme la suite logique de leur effroyable histoire au siècle précédent. Le film a été tourné au format Cinémascope à Haiti (avec la bénédiction de Papa Doc Duvalier et des Tontons Macoutes !), dans des paysages et des propriétés splendides (même si un peu décaties, ce qui ajoute encore au réalisme) avec des milliers de figurants Noirs, hommes, femmes et enfants, nus dans la plupart des scènes. Ce que les réalisateurs leur on fait faire est tout simplement hallucinant ! Mais pour quel salaire ? Le film a une tenue exceptionnelle pendant deux heures dans sa représentation pourtant sans concession des scènes : les scènes de dortoirs, de nettoyage et de vente des esclaves... sont stupéfiantes de réalisme. Les familles de planteurs sortent tous droit d'un Autant en Emporte le Vent qui aurait été filmé sur place. Seulement, les petites filles blanches en robes du dimanche traînent des gamins noirs en laisse...

Le film date des années 70 et est italien : comme de bien entendu, il dérape donc à un certain moment - la partie qui aborde l'attraction sexuelle des Blanc(he)s pour leurs esclaves Noir(e)s - là, on est dans un pur film d'exploitation des années 70 avec fesses et tétons à gogo. En revanche, la fin est absolument sublime, avec un plan génial de l'hélicoptère des réalisateurs qui s'envole d'un champ de coton, soufflant tout (chariots, balles de coton et esclaves) sur son passage dans un long travelling au son d'un hymne lyrique chantée par une Barbra Streisand italienne (la musique du film a d'ailleurs été composée par Riz Ortolani, celui de Cannibal Holocaust) : dans ces images-là, on est au niveau de certains plans de Soy Cuba, rien de moins.

Evidemment, le film est tellement choquant qu'il a été immédiatemment interdit de sortie en salles dans sa version d'origine en 1971 : les réalisateurs ont été obligé de couper des scènes, d'en retourner d'autres et de finalement présenter au public un film très édulcoré, qui n'avait pas grand chose à voir avec leur idée de départ. Et même dans cette version allégée, l'unanimité des protestations a obligé le distributeur à le retirer de l'affiche en moins de deux (même si certaines critiques de l'époque, comme le NY Times, ont salué l'incroyable audace des réalisateurs).

Grâce à ce DVD édité par Blue Underground (image et sons excellents, remasterisés d'après leur négatif original), Addio Zio Tom peut être découvert pour la première fois dans sa version d'origine, le Directors' Cut. Et croyez-moi, on n'en sort pas tout à fait indemne. Un vrai film noir.

NB : lu comme ça, on peut avoir l'impression qu'Addio Zio Tom est un pur film d'exploitation, comme les Italiens en ont tant fait dans les années suivantes (cf. Cannibal Holocaust justement). Ce n'est pas le cas. Il y a dans le film des éléments d'exploitation indéniables mais la charge politique de cet OVNI écrase tout et l'inspiration réelle de nombreuses scènes en fait aussi un très bel objet cinématographique. A tel point que je le place - presque - dans la ligne des grands films politiques tels que Soy Cuba ou La Bataille d'Alger.

Le trailer de Addio Zio Tom (attention, quelques images sont saignantes) :


Oh ! What a Lovely War (Richard Attenborough, 1969)

Oh! What a Lovely War est, comme son titre le suggère, un film complètement atypique. Ce n'est pas un film de guerre ni une comédie musicale mais plutôt un pamphlet anti-guerre rythmé par des chansons d'époque mises en scène. Une vraie bizarrerie.

L'histoire est celle de cinq frères anglais (les Smith, au hasard) qui partent enthousiastes à la Guerre de 14 sur le front de la Somme pendant que chez eux, à Brighton, la vie des civils continue et que les politiques en haut-de-forme et les militaires médaillés jouent - au sens propre du terme - le jeu diplomatique et stratégique.

On passe sans cesse - et souvent en continuité dans même plan - entre la boue des tranchées et les vernis de l'Establishment. J'ai eu un peu de mal à entrer dans le film à cause de ces allers-retours incessants et puis les idées de mise en scène ont commencé à m'intriguer puis à me fasciner. Par exemple : sur la jetée de Brighton, un forain (Jean-Pierre Cassel) présente un spectacle de marionnettes qui se transforme en manège de chevaux de bois qui devient un stand de tir sur le champ de bataille et redevient, ensanglanté, le décor du théâtre de marionnettes. Il y a plein de choses comme ça, très surréalistes. Une douzaine de grands comédiens britanniques ont au moins une scène (de Dirk Bogarde à Maggie Smith, de Laurence Olivier à Vanessa Redgrave) : c'est un des plaisirs du film de les découvrir ici ou là.

Il y a quelques problèmes pourtant. La longue scène d'introduction (un résumé des origines de la Guerre de 14) est trop statique et abstraite. Mais elle annonce les expérimentations de Lars von Trier dans Dogville et Manderlay. On n'arrive pas à identifier ni s'attacher aux cinq frères parce qu'aucune scène ne dure assez pour les caractériser. L'idée de ne reprendre que des vraies chansons des années 1910 - dont les paroles sont parfois ironiquement réécrites - est excellente mais leurs mélodies et rythmes ont pris un bon coup de vieux et elles passent difficilement aujourd'hui. Ca ressemble à du Gilbert & Sullivan si vous voyez ce que je veux dire. Et les allées-venues entre le champ de bataille et Brighton sont un peu répétitives à la longue.

Beaucoup de moments sont formidables et certains très émouvants : un recrutement en chansons dans un théâtre (Maggie Smith en grande forme), une scène de réconciliation temporaire entre Anglais et Allemands dans les tranchées le jour de Noël (revu récemment dans le film Joyeux Noël), une chanson "Les Sacrifiés" chantée en français par Pia Colombo dans un cabaret militaire (la meilleure scène du film pour moi), une diatribe anti-militaire exaltée de Vanessa Redgrave en suffragette, une scène dans une église en ruine dans la campagne, l'irruption tonitruante des Américains sur l'air de "Over There", la fin avec un travelling arrière magistral...

O!WALW est un film très ambitieux et créatif, dont l'origine théâtrale reste prononcée mais qui contient d'innombrables idées de mise en scène (c'était la première réalisation de Richard Attenborough) qui doivent se révéler encore plus lors de nouvelles visions. La série bien choisie de chansons d'époque illustre à merveille l'évolution psychologique des soldats qui partaient au conflit, de l'excitation au désespoir. Oh! What a Lovely War date de 1969 (l'image récurrente du coquelicot, symbole de la mort qui fauche les soldats, renvoie aussi sans doute au Flower Power) et la Guerre du Vietnam est en filigrane. Le message du film sur la folie de la guerre n'a évidemment pas pris une ride. Au final, j'ai beaucoup aimé ce film hybride, énorme métaphore qui ne ressemble vraiment à aucun autre film que j'ai vu (il pourrait définir un genre à lui-seul) mais j'imagine aussi qu'on lui reste complètement hermétique. Pour moi, ses 2h20 sont passées très vite mais pour d'autres, elles pourraient bien être interminables. C'est en tout cas une vraie curiosité et un film très significatif de la liberté de ton et de forme du ciné de la fin des années 60.
C'est assez étonnant qu'il soit aussi peu mentionné et reconnu. Apparemment c'était - jusqu'à la sortie du DVD - à cause d'une bataille juridique entre la production et le créateur de la pièce originale...

La Bataille de Berlin (Yuri Ozerov, 1971)

Disponible pour quelques Euros (éditions Bach Films) dans les solderies DVD du genre Disc'King, voici un film russe plus qu'étonnant sur la chute de Berlin : La Bataille de Berlin de Yuri Ozerov (1971).

Il s'agit du dernier volet d'une fresque historique en 5 films produite par la Mosfilm et réalisée entre 1967 et 1971 par Yuri Ozerov. La fresque entière est intitulée Libération mais n'est pas disponible actuellement en DVD en France (en Allemagne oui mais en version doublée allemande non sous-titrée). Dans son intégralité, le film dure près de 8 heures et retrace l'histoire de la fin de la Seconde Guerre Mondiale de Stalingrad à Berlin, vu du côté soviétique.

Le DVD Bach Films de La Bataille de Berlin est en fait le tout dernier épisode de Libération. Dans la version originale de Libération, cet épisode a pour titre Le Dernier Assaut (et non La Bataille de Berlin, qui est celui qui précède). C'est un peu compliqué, tout ça, mais c'est comme ça... En tout cas, il constitue un spectacle à lui-seul et peut être apprécié sans avoir vu les épisodes précédents.

En 1h10 (le film est court mais dense), plusieurs moments-clés de la chute de Berlin sont recréés avec, comme fil conducteur, l'entrée dans la ville d'une section de l'Armée Rouge. Le réalisateur Yuri Ozerov avait été un gradé dans ses troupes pendant le conflit et il sait de quoi il parle. Seuls quelques épisodes sont reconstitués mais tous sont exceptionnels dans leur réalisation : l'inondation du métro de Berlin - où se sont réfugiés des civils - par les eaux de la Spree sur ordre d'Hitler pour que les russes ne passent pas les souterrains (une scène qui fait penser à L'Aventure du Poséidon), les derniers jours d'Hitler dans le bunker (le film récent La Chute en reprend le décor, la mise en scène et la gamme chromatique), la prise du Reichstag par les russes (un superbe morceau de mise en scène avec une caméra très mobile dans un décor géant) et plusieurs batailles de rue avec des chars, des bombes et des barricades.

Le réalisateur a eu la possibilité d'utiliser comme décors les rues et bâtiments du Berlin-Est de la fin des années 1960 et des milliers de figurants, ce qui donne toute leur ampleur et leur vérité à ses compositions. Quelques scènes utilisent des FX (panoramas de Berlin en flammes ou du Reichstag vu de loin) mais qui sont très bien intégrés au reste. La ressemblance des deux comédiens qui incarnent Hitler et Goebbels est saisissante. Les scènes de bataille sont en couleur, celles d'entretiens en noir et blanc. Pour un film soviétique des années 60, le message de propagande n'est pas appuyé et il y a même un prêtre qui a un rôle auquel on ne s'attendrait pas (évidemment, aucune exaction de l'Armée Rouge contre les civils de Berlin n'est montrée) : c'est surtout la reconstitution historique qui a été recherchée par les producteurs. Les deux dernières minutes du film donnent les chiffres des morts de la Seconde Guerre Mondiale (sur fond d'images de la Tour Eiffel, Piazza di Spagna, Place Rouge...) et là, la sémantique propagandiste reprend du poil de la bête : on retient surtout que 350.000 américains sont morts contre 20.000.000 de russes.

Le film (cumul des 5 épidodes) a été vu à sa sortie en salles en 1971 par 300 millions de russes et a été projeté dans toutes les écoles de l'URSS. Il semble aussi avoir été le plus gros budget de toute l'histoire du cinéma soviétique. Rien que ça ! La Bataille de Berlin est l'envers de La Chute de Hierschbiegel : il montre exactement les mêmes moments, mais vus de l'extérieur du bunker d'Hitler et du côté russe. C'est étonnant de voir comme certaines scènes se répondent en miroir dans les deux films. Hierschbiegel a vu La Bataille de Berlin avant de faire La Chute, c'est certain.

Bref, voilà un film que je ne connaissais pas mais son sujet, son origine et le prix du DVD m'ont tentés : je ne le regrette pas car c'est une vraie découverte. Je ne m'attendais pas du tout à un morceau de cinéma de guerre aussi bien réalisé et dans bénéficiant de décors aussi gigantesques. Il y a encore beaucoup de choses à creuser dans le ciné soviétique... Maintenant, j'ai très envie de voir les autres volets de cette fresque monumentale (notamment l'épisode sur la bataille de Koursk qui, paraît-il, est énorme !).

La qualité du DVD édité par Bach Films est bonne. D'abord, contrairement à ce qui est indiqué sur la jaquette, le film est en format large 2:35 non anamorphique et pas 4/3 (pas de pan et scan !). L'image n'a pas été restaurée, elle est un peu sombre mais ce n'est pas gênant. Surtout, le master est de qualité très correcte, sans trop de dommages. Aucun problème de compression à noter, ce qui est remarquable pour un DVD Bach Films. Au niveau du son, le film est en VF (bien doublé) mais avec une bizarrerie : les personnages russes sont doublés en français mais les personnages allemands parlent allemand et leurs dialogues sont traduits par une voix-off française avec un petit temps de retard. Au début, c'est assez surprenant et puis ça créé un effet "documentaire" assez approprié au film.
La Bataille de Berlin est un film spectaculaire (et une curiosité) qui mérite une redécouverte pour des raisons historiques et aussi parce que c'est tout simplement un très bon morceau de cinéma.

Spoorloos (George Sluizer, 1988)

Spoorloos est un bouleversant (au sens propre du terme) thriller psychologique et métaphysique franco-néerlandais et un film unique dans sa thématique et son traitement. Il commence comme un thriller presque traditionnel pour dévier rapidement dans une voie très différente, vers les ténèbres.

Un jeune couple hollandais traverse la France en voiture. Ils s’arrêtent sur l’autoroute près de Nîmes dans une station service. La fille disparaît. Trois ans plus tard, son ami, retourné en Hollande et hanté par cette disparition, est contacté par un homme (Bernard-Pierre Donnadieu) qui lui avoue (à raison ?) avoir enlevé la jeune femme et qui commence avec lui un jeu pervers du chat et de la souris…

Depuis l’une des toutes premières scènes du film, terrifiante par sa soudaineté et la peur primaire qu’elle exploite (les ténèbres) jusqu’à la scène finale, qui est l’une des plus dérangeante que j’ai pu voir dans une fiction, Spoorloos prend le temps d’étudier de façon magistrale l’excitation que peut procurer un acte criminel sur celui qui le commet et la dévastation qu’il entraîne sur celui qui en est victime (un sujet ambitieux rarement traité au cinéma il me semble, en tous cas très différent ici du Silence des Agneaux par ex.). La construction du film est très originale, faite d’allers et retours dans le présent, le passé et le futur (avant et après la disparition elle-même) et dans la pathologie criminelle de Donnadieu, étudiée sans aucun parti-pris ni jugement, ce qui la rend encore plus insupportable. Les rapports de Donnadieu avec sa famille (sa femme, ses deux filles) ajoutent au malaise prolongé du spectateur, comme dans cette étonnante scène de hurlements « pour rire » autour d’une table de déjeuner…

Excellence de la performance des trois acteurs principaux (Donnadieu et les deux comédiens hollandais). Spoorloos est truffé d'indices et symboles qui ne prennent leur glaçante signification qu’une fois le film terminé. Le concept jungien de « synchronicité » revient régulièrement au cours de la narration, ainsi qu'un sentiment d'angoisse existentielle proche des ecrits d'Edgar Poe. Psychologique (le film montre comment fonctionne un criminel «cérébral » et il dissèque les ravages du complexe de culpabilité), métaphysique (le film est une réflexion sur la nature profonde du Mal et aussi sur le Destin), c’est en même temps un véritable film d’amour qui trouve sa résolution dans le choix final du jeune hollandais en quête de sa compagne disparue, et de sa conséquence. Les dernières scènes du film, profondément choquantes, sont inoubliables.

Spoorloos a été réalisé en 1988. J’imagine que le film avait dû faire beaucoup parler à l’époque. Presque vingt ans plus tard, certaines affaires criminelles récentes lui donnent une résonance encore plus forte. Un film sans aucune concession et vraiment très dérangeant, qui a certainement le pouvoir de remuer comme rarement la plupart des spectateurs et de hanter leurs nuits. En repensant au film, on ne peut que penser à la phrase du philosophe : "Quand tu regardes dans l'abîme, l'abîme aussi regarde en toi". Spoorloos (l'original, puisque le réalisateur a fait quelques années plus tard un remake hollywoodien de son propre film avec une fin... hollywoodienne) est une oeuvre méconnue qui mérite une redécouverte. Aux risques et périls de celui qui ose regarder dans ses abîmes...

The Intruder (Roger Corman, 1961)

Chez les Disc' King et autres soldeurs DVD, on peut trouver pour quelques Euros un film rarissime de Roger Corman qui n'est ni de la SF, ni du fantastique, ni de l'exploitation. C'est le seul film de Corman qui lui ait fait perdre de l'argent mais c'est aussi celui dont il est le plus fier : The Intruder (L'Intrus). Il a bien raison car c'est un film formidable.

Adam Cramer (un jeune William Shatner d'avant "Star Trek") est membre d'un mouvement d'extrême-droite. En 1961, il arrive dans une petite ville du Sud des Etats-Unis pour attiser la haine raciale et remonter les habitants contre la nouvelle loi d'intégration des étudiants noirs dans les lycées. Avec des discours haineux, des manipulations psychologiques et l'appui du Ku Klux Klan, il parvient à ses fins et prépare la foule à commettre un lynchage.

The Intruder a été réalisé par Corman en 1961 sur un scénario de Charles Beaumont (qui a écrit beaucoup d'épisodes de La Quatrième Dimension et qui joue un rôle dans le film). Corman a investi dans le film les bénéfices de ses premières adapations de Poe... et les a englouties. Il a filmé l'ensemble des scènes de The Intruder en décors naturels dans plusieurs villes du Missouri, en faisant appel à des habitants - presque tous des anti-intégrationnistes - pour la figuration. Le sujet explosif lui a causé beaucoup de problèmes et Corman a dû faire appel aux polices locales pour protéger son équipe et mener à bien le projet : il passait de ville en ville après avoir été chassé de la précédente par les habitants furieux quand ils se rendaient compte du thème du film.

Après plus de quatre décennies, le film (qui a été, et on l'imagine sans peine, un échec total à sa sortie en 1962) conserve toute la puissance de son message. Les comportements individuels et collectifs par rapport au racisme, la ségrégation et les difficiles évolutions intégrationnistes, le danger subversif des discours extremistes... sont traités avec beaucoup de subtilité grâce à un script au cordeau et une réalisation classique mais très efficace. William Shatner est excellent en salaud intégral, notamment dans sa grande scène (un discours raciste enflammé de plus de 5 minutes), le jeune acteur noir aussi. Quelques scènes sont particulièrement fortes : la traversée groupée de la ville par 10 étudiants noirs sous les regards haineux des habitants, la procession automobile du KKK et l'allumage de la croix, le piège monté contre l'étudiant noir, le final... Le vocabulaire sans détours utilisé dans le film, aux antipodes du politiquement correct des productions actuelles, est très choquant (et aujourd'hui bien plus sans doute qu'à l'époque où le film a été fait).

Bref, The Intruder est un film très audacieux et qui fait figure d'outsider dans la filmographie pourtant tellement polyvalente de Roger Corman. Le thème rageur du film, son petit budget, sa courte durée (82 minutes) et l'urgence de sa réalisation ont permis au réalisateur de créer un film engagé sans équivalent dans la production de l'époque.
Le DVD Bach Films (méfiance à priori !) de The Intruder est de qualité très correcte. Le master utilisé est bon (mais le film est en 4:3 alors qu'il était apparemment sorti en Widescreen - trafiqué ? - en Z1) et la bande sonore aussi. N&B bien défini et contasté. VO avec sous-titres français amovibles et VF (récente et pas indiquée sur la jacquette du DVD). Seul petit défaut : une compression moyenne, qui induit quelques effets d'escalier un peu ennuyeux, surtout au début du film. Mais pour le prix réduit, il n'y a vraiment pas de raison de passer à côté de ce film passionnant. The Intruder est un film important qui mérite vraiment une redécouverte.

A Sound of Thunder (Peter Hyams, 2004)

A Sound of Thunder est un navet, c'est sûr, mais un navet de qualité, et un film idéal quand on veut tuer un moment sans se prendre la tête. Il mérite bien son propre topic...

A Sound of Thunder est le film inspiré par la célèbre nouvelle de Ray Bradbury, Un Coup de Tonnerre, sur des voyageurs du temps qui partent chasser le dinosaure dans la Préhistoire et changent le cours du Futur à cause d'un papillon écrasé par mégarde.

Ses critiques pitoyables m'ont intrigué et j'ai voulu voir l'objet de la fureur générale (avis effroyables quasi unanimes sur IMDb, Metacritic...). Le film ne mérite pas les bordées d'injures qu'il a reçues sur la tête. Oui, les acteurs sont mauvais (Ben Kingsley - qui cachetonne et se marre - cabotine en moumoute blanche, Edward Burns n'a pas grand chose à faire et donc retire sa chemise plusieurs fois pour exhiber son torse velu), le scénario est plein de trous et d'invraisemblances logiques (mais la nouvelle de Ray Bradbury aussi) et les effets spéciaux sont... vraiment très spéciaux : dans le Chicago de 2055, toutes les voitures roulent à la même vitesse comme sur un vieux circuit 24 ; les acteurs marchent sur un tapis roulant devant un fond d'écran en discutant ; certaines scènes d'action semblent presque sortir d'un jeu vidéo, etc...

Mais malgré cela, le film est super divertissant et bénéficie d'un excellent rythme, sans aucun temps mort sur la durée de 95 minutes. Les "vagues temporelles" sont une idée intéressante et les nombreuses créatures mutantes de la seconde partie du film (mandrilézards, bataigles et autres dracongres) sont un véritable régal. Les décors de la seconde partie sont très chouettes aussi (la prolifération de la ville végétale). La mise en scène se tient, il y a même de vraies bonnes scènes comme la poursuite de nuit dans le parc par les monstres. Le film se termine sur une des répliques les plus nulles qu'un scénariste puisse imaginer, surtout quand on prend conscience de ce que l'Humanité vient de traverser au cours de ce qui a précédé...

Bref, tout cela forme un mix très sympathique qui fait furieusement penser aux vieux sérials des Années 30 et 40. Le film s'est ramassé au box-office US, n'est pas sorti en salles en France mais pourrait bien devenir une sorte de film-culte en DVD pour les amateurs de bons navets. Ceux qui ont aimé Capitaine Sky et le Monde de Demain devrait aussi aimer A Sound of Thunder, avec lequel il a beaucoup de points communs. Très distrayant et une assez bonne surprise au final. Mais on peut quand même rêver de ce que le Spielberg d'aujourd'hui en aurait fait...

PS : Après avoir vu A Sound of Thunder, j'ai voulu voir The Relic du même Peter Hyams. C'est exactement dans le même esprit. C'est très sympa aussi.

Au Coeur de la Vie (Robert Enrico, 1963)

Sortis en DVD sous le titre La Rivière du Hibou (alors que ces trois courts-métrages avaient été réunis en un long-métrage par Enrico sous le titre Au Coeur de la Vie), voilà une occasion formidable de redécouvrir ces films qui marquent un moment fort et atypique du cinéma français des années 60. Les trois films sont :

Ckickamauga. Un petit garçon part en vadrouille dans la forêt et tombe sur les vestiges du champ de bataille de Chickamauga, qui devient son terrain de jeu. 28 minutes.

L'Oiseau Moqueur. Un soldat en vigie tire dans la nuit sur une forme humaine qui fuit dans la forêt. Pris de remords, il part à la recherche de sa cible. 36 minutes.

La Rivière du Hibou. Un homme est exécuté par pendaison depuis un pont. La corde casse, il tombe dans l'eau et s'enfuit à la nage sous les balles du peloton. C'est le court-métrage qui avait été diffusé (mais un peu raccourci) dans The Twilight Zone aux USA en 1964. 28 minutes.

Trois courts-métrages angoissants, poétiques et universels qui traduisent parfaitement l'esprit des nouvelles morbides d'Ambrose Bierce sur la Guerre de Sécession. A la fois cinématographiques (ils sont plastiquement splendides) et littéraires (effets de rythme et de style très étonnants comme l'utilisation de l'anglais pour les dialogues et du français pour les pensées des personnages), ils ne ressemblent à rien d'autre tout en étant truffés de références à des classiques du cinéma américain (de Naissance d'une Nation à Du Silence et des Ombres en passant par Freaks et La Nuit du Chasseur...) et ils n'ont pas pris une ride en 45 ans. Le meilleur est sans doute La Rivière du Hibou, suivi de près par Chickamauga puis de plus loin par L'Oiseau Moqueur (dont la révélation finale est un peu trop prévisible).

La photographie en N&B est d'une rare beauté, le travail sur le son remarquable et la nature (forêts, champs et cours d'eau) est mise en valeur d'une façon sublime. De toute évidence, La Rivière du Hibou a inspiré pas mal de films fantastiques "à twist" de ces dernières années et une scène complète de Chickamauga a été reprise par Spielberg dans La Guerre des Mondes (la bataille derrière la colline). Ces trois courts ont lancé la carrière de Robert Enrico et sont restés très à part dans son oeuvre. Et ils représentent un rare exemple de cinéma onirique (à la limite du fantastique) français des années 60.

Détail intéressant : les 3 films, dont les histoires se passent aux Etats-Unis pendant la Guerre de Sécession, ont été tournés en France. L'illusion et la reconstitution historique sont d'ailleurs remarquables. J'aimerai bien savoir où le tournage a eu lieu. Je dirai la Dordogne (j'ai cru reconnaître dans L'Oiseau Moqueur un paysage utilisé par Chabrol dans Le Boucher), mais je n'en suis pas certain. Si quelqu'un sait ?