Addio Zio Tom (Les Négriers) est un film dont je n'avais jamais entendu parler mais dont j'ai trouvé le DVD en fouinant dans une boutique d'occase. Je ne l'ai pas pris (parce j'ai d'abord pensé que ca devait être un sacré navet) mais en rentrant chez moi je suis quand même allé voir sur Internet ce qu'on disait du film. J'ai alors immédiatemment appelé la boutique pour qu'ils me le mettent de côté. Le lendemain, je l'avais en mains et j'ai finalement vu Addio Zio Tom. 136 minutes que je ne suis pas près d'oublier !
Le trailer de Addio Zio Tom (attention, quelques images sont saignantes) :
Le film a été réalisé en 1971 par les italiens Gualtierro Jacopetti et Franco Prosperi, qui s'étaient faits connaître en 1962 avec leur sulfureux documentaire Mondo Cane. Addio Zio Tom est un faux documentaire sur l'esclavage aux USA dans les années 1830.
C'est aussi un film conceptuel : en 1971, une équipe de réalisateurs de documentaires s'envole en hélico et atterrit dans le Sud des Etats-Unis cent-quarante ans auparavant. Ils peuvent donc filmer ce dont tout le monde a entendu parler, a lu mais n'a jamais vu : les horreurs de l'esclavage dans les plantations de la Louisiane, Géorgie, Mississippi... Ils ramènent au XXe siècle 2 heures d'images-témoins qui montrent en détail : le transport des esclaves depuis l'Afrique, leur arrivée et dépouillage dans le Sud, leur vente sur les marchés aux esclaves, leur conditions de vie et d'exploitation sur les plantations, leurs rapports avec leurs maîtres et entre eux, leurs reproduction dans les fermes à esclaves, leurs révoltes, etc...
Le film commence et finit par un brûlot politique : des vues d'actualité sur la situation des Noirs dans l'Amérique de la fin des années 1960 (ghettos, soulevements, Black Panthers, meurtre de Luther King...), présentée comme la suite logique de leur effroyable histoire au siècle précédent. Le film a été tourné au format Cinémascope à Haiti (avec la bénédiction de Papa Doc Duvalier et des Tontons Macoutes !), dans des paysages et des propriétés splendides (même si un peu décaties, ce qui ajoute encore au réalisme) avec des milliers de figurants Noirs, hommes, femmes et enfants, nus dans la plupart des scènes. Ce que les réalisateurs leur on fait faire est tout simplement hallucinant ! Mais pour quel salaire ? Le film a une tenue exceptionnelle pendant deux heures dans sa représentation pourtant sans concession des scènes : les scènes de dortoirs, de nettoyage et de vente des esclaves... sont stupéfiantes de réalisme. Les familles de planteurs sortent tous droit d'un Autant en Emporte le Vent qui aurait été filmé sur place. Seulement, les petites filles blanches en robes du dimanche traînent des gamins noirs en laisse...
Le film date des années 70 et est italien : comme de bien entendu, il dérape donc à un certain moment - la partie qui aborde l'attraction sexuelle des Blanc(he)s pour leurs esclaves Noir(e)s - là, on est dans un pur film d'exploitation des années 70 avec fesses et tétons à gogo. En revanche, la fin est absolument sublime, avec un plan génial de l'hélicoptère des réalisateurs qui s'envole d'un champ de coton, soufflant tout (chariots, balles de coton et esclaves) sur son passage dans un long travelling au son d'un hymne lyrique chantée par une Barbra Streisand italienne (la musique du film a d'ailleurs été composée par Riz Ortolani, celui de Cannibal Holocaust) : dans ces images-là, on est au niveau de certains plans de Soy Cuba, rien de moins.
Evidemment, le film est tellement choquant qu'il a été immédiatemment interdit de sortie en salles dans sa version d'origine en 1971 : les réalisateurs ont été obligé de couper des scènes, d'en retourner d'autres et de finalement présenter au public un film très édulcoré, qui n'avait pas grand chose à voir avec leur idée de départ. Et même dans cette version allégée, l'unanimité des protestations a obligé le distributeur à le retirer de l'affiche en moins de deux (même si certaines critiques de l'époque, comme le NY Times, ont salué l'incroyable audace des réalisateurs).
Grâce à ce DVD édité par Blue Underground (image et sons excellents, remasterisés d'après leur négatif original), Addio Zio Tom peut être découvert pour la première fois dans sa version d'origine, le Directors' Cut. Et croyez-moi, on n'en sort pas tout à fait indemne. Un vrai film noir.
NB : lu comme ça, on peut avoir l'impression qu'Addio Zio Tom est un pur film d'exploitation, comme les Italiens en ont tant fait dans les années suivantes (cf. Cannibal Holocaust justement). Ce n'est pas le cas. Il y a dans le film des éléments d'exploitation indéniables mais la charge politique de cet OVNI écrase tout et l'inspiration réelle de nombreuses scènes en fait aussi un très bel objet cinématographique. A tel point que je le place - presque - dans la ligne des grands films politiques tels que Soy Cuba ou La Bataille d'Alger.
Le trailer de Addio Zio Tom (attention, quelques images sont saignantes) :
Bonjour,
RépondreSupprimermon pére est a la recherche justement de ce film, il m'a dit qu'au bout de 20 mn de visionnage tout les spectateurs avaient quitté la salle revolté. Maintenant, il souhaite revoir le film et je le recherche désespérement, ou pourrais je le trouver sous titré en français ou en français?
Merci pour le commentaire, ça me rassure de savoir que le film existe en dvd :-)
Bonjour. Le film n'est pas sorti en DVD français ou sous-titré français. Je l'ai dans l'édition Blue Underground (USA) en italien sous-titré anglais. Il n'y a pas beaucoup de dialogues de toutes façons : ce sont les images qui comptent.
RépondreSupprimerEn me promenant sur ton blog, je tombe sur ton excellent billet consacré à ce film vraiment unique. Film scandaleux, dérangeant, etc, qui conduit rapidement à son interdiction en salle. Et pourtant... le film est sorti en 1973 au Renaissance, cinéma très populaire situé sur la Place de la Victoire à Pointe-à-Pitre. Je conserve de l’affiche un souvenir d’autant plus vivace qu’elle stimulait les fantasmes de mes copains guadeloupéens (nous avions 10 ou 11 ans).Malgré le titre – les négriers, écrit en français – l’audace du sujet et son traitement pour le moins explicite, mes amis antillais se focalisaient en effet sur les rapports sexuels entre un Noir et une Blanche. Etrangement, le reste importait peu. Il faut dire qu’à cette époque, les couples mixtes étaient encore rares dans les rues de Pointe-à-Pitre.
RépondreSupprimerPour moi, L’histoire des Négriers s’est longtemps résumée à cette grande affiche que je contemplais avec Matthieu, Patrice et les autres. Depuis, j’ai vu le film (avec toi !) et je reste toujours aussi stupéfait de sa projection rendue possible aux Antilles en 73! Indépendamment de son caractère franchement provocateur et irresponsable, cette projection demeure finalement un exemple révélateur de ces années 72-73, où la censure en gestation, restait très aléatoire. A bientôt! François
Merci pour ta contribution, François. Oui, je me souviens que tu m'avais raconté vos émois de pré-ados devant l'affiche du film à Pointe-à-Pitre. Ça m'avait d'ailleurs fait penser à Amarcord : comme quoi on revient toujours au cinéma ! Quant à l'irresponsabilité d'avoir projeté le film aux Antilles en 1973, c'est digne d'Hara-Kiri et l'idée ne manque jamais de m'amuser. A très bientôt!
RépondreSupprimerJ'ai vu ce film il y a un peu plus d'un an, aiguisé par quelques photos tirées du film que j'ai trouvé sur un site porno (!)
RépondreSupprimerC'est réellement un film très impressionnant et j'ai pensé que la plupart des scènes africaines avaient été tourné au Ghana à la manière du film Cobra verde, mais ce fût bien à Haiti effectivement. Alors oui, c'est hallucinant d'imaginer comment les producteurs et cinéastes du film ont réussi à convaincre une telle foule de figurants à tourner toutes ces scènes proprement incroyables. l'argent? sans doute, mais je suppose que derrière il y avait un autre discours. Bref, merci pour cette description très intéressante et passionnée de ce film hors norme qui, je crois, serait absolument impossible à tourner de nos jours.