Un jeune couple hollandais traverse la France en voiture. Ils s’arrêtent sur l’autoroute près de Nîmes dans une station service. La fille disparaît. Trois ans plus tard, son ami, retourné en Hollande et hanté par cette disparition, est contacté par un homme (Bernard-Pierre Donnadieu) qui lui avoue (à raison ?) avoir enlevé la jeune femme et qui commence avec lui un jeu pervers du chat et de la souris…
Depuis l’une des toutes premières scènes du film, terrifiante par sa soudaineté et la peur primaire qu’elle exploite (les ténèbres) jusqu’à la scène finale, qui est l’une des plus dérangeante que j’ai pu voir dans une fiction, Spoorloos prend le temps d’étudier de façon magistrale l’excitation que peut procurer un acte criminel sur celui qui le commet et la dévastation qu’il entraîne sur celui qui en est victime (un sujet ambitieux rarement traité au cinéma il me semble, en tous cas très différent ici du Silence des Agneaux par ex.). La construction du film est très originale, faite d’allers et retours dans le présent, le passé et le futur (avant et après la disparition elle-même) et dans la pathologie criminelle de Donnadieu, étudiée sans aucun parti-pris ni jugement, ce qui la rend encore plus insupportable. Les rapports de Donnadieu avec sa famille (sa femme, ses deux filles) ajoutent au malaise prolongé du spectateur, comme dans cette étonnante scène de hurlements « pour rire » autour d’une table de déjeuner…
Excellence de la performance des trois acteurs principaux (Donnadieu et les deux comédiens hollandais). Spoorloos est truffé d'indices et symboles qui ne prennent leur glaçante signification qu’une fois le film terminé. Le concept jungien de « synchronicité » revient régulièrement au cours de la narration, ainsi qu'un sentiment d'angoisse existentielle proche des ecrits d'Edgar Poe. Psychologique (le film montre comment fonctionne un criminel «cérébral » et il dissèque les ravages du complexe de culpabilité), métaphysique (le film est une réflexion sur la nature profonde du Mal et aussi sur le Destin), c’est en même temps un véritable film d’amour qui trouve sa résolution dans le choix final du jeune hollandais en quête de sa compagne disparue, et de sa conséquence. Les dernières scènes du film, profondément choquantes, sont inoubliables.
Spoorloos a été réalisé en 1988. J’imagine que le film avait dû faire beaucoup parler à l’époque. Presque vingt ans plus tard, certaines affaires criminelles récentes lui donnent une résonance encore plus forte. Un film sans aucune concession et vraiment très dérangeant, qui a certainement le pouvoir de remuer comme rarement la plupart des spectateurs et de hanter leurs nuits. En repensant au film, on ne peut que penser à la phrase du philosophe : "Quand tu regardes dans l'abîme, l'abîme aussi regarde en toi". Spoorloos (l'original, puisque le réalisateur a fait quelques années plus tard un remake hollywoodien de son propre film avec une fin... hollywoodienne) est une oeuvre méconnue qui mérite une redécouverte. Aux risques et périls de celui qui ose regarder dans ses abîmes...
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