Werner Herzog n'a-t-il pas la carrière la plus atypique, rigoureuse et logique du cinéma des 40 dernières années ? Oui, cela fait maintenant plus de 40 ans que le réalisateur globe-trotteur allemand nous offre ses visions cinématographiques uniques et inclassables. Entre documentaires subjectifs, grandes fresques suicidaires, films à priori alimentaires et délires sur pellicule, il s'est frayé un sinueux chemin dans la jungle filmique que personne n'avait jamais emprunté avant lui (et sur lequel personne ne semble vouloir s'aventurer à sa suite).
En voyant Rescue Dawn, son dernier film "hollywoodien", j'ai souvent pensé à Objective Burma et autres grands classiques du ciné de guerre/aventures dans la jungle des années 40. L'histoire de ce petit groupe de soldats tombé par accident au Laos pendant Guerre du Vietnam, fait prisonnier dans les geôles du cruel ennemi et travaillant pendant tout le film à préparer et mettre en oeuvre son évasion n'a rien que de bien conventionnel sur le papier. Seulement, Werner Herzog étant qui il est, sa mise en images de l'histoire offre son lot de surprises et de licences poétiques, qui transcendent le matériel de départ.
La longue séquence d'ouverture avec les images d'archives couleur (couleurs d'ailleurs retravaillées à la saturation en post-production) de bombardements de la campagne vietnamienne par les avions US, au ralenti et sur une musique lancinante, est sublime. Ou comment s'approprier des images d'archives de l'armée et les transformer en une pure expérience cinématographique : dès le début, c'est Herzog à son meilleur, qui m'a rappelé son incroyable Lessons of Darkness, le documentaire sur les puits de pétrole en feu lors de la première Guerre du Golfe et véritable survol des paysages de l'Enfer de Dante.
Tout au long du film, les cadrages et les mouvements de caméra sont splendides dans leur fluidité, leur scope et le travail sur la couleur est un émerveillement (ces chemins de terre rouge dans la végétation vert acide !). L'influence de la peinture allemande des contes et légendes du XIXe siècle (celle de peintres comme von Schwind, l'un des favoris de Louis II de Bavière) est sensible et confère aux images une résonance aux limites du fantastique : le film est un film d'aventures mais c'est de toute évidence aussi un conte germanique... dans la jungle du sud-est asiatique.
Christian Bale est totalement dans son rôle (même trop peut-être, les excès habituels de l'acteur dans son appropriation physique de ses personnages interroge sur la frontière du jeu et de la folie, mais Herozg n'avait-il pas autrefois trouvé comme alter-ego Klaus Kinski, indépassable dans le genre ?). Sa transformation au cours du film est saisissante. Steve Zahn qui joue son compagnon de fuite est encore meilleur, c'est dire le niveau atteint par les acteurs (et sans doute le niveau d'exigence qui leur a été imposé par Herzog). Tout film d'Herzog, c'est connu, est un chemin de croix pour ses participants.
La description des cruels Laotiens est franchement raciste (ou condescendante), très éloignée de l'humanisme et le PC de rigueur dans les scénarios contemporains, à part dans le John Rambo de Stallone, réalisé presque en même temps et avec lequel Rescue Dawn a plus d'un point commun. Les deux films auraient fait un excellent "double-bill" en un autre temps.
Apparement, le film ne s'est pas fait dans les meilleures conditions (Herzog voulait faire un film d'Herzog et les producteurs un blockbuster) mais son côté batard lui apporte ce petit truc en plus qui le distingue et lui donne son identité. Et la fin du film, avec ses envolées lyriques et patriotiques, ses drapeaux et ses hourras, pourrait faire grincer plus d'une mâchoire. Cette fin, qui serait attendue dans le film d'un autre réalisateur ou dans celui d'une production des années 40, surprend parce qu'elle apparaît ici dans un film d'Herzog, dans lequel on est en droit de ne pas l'attendre. Voulue par Herzog ou imposée par le studio, peu importe : cette fin, quel que soit le sens qu'on lui donne, le message qu'on lui attribue, est, dans le contexte de tout ce qui a précédé (non seulement dans le film lui-même mais dans le corpus global d'Herzog), suprenante et logique à la fois. Paradoxalement et donc absolument herzogienne.
Pour ma part, j'ai pris Rescue Dawn comme un film d'aventures haletant (mais qui se permet bien des moments de respiration, contrepoints et diversions poétiques parfaitement intégrés), formidablement bien mis en scène et joué et qui bénéficie, cerise sur le gâteau, des obsessions de Herzog sur la dissolution de l'Homme dans la Nature, sur les cycles de vie et de mort, sur la folie parfois salvatrice, sur l'amitié des hommes. Ces fils rouges qui tissent tout le travail du réalisateur depuis les années 60.
Plusieurs fois, Rescue Dawn m'a aussi fait penser à ce qui a du arriver à Sean Flynn, le fils d'Errol Flynn (le lien avec Burma est-il anodin?), acteur de série Z reconverti photojournaliste de talent et disparu corps et biens au Vietnam au début des années 70. Le jeune homme blond que Frédéric Mitterrand évoque de si belle façon au début de son livre "Le festival de Cannes". Dans la réalité, malheureusement, la fin ne s'est pas passée comme au cinéma...
Bref, Rescue Dawn est un film de Herzog typique et atypique à la fois : aussi paradoxal et aussi logique que l'ensemble de l'oeuvre de son réalisateur. Un film hollywoodien et germanique. Un film de la surface et de la profondeur. Et j'aime ça.
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