Dans le désordre :
- Le principe du double "volte-face" (l'effet de style que je préfère, de loin, dans le Mélodrame) : deux personnages se parlent face à face et brusquement, l'un fait un demi-tour rapide sur lui même et tourne le dos à l'autre tout en continuant la conversation, accablé d'émotion. Généralement, les deux personnages parlent alors face à la caméra, l'un en plan très rapproché (Lana Turner excelle dans cet effet de style) et l'autre un peu en retrait. Le personnage le plus près de la caméra regarde dans le vide en parlant, souvent en croisant les bras sur la poitrine. Puis, brusquement, demi-tour à nouveau et les deux personnages continuent à se parler en se regardant à nouveau. Il y a plein de scènes comme cela dans Madame X, même une où les deux personnages qui se parlent tournent tous les deux le dos à la caméra (on ne voit donc que leurs nuques qui se parlent).
- Un personnage seul (toujours une femme) s'approche lentement d'une fenêtre filmée depuis l'extérieur et regarde au loin, perdu dans ses pensées, et soupire. La caméra s'approche de son visage pour un gros plan filmé depuis l'autre côté de la vitre. Moment de pause qui en dit toujours long, ou qui ne veut strictement rien dire. A un certain moment, la femme pose la main sur le chambranle de la fenêtre, comme pour se soutenir. Si la pluie bat la vitre de la fenêtre, c'est encore mieux car cela accentue l'effet mélodramatique (métaphore des larmes).
- Les personnages de Mélodrame ont la très curieuse habitude de se tenir aux meubles qui décorent leurs intérieurs. Lana Turner parle presque toujours à ses interlocuteurs en gardant le contact physique avec tables, fauteuils, commodes et autres consoles (d'angle, pas de jeu). La présence du mobilier semble donc être un élément essentiel de la stabilité psychologique des personnages de Mélodrame : à l'inverse, l'absence du mobilier est un facteur aggravant de leur délitement psychologique.
- Une femme parle au téléphone en prétendant être, pour son interlocuteur, dans un état d'esprit totalement opposé à celui dans lequel elle est réellement. Dans Madame X, Lana Turner minaude au téléphone alors que des grosses larmes coulent sur ses joues. Ce faisant, elle tord dans tous les sens le fil déjà torsadé du téléphone. Un classique parfois en split-screen. Effet mélodramatique garanti.
- Le grand escalier central dans la maison de maître : décor incontournable du Mélodrame qui permet la scène récurrente des montées et descentes des personnages, dont la lenteur ou la rapidité symbolisent l'état psychologique. L'escalier sert aussi aux entrées spectaculaires à l'écran (mais c'est plutôt Joan Crawford qui était la spécialiste de ces apparitions) et aussi aux chutes aux conséquences diverses et variées, mais qui toujours, annoncent un tournant dans l'histoire. Bien sûr, l'escalier symbolise aussi la descente aux enfers des héroïnes de Mélodrame ou leur remontée en puissance.
- La scène dans la neige ou la scène de la neige qui tombe sur le décor. Généralement silencieuse de paroles (mais non de musique), elle sert à montrer par métaphore l'isolation et le désarroi du personnage. Elle est le plus souvent accompagnée du grand thème musical mélodramatique du film. Très souvent, un traveling panoramique avant ou arrière isole ou confond le personnage dans une foule en mouvement, le tout sous la neige (qui se doit de ressembler à du polystyrène pulvérisé). Il y a une scène exemplaire de ce genre dans Madame X.
- Le principe du changement de costume dans chaque scène. La couleur des vêtements, d'un style qui serait la plupart du temps importable dans la réalité du commun des mortels, symbolisent le triomphe (couleurs vives) ou la déchéance (couleurs ternes) du personnage qui le porte. Dans le Mélodrame (et à fortiori dans ceux produits par Ross Hunter), la couleur est avant tout un état d'esprit. La garde robe de Lana Turner est un style à elle toute seule, appelé dans les années 50 "Popuchic" ou "Lanallure".
- L'artificialité des décors dans lesquels évoluent - toujours très chorégraphiquement - les personnages de Mélodrame : par exemple, une bibliothèque dans une pièce aura des séries de livres tous identiques sur les étagères. Les bougies sur les chandeliers ne sont jamais entamées mais neuves. Les bouquets de fleurs dans les vases sont de première fraîcheur même si les personnages reviennent chez eux après trois mois de vacances à Monaco.
- L'utilisation d'au moins une scène de back-projection pour un trajet en voiture (si possible décapotable ce qui permet d'avoir les cheveux au vent), en hors-bord ou à cheval mais beaucoup plus rarement à pied. Un Mélodrame sans au moins un déplacement en back-projection n'est pas un véritable Mélodrame.
- Le Mélodrame exige la perfection de la tenue des coiffures et des maquillages, même après une semaine en sanatorium ou un trajet en décapotable (voir ci-dessus). Ici, Madame X innove (et est bien un film des années 60) car Lana Turner y casse son image en apparaissant à plusieurs reprises en souillon. Mais une souillon qui reste quand même artificielle, avec des rides creusées au crayon et une ligne de cheveux parfaite au niveau du front. Toute larme qui coule sur une joue est une larme de glycérine, cela va de soi.
- Le Mélodrame est le seul et unique genre cinématographique où un carton dans le générique de début est dédié exclusivement aux bijoux ("Jewels by...") et aux fourrures ("Furs by..."). De plus, la typographie utilisée pour le générique d'un Mélodrame est généralement cursive et de couleur douce : le rose est très apprécié, comme le bleu ciel ou le jaune.
Bref, j'ai repéré des dizaines d'autres clichés (sans aucun sens péjoratif, au contraire) du genre dans ce Madame X qui semble fermer en effet le cycle du grand Mélodrame hollywoodien de premier degré. La découverte de cette surenchère d'effets de style m'a fait encore plus goûter au film, dont l'histoire aux péripéties outrancières et le jeu habité des acteurs (et surtout de Lana Turner, parfaite) étaient déjà, en soi, un délice.
Le Mélodrame partage aussi avec le Musical (et s'oppose en ce sens totalement au Western et au film de Kung-Fu) le fait qu'une consommation abusive du genre par le spectateur masculin conduit souvent à l'homosexualité. Or, de façon très bizarre, les lesbiennes semblent, elles, plutôt insensibles au Mélodrame comme au Musical.
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