On est à Brooklyn en 1953. L'histoire est celle d'un gamin de 7 ans (Joey) à qui le grand frère de 10 ans (Lennie), aidé de deux copains du même âge, fait croire qu'il est mort, tué par accident de carabine par Joey. Cela pour lui faire peur, pour qu'il rentre chez lui et les laisse jouer tranquille sans les suivre partout. Seulement Joey prend vraiment peur et s'enfuit vers Coney Island où il passe deux jours à errer d'abord puis s'amuser tout seul parmi la foule de la plage et des manèges...
Rien de spectaculaire donc dans ce court film de photographe qui n'a pour but que de capturer l'ambiance de Brooklyn et de Coney Island en 1953 et de se laisser aller à la poésie de l'enfance, de ses peurs et des ses joies. Tout est vu à travers les yeux du petit Joey, qui fait du ball-trap, circule parmi les familles à Luna Park et sur la plage, collecte les bouteilles de Coca consignées pour se faire quelques cents et se payer des hot-dogs, de la barbe-à-papa et des tours de poney puisqu'il rêve d'être un cow-boy. Evidemment, tout finira bien... devant un western à la télé. Le jeune acteur, dont Le Petit Fugitif fut le premier et le seul film, est formidable de naturel et de spontanéïté.
Le film date de 1953 (l'année des Hommes préfèrent les Blondes, Le Salaire de la Peur, Tant qu'il y aura des Hommes, Voyage à Tokyo...) et a été admiré sans réserve par les cinéastes de l'époque, de Welles à Truffaut qui déclara que sans Le Petit Fugitif, il n'y aurait jamais eu de Nouvelle Vague (dont l'acte officiel de naissance date de 1954 : l'article des Cahiers du Cinéma contre le "cinéma de papa", et les premiers films de quelques années plus tard). Et en effet, le tournage exclusivement en extérieurs, avec une caméra très mobile qui se faufile parmi la foule de Coney Island, le noir et blanc qui fait très "street photography", la spontanéitié du jeune acteur principal (mais pas des garçons de 10 ans, qui eux jouent assez mal : c'est le seul petit défaut du film) et les compositions d'image à hauteur du sujet font immanquablement penser à un film de la Nouvelle Vague... qui devait déferler en France à partir de 1958, soit cinq ans plus tard ( avec Le Beau Serge de Chabrol).
Le Petit Fugitif est une petite perle du cinéma indépendant US, qui a plus de 50 ans mais qui conserve une fraîcheur qui fait tout son charme. C'est aussi un moment-clé dans l'évolution des possibilités du cinéma : en plus de la Nouvelle Vague (qui revendiquait donc ce film comme son "prototype"), Cassavettes et bien d'autres sont déjà tout entiers dans le film de Morris Engel... Un film sympathique comme tout qui nous ramène aux Fifties comme dans un documentaire poétique, guidés par ce petit Joey courageux et débrouillard qui a peur et s'émerveille en même temps du monde qu'il est en train de découvrir.
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