20 septembre 2008

Nacht Fiel über Gotenhafen (Frank Wisbar, 1959)


Voilà un film méconnu que je viens de découvrir (DVD Z2 allemand), réalisé en Allemagne en 1959 par Frank Wisbar autour du naufrage du Wilhelm Gustloff.

Les derniers mois de la guerre en Allemagne. Les populations civiles allemandes proches du front de l’Est partent massivement vers l’Ouest ou la Baltique pour échapper à l’avancée de l’Armée Rouge. Une jeune berlinoise, enceinte, dont le fiancé est au front part elle aussi. Elle passe quelques jours dans une ferme occupée par des femmes seules de toutes classes sociales et continue sa route jusqu’au port de Gotenhafen (aujourd’hui Gdynia, près de Gandsk en Pologne) où le paquebot Wilhelm Gustloff, reconverti en navire hôpital, s’apprête à appareiller avec des milliers de réfugiés, principalement des femmes et des enfants. Le bateau quitte le port de nuit et est coulé par les torpilles d’un sous-marin soviétique…

Le film vaut surtout par l’histoire qu’il raconte, à peine quinze ans après les faits. Ce n’est pas un film catastrophe au sens propre mais un film historique doublé d’un (mélo)drame qui pose un regard sans doute assez juste sur une page peu évoquée au cinéma de la Seconde Guerre Mondiale : le chaos des derniers mois de la guerre vu du côté des femmes allemandes. La déroute de l’armée allemande, les incessants bombardements alliés, la terreur des soldats soviétiques, la déstructuration des familles dont les hommes partent tous au front, les rencontres improbables (dans la ferme où elle se retrouve quelques jours, un garçon de ferme est un français en S.T.O.), la force ou la faiblesse des individus… sont évoqués de façon objective, dans des scènes simples où la réalisation laisse la place à la narration. C’est du bon cinéma classique des années 1950, porté par une volonté de réalisme et l’excellence de l’interprétation des actrices dont toutes m’étaient inconnues sauf Brigitte Horney, une star allemande de l’époque. La dernière demi-heure, qui se passe sur le Wilhelm Gustloff, n’est évidemment pas à la hauteur du naufrage du Titanic de James Cameron mais reste dans une froideur objective qui correspond bien l’esprit global du film (et en ce sens, ressemble plus au A Night to Remember de Roy Ward Baker).

Nacht fiel über Gotenhafen a aussi le mérite d’évoquer ce qui est sans doute le plus dramatique naufrage de l’histoire, en termes du nombre de victimes. Les historiens semblent être divisés sur le nombre total de pertes humaines que provoqua le torpillage du Wilhlem Gustloff dans les eaux glacées de la Baltique le 31 janvier 1945 : les estimations vont de 5.000 à 12.000 victimes, le chiffre de 9.000 étant le plus souvent évoqué. Aucune liste complète des passagers n’est disponible, l’équipage ayant grand ouvert les portes du bateau à la foule des réfugiés qui se pressaient sur le quai de départ. Ce qui est certain, c’est que le navire était en très forte surcharge et que l’essentiel des victimes furent des femmes et des enfants.

Par rapport au naufrage du Titanic (qui avec ses 1.500 victimes, fait figure de galop d’essai), celui du Wilhelm Gustloff est resté dans une relative obscurité pour des raisons multiples, historiques et politiques : les alliés n’étaient pas directement impliqués dans les faits donc n’ont pas voulu faire de commentaires, les soviétiques n’étaient pas très fiers d’avoir coulé des milliers de femmes et d’enfants, les allemands ne voulaient plus parler de la guerre. L’épave a été récemment fouillée : les plongeurs voulaient voir entre autres si la fameuse « Chambre d’Ambre », volée par les Nazis à Saint-Petersbourg et jamais retrouvé depuis, avait été embarquée à bord. Ils ne l’ont pas trouvée. En 2002, Günter Grass a publié un roman extraordinaire : En Crabe (Im Kresbgang), qui prend le prétexte de l’histoire naufrage de Wilhelm Gustloff pour parler du refoulement et de la mémoire. Je l’ai lu après avoir vu le film et je dois dire que c’est un des livres les plus forts et maîtrisés que j’ai lu depuis longtemps. En 2008, Joseph Wilsmaier, le réalisateur du très bon Stalingrad, vient de réaliser pour la ZDF un film de 3 heures sur le naufrage : Die Gustloff. Petit-à-petit, l’histoire du bateau fantôme semble donc refaire surface.

Bref, Nacht fiel über Gotenhafen est un bon exemple du « cinéma d’exorcisme » de l’Allemagne de l’après-guerre. C’est un film qui n’a pas révolutionné le cinéma, qui possède beaucoup de qualités et pas mal de défauts mais qui, replacé dans son contexte historique, est intéressant à plus d’un titre. Je le recommande vivement. Je recommande aussi de faire un peu de recherches personnelles sur le naufrage du Wilhelm Gustloff, dont l’histoire est franchement passionnante.

Le DVD Z2 allemand a une image N&B (format 1.33 d’origine) et un son excellents, une bonne compression. Le film est en allemand et a seulement des sous-titres allemands optionnels (j’ai dû faire avec les souvenirs des mes cours d’allemand du secondaire…).

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