Découvert grâce à un topic sur le Forum Criterion, La Passagère (Pasazerka) un film dont je n’avais auparavant jamais entendu parler mais que je viens de voir (DVD Z2 UK) et qui m’a fait très forte impression, par son sujet, son traitement et l’histoire-même de sa création.
Depuis le pont d’un paquebot en escale, une passagère (qui ressemble un peu à Delphine Seyrig) en voit une autre descendre d’une passerelle. Leurs regards se croisent et la première passagère se souvient. Quinze ans plus tôt, en 1943, elle dirigeait à Auschwitz un groupe de prisonnières affectées au tri des affaires des déportés arrivants. La passagère entrevue lui rappelle l’une de ses anciennes subordonnées, avec qui elle avait engagé un rapport de force fait d’admiration et de défiance…
Voilà pour le pitch. Comme tous les films sur l’Holocauste, c’est bien sûr un film sur la mémoire et la responsabilité, les bourreaux et les victimes. Mais c’est aussi un film sur la solitude et la séduction. Les deux femmes ont peut-être survécu à Auschwitz parce qu’elles s’y sont trouvées un objectif commun qui les a isolées et les protégées : leur affrontement psychologique. C’est au moins une des possibilités de lecture du film.
Le ton surprenant du film, réalisé en Pologne, une quinzaine d’années après la fin de la guerre, par Andrzej Munk, un cinéaste juif polonais qui avait lui-même participé au soulèvement du ghetto de Varsovie lui donne toute sa puissance : alors qu’on pourrait s’attendre à un film rageur et désespéré, on découvre un film posé et retenu, techniquement très fouillé (photo, compositions, mouvements de caméra, jeu des acteurs) et passant sans cesse de la fiction (l’histoire des deux femmes) à la reconstitution quasi-documentaire (les scènes du quotidien du camp, certaines implacables dans leur vérité). Aucune complaisance. Le travail sur les arrière-plans est saisissant : dans pratiquement toutes les scènes du camp, des silhouettes de personnages s’activent au loin dans des actions dont ne peut qu’imaginer l’horreur. Une des scènes les plus fortes du film est inoubliable : une file d’enfants descend vers une chambre à gaz, une petite fille sort du rang quelques instants pour aller caresser un chien tenu en laisse par un garde. Le SS retient l’animal et esquisse un sourire de complicité avec la petite fille qui retourne dans le rang. Ca pourrait être obscène, ça ne l’est pas. Mais quand on sait que le film a été tourné à Auschwitz-Birkenau même, on a un peu le vertige.
L’histoire du film lui-même est étonnante : La Passagère est un film inachevé (il dure 58 minutes) puisque le réalisateur Andrezj Munk a été tué en 1961 dans un accident de voiture, à 39 ans, en plein milieu du tournage. Il faisait partie de la nouvelle génération de cinéastes polonais (Wadja, Kawalerowicz) et, quand on voit son film, était sans doute promis à une belle carrière. Dès la mort de Munk, ses collaborateurs ont voulu sortir le film quand même. Les scènes du début et de la fin (celles du paquebot), que Munk avait décidé de retourner parce qu’elles ne le satisfaisaient pas complètement, ont alors été « restituées » : des photogrammes du métrage tourné ont été utilisés avec une voix off qui fait office de narrateur. L’effet est très semblable à celui de La Jetée de Chris Marker (réalisé en 1962) : un texte lu sur des images immobiles. Seules les scènes d’Auschwitz, qui forment l’essentiel du film, sont animées puisque Munk avait eu le temps de les monter. En revanche, le mixage n’ayant pas encore été fait, les voix des personnages et les bruitages ont été ajoutés en post-synchronisation par les collaborateurs de Munk. Cela crée un effet de distanciation qui ajoute à l’étrangeté du film.
La Passagère, tel qu’on peut le voir aujourd’hui, n’est donc pas exactement le film que Munk avait imaginé, mais il s’en rapproche au plus près car les collaborateurs du réalisateur disparu ont tenu à respecter à la lettre ses indications, ses notes et son esprit. Le film complet, si Munk avait pu le finir, aurait sans doute été remarquable mais d’une facture qui aurait été relativement classique. Le film qui nous est resté, est, par ses manques, ses ellipses et sa grammaire hétérogène, absolument unique, à la limite de l’expérimental et du poème cinématographique. C’est avant tout un film radical sur l’Holocauste mais c’est aussi une énigme dont aucun spectateur ne peut se targuer de détenir la clé. Une très grande découverte pour ma part et un film dont les images et le sens me poursuivront sans doute longtemps.
Le film est sorti en DVD chez Second Run (Z2 UK). Image N&B et son de très bonne qualité. Polonais s/titres anglais optionnels (pas de s/t français). Un débat de cinéphiles a fait rage sur certains sites web parce que le film aurait été tourné en 2 :35 et est en 1 : 77 sur le DVD. Ca ne m’a pas du tout gêné. Par contre, transfert non-anamorphique, c’est dommage. En bonus, un excellent documentaire de 50 minutes sur Andrzej Munk avec participation de Wadja et Polanski.
Depuis le pont d’un paquebot en escale, une passagère (qui ressemble un peu à Delphine Seyrig) en voit une autre descendre d’une passerelle. Leurs regards se croisent et la première passagère se souvient. Quinze ans plus tôt, en 1943, elle dirigeait à Auschwitz un groupe de prisonnières affectées au tri des affaires des déportés arrivants. La passagère entrevue lui rappelle l’une de ses anciennes subordonnées, avec qui elle avait engagé un rapport de force fait d’admiration et de défiance…
Voilà pour le pitch. Comme tous les films sur l’Holocauste, c’est bien sûr un film sur la mémoire et la responsabilité, les bourreaux et les victimes. Mais c’est aussi un film sur la solitude et la séduction. Les deux femmes ont peut-être survécu à Auschwitz parce qu’elles s’y sont trouvées un objectif commun qui les a isolées et les protégées : leur affrontement psychologique. C’est au moins une des possibilités de lecture du film.
Le ton surprenant du film, réalisé en Pologne, une quinzaine d’années après la fin de la guerre, par Andrzej Munk, un cinéaste juif polonais qui avait lui-même participé au soulèvement du ghetto de Varsovie lui donne toute sa puissance : alors qu’on pourrait s’attendre à un film rageur et désespéré, on découvre un film posé et retenu, techniquement très fouillé (photo, compositions, mouvements de caméra, jeu des acteurs) et passant sans cesse de la fiction (l’histoire des deux femmes) à la reconstitution quasi-documentaire (les scènes du quotidien du camp, certaines implacables dans leur vérité). Aucune complaisance. Le travail sur les arrière-plans est saisissant : dans pratiquement toutes les scènes du camp, des silhouettes de personnages s’activent au loin dans des actions dont ne peut qu’imaginer l’horreur. Une des scènes les plus fortes du film est inoubliable : une file d’enfants descend vers une chambre à gaz, une petite fille sort du rang quelques instants pour aller caresser un chien tenu en laisse par un garde. Le SS retient l’animal et esquisse un sourire de complicité avec la petite fille qui retourne dans le rang. Ca pourrait être obscène, ça ne l’est pas. Mais quand on sait que le film a été tourné à Auschwitz-Birkenau même, on a un peu le vertige.
L’histoire du film lui-même est étonnante : La Passagère est un film inachevé (il dure 58 minutes) puisque le réalisateur Andrezj Munk a été tué en 1961 dans un accident de voiture, à 39 ans, en plein milieu du tournage. Il faisait partie de la nouvelle génération de cinéastes polonais (Wadja, Kawalerowicz) et, quand on voit son film, était sans doute promis à une belle carrière. Dès la mort de Munk, ses collaborateurs ont voulu sortir le film quand même. Les scènes du début et de la fin (celles du paquebot), que Munk avait décidé de retourner parce qu’elles ne le satisfaisaient pas complètement, ont alors été « restituées » : des photogrammes du métrage tourné ont été utilisés avec une voix off qui fait office de narrateur. L’effet est très semblable à celui de La Jetée de Chris Marker (réalisé en 1962) : un texte lu sur des images immobiles. Seules les scènes d’Auschwitz, qui forment l’essentiel du film, sont animées puisque Munk avait eu le temps de les monter. En revanche, le mixage n’ayant pas encore été fait, les voix des personnages et les bruitages ont été ajoutés en post-synchronisation par les collaborateurs de Munk. Cela crée un effet de distanciation qui ajoute à l’étrangeté du film.
La Passagère, tel qu’on peut le voir aujourd’hui, n’est donc pas exactement le film que Munk avait imaginé, mais il s’en rapproche au plus près car les collaborateurs du réalisateur disparu ont tenu à respecter à la lettre ses indications, ses notes et son esprit. Le film complet, si Munk avait pu le finir, aurait sans doute été remarquable mais d’une facture qui aurait été relativement classique. Le film qui nous est resté, est, par ses manques, ses ellipses et sa grammaire hétérogène, absolument unique, à la limite de l’expérimental et du poème cinématographique. C’est avant tout un film radical sur l’Holocauste mais c’est aussi une énigme dont aucun spectateur ne peut se targuer de détenir la clé. Une très grande découverte pour ma part et un film dont les images et le sens me poursuivront sans doute longtemps.
Le film est sorti en DVD chez Second Run (Z2 UK). Image N&B et son de très bonne qualité. Polonais s/titres anglais optionnels (pas de s/t français). Un débat de cinéphiles a fait rage sur certains sites web parce que le film aurait été tourné en 2 :35 et est en 1 : 77 sur le DVD. Ca ne m’a pas du tout gêné. Par contre, transfert non-anamorphique, c’est dommage. En bonus, un excellent documentaire de 50 minutes sur Andrzej Munk avec participation de Wadja et Polanski.
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